Cour d'appel de Montpellier, 7 juin 2016, n° 14/07435

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Montpellier, 7 juin 2016, n° 14/07435
Juridiction : Cour d'appel de Montpellier
Numéro(s) : 14/07435
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Montpellier, 26 mai 2014, N° 13/03475

Texte intégral

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

2° chambre

ARRET DU 07 JUIN 2016

Numéro d’inscription au répertoire général : 14/07435

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 MAI 2014

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER

N° RG 13/03475

APPELANTS :

Madame N W AA O épouse Y

née le XXX à XXX

de nationalité Française

XXX

XXX

représentée par Me Véronique NOY de la SCP VINSONNEAU PALIES,NOY, GAUER ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assistée de Me Yamina DEHMEJ (SCP VINSONNEAU), avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

Monsieur T-U AH Y

né le XXX à XXX

de nationalité Française

XXX

XXX

représenté par Me Véronique NOY de la SCP VINSONNEAU PALIES,NOY, GAUER ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant

assisté de Me Yamina DEHMEJ (SCP VINSONNEAU), avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

INTIMEE :

CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC agissant en la personne de son représentant légal en exercice ès qualités, domicilié en cette qualité audit siège

XXX

XXX

représentée par Me Pascal ADDE de la SCP GRAPPIN – ADDE – SOUBRA, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 12 Avril 2016

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 03 MAI 2016, en audience publique, Monsieur Bruno BERTRAND, conseiller, ayant fait le rapport prescrit par l’article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :

Monsieur Daniel BACHASSON, président

Monsieur Bruno BERTRAND, conseiller

Madame Florence FERRANET, conseiller

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie SABATON

ARRET :

— contradictoire

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ;

— signé par Monsieur Daniel BACHASSON, président, et par Madame Sylvie SABATON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*

* *

*

Suivant offres en date des 27 avril et 30 mai 2007, respectivement acceptées le 18 mai et le 13 juin 2007, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc (le Crédit Agricole) a conclu deux contrats de prêt avec M. T-U Y et son épouse, Mme N O :

— un prêt immobilier de 375.661,00 €, remboursable en 300 mensualités, au taux d’intérêt fixe de 4,55 % l’an,

— un prêt immobilier pour réaliser des travaux, d’un montant de 186.990,00 € remboursable en 300 mensualités, au taux d’ intérêt révisable de 4,55 % l’an, indexé sur l’indice EURIBOR 300.

L’immeuble pour l’achat duquel ces prêts ont été consentis a été acquis par les époux Y suivant acte authentique en date du 3 juillet 2007 au prix de 290.000,00 €.

Il avait été convenu entre les parties que cet immeuble devait être donné à bail et que les revenus locatifs seraient affectés par les époux Y au remboursement des prêts souscrits.

Par acte d’huissier délivré le 18 juin 2012 au Crédit Agricole, les époux Y l’ont assigné devant le tribunal de grande instance de Montpellier, sollicitant sa condamnation à leur payer les sommes de 725.000,00 € en réparation de leur préjudice financier et de 150.000,00 € en réparation de leur préjudice moral, issus du dol dont ils soutenaient avoir été victimes de sa part. Ils alléguaient aussi le paiement de 95.000,00 € de commissions occultes, en liquide, au directeur de l’agence Nîmes Esplanade du Crédit Agricole, d’un agent immobilier et d’un courtier en crédit, le cabinet Z, dans le cadre de ces prêts, notamment pour la fourniture de fausses factures de travaux justifiant l’octroi du second des prêts, alors que l’immeuble acquis ne nécessitait pas de travaux, en réalité.

