Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 18 janvier 2022, n° 19/02272

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, ch.secu-fiva-cdas, 18 janv. 2022, n° 19/02272
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 19/02272
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble, 4 avril 2019, N° 16/00835
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

C8

N° RG 19/02272

N° Portalis DBVM-V-B7D-KAXC


N° Minute :


Notifié le :


Copie exécutoire délivrée le :

la SELARL CENTAURE AVOCATS

la CPAM DE L’ISÈRE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE SOCIALE – PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU MARDI 18 JANVIER 2022


Appel d’une décision (N° RG 16/00835)

rendue par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de GRENOBLE

en date du 05 avril 2019

suivant déclaration d’appel du 24 mai 2019

APPELANT ET INTIME INCIDENT :

Le FIVA – FONDS D’INDEMNISATION DES VICTIMES DE L’AMIANTE, pris en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

1 place X Césaire – CS 70010

[…]

représenté par Me Yves CLAISSE de la SELARL CENTAURE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE ET APPELANTE INCIDENTE :

Société RHODIA CHIMIE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…] représentée par Me Grégory MAZILLE de la SCP ABDOU, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

La CPAM DE L’ISERE, prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

[…]

comparante en la personne de Mme D E régulièrement munie d’un pouvoir

Maître L M D’AUZAY, ès qualités de Mandataire ad Hoc de la société POLIMERI EUROPA ELASTOMERES FRANCE


ALEXEN INTERNATIONAL

[…]

[…]

représenté par Me Elise LAPLANCHE de la SELARL YDES, avocat au barreau de LYON substituée par Me Clémence CHOPINEAU, avocat au barreau de LYON

COMPOSITION DE LA COUR :


LORS DES DEBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de Président,

Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller,

M. Z F, Magistrat honoraire,


Assistés lors des débats de Mme Chrystel ROHRER, Greffier,

DÉBATS :


A l’audience publique du 23 novembre 2021,

M. Z F, Magistrat honoraire chargé du rapport, Mme Magali DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de Président et Mme Isabelle DEFARGE, Conseiller ont entendu les représentants des parties en leurs conclusions et plaidoiries.


Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.

EXPOSE DU LITIGE


Du 16 avril 1973 au 31 août 2006, G X occupa divers postes salariés au service des entreprises qui ont successivement exploité une usine de fabrication de caoutchouc à Champagnier (Isère).
Le 30 septembre 2011, il obtint de la CPAM de l’Isère une prise en charge au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles, à savoir les cancers broncho-pulmonaires provoqués par l’inhalation de poussières d’amiante, puis le versement d’une rente pour une incapacité permanente au taux de 100 %.


Il accepta les offres d’indemnisation présentées par le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante (ci-après le FIVA) qui, le 14 août 2012, engagea l’action en reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur en dirigeant ses prétentions contre le dernier exploitant, la société Polimeri Europa Elastomères désormais amiablement dissoute, et en appelant en cause la société Rhodia Chimie venant aux droits de la société Rhône Poulenc Chimie.


A la suite du décès de G X le 7 mai 2013, le FIVA fit retirer l’affaire du rôle du tribunal des affaires de sécurité sociale de Grenoble, puis il présenta des offres d’indemnisation aux ayants droit du défunt.


Ces offres ayant été contestées, la Cour de céans statua par arrêt du 4 février 2015 en fixant les préjudices moraux et d’accompagnement, et elle condamna le FIVA à verser aux ayants droit les sommes suivantes :


- à Mme H I veuve X : 40.000 €,


- à MM. Y, Z et J X, fils de la victime : 8.700 € chacun,


- aux mineures B, C et K X, petites-filles de la victime : 5.000 € chacune.


Le 9 juin 2016, le FIVA fit réinscrire l’affaire en reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur.

Par jugement de son pôle social en date du 5 avril 2019, le tribunal de grande instance de Grenoble considéra que des incertitudes demeuraient quant à l’origine de la maladie déclarée, et qu’il était insuffisamment établi que le défunt ait été exposé habituellement au risque d’inhalation de poussières d’amiante. En conséquence le tribunal :


- déclara recevable l’action subrogatoire du FIVA ;


- dit que le caractère habituel de l’exposition au risque n’était pas établi ;


- débouta le FIVA ;


- condamna le FIVA à supporter les dépens.


