Cour d'appel de Lyon, 18 février 2014, n° 13/02245

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Lyon, 18 févr. 2014, n° 13/02245
Juridiction : Cour d'appel de Lyon
Numéro(s) : 13/02245
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Lyon, 6 mars 2013, N° F12/00888

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE PRUD’HOMALE : COLLÉGIALE

R.G : 13/02245

A

C/

SARL OYONNAIR

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LYON

du 07 Mars 2013

RG : F 12/00888

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRÊT DU 18 FEVRIER 2014

APPELANT :

Z A

né le XXX à XXX

XXX

38790 SAINT-GEORGES-D’ESPERANCHE

comparant en personne, assisté de Me Grégoire LUGAGNE DELPON, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIMÉE :

SARL OYONNAIR

XXX

XXX

XXX

représentée par Me Yves BOULEZ, avocat au barreau de LYON substitué par Me Marie-France THUDEROZ, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Décembre 2013

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Didier JOLY, Président

Mireille SEMERIVA, Conseiller

Agnès THAUNAT, Conseiller

Assistés pendant les débats de Sophie MASCRIER, Greffier.

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 18 Février 2014, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Didier JOLY, Président, et par Sophie MASCRIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

EXPOSE DU LITIGE :

Le 23 juillet 2007, la SARL OYONNAIR, compagnie d’avion taxi, a engagé Z A en qualité de pilote-commandant de bord pour une rémunération mensuelle brute forfaitaire de 3 969 € sur 13 mois, la relation de travail étant soumise aux conditions générales de la convention collective nationale de l’aviation civile du personnel navigant.

Le 27 décembre 2011 elle lui a adressé une convocation à un entretien préalable à un licenciement pour motif économique fixé au 5 janvier 2012 et, le 16 janvier, elle lui a signifié son licenciement en ces termes :

' Faisant suite à notre entretien du Jeudi 05 Janvier 2012, nous avons le regret de vous informer que nous sommes contraints, en l’absence de toute possibilité de reclassement, de vous licencier pour le motif économique suivant

En 2011 nous avons rencontré de sérieuses difficultés économiques ayant subi les conséquences de deux événements majeurs :

1 ) La crise économique actuelle ainsi que les bouleversements politiques qui ont affectés les pays du bassin méditerranéen ont eu pour effet de diminuer de façon notoire les évacuations sanitaires (prévision 2011 : 500 heures, réalisées : 170 heures)

2) Les centres médicaux sont dorénavant soumis à la T2A (Tarification à l’acte) qui affecte profondément leur organisation Interne et leurs prévisions budgétaires. Nous avons ainsi enregistré une baisse très nette de d’activité 'transport d’organes', activité dont la concurrence est de plus en plus importante et de mieux en mieux organisée.

Nos résultats financiers n’ont pas cessé d’être négatifs tout au long de cette année 2011, pour arriver à un résultat avant impôt au 30 Novembre 2011 de moins 503 049 €.

Afin de remédier à cet état de fait, nous avons pris la décision de nous séparer d’un appareil (le Beechcraft 1900) ce qui représentera une économie sur l’année de 923 529 €.

Cette décision, prise à regret, entraîne la suppression d’emplois correspondants dont le vôtre, afin de sauvegarder, au delà de sa compétitivité, la pérennité de notre entreprise.

Comme nous vous l’avons indiqué lors de l’entretien préalable, la possibilité vous est offerte d’adhérer à un Contrat de Sécurisation Professionnelle (C.S.P.)'.

Z A a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.

Contestant le bien fondé de cette mesure et demandant paiement des astreintes, Z A a saisi le Conseil de Prud’hommes de Lyon, section encadrement, qui, par jugement du 7 mars 2013,a :

— dit le licenciement pour motif économique fondé,

— dit l’obligation de reclassement respectée,

— dit l’ordre des licenciements non respecté,

— constaté l’absence de constat de carence de délégués du personnel et d’information de l’inspecteur du travail,

en conséquence,

— fixé le salaire de Z A à 3 969 € bruts mensuel,

— condamné la SARL OYONNAIR à lui payer les sommes de

' 24 000 € à titre de dommages-intérêts pour non respect de l’ordre des licenciements,

' 3 969 € à titre de dommages-intérêts pour irrégularité de procédure,

' 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— rejeté le surplus des demandes.

Z A a interjeté appel de cette décision par déclaration du 18 mars 2013.