Subsidiairement, ils invoquaient une faute de la banque, qui aurait manqué à son devoir de mise en garde à leur égard lors de la souscription des deux prêts. Ils lui réclamaient la somme de 500.000,00 € à titre de dommages et intérêts, réparant la perte de chance pour eux de ne pas avoir contracté ces prêts et celle de 150.000,00 € au titre de leur préjudice moral, outre une somme de 6.000,00 € par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire prononcé le 27 mai 2014, le tribunal de grande instance de Montpellier a, notamment, au visa des articles 1384 et 2224 du code civil :

— déclaré l’action des époux Y recevable,

— déclaré la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc responsable des agissements fautifs de son préposé, qui ont fait l’objet d’une plainte pénale déposée par la banque,

— constaté que le préjudice consistant en une perte de chance n’était pas démontré, non plus que le préjudice moral,

— débouté en conséquence les époux Y, dont il retenait aussi la participation volontaire à un montage frauduleux entraînant une responsabilité de 50 % à leur charge, de leurs demandes indemnitaires,

— condamné la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc à payer aux époux Y une somme de 3.000,00 € par application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Par déclaration parvenue au greffe de la cour le 6 octobre 2014, les époux Y ont interjeté appel de ce jugement.

Dans leurs dernières conclusions transmises au greffe le 31 mars 2016, M. T-U Y et son épouse, Mme N O, sollicitent la confirmation du jugement déféré, sauf en ce qu’il a rejeté leurs demandes indemnitaires et la condamnation, en conséquence, du Crédit Agricole à leur payer les sommes de :

—  687.600,00 € en réparation de leur préjudice financier, pour avoir perdu une chance de ne pas contracter ces emprunts destinés à un projet locatif non rentable, ou subsidiairement pour défaut de mise en garde,

—  150.000,00 € à titre de dommages et intérêts réparant leur préjudice morale de ce chef,

—  8.000,00 € par application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens.

Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 11 avril 2016, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc :

— sollicite la réformation partielle du jugement déféré,

— invoque la prescription de l’action indemnitaire pour dol engagée par les époux Y, au visa de l’article 1304 du code civil,

— subsidiairement, demande qu’il soit jugé que son préposé a agi frauduleusement hors de ses fonctions, que les époux Y ont commis une faute inexcusable en participant à une fraude, et qu’en toute hypothèse l’immeuble acquis par les époux Y leur rapporte désormais un revenu supérieur au remboursement des prêts litigieux,

— plus subsidiairement, le rejet de la demande des époux Y fondée sur l’article 1147 du code civil au titre d’une faute alléguée quant à son devoir de conseil,

— constater l’absence de préjudice en lien de causalité avec la faute alléguée,

— la condamnation des époux Y à lui payer une somme de 3.000,00 € par application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 avril 2016.

* * * * * * * * * *

MOTIFS :

LA PROCEDURE :

La prescription invoquée :

L’action indemnitaire des époux Y était initialement fondée sur le dol, dont l’action en nullité se prescrit par 5 ans en application des dispositions de l’article 1304 du code civil, invoquées par le Crédit Agricole, qui soutient que l’action est donc prescrite.

Mais, ainsi qu’ils le précisent dans leurs conclusions d’appel (page 8), les époux Y n’invoquent plus ce moyen de droit et fondent désormais leur demande principale en paiement de dommages et intérêts sur la responsabilité délictuelle de la banque, du fait des agissements frauduleux de son préposé, en application de l’article 1384 alinéa 5 du code civil.

Et, ainsi que l’a rappelé la chambre commerciale de la Cour de Cassation dans son arrêt du 14 mai 2013 (n°12-18.895), l’action en réparation du préjudice subi par la victime de man’uvres frauduleuses dolosives ne relève pas de la prescription de l’article 1304 du code civil, concernant seulement l’action en nullité ou rescision de la convention.

La prescription applicable est donc celle de l’ancien article 2270-1 du code civil, applicable à l’époque des faits aux actions en réparation pour faute délictuelle, soit 10 ans à compter de la manifestation du dommage.

Cette prescription, qui relève désormais de l’article 2224 nouveau du code civil, a été réduite à 5 ans par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 qui a instauré les nouvelles dispositions. Mais à titre transitoire l’article 26 de cette loi dispose qu’en ce cas le nouveau délai de prescription s’applique à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit le 19 juin 2008.

L’assignation des époux Y ayant été délivrée au Crédit Agricole avant le 13 juin 2013, leur action indemnitaire n’est donc pas prescrite.