Le 24 mai 2019, le FIVA interjeta appel en intimant la société Polimeri Europa Elastomères France, la société Rhodia Chimie et la CPAM de l’Isère.

A l’audience, le FIVA fait oralement développer ses conclusions d’appel transmises par voie électronique le 19 octobre 2021. Il demande à la Cour de :

« REFORMER le jugement entrepris, et, statuant à nouveau,

JUGER RECEVABLE la demande du Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante, subrogé dans les droits de monsieur G X,

JUGER que les pièces versées aux débats établissent le caractère professionnel de la maladie de monsieur X, Subsidiairement, SURSEOIR A STATUER et DESIGNER le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles compétent, avec pour mission :


- de prendre connaissance du dossier de monsieur X, tel que prévu par l’article D461-29 du Code de la sécurité sociale, ainsi que des conclusions et pièces des parties à l’instance, qui seront annexés à ce dossier, en application du même article,


- de dire, par un avis motivé, si la pathologie présentée par monsieur X, objet du certificat médical du 10/02/2011, figurant au tableau n°30 bis des maladies professionnelles, a été directement causée par son travail habituel sur le site de l’usine de Champagnier exploité par les sociétés RHODIA CHIMIE et POLIMERI EUROPA ELASTOMERES FRANCE,

INVITER la CPAM de l’Isère à adresser au CRRMP désigné l’ensemble des pièces visées à l’article D 461-29 du Code de la Sécurité Sociale, ainsi que les conclusions et pièces des parties à l’instance,

RENVOYER l’examen des demandes à la première audience utile après réception de l’avis du CRRMP,

JUGER que la maladie professionnelle de monsieur X est la conséquence de la faute inexcusable de la société POLIMERI EUROPA ELASTOMERES FRANCE, et subsidiairement de la société RHODIA CHIMIE,

FIXER à son maximum l’indemnité forfaitaire visée à l’article L.452-3, alinéa 1er du Code de la sécurité sociale, soit un montant de 17.192 €, et JUGER que cette indemnité sera versée par la CPAM de l’Isère à la succession de monsieur X,

FIXER à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application de l’article L452-2 du Code de la sécurité sociale, et JUGER que cette majoration sera directement versée à ce conjoint survivant par l’organisme de sécurité sociale,

FIXER l’indemnisation des préjudices personnels de monsieur X comme suit :

Souffrances morales 69.700,00 €

Souffrances physiques 22.500,00 €

Préjudice d’agrément 22.500,00 €

TOTAL 114.700,00 €

FIXER l’indemnisation des préjudices moraux de ses ayants droit, comme suit :

Mme X H (veuve) 40.000 €

M. X Y (enfant) 8.700 €

M. X Z (enfant) 8.700 €

M. X J (enfant) 8.700 €

Mme X B (petit enfant) 5.000 €

Mme X C (petit enfant) 5.000 € Mme X K (petit enfant) 5.000 €

JUGER que la CPAM de l’Isère devra verser ces sommes au FIVA, créancier subrogé, en application de l’article L452-3 alinéa 3, du Code de la sécurité sociale, soit un total de 155.800 €,

CONDAMNER la partie succombante aux dépens, en application des articles 695 et suivants du Code de procédure civile,

DONNER ACTE au FIVA de ce qu’il ne sollicite pas l’exécution provisoire du jugement à intervenir, et en conséquence, ne pas faire application de l’article R142-10-6 du Code de la sécurité sociale, »

Es qualités de mandataire ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France, Me L M d’Auzay fait oralement soutenir ses conclusions parvenues en réponse le 12 octobre 2021. Il affirme qu’au service de la société Polimeri Europa Elastomères France, G X n’a pas été exposé aux poussières d’amiante. Il demande à la Cour :


- à titre principal, de confirmer le jugement entrepris et, y ajoutant, de condamner le FIVA à 3.000 € en contribution aux frais irrépétibles ;


- à titre subsidiaire, de juger que la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle est irrégulière et de la déclarer inopposable à la société Polimeri Europa Elastomères France ;


- à titre plus subsidiaire, mettre hors de cause la société Polimeri Europa Elastomères France et dire qu’elle ne peut être tenue d’une faute inexcusable commise par la société Rhône Poulenc Chimie ;


- à titre « superfétatoire », de juger que la CPAM ne pourra récupérer sur la société Polimeri Europa Elastomères France la majoration de rente ni par le biais d’une cotisation supplémentaire, ni par la capitalisation de cette majoration,


- en tout cas, de condamner le FIVA à 3.000 € en contribution aux frais irrépétibles.

