Cour d'appel de Montpellier, 6 mai 2021, n° 15/01893

  • Annonce·
  • Huissier de justice·
  • Loteries publicitaires·
  • Document·
  • Chèque·
  • Liquidateur amiable·
  • Consorts·
  • Faillite·
  • Message·
  • Caractère

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Montpellier, 6 mai 2021, n° 15/01893
Juridiction : Cour d'appel de Montpellier
Numéro(s) : 15/01893
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Montpellier, 16 février 2015, N° 13/03466

Texte intégral

Grosse+copie délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre civile

ARRET DU 6 MAI 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : No RG 15/01893 – N° Portalis DBVK-V-B67-L6UR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 février 2015 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER

N° RG 13/03466

APPELANTE:

SCP Z-E – F – ALIAOU -

E

[…]

[…]

Maître Y X, avocat agissant ès qualités de curateur à la faillite de la société D.DUCHESNE de droit belge (RPM 96373), désigné dans ses fonctions par décision du tribunal de commerce de Nivelles du 2 décembre 2013

([…]

[…]) Non représentée – signification du 3 juin 2015 conformément aux dispositions de l’article 10 du Règlement CE n°1393/2007 du 13 novembre 2007



Page 2

S.A D. DUCHESNE, société de droit belge en faillite, inscrite au RPM n°96373 représentée par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social […]

[…]) Non représentée – signification à son curateur à la faillite Me Y X

INTERVENANTS :

Représenté par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES

ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué à l’audience par Me Edouard CAUPERT de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

Représentée par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué à l’audience par Me Edouard CAUPERT de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

ORDONNANCE DE CLO RE DU 09 JUIN 2020



Page 3

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 FEVRIER 2021, en audience publique, M. Fabrice DURAND, Conseiller, ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

M. Jacques RAYNAUD, Président
M. Thierry CARLIER, Conseiller M. Fabrice DURAND, Conseiller qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Camille MOLINA

ARRET:

- rendu par défaut

- prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour le 15 avril 2021 prorogé au 6 mai 2021, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile;

- signé par M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de président en l’absence du président empêché, et par Mme Camille MOLINA, Greffier.

*

*

EXPOSE DU LITIGE

Entre 2007 et 2012,

a reçu

83 courriers lui annonçant des gains de loterie publicitaire adressés par la SA D. Duchesne, société de droit belge agissant sous divers noms commerciaux : TV Direct Distribution, Tdv Santé, Biotonic et Notre vie.

Tous ces courriers annonçaient à des gains de sommes d’argent de 10 000 euros, 15 500 euros ou 20 500 euros. L’addition de ces 83 gains représente une somme totale de 1 002 000 euros.

Le contrôle et le dépôt des règlements de ces loteries commerciales étaient confiés à huissier de justice à Nice et associé gérant de la SCP Z-A D-E-F.



Page 4

informait chaque fois la SA D. Duchesne de son acceptation de ses gains mais ne recevait jamais les sommes d’argent demandées à la société organisatrice de ces loteries.

faisait alors assigner la Par acte du 11 juin 2013. et la SCP Z SA D. Duchesne ainsi

A-D-E devant le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins d’obtenir leur condamnation in solidum au paiement de la somme de 1 002 000 euros et à la réparation de divers préjudices.

Suite à l’ouverture en Belgique de la faillite de la SA D. Duchesne, prononcée par jugement du 2 décembre 2013 du tribunal de commerce de Nivelles ayant désigné Me X Y en qualité de curateur à la faillite, faisait délivrer à ce dernier par exploit d’huissier du 8 janvier 2014 une assignation en intervention forcée.

La jonction des procédures était ordonnée par ordonnance du 7 avril 2014.

Par jugement réputé contradictoire du 17 février 2015, le tribunal de grande instance de Montpellier a :

- dit n’y avoir lieu de mettre hors de cause

- constaté que la prescription était acquise pour toutes les opérations antérieures au 11 juin 2007;

- dit que était en droit, au visa de l’article 1371 du code civil, de voir fixer sa créance au passif de la faillite de la société D. Duchesne à 30 000 euros en principal;

- rejeté le surplus de ces demandes à ce titre; dit que les irrégularités commises par la société D. Duchesne dans la présentation des documents et les manquements de et de la SCP Z-A- G

A-F dans leur obligation de contrôle de la régularité de ces documents ont causé à un préjudice matériel de 2 543,51 euros et un préjudice moral de

1 000 euros;

-les a condamnés in solidum à l’en indemniser, sauf à préciser que s’agissant de la SA D. Duchesne, des créances complémentaires de ces montants seront inscrites à son passif;

- condamné in solidum la SA D. Duchesne et

-et la SCP Z – A – G-A – F à payer à une somme de 2 000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles;

- condamnés in solidum aux entiers dépens;

- ordonné l’exécution provisoire pour le tout.

a relevé appel total de ce jugement le 10 mars 2015.

Par acte d’huissier du 3 juin 2015, a fait signifier la déclaration d’appel et ses conclusions à la SA D. Duchesne et à Me X Y.



Page 5

La SA D. Duchesne et Me X Y, ès qualités de curateur à la faillite, n’ont pas constitué avocat.

est décédée le […].

et héritiers de ont repris l’instance selon conclusions remises au greffe le 25 avril 2019.

Par exploit d’huissier du 2 mai 2019. les consorts ont fait assigner en intervention forcée ès qualités de liquidateur amiable de la SCP Z-A G-A-F dont la dissolution a été prononcée par arrêté ministériel du 1er décembre 2017.

Par ordonnance du 10 décembre 2019, le conseiller de la mise en état a pris acte du désistement des consorts de leur incident de communication de pièces.

Vu les dernières conclusions des consorts remises au greffe le 25 avril 2019;

et de Vu les dernières conclusions de ès qualités de liquidateur amiable de la SCP Z A – G -A – F remises au

-

greffe le 11 mai 2020;

Vu l’ordonnance de clôture du 9 juin 2020.

MOTIFS

Sur la prescription des actions exercées par les consorts

L’article 26-II de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 dispose : « Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».

Avant la loi du 17 juin 2008, les actions engagées sur un fondement quasi-contractuel relevaient de la prescription trentenaire tandis que les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.

La loi du 17 juin 2008 a réduit la durée de ces prescriptions à cinq ans.



Page 6

Les opérations publicitaires, objet du présent litige, ont été reçues entre le 14 février 2007 et le 12 mars 2012par

(pièces n°1 à 87) et il convient de distinguer :

- les annonces de gain reçues et acceptées par avant le 19 juin 2008 aucune des actions afférentes à cette période n’était prescrite à la date d’entrée en vigueur de la loi. La loi nouvelle a eu pour effet de fixer la nouvelle date de prescription au 19 juin 2013 pour tous les gains acceptés entre 14