XXX :

Les époux Y, par actes sous seings privés en date respectivement des 18 mai et 13 juin 2007 (pièces n°7), ont souscrit auprès du Crédit Agricole Mutuel du Gard, agence de Nîmes Esplanade :

— un prêt immobilier n° G06RBX010 d’un montant de 375.661,00 €, remboursable en 300 mensualités, au taux d’intérêt fixe de 4,55 % l’an, avec affectation hypothécaire du bien acquis en garantie,

— un prêt immobilier n° 009RTR012PR pour réaliser des travaux, d’un montant de 186.990,00 € remboursable en 300 mensualités, au taux d’intérêt révisable de 4,55 % l’an, indexé sur l’indice EURIBOR 300, garanti par un cautionnement de la société CAMCA Assurance, suivant acte sous seing privé en date du 30 mai 2007.

Bien que les offres de prêts aient été établies dans la même agence de Nîmes du Crédit Agricole, la première émanait de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Gard, à Nîmes (30900) tandis que la seconde émanait de la Caisse Régionale de Crédit Agricole du Languedoc, à Lattes (34970). Il s’agit de sociétés distinctes l’une de l’autre et de caisses autonomes, bien que faisant partie d’une structure capitalistique commune.

Avec le premier de ces prêts, dont l’intitulé indiquait qu’il était destiné à l’achat d’un « LOG.ement RESID.ence PAL (Principal) en MAISON IND.ividuelle », ils ont acquis un immeuble collectif, en vue de la location d’appartements d’habitation, sis XXX à XXX par acte authentique en date du 3 juillet 2007 (pièce n°5), au prix principal de 290.000,00 €, majoré de la somme de 14.761,00 € de droits de mutation. Le prix était aussi augmenté des fais d’acte notarié et du prêt, pour 23.150,00 €, suivant lettre du notaire, Me C. Champeyrac-Serrano au Crédit Agricole, en date du 22 juin 2007 (pièce n°6).

Le second prêt immobilier reprenait le même intitulé d’objet « LOG.ement RESID.ence PAL (Principal) en MAISON IND.ividuelle », mais l’acte de cautionnement précisait qu’il s’agissait de « LOGement MODIFICATions LOCATives », c’est à dire de financer des travaux de modification de logements destinés à leur location. Il n’était toutefois pas indiqué dans l’acte de prêt ni l’acte de cautionnement l’adresse du bien immobilier concerné.

Le montant des travaux à réaliser était calculé sur la base d’une facture n° F001020 de rénovation de 8 appartements à La Grand Combe, établie le 10 avril 2007 par M. B X, artisan à XXX, au nom de M. T-U Y, pour un montant total de 181.476,33 € (pièce n°3)

Les travaux décrits, qui n’ont jamais été réalisés ni même commandés effectivement à cet artisan, consistaient en la démolition d’une cheminée, la pose de faux-plafonds, de Placoplatre, la fourniture et la pose de portes et fenêtres, de carrelages, d’un enduit en ciment et des travaux de peinture, calculés au forfait.

Après le déblocage des fonds du second prêt, entre le 6 juillet et le 12 août 2007, les époux Y ont utilisés ces sommes pour rembourser divers créanciers auprès desquels ils étaient endettés, par divers chèques tirés sur leur compte joint, versés aux débats en photocopie (pièce n°8), d’un montant total de 127.991,10 €. Le solde du prêt a servi à rémunérer le courtier en crédit, M. A exerçant sous l’enseigne Club Z, à qui M. T-U Y a remis en espèces, le 13 juillet 2007, une somme de 65.000,00 € qu’il avait demandé à son agence bancaire du Crédit Agricole de Nîmes Esplanade de tenir à sa disposition au guichet. Sur cette somme, 30.000,00 € étaient destinés à M. F C, le directeur de cette agence bancaire, à titre de commission occulte.