La société Rhodia Chimie fait oralement reprendre ses conclusions parvenues le 20 octobre 2021. Elle demande à la Cour :


- à titre principal, de recevoir son appel incident et de la mettre hors de cause ;


- à titre subsidiaire, de confirmer le jugement entrepris ;


- à titre plus subsidiaire, de dire que les conséquences financières de la faute inexcusable seront assumées par la CPAM sans possibilité d’action récursoire ;


- à titre encore plus subsidiaire, de rejeter la demande d’indemnisation du préjudice et de fixer le préjudice physique de G X à 20.000 €, son préjudice moral à 20.000 €, celui de sa veuve à 30.000 €, et celui de chacun de ses trois petits enfants à 2.400 €.

La CPAM de l’Isère fait oralement soutenir des conclusions déposées à la barre en s’en rapportant sur la reconnaissance d’une faute inexcusable et en demandant, le cas échéant, la condamnation de « l’employeur » à rembourser l’intégralité des sommes dont elle aura fait l’avance, « à l’exclusion d’éventuels préjudices non couverts par le livre IV » du code de la sécurité sociale.


En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.

SUR CE 1. sur la demande en reconnaissance d’une faute inexcusable :


En application des articles L452-1 et L461-1 du code de la sécurité sociale, la victime d’une maladie professionnelle a droit à une indemnisation complémentaire lorsque cette maladie est due à une faute inexcusable de l’employeur.


Dès lors qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, un employeur est tenu d’une obligation de sécurité, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l’entreprise, ou du fait des travaux effectués, il commet une faute inexcusable, au sens de l’article L452-1 du code de la sécurité sociale, lorsqu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.


Il incombe au salarié, demandeur d’une indemnisation complémentaire des conséquences de la maladie professionnelle dont il est reconnu victime, d’apporter la preuve de la faute inexcusable qu’il impute à son employeur. Il n’a pas à démontrer que cette faute inexcusable a été la cause déterminante de la maladie professionnelle, et il suffit qu’elle en a été une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée.


En l’espèce, la charge de la preuve pèse sur le FIVA qui justifie se trouver subrogé dans les droits des personnes qu’il a indemnisées, et auquel il appartient d’établir l’origine professionnelle de la maladie et du décès de la victime G X, la conscience du danger qu’avait ou aurait dû avoir l’employeur, le défaut de mise en 'uvre des mesures de préservation, et le rapport de causalité entre ce défaut et la maladie.

Sur l’origine professionnelle, le FIVA est fondé à se prévaloir de la présomption qu’instituent les dispositions de l’article L461-1 du code de la sécurité sociale, selon lesquelles est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.


Le tableau 30 bis des maladies professionnelles, au titre duquel le FIVA présente sa demande, désigne le cancer broncho-pulmonaire primitif, fixe à 40 ans le délai de prise en charge sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans, et dresse une liste limitative de travaux susceptibles de provoquer la maladie.


Concernant la désignation de la maladie, la société Rhodia Chimie fait observer que les biopsies pratiquées sur la victime, dont le FIVA produit les résultats, ne révèlent pas la présence de fibres ou de corps asbestosiques.


Mais cette circonstance n’écarte pas la convergence des diagnostics résultant d’un certificat médical initial délivré le 10 février 2010 par le Dr N O au Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble, d’un certificat délivré le 11 février 2011 par le même médecin hospitalier, des examens pratiqués par le Dr P Q et le Dr R S, du rapport du médecin-conseil près la CPAM de l’Isère et de son avis sur le lien de causalité entre la maladie et le décès.


Il en résulte la preuve que G X a été atteint de la pathologie désignée au tableau 30bis des maladies professionnelles, et qu’il en est décédé.


Concernant les travaux exposant au risque, le FIVA produit aux débats :


- pour la période de 1973 à 1976 au cours de laquelle la victime exerçait les fonctions d’ensacheur, l’attestation par laquelle son ancien collègue U-V W a rapporté que G X T dans les séchoirs à raison des fréquentes interruptions du boudin de caoutchouc et nettoyait les lèvres de la machine « qui étaient essentiellement composées d’amiante », et ce « dans un bâtiment complet en fibrociment parois plus toiture » ;


- pour la période d e 1976 à 1992 au cours de laquelle la victime exerçait les fonctions de dépoteur et de rondier, l’attestation par laquelle son ancien collègue U-AA AB a rapporté que G X assurait l’entretien et nettoyage de filtres et que pour à chaque opération, il remplaçait des joints en matériau composite dénommé « klingérit » contenant de l’amiante.


