Cour d'appel de Grenoble, 1ere chambre, 14 décembre 2021, n° 21/01953

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, 1re ch., 14 déc. 2021, n° 21/01953
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 21/01953
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Valence, 2 mars 2021, N° 20/00637
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

N° RG 21/01953 – N° Portalis DBVM-V-B7F-K3E5

HC

N° Minute :

Copie exécutoire

délivrée le :

Me Aurélie MARCEL

la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU MARDI 14 DECEMBRE 2021

Appel d’une décision (N° RG 20/00637)

rendue par le Président du Tribunal judiciaire de VALENCE

en date du 03 mars 2021

suivant déclaration d’appel du 28 Avril 2021

APPELANTE :

LA SOCIÉTÉ FRANCAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES (SFMI) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me Aurélie MARCEL, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Thomas FOURREY, avocat au barreau de LYON

INTIME :

M. X Y

né le […] à MARIGNANE

de nationalité Française

[…]

[…]

représenté par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me FALGA Olivier et par Me Anne VENNETIER, avocats au barreau de NANTES

COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Hélène COMBES Président de chambre,

Mme Joëlle BLATRY, Conseiller

M. Laurent GRAVA, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 22 novembre 2021 Madame COMBES Président de chambre chargé du rapport en présence de Madame BLATRY, Conseiller assistées de Mme Anne BUREL, Greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile.

Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.

EXPOSE DU LITIGE

La société SFMI qui appartient au groupe Avenir, exerce son activité dans le domaine de la construction de maisons individuelles. Son dirigeant est Dervis Teber.

Courant 2018, Z Y a confié la construction de sa maison d’habitation à une société du Groupe Avenir.

Les 25 et 26 novembre 2020, il a publié sur son compte Facebook les textes suivants :

25 novembre

«Je vous invite à partager ces articles de presse d’un constructeur immobilier aux pratiques illicites et qui détruisent des familles entières. Les victimes se sont enfin rassemblées dans un collectif, pour partager leur expérience, dénoncer les pratiques, le chantage et mobiliser les familles désemparées. Le groupe est visible sur Facebook. Si vous connaissez quelqu’un de votre entourage sous le joug de ce constructeur, je vous invite à vous rapprocher du collectif (ou de moi). Attention le calvaire survient souvent à l’approche de la fin de chantier, pour vous payer sans finalise les prestations en profitant

de notre méconnaissance juridique et d’appel de fonds illicites anticipé. Votre chantier reste ainsi inhabitable, inachevé, payé à 95%. Le collectif des victimes du groupe avenir SFMI mobilisé pour les familles ».

26 novembre

«Nous avons tous été lésés, je ne connais personnellement aucun client Groupe Avenir SFMI sans désordres. Ils diront, c’est de l’incompréhension, un manque de communication, des malfaçons pas graves (on n’a pas les mêmes notions de gravite), mais les pratiques illicites, les chantages, les menaces, le travail ni fait ni à faire, tout cela est bien réel pour les clients lésés. Partagez au plus grand nombre pour éviter que des familles entières se retrouvent détruites ou ruinées par des pratiques anormales,sans scrupules. Je vous invite à la bonne action du jour qui sauvera des familles ».

Soutenant que ces propos sont diffamatoires, la société SFMI a par acte du 23 décembre 2020, assigné Z Y en référé devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Valence pour

que soit ordonné le retrait des publications litigieuses.

Elle sollicitait également l’allocation de la somme provisionnelle de 10.000 euros en réparation de son préjudice d’image, de réputation et moral.

Par ordonnance du 3 mars 2021, le juge des référés a dit n’y avoir lieu à référé, a débouté la société SFMI de toutes ses demandes et l’a condamnée à payer à Z Y la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La société SFMI a relevé appel le 28 avril 2021.

Le 20 mai 2021, l’affaire a reçu fixation à bref délai selon la procédure prévue à l’article 905 du code de procédure civile.

Par conclusions du 17 juin 2021, la société SFMI demande à la cour d’infirmer l’ordonnance déférée et de :

• Constater que la teneur des termes contenus dans la publication en date du 25 novembre 2020, publiée sur le compte Facebook de Z Y, constitue le délit de diffamation publique envers un particulier prévu et réprimé par la loi du 29 juillet 1881 :

• Constater que la teneur des termes contenus dans la publication en date du 26 novembre 2020, publiée sur le compte Facebook de Z Y, constitue le délit de diffamation publique envers un particulier prévu et réprimé par la loi du 29 juillet 1881 :

• Ordonner le retrait des publications Facebook litigieuses,

• Ordonner la publication de la décision à venir, épinglée en haut du compte Facebook de Z Y pour une durée de 3 mois de manière particulièrement visible,

• Condamner Z Y à verser à la Société SFMI la somme provisionnelle de 10.000 euros à valoir sur l’indemnisation de son préjudice d’image, de réputation et moral,

• Condamner le même à payer la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir au soutien de son appel que le positionnement de Z Y vise très clairement à la discréditer.

Elle soutient que la diffamation est caractérisée au sens de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 pour les raisons suivantes :

• les propos la visent directement de manière non équivoque,

• les allégations expriment des faits répréhensibles,

• contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, des faits précis lui sont imputés, comme son attitude en situation de fin de chantier où des comportements illicites lui sont imputés,

Elle fait valoir encore que le fait justificatif de bonne foi ne peut être retenu en l’espèce, la publication étant dénuée de toute prudence et mesure dans l’expression où transparaissent la rancoeur, la colère voire la haine.

Elle observe sur ce point que sur les réseaux sociaux, Z Y s’est transformé en justicier et affirme des contre-vérités dans le seul but de la discréditer.

Elle conclut qu’en raison du caractère infamant des publications mises en ligne, elle est bien fondée à en solliciter le retrait immédiat sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile.