Dans le procès-verbal d’audition par la police du 1er décembre 2008, Monsieur T-U Y déclarait ignorer qu’une commission devait être versée à M. F C mais dans les conclusions de partie civile qu’il a déposée, avec son épouse, devant le tribunal correctionnel de Nîmes (pièce n°11, page 3), les époux Y ont reconnu avoir été informés de cette demande de corruption :

« Contre toute attente, dès lors que les sommes furent versées sur le compte des époux Y, Messieurs A et C sollicitèrent le paiement de « commissions » en espèces, à hauteur de 66.000 € directement prélevées sur le compte des époux Y à l’agence de Nîmes Esplanade et mises sous enveloppe par un collaborateur de l’agence. »

L’exonération de responsabilité invoquée par le Crédit Agricole :

Il est constant entre les parties que le directeur de l’agence de Nîmes Esplanade, préposé du Crédit Agricole, a participé à la souscription frauduleuse par les époux Y de ces deux prêts immobiliers, dont les montants ont été artificiellement majorés par la fourniture de la fausse facture de travaux de M. X, à l’insu de la hiérarchie de la banque, pour permettre l’obtention des prêts litigieux ou, à tout le moins du second d’entre eux. Ces actes ont entraîné le renvoi de ce préposé, M. F C, devant le tribunal correctionnel, suivant ordonnance de renvoi définitive (pièce n°10).

Le Crédit Agricole, employeur de ce préposé, est donc présumé responsable des dommage causés par celui-ci du fait de cette faute, en application des dispositions invoquées de l’article 1384 alinéa 5 du code civil, sauf à établir que son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il a été employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions.

En l’espèce les époux Y soutiennent qu’à la date des faits qui sont allégués comme la cause du préjudice dont la réparation est sollicitée par les époux Y, soit le 3 juillet 2007, date de l’acte authentique d’achat de l’immeuble locatif, dont il est aussi soutenu qu’il constituait un placement ruineux, intervenu après l’octroi des deux prêts litigieux par le Crédit Agricole, le préposé de la banque avait toujours agi dans le cadre de ses fonctions de directeur d’agence bancaire, avec les moyens administratifs et matériels mis à sa disposition par son employeur.

Ce n’est qu’ultérieurement, relèvent-ils, qu’il a frauduleusement perçu en espèces une commission occulte des époux Y, le 13 juillet 2007 ; ceci après qu’ait été fournie pour le compte des époux Y une fausse factures de travaux de M. B X justifiant l’octroi d’un prêts immobilier pour travaux en plus de celui accordé pour le seul coût d’acquisition de l’immeuble.

Mais il ressort des faits susvisés que, dès l’origine des relations contractuelles entre les parties, lors des demandes de prêts signées par les époux Y les 27 avril et 30 mai 2007, ceux-ci savaient que l’immeuble dont ils projetaient l’acquisition, au prix de 290.000,00 € et sur lequel aucun travaux n’était requis, ne pouvait justifier l’octroi du second des deux prêts immobiliers à hauteur de la somme de 186.990,00 €. Ils ont d’ailleurs utilisé une fausse facture de travaux immobiliers, délivrée frauduleusement par M. H X, datée du 10 avril 2007, soit antérieurement à l’émission de l’offre de prêt immobilier pour travaux qu’ils ont ensuite sollicitée, le 30 mai 2007. Ceci alors même qu’ils n’étaient pas non plus encore propriétaires de l’immeuble de La Grand Combe, sur lequel les travaux étaient censés être réalisés.

Ils reconnaissent d’ailleurs avoir recouru à ce procédé afin de se désendetter à moindre frais, d’un endettement financier antérieur de l’ordre de 150.000,00 € et n’ont ensuite utilisé les fonds du second prêt que pour payer des dettes antérieures et nullement dans le cadre de travaux sur leur immeuble.

Il s’ensuit que, dès l’origine des relations entre les parties, les époux Y ont fourni, ou sciemment laissé un de leurs complices dans cette opération frauduleuse, fournir ce faux document de facture de travaux qu’ils savaient fictifs, pour l’obtention du second prêt ; ceci indépendamment de l’achat de l’immeuble prévu et qui caractérise leur participation volontaire à une opération frauduleuse destinée à tromper le Crédit Agricole sur les conditions d’octroi de ce prêt.

En effet, lors de son audition par les services de Police réalisée le 1er décembre 2008, M. T-U Y a notamment déclaré (pièce n°9) :

« Monsieur E m’a expliqué où se trouvait l’immeuble et j’y suis allé tout seul et j’ai trouvé l’immeuble très sain, en plein centre comprenant 8 logements dont un local commercial. L’immeuble m’a plu et j’ai accepté de l’acheter d’autant plus qu’il n’y avait quasiment pas de travaux à faire. Tout était loué, j’ai acheté l’immeuble occupé avec 8 locataires et je n’ai rien déboursé au niveau des travaux'.Il est évident qu’il ne pouvait pas y avoir de travaux car sinon je n’aurais pas pu payer mon (crédit) revolving. »

Puis il a déclaré :

« Je ne connais pas ce Monsieur B X et je découvre ce devis et cette facture pour la première fois.