Il est donc établi que la victime a habituellement accompli des tâches d’entretien ou de maintenance sur des équipements contenant des matériaux à base d’amiante, lesquelles figurent parmi les travaux limitativement énumérés au tableau 30 bis des maladies professionnelles.


Concernant le délai de prise en charge, le FIVA fait observer que la demande de reconnaissance de maladie professionnelle a été présentée en 2011, moins de 40 ans après le départ de la victime de l’usine de fabrication de caoutchouc à Champagnier, et même moins de 40 ans après l’affectation de G X que, sans en apporter le preuve, le mandataire ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France affirme avoir été décidée à compter du 30 septembre 1992 à un poste de conducteur en salle qu’il prétend à l’abri des poussières d’amiante. Quant à la durée minimale de l’exposition, il suffit de relever que les périodes visées par les attestations couvrent les années 1973 à 1976 pour la première et les années de 1976 à 1992 pour la seconde et de constater que l’exposition a duré au moins dix ans.


En définitive, s’avèrent réunies toutes les conditions énoncées au tableau 30 bis des maladies professionnelles et, nonobstant l’opinion des premiers juges, s’en trouve présumée l’origine professionnelle de la maladie et du décès.


Pour tenter de renverser la présomption, les sociétés intimées font valoir qu’il est rapporté que G X était affecté d’un tabagisme ancien et sévère, caractérisé par la consommation d’un paquet de cigarettes par jour de 18 à 62 ans selon les notes de son pneumologue, et elles affirment sans être contredites qu’en 1973, il a lui-même déposé le toit en fibrociment de sa maison.


Mais si les sociétés intimées exposent ainsi des facteurs ayant aggravé le risque, elles ne démontrent pas qu’ils ont causé la maladie cancéreuse qui a atteint le salarié victime.


La société Rhodia Chimie fait également valoir qu’une biopsie ganglionnaire médiastiniscopique et deux biopsies oesophagiennes n’ont pas révélé la présence de fibres d’amiante, et que le FIVA ne produit pas le résultat de la biopsie pulmonaire vraisemblablement réalisée.


Mais si les examens pratiqués sur la victime n’ont pu confirmer avec certitude que la maladie avait été provoquée par les poussières d’amiante, aucun avis médical n’est venu écarter l’origine professionnelle présumée.


En l’absence de preuve d’un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans aucune relation avec le travail, ou d’une cause totalement étrangère au travail, l’origine professionnelle présumée doit être retenue tant pour la maladie que pour le décès de G X.

Sur la conscience du danger, le FIVA rapporte que les risques liés à l’amiante sont connus depuis l’étude de Denis Auribault publiée au « Bulletin de l’inspection du travail » en 1906, laquelle a ensuite été confirmée par de multiples rapports médicaux à partir de 1930, ce qui a conduit à l’inscription de la fibrose pulmonaire consécutive à l’inhalation de poussières d’amiante au tableau 25 des maladies professionnelles par ordonnance du 2 août 1945 puis de l’asbestose professionnelle au tableau 30 par décret du 31 août 1950, et l’Institut National de Recherche et de Sécurité à diffuser dès 1967 des recommandations à l’adresse des industriels utilisateurs de l’amiante.


Il s’ensuit que même si les parties intimées se présentent comme n’ayant jamais été spécialisées dans l’industrie ou le négoce de l’amiante, elles ne pouvaient ignorer les risques auxquels exposent l’utilisation de matériaux amiantés et l’inhalation de leurs poussières.

Sur les mesures de préservation, le FIVA fait valoir qu’aucun employeur n’a mis en 'uvre de dispositif de protection, pas même ceux prescrits depuis le décret du 10 mars 1894 sur l’évacuation des poussières par des ventilations aspirantes énergiques et, avant l’embauche de G X le 16 avril 1973, par le décret du 6 mars 1961 imposant une ventilation efficace ou l’emploi de protections individuelles appropriées.