Aux termes de ses conclusions régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 17 décembre 2013, il demande à la Cour de :

— la réformer sauf en ce qu’elle a dit que la SARL OYONNAIR n’avait pas respecté l’ordre des licenciements et constaté l’absence de procès-verbal de carence relatif à l’élection des délégués du personnel,

— dire que son revenu moyen mensuel but est de 4 748,20 €,

— dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— dire qu’a été violée la réglementation relative au temps de travail,

— condamner la SARL OYONNAIR à lui verser les sommes de

' 56 978 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 336 264,36 € au titre de ses heures de travail effectif outre 33 626,43 € au titre des congés payés afférents ,

' 28 489 € au titre du travail dissimulé,

' 4 748,20 € pour violation des dispositions de l’article L 1233-8 du code du travail,

subsidiairement,

— constater la violation de l’ordre des licenciements,

— condamner la SARL OYONNAIR à lui verser les sommes de 56 978 € à titre de dommages-intérêts de ce chef,

à titre infiniment subsidiaire,

— condamner la SARL OYONNAIR à lui payer la somme de 48 000 € au titre de la rémunération de ses astreintes outre 10 000 € pour atteinte à la vie privée,

en tout état de cause,

— condamner la SARL OYONNAIR au paiement de la somme de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures régulièrement communiquées au soutien de ses observations orales du 17 décembre 2013, la SARL OYONNAIR conclut ainsi :

— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a estimé le motif économique justifié, l’obligation de reclassement respectée et aucune somme due au titre du temps de travail réalisé,

— le réformer sur l’ordre des licenciements et l’indemnité de régularité de procédure,

— débouter Z A de ses demandes,

— le condamner à lui verser une indemnité de 2000 € au titre des frais irrépétibles.

MOTIFS DE LA DECISION :

1- Sur le licenciement :

En application de l’article L 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques, des mutations technologiques, la cessation d’activité de l’entreprise ou sa réorganisation en vue de sauvegarder sa compétitivité.

Comme le relève avec justesse Z A, la SARL OYONNAIR ne démontre pas la réduction du nombre d’heures de vol réalisées au titre des évacuations sanitaires ou des 'transports d’organes'.

En revanche elle établit la baisse constante de son résultat : 219 626 € en 2008, 82 570 € en 2009, – 336 421 € en 2010 et – 594 248 € en 2011 malgré une nette réduction de ses charges cette dernière année, la vente d’un appareil (beechcraft 1900d) repris en crédit bail lui même cédé .

Son effectif est passé de 13,25 en 2011 à 7,25 de janvier à mai 2012 puis à 8,75 à compter de juillet 2012.

Les difficultés n’étaient pas que passagères comme le soutient l’appelant et justifiaient la prise de mesures pour assurer la pérennité de l’entreprise.

Toutefois, la mise en place de la procédure de licenciement ne peut intervenir qu’après réalisation de tous les efforts de formation et d’adaptation, tentative de reclassement de l’intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure dans le cadre de l’entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient.

Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises.

L’existence d’un motif économique ne suffit pas à justifier le licenciement si l’employeur n’a pas satisfait au préalable à son obligation de recherche d’un reclassement et l’inobservation de cette obligation prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

En l’espèce, la SARL OYONNAIR affirme qu’en raison de la réduction du personnel, il n’existait aucune possibilité de reclassement.

Sans même débattre de l’appartenance de cette dernière à un groupe ce qu’elle conteste, la SARL OYONNAIR n’a pas offert à Z A le poste de copilote qu’elle a pourvu dans le cadre d’un contrat à durée déterminée dont elle ne donne pas le terme dès le 2 février 2012. Or, le licenciement ayant été prononcé le 16 janvier 2012, elle avait déjà nécessairement programmé à cette date ce recrutement eu égard aux délais minima pour le réaliser et aux obligations contractuelles de composition d’équipage et d’astreinte auxquelles elle était soumise.

En cela elle a manqué à ses obligations de sorte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Aux termes des dispositions combinées des articles L 1235-3 et 1235-5 du code du travail, si le licenciement d’un salarié ayant plus de deux ans d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins 11 salariés survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois soit 28 489,20 € .

Agé de 42 ans à la date de la rupture et comptant une ancienneté de plus de 4 années, Z A justifie n’avoir retrouvé que des emplois à temps partiel puis à durée déterminée jusqu’en octobre 2012, date à laquelle il a été engagé dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée mais en qualité de copilote payé à la tâche.

Il convient de fixer son préjudice à la somme de 45 000 € et de condamner la SARL OYONNAIR au paiement de cette somme.

En application des dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail, il convient d’ordonner le remboursement par la SARL OYONNAIR à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à Z A du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de trois mois d’indemnités de chômage.

2- Sur la régularité de la procédure de licenciement :

Aux termes de l’article L 1233-8 du code du travail, l’employeur qui envisage de procéder à un licenciement collectif pour motif économique de moins de dix salariés dans une même période de trente jours réunit et consulte le comité d’entreprise dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, les délégués du personnel dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

La SARL OYONNAIR qui, selon son propre relevé, a un effectif d’au moins 11 salariés pendant douze mois, consécutifs ou non, au cours des trois dernières années aurait dû mettre en place des élections de délégués du personnel.

Elle se borne à indiquer l’absence d’une telle institution dans la société sans produire de procès-verbaux de carence.

Dès lors, en application de l’article L 1235-15, la procédure de licenciement est irrégulière et Z A peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut.

La SARL OYONNAIR sera donc condamnée à lui verser la somme de 4 748,20 € à titre de dommages-intérêts.