Monsieur A m’avait indiqué que pour débloquer le prêt, le banquier devait disposer de facture ou de justificatif mais je ne sais pas comment A s’est débrouillé pour cela. Il m’avait dit qu’il s’occuperait de trouver des justificatifs et je n’ai pas posé de questions, d’autant plus que le banquier a accepté de débloquer le deuxième prêt de 186.990 euros au vu des justificatifs que vous me présentez'.Mes besoins étaient de 165.625 euros. »

L’acceptation, postérieure au déblocage des fonds au titre des deux prêts immobiliers obtenus, par les époux Y du paiement d’une commission occulte, remise en espèces hors de l’agence bancaire et par l’intermédiaire d’un tiers étranger à cet établissement, M. A, au directeur de l’agence du Crédit Agricole, M. F C, d’un montant de 30.000,00 € le 13 juillet 2007, établit manifestement qu’ils n’ignoraient pas que l’action de ce dernier ne s’inscrivait pas dans le cadre normal de ses fonctions de préposé de la banque, puisqu’elle tendait, à l’insu de sa hiérarchie, à son enrichissement strictement personnel et contraire à celui de son employeur qui avait été victime de ses agissements.

Le fait, allégué, que ce paiement ait été effectué seulement après l’octroi des prêts litigieux et l’achat de l’immeuble par les époux Y, n’atteste nullement de leur ignorance du caractère frauduleux de l’opération lors de la conclusion des contrats de prêts ; au contraire elle caractérise leur participation volontaire à cette fraude, du début à la fin. En effet, à la date du 13 juillet 2007, les prêts ayant été consentis et leurs montants débloqués, après la vente régulièrement conclue par acte authentique du 3 juillet 2007, les époux Y, s’ils avaient été de bonne foi, n’avaient aucune raison de verser une commission occulte de corruption à M. F C, via M. A, ainsi qu’ils l’ont fait, sans réserves ni plainte ultérieure à son encontre jusqu’à la procédure pénale engagée par le Crédit Agricole en 2008.

Par ailleurs, dans son audition par les services de police le 1er décembre 2008, M. T-U Y déclarait notamment que le paiement de la commission de l’agent immobilier, M. E, avait été faite par un virement de la somme de 30.000,00 € depuis son compte bancaire au Crédit Agricole, qu’il n’avait toutefois pas ordonné, au profit d’un tiers qu’il ne connaissait pas, Mme L M :

« je me suis rendu compte à l’époque qu’un virement avait été fait depuis mon compte vers un autre compte pour la somme de 30.000 euros'.Je ne connais pas cette personne et c’est F C qui s’est occupé de ce virement et il me l’a confirmé de vive voix et Monsieur E m’a confirmé lors d’une conversation que la somme de 30.000 euros avait bien été virée sur le compte de sa femme. »

La collusion frauduleuse existant entre les parties s’évince aussi de l’acceptation sans réserve de la part de M. T-U Y et son épouse, titulaires d’un compte joint, de l’anormalité grossière de ce procédé de paiement. Elle est aussi corroborée par le fait que, contrairement à la réalité, il était stipulé dans l’acte authentique du 3 juillet 2007 qu’ils ont signé :

« Les parties déclarent que la présente vente a été négociée directement entre elles sans recours à aucun intermédiaire. »

Ceci confirme le caractère occulte de cette opération globale, connue et acceptée par les époux Y, alors qu’ils s’étaient s’engagés à payer sur une facture au nom de « P Q 30 », le 15 mars 2007, une commission de 30.000,00 € TTC à M. J E, agent immobilier à Redessan (XXX.