Sur le rapport de causalité, les sociétés intimées invoquent encore le tabagisme de la victime et ses travaux de dépose d’un toit en fibrociment, mais elles ne rapportent pas la preuve que ces facteurs de risque ont constitué la cause exclusive de la maladie.


En revanche, le FIVA fait valoir avec pertinence que l’absence de mesure de préservation au risque d’inhalation de poussières d’amiante a au moins contribué à l’apparition de la maladie.


En définitive, dès lors que l’employeur ne pouvait ignorer le risque, qu’il n’a pas pris de mesure de préservation, et que sa défaillance dans la mise en 'uvre des moyens de protection a contribué à l’apparition de la maladie et au décès consécutif, dont l’origine professionnelle doit être retenue, se trouve caractérisée la faute inexcusable reprochée.

2. sur les demandes subséquentes à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur :


La reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur ouvre droit à des indemnisations complémentaires. En application de l’article 53-VI de la loi du 23 décembre 2000, l’action subrogatoire du FIVA ne s’exerce cependant qu’à due concurrence des sommes qu’il a versées.


En son alinéa 4, ledit article 53-VI dispose néanmoins que la reconnaissance de la faute inexcusable ouvre droit à la majoration des indemnités versées à la victime ou à ses ayants droit en application de la législation de sécurité sociale, et que l’indemnisation à la charge du Fonds est alors révisée en conséquence.


Il est jugé que la majoration de rente constitue une prestation de sécurité sociale due par l’organisme social dans tous les cas où la maladie professionnelle consécutive à une faute inexcusable entraîne le versement d’une rente, de même que l’indemnité forfaitaire due lorsque la victime est atteinte d’incapacité permanente de 100 %, de sorte que le Fonds, recevable à exercer l’action en reconnaissance de faute inexcusable, est recevable par là même à demander la fixation de la majoration de rente et l’allocation de l’indemnité forfaitaire, peu important qu’il n’ait pas préalablement présenté à la victime ou à ses ayants droit l’offre complémentaire prévue par l’article 53-IV, alinéa 2, de la loi du 23 décembre 2000 (cass.2civ.19 décembre 2019 n°18-23804).


En l’espèce, il s’ensuit qu’au premier chef, si le FIVA admet n’avoir versé aucune somme au titre de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L.452-3, alinéa 1er du code de la sécurité sociale et due à raison du taux de l’incapacité permanente de la victime, évalué à 100 %, il est fondé à entendre fixer à son maximum cette indemnité forfaitaire, soit un montant de 17.192 €, et juger que cette indemnité sera versée par la CPAM de l’Isère à la succession de feu G X.


Au deuxième chef, le FIVA est également fondé à entendre fixer à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime en application de l’article L452-2 du code de la sécurité sociale, et juger que cette majoration sera directement versée à cette veuve par l’organisme de sécurité sociale, même si le Fonds n’a pas lui-même exposé de somme à ce titre.


Au troisième chef, le FIVA est encore fondé à obtenir l’indemnisation des souffrances morales subies par la victime, en particulier au titre de l’anxiété éprouvée par G X quant à l’issue fatale de sa maladie. Au vu des éléments produits, il y a lieu de maintenir l’évaluation à laquelle le FIVA a lui-même procédé en offrant à G X un montant de 69.700 €, ce que ce dernier a accepté.


Au quatrième chef, le FIVA est aussi fondé à obtenir l’indemnisation des souffrances physiques endurées par la victime qui a connu plusieurs périodes d’hospitalisation et subi 14 traitements par chimiothérapie et 33 séances de radiothérapie. Au vu des éléments produits, il y a lieu de maintenir l’évaluation à laquelle le FIVA a lui-même procédé en offrant à G X un montant de 22.500

€, ce que ce dernier a accepté.


Au cinquième chef, le FIVA réclame le montant de 22.500 € qu’il a servi à la victime au titre de son préjudice d’agrément. Mais comme le font observer les sociétés intimées, il ne produit que deux lettres dans lesquelles G X a écrit qu’il était contraint de rester à son domicile, qu’il ne pouvait plus partir en vacances et qu’il ne pouvait plus s’adonner à ses loisirs préférés. Ces seules affirmations de la victime sont insuffisantes à caractériser une perte des plaisirs tirés d’activités sportives ou de loisirs qui, au demeurant, ne sont pas même précisées. Il ne peut dès lors être fait droit à la demande.