3 -Sur la durée du travail :

Z A soutient qu’étant affecté au service de 'transport d’organes’ pour lequel l’employeur s’est engagé auprès des centres hospitaliers pour lesquels il travaille à répondre 24h sur 24, 7 jours sur 7 dans un délai de 30 minutes suivant l’appel, il a été, avec son collègue X, autre commandant de bord affecté à ce service, assujetti à une disponibilité permanente 365 jours sur 365, 24 heures sur 24 partagée en deux.

Il en déduit que cette obligation de rester à disposition permanente de son employeur s’analyse en un temps de travail effectif.

Z A, pilote, est soumis aux dispositions du code de l’aviation civile, du règlement CE n°8/2008 du 11 décembre 2007 et de l’arrêté du 25 mars 2008.

A ce titre, sa durée de travail effectif correspond à une durée moyenne mensuelle de 75 heures de vol répartie sur l’année ou de 78 heures selon l’option de décompte choisie par l’entreprise ce qui correspond à 800 heures (ou 850 heures) par an.

La SARL OYONNAIR, titulaire du marché de transports d’organes pour des centres hospitaliers, était tenue, pour y répondre de tenir un appareil prêt à décoller et un équipage (un pilote et un copilote) susceptible de prendre son service dans l’heure qui suit l’appel 24 heures sur 24, 365 jours sur 365.

A cette fin, Z A alternait des périodes de permanence au cours desquelles il pouvait être appelé à tout moment et des repos hebdomadaires de deux jours suivi d’un 'blanc’ correspondant à une astreinte où il devait répondre à tout appel dans un délai de 3 heures.

En réalité n’ayant aucune plage de travail fixe, son planning consistait à déterminer les jours et nuits où il devait répondre dans l’heure, dans les trois heures (période dite 'blanc') et les repos hebdomadaires.

Dans ce contexte, Z A, selon les CMR qu’il produit, a réalisé 416 heures de vol en 2009, 212h15 en 2010 et Y en 2011.

Ainsi, au mois de janvier 2011 où il estime avoir effectué 370 heures de travail effectif, il a volé 14h10 sur 10 jours.

Au mois de février 2011, il compte 346 heures pour 22h20 de vol sur 13 jours.

Au mois de mars 2001, il relève 480 heures pour 13h30 de vol sur 10 jours.

Son emploi, très particulier, consiste à intervenir, à la demande, dans un délai très bref.

Le salaire mensuel fixé en dernier lieu est de 4 748,20 € pour 169 heures 80.

Les heures d’intervention pendant la journée et la nuit entrent dans cette rémunération, étant relevé que Z A était amené à effectuer un nombre d’heures de vol largement inférieur à celui rémunéré, des jours entiers pouvant se passer sans intervention et toute intervention au cours de l’astreinte étant suivie d’un temps de repos obligatoire de 12 heures.

L’article L.3121-6 du code du travail prévoit qu’exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien prévue à l’article L 3131-1 et des durées de repos hebdomadaire prévues aux articles L 3132-2 et L 3164-2.

Ainsi qu’il a été indiqué, la rémunération fixée tend à indemniser le temps de service (vol plus le temps de travail inhérent à la préparation de ce vol) et le temps d’attente à domicile, une intervention au cours d’un temps d’astreinte donnant lieu à un repos.

Il reste que les semaines de Z A, entre deux repos hebdomadaires, étaient structurées autour de ces astreintes contraignant le salarié pendant plusieurs jours dans le mois à être joignable à tout moment tant le jour que la nuit et prêt à partir immédiatement.

Si la rémunération tient compte de l’activité aléatoire, non continue, non déterminable à l’avance, cette contrainte spécifique liée à une réponse rapide à tout appel, non envisagée dans le contrat de travail, n’a pas reçu de contrepartie.

Z A lie les impératifs décrits et les limitations apportées à sa disponibilité notamment pour les activités de loisirs au service 'transport d’organes'.

Or, il n’y a été affecté qu’à compter d’avril 2010 et n’allègue pas que son service antérieur justifiait le même type de restrictions à son périmètre géographique d’action.

A titre de compensation, il convient, pour ces 25 mois, de condamner la SARL OYONNAIR à lui payer la somme de 6 600 € .

L’astreinte qui ne constitue pas du temps de travail effectif et fait l’objet de garanties dans sa mise en place et ses modalités, n’est pas contraire au droit à la protection de la santé, au repos et aux loisirs.

La demande de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée doit être rejetée

En l’absence d’heures supplémentaires non rémunérées, la demande tendant au paiement de dommages-intérêts pour travail dissimulé est privée d’objet.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Réforme le jugement entrepris,

Dit le licenciement pour motif économique irrégulier et sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SARL OYONNAIR à payer à Z A les sommes de :

—  45 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  4 748,20 € à titre de dommages-intérêts en application de l’article L 1235-15 du code du travail,

—  6 600 € en compensation du temps d’astreinte,

—  2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette les autres demandes,

Ordonne le remboursement par la SARL OYONNAIR aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Z A dans la limite de trois mois d’indemnités perçues,

Condamne la SARL OYONNAIR aux dépens.

Le greffier Le Président

S. MASCRIER D. JOLY

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