Elle invoque également un préjudice d’image et de réputation indemnisable, justifiant l’allocation d’une somme provisionnelle à titre de dommages intérêts.

Dans ses dernières conclusions du 15 juillet 2021, Z Y conclut à la confirmation de l’ordonnance déférée et réclame 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il expose que tout au long de la construction qu’il a confiée à la société SFMI il a subi ses agissements illicites constitutifs d’infractions pénales et qu’elle a cherché par tous les moyens possibles à le facturer de sommes qui n’étaient pas exigibles ; qu’il est loin d’être le seul à connaître des déboires avec ce constructeur qui fait des victimes dans toute la France.

Il observe que les avis négatifs sur la société SFMI prolifèrent depuis 2009 sur les différents blogs et forums et que le clients mécontents le font savoir comme les y autorise l’exercice de la liberté d’expression ;

que compte tenu de l’illégalité des pratiques de la société SFMI et de leur systématicité, les publications incriminées sont non seulement véridiques mais particulièrement mesurées.

Il dénonce le comportement de la société SFMI qui tente de baillonner la parole des consommateurs victimes de ses agissements.

Il soutient que pour faire droit à la demande de la société SFMI, le juge des référés doit constater l’illicéité manifeste du trouble qui serait causé par la publication litigieuse.

Il fait valoir à titre principal qu’il existe un doute sur le régime applicable : diffamation ou dénigrement et que cette appréciation échappe au juge des référés, les deux fondements ne pouvant être invoqués cumulativement.

Pour le cas où la cour retiendrait l’application du régime de la diffamation, il soutient subsidiairement qu’il n’a commis aucun abus dans l’exercice de la liberté d’expression et qu’il est bien fondé à invoquer tant sa bonne foi (1) que l’exception de vérité (2).

Sur l’exception de bonne foi, il expose qu’elle suppose qu’il existait pour l’auteur, de bonnes raisons de procéder à l’allégation ou à l’imputation diffamatoire et énumère les critères la caractérisant : prudence et modération dans les propos, droit à la critique, légitimation du but poursuivi, existence d’une base factuelle suffisante ; que la Cour de cassation est moins exigeante lorsque les faits reprochés ont pour auteur un particulier.

Il fait valoir que l’examen au fond n’est pas compatible avec l’office du juge des référés ; qu’en toute hypothèse, l’exception de bonne foi est parfaitement caractérisée en l’espèce dès lors :

• que les propos sont mesurés et ne dépassent pas le libre droit de critique,

• que les propos s’inscrivent dans la nécessaire information du public

• que les propos sont légitimes et reposent sur une base factuelle suffisante,

• que les propos ne sont pas dictés par l’animosité personnelle

Sur l’exception de vérité, il fait valoir que les publications litigieuses sont exactes, preuves à l’appui.

Il s’oppose à la demande de provision de la société SFMI au motif qu’elle se heurte à une contestation sérieuse et soutient qu’aucun élément n’établit un quelconque préjudice.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2021.

DISCUSSION

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, la cour se réfère à la décision attaquée et aux dernières conclusions déposées.

La société SFMI soutient que son action est fondée sur les dispositions des articles 23, 29 alinéa 1er et 42 de la loi du 29 juillet 1881.

Il convient dès lors de rechercher si les critères d’application de ces textes sont réunis.

Selon l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, constitue une diffamation toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé.

Il est de jurisprudence constante que le fait imputé doit être suffisamment précis et distinct du jugement de valeur pour pouvoir faire l’objet d’un débat contradictoire.

En l’espèce constituent des allégations diffamatoires en ce qu’elles sont susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la société SFMI les allégations portant sur les pratiques illicites caractérisées par des chantages, des menaces, des appels de fonds anticipés.

En effet n’est pas seule en cause la qualité de la prestation de la société SFMI mais le comportement répréhensible de ses représentants, de sorte que l’imputation excède le cadre du dénigrement.

Si les imputations diffamatoires sont réputées faites avec l’intention de nuire, elles peuvent cependant être justifiées lorsque leur auteur établit sa bonne foi en prouvant qu’il a poursuivi un but légitime, étranger à toute animosité personnelle.

En l’espèce, ainsi que l’a exactement retenu le premier juge, les propos tenus par Z Y ne présentent aucun caractère outrancier ou exagéré.

Contrairement à ce que soutient la société SFMI, ils ne sont dictés ni par la rancoeur et encore moins par la haine et n’expriment pas une animosité personnelle.

Ils s’inscrivent au contraire dans le contexte des difficultés rencontrées par Z Y lors de la construction de sa maison d’habitation, qui selon un procès-verbal de constat du 30 octobre 2020 et un rapport d’expertise du 2 novembre 2020 comporte de nombreuses malfaçons et non façons nécessitant des reprises dont le principe est d’ailleurs admis par le constructeur.

Outre que les propos de Z Y reposent sur une base factuelle suffisante, ils répondent à la nécessaire information du public, les pratiques du Groupe Avenir ayant été sanctionnées pénalement à plusieurs reprises, comme rappelé par le premier juge dans la décision déférée.

Z Y est bien fondé à invoquer sa bonne foi comme justifiant les imputations litigieuses.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, c’est par une exacte appréciation des éléments qui lui étaient soumis que le premier juge a dit que la société SFMI ne rapporte pas la preuve d’un trouble manifestement illicite, qu’il a dit n’y avoir lieu à référé et qu’il a débouté la société SFMI de toutes ses demandes.

Il sera alloué à Z Y contraint de se défendre devant la cour la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement

• Confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions.

• Y ajoutant, condamne la société SFMI à payer à Z Y la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

• Condamne la société SFMI aux dépens d’appel.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Madame COMBES, président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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