Les conditions d’acquisition de cet immeuble, notamment son prix, étaient aussi de nature à attirer l’attention des époux Y, même à les supposer de bonne foi, sur la régularité de l’opération d’investissement immobilier qui leur était proposée par M. A. Il ressort en effet de l’acte authentique de vente de l’immeuble du 3 juillet 2007, que celui-ci avait été acquis par le vendeur, la société civile immobilière PPR le 21 juin 1997, au prix de 170.000,00 Francs, soit 25.916,13 €. Or, sans qu’il soit évoqué la réalisation antérieure de travaux importants sur ce bâtiment, les époux Y ont accepté de l’acquérir, hors commissions d’intermédiaire et frais d’acte notarié, au prix de 290.000,00 €.

Soit une plus-value pour le vendeur de 1.100 % en 10 ans, que la situation géographique et économique de la petite ville de l’arrière-pays gardois de La Grand Combe, ne justifiait pourtant pas particulièrement non plus.

La surévaluation manifeste du prix de vente de cet immeuble se trouve d’ailleurs confirmée par le compromis de vente conclu le 22 mars 2016 par les époux Y, qui le versent aux débats (pièce n°47). Le prix convenu s’élève en effet à 105.000,00 €, ce qui correspond mieux à une plus-value normale de cet immeuble depuis juin 1997, au regard notamment de l’évolution de l’indice du coût de la construction publié par l’INSEE, à titre de comparaison :

Indice du 16 juillet 1997 = 1.047

Indice du 11 juillet 2007 = 1.385

Indice du 24 mars 1996 = 1.629

Soit une évolution du prix de 25.916,13 €, indexé à 34.283,55 € en juillet 2007 et à 40.322,23 € en mars 2016.

Or les époux Y, qui ont signé sans réserve l’acte authentique indiquant clairement le prix d’origine de l’immeuble qu’ils ont acquis le 3 juillet 2007, n’ont émis aucune réserve ni demandé aucune explication au vendeur ou au notaire sur cette augmentation considérable du prix de ce bien, alors même qu’ils entendaient réaliser une opération financière avec cet achat et que la rentabilité de celle-ci pouvait se trouver ainsi obérée par le crédit immobilier qu’ils ont souscrit à cette fin. Ceci caractérise aussi les conditions anormales dans lesquelles ils ont participé à ce montage financier frauduleux.

Les époux Y, âgés de 57 et 56 ans lors de la conclusion des contrats de prêts exerçaient respectivement la profession de directeur d’un foyer départemental pour l’enfance, salarié à hauteur de la somme moyenne de 3.125,00 € par mois en mai 2007 et disposant d’un logement de fonction, et d’enseignante dans un établissement privé, salariée à hauteur de la somme moyenne de 1.600,00 € par mois en mai et juin 2007. Mais leurs revenus moyens s’élevaient, selon les justificatifs fournis au Crédit Agricole versés aux débats, à un montant global de 5.280,00 € par mois de 2003 à 2006, sans frais de logement puisque bénéficiant d’un logement de fonction :

—  2003 : 45.131 € pour Monsieur et 15.225 € pour Madame, (moyenne mensuelle de 5.029 €)

—  2004 : 38.217 € pour Monsieur et 15.755 € pour Madame, (moyenne mensuelle de 4.498 €)

—  2005 : 47.554 € pour Monsieur et 18.634 € pour Madame, (moyenne mensuelle de 5.515 €)

—  2006 : 51.043 € pour Monsieur et 18.635 € pour Madame, (moyenne mensuelle de 6.087 €)

Ils avaient toute capacité intellectuelle pour mesurer l’illicéité de l’opération financière qui leur était proposée par le courtier en crédit exerçant sous l’enseigne Z qu’ils avaient contacté, M. A, et de l’intervention anormale du directeur de l’agence bancaire, M. C, en collusion avec celui-ci et l’agent immobilier, M. E, payé lui aussi dans des conditions manifestement illicites.

Ils ont ainsi commis une faute inexcusable, à tout le moins de négligence, en participant imprudemment et sciemment à cette opération de crédit dans des conditions irrégulières et inhabituelles, dont ils ne pouvaient ignorer l’aspect frauduleux ni l’abus manifeste de fonction commis à cette occasion par le directeur de l’agence bancaire, préposé du Crédit Agricole.