Au sixième et dernier chef, comme le demande le FIVA, il s’impose de maintenir l’évaluation du préjudice moral des ayants droit du défunt aux montants auxquels il a été condamné par arrêt de la Cour de céans en date du 4 février 2015.


Toutes ces sommes doivent être versées au FIVA par la CPAM de l’Isère.

3. sur l’action récursoire de la CPAM sur l’employeur :


En application des articles L452-2 et L461-1 du code de la sécurité sociale, l’organisme de sécurité sociale est fondé à récupérer sur l’employeur les montants dont il est condamné à faire l’avance.


En l’espèce, la CPAM de l’Isère se dispense de désigner sur quel employeur s’exercera son action récursoire.


La société Rhodia Chimie admet venir aux droits de la société Rhône Poulenc Chimie, elle-même venue aux droits de la société Plastimères qui a embauché G X le 16 avril 1973. Mais elle invoque un transfert de propriété en ce que l’entreprise exploitée à Champagnier a été cédée le 30 septembre1992 à la société Distugil ultérieurement dénommée Enichem Elastomères France puis Polimeri Europa Elastomères.


En premier lieu, la société Rhodia Chimie se prévaut de l’article L1224-2 du code du travail selon lequel, en cas de modification dans la situation juridique de l’employeur, le nouvel employeur est tenu, à l’égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations qui incombaient à l’ancien employeur.


Dès lors que G X a été maintenu dans son emploi salarié lors du transfert de propriété de l’entreprise, la société Polimeri Europa Elastomères est devenue débitrice des obligations nées du contrat de travail, en particulier l’obligation d’indemniser les préjudices subis par l’effet de la faute inexcusable de l’employeur, fût-il l’employeur précédent.


En deuxième lieu et au demeurant, la société Rhodia Chimie fait valoir les stipulations du traité d’apport selon lesquelles l’entreprise cessionnaire ferait son affaire de tout contentieux né ou à naître pour autant que la survenance des événements ou actes dommageables soit postérieure à la date de réalisation de l’apport.


Le mandataire ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France affirme qu’à la suite d’un accident de travail sans gravité le 26 novembre 1992, elle a affecté G X à un poste de conducteur en salle où il n’était plus exposé aux poussières d’amiante.


Mais il se limite à produire un compte-rendu de l’accident de travail du 26 novembre 1992 sans justifier de la date de la nouvelle affectation de G X.


Dès lors qu’après le transfert de propriété à la date du 30 septembre 1992, G X a encore exercé les fonctions de dépoteur et de rondier qui, comme il est dit plus haut, l’exposaient aux poussières d’amiante, la société Poliméri Europa Elastomères France doit répondre de la faute inexcusable qu’elle a prolongée au moins, selon ses propres affirmations, jusqu’au 26 novembre 1992.


En troisième lieu et au surplus, la société Rhodia Chimie fait valoir qu’il est jugé qu’en cas de succession d’employeurs, la maladie est présumée contractée au service du dernier employeur au service duquel elle a été exposée au risque, avant sa contestation médicale (cass soc ; 11 juin 1986) et qu’il est admis que la société Poliméri Europa Elastomères France a été le dernier employeur de G X sur le site industriel de Champagnier.


Comme il est dit ci-dessus, si le mandataire ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France prétend que dès qu’elle a acquis l’entreprise, elle a affecté G X à un poste de conducteur en salle à l’abri des poussières d’amiante, rien n’étaye son assertion. Le mandataire ad hoc ne parvient donc pas à renverser la présomption imputant la faute inexcusable à la société Polimeri Europa Elastomères France.


Il s’ensuit qu’en tout cas, la société Poliméri Europa Elastomères France est tenue des obligations nées de la faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle, comme le soutient le FIVA à titre principal.


Pour tenter de néanmoins échapper à l’action récursoire de la CPAM, le mandataire ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France conteste l’opposabilité de la procédure en reconnaissance de faute inexcusable en critiquant la régularité de la décision de reconnaissance de maladie professionnelle. A cette fin, il fait grief à la CPAM de l’Isère de n’avoir pas diligenté l’enquête prévue à l’article D461-9 du code de la sécurité sociale.