Il convient donc, réformant de ce chef le jugement déféré, de débouter les époux Y de leur demande de dommages et intérêts dirigée contre le Crédit Agricole, sur le fondement des dispositions de l’article 1384 alinéa 5 du code civil.

Sur la faute contractuelle alléguée :

Concernant la faute reprochée à M. F C, alors directeur de l’agence de Nîmes Esplanade du Crédit Agricole, les époux Y lui reprochent de ne pas les avoir conseillés ou mis en garde sur l’aggravation de leur endettement et au contraire de les avoir incités, pour résorber un endettement de plus de 150.000,00 €, à s’endetter encore plus pour acquérir un immeuble locatif ; ceci alors que les revenus réels de celui-ci s’élèvent, selon eux, à la somme de 2.631,00 € par mois et qu’il leur fallait rembourser une somme de 3.143,39 € au titre des intérêts contractuels. Ils prétendent avoir été trompés par le courtier en crédit qu’ils avaient consultés, M. A, par l’agent immobilier leur ayant proposé cet achat, et par l’intervention du directeur d’agence du Crédit Agricole ayant facilité l’octroi des prêts immobiliers, qui auraient profité de leur situation de faiblesse, au lieu d’être mis en garde.

Le préjudice dont la réparation est sollicitée, à titre principal, est celui issu de la perte de chance de ne pas souscrire les prêts litigieux, bien que les époux Y ne sollicitent pas l’annulation de ces contrats de crédit pour dol.

Mais il est de principe que l’aléa locatif, quant aux revenus escomptés d’un immeuble donné à bail, ne relève pas de la responsabilité du banquier fournisseur de crédit ni de son obligation de mise en garde à l’égard de l’emprunteur acquéreur de l’immeuble. En l’espèce l’immeuble acquis comportait 8 logements dont 7 étaient loués à la date d’acquisition, ce qui permettait aux époux Y de mesurer l’importance du risque financier couru en cas de problème pour louer un ou plusieurs de ces logements.

Par ailleurs, ainsi qu’exposé ci-dessus, les époux Y ont eu nécessairement connaissance lors de la signature de l’acte authentique du 3 juillet 2007 de la disproportion considérable et inexplicable entre le prix du bien immobilier qu’ils acquéraient entièrement au moyen d’un prêt (290.000,00 €) auprès de la SCI PPR et le prix auquel celle-ci l’avait acquis, seulement dix ans plus tôt, en juin 1997 (25.916 €). Ils sont donc mal fondés à soutenir qu’ils ne pouvaient pas imaginer qu’ils prenaient un risque financier dans cette opération et qu’ils considéraient celle-ci comme un investissement normal.

Concernant l’achat de l’immeuble, les époux Y, au motif qu’ils l’ont cédé à la somme de 105.000,00 € pendant la procédure de saisie immobilière, déclarent qu’il n’a pas été acquis à sa valeur marchande réelle de 290.000,00 € mais c’est justement cette anomalie dont ils étaient clairement informés, au plus tard le jour de la signature de l’acte authentique de vente, le 3 juillet 2007, qui caractérise également leur participation volontaire à cette opération frauduleuse globale.

D’autre part les époux Y ont dissimulé, sinon aux yeux de M. F C, auteur de la fraude à laquelle ils ont sciemment participé, mais à ceux de ses supérieurs, chargés d’apprécier leur solvabilité, l’existence de leur endettement antérieur de 165.625,00 € lors de la demande de prêt immobilier et du prêt de travaux, souscrits en outre auprès de deux caisses régionales de Crédit Agricoles distinctes, l’une à Nîmes, l’autre à Lattes.

Il s’ensuit que la banque n’a pas été mise en situation objective d’analyser la situation d’endettement des époux Y lors de la demande des prêts et qu’ils sont mal fondés à se plaindre d’un manquement de la banque à son devoir de mise en garde des emprunteurs qu’ils étaient sur le risque d’endettement, lequel devoir ne s’applique pas en cas de fraude du client.

En outre, les époux Y invoquent aussi une jurisprudence selon laquelle leur capacité à rembourser le crédit devait être évaluée sur la base de leurs seules ressources à la date de la demande de crédit, sans tenir compte de la réussite de l’opération immobilière financée.

Mais, même à supposer la banque correctement informée des circonstances de l’opération projetée, en toute hypothèse il s’agissait ici, pour l’achat de l’immeuble au prix de 290.000,00 €, d’un investissement uniquement locatif, de rapport. L’autofinancement était allégué par les emprunteurs et justifié par la production des huit contrats de location en cours au jour de l’offre de prêt (pièce n°2) avec les revenus afférents qu’en tirait alors chaque mois le bailleur, la SCI PPR (pièce n°2) soit une somme de 3.379,99 €, supérieure au remboursement des deux prêts, soit la somme mensuelle 3.143,39 €. Il ne peut donc être reproché à la banque, en un tel cas, une faute pour avoir pris en considération en l’espèce ces revenus existants qui pouvaient raisonnablement être escomptés pour l’avenir, afin d’évaluer le risque de défaut de remboursement du prêt par les époux Y, compte-tenu également de leurs autres revenus et charges susvisés.

C’est également à tort qu’il est reproché à la banque de ne pas avoir envisagé, compte-tenu de la durée des prêts souscrits (25 ans), la perte prévisible de son logement de fonction par M. Y lorsqu’il aurait pris sa retraite, alors qu’il avait 57 ans en 2007. En effet, cette augmentation ultérieure de charge prévisible ne modifiait pas de façon importante la situation financière des époux Y, qui avaient déclaré acquérir cet immeuble, comportant 7 logements pour en faire leur résidence principale. Ils auraient alors eu la possibilité, en perdant seulement le montant d’un seul des 7 loyers, d’habiter eux-mêmes un des logements de leur immeuble, sans nouvelle dépense importante.

D’autre part, il apparaît que le prêt pour travaux immobilier de 186.900,00 €, à un taux d’intérêt particulièrement faible de 4,55 % l’an, a permis aux époux Y de se désendetter à hauteur de la somme principale, alléguée, de 165.625,00 €, au titre de divers prêts à la consommation qui entraînaient le paiement d’intérêts à des taux très supérieurs (Soficarte, Cofinoga, Menafinance, Monabanq, Crédit Mutuel). Cette opération de crédit, nonobstant son caractère frauduleux, n’a ainsi pas aggravé l’endettement des époux Y, contrairement à ce qu’ils soutiennent.

Il ne peut donc être reproché à la banque, trompée sur la situation d’endettement antérieur des époux Y par ceux-ci, avec la complicité de M. F C, son préposé, et sur l’utilisation des fonds issus du prêt de 186.990,00 € qui était sollicité, par l’invocation de travaux immobilier et la fourniture de faux document justificatif desdits travaux avec la participation volontaire des emprunteurs, d’avoir manqué à son obligation de mise en garde de ces derniers sur les risques d’endettement encourus par eux lors de cette opération frauduleuse.

Il convient en conséquence, infirmant le jugement déféré, de débouter les époux Y de l’ensemble de leurs demandes de dommages et intérêts dirigées contre le Crédit Agricole.

SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ET LES DÉPENS :

Il y a lieu d’allouer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc, la somme de 2.500,00 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance ainsi qu’en appel, que devront lui payer M. T-U Y et son épouse, Mme N O, condamnés aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Il n’est pas inéquitable en l’espèce de laisser à la charge des époux Y les frais de procédure qui ne sont pas compris dans les dépens.

* * * * * * * * * *

PAR CES MOTIFS :

LA COUR,

Statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile,

Vu les articles 1147, 1304, 1384 et 2224 du code civil,

— Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier prononcé le 27 mai 2014, sauf en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription alléguée de l’action indemnitaire des époux T-U et N Y envers la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc,

Et statuant à nouveau :

— Dit et juge non prescrite l’action indemnitaire des époux Y dirigée contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc,

— Déboute les époux Y de l’ensemble de leurs demandes de dommages et intérêts dirigées contre la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc,

— Condamne M. et Mme T-U et N Y aux dépens de première instance et d’appel et à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc la somme de 2.500,00 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

— Rejette toutes autres demandes des parties ;

Ainsi prononcé et jugé à Montpellier le 7 juin 2016.

LE GREFFIER LE PR''SIDENT

BB

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Cour d'appel de Montpellier, 7 juin 2016, n° 14/07435