Mais si un employeur peut soutenir, en défense à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable introduite par la victime ou ses ayants droit, que la maladie ou la rechute n’a pas d’origine professionnelle, il n’est pas recevable en revanche à contester à la faveur de cette instance l’opposabilité de la décision de prise en charge de l’accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels. (cass. 2e Civ. 8 novembre 2018).


En outre, la CPAM de l’Isère n’a pas manqué de notifier à la société Polimeri Europa Elastomères France sa décision de prendre en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, la maladie déclarée par G X, et ce par une lettre recommandée du 30 septembre 2011 reçue le 10 octobre 2011 et précisant à ce dernier employeur qu’il disposait d’un délai de deux mois pour contester la décision devant la commission de recours amiable de la Caisse.


Faute pour la société Polimeri Europa Elastomères France d’avoir usé de la faculté qui lui était laissée de contester directement la décision, l’administrateur ad hoc agissant en son nom ne peut prétendre à l’inopposabilité de la prise en charge à l’employeur à l’occasion de la présente procédure en indemnisation d’une faute inexcusable à l’origine de la maladie déclarée.


En dernier lieu, pour tenter d’au moins soustraire à l’action récursoire de la CPAM la majoration de rente qui doit être servie à la veuve de la victime, l’administrateur ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France affirme que cette majoration est récupérable sous forme d’une cotisation complémentaire mise à la charge de l’employeur et qu’il a été jugé que les cotisations d’accident du travail étant déterminées par établissement, en cas de fermeture de l’établissement dans lequel a été contractée la maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l’employeur, aucune cotisation complémentaire ne peut être imposée (cass soc 26 novembre 2002 n°00-22876).


Mais l’administrateur ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France se réfère à des dispositions qui figuraient aux derniers alinéas de l’article L452-2 du code de la sécurité sociale et qui ont été abrogées par la loi 2012-1404 du 17 décembre 2012.


En définitive, même si a cessé l’exploitation de l’usine de Champagnier où travaillait la défunte victime, l’administrateur ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France supportera l’action récursoire que la CPAM de l’Isère exercera pour récupérer l’intégralité des sommes dont elle est tenue de faire l’avance.

4. sur les dispositions accessoires :


En application de l’article 700 du code de procédure civile, il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles ;


En application de l’article 696 du même code, il échet de mettre les dépens à la charge de l’administrateur ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France qui succombe.

PAR CES MOTIFS


La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, en dernier ressort après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare recevable l’appel interjeté ;

Infirme le jugement entrepris ;

Déclare que la maladie professionnelle et le décès de G X ont été causés par la faute inexcusable de son employeur ;

Fixe à son maximum l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L.452-3, alinéa 1er du code de la sécurité sociale, soit un montant de 17.192 € (dix sept mille cent quatre-vingt douze euros), à charge pour la CPAM de l’Isère de la verser à la succession de feu G X ;

Fixe à son maximum la majoration de la rente servie au conjoint survivant de la victime, en application de l’article L452-2 du code de la sécurité sociale, à charge pour la CPAM de l’Isère de la verser à Mme H I veuve X ;

Fixe les indemnités devant revenir au Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante à :


- la somme de 69.700 € (soixante-neuf mille sept cents euros) au titre des souffrances morales subies par feu G X ;


- la somme de 22.500 € (vingt-deux mille cinq cents euros) au titre des souffrances physiques endurées par feu G X ;


- aux sommes versées au titre du préjudice moral des ayants droit de feu G X, à savoir :

* à Mme H I veuve X, 40.000 € (quarante mille euros) ;
* à MM. Y, Z et J X, les trois fils de la victime, 8.700 € (huit mille sept cents euros) chacun ;

* à Mmes B, C et K X, les trois petites-filles de la victime : 5.000 € (cinq mille euros) chacune ;

Condamne la CPAM de l’Isère à verser lesdites sommes au Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante ;

Dit que la CPAM de l’Isère récupérera sur l’administrateur ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France l’intégralité des sommes dont elle aura fait l’avance ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Dit n’y avoir lieu à contribution aux frais irrépétibles des parties ;

Condamne l’administrateur ad hoc de la société Polimeri Europa Elastomères France à supporter les dépens ;


Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


Signé par Mme DURAND-MULIN, Conseiller faisant fonction de Président et par M. OEUVRAY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Le Greffier Le Conseiller 1. AC AD AE AF

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Cour d'appel de Grenoble, Ch.secu-fiva-cdas, 18 janvier 2022, n° 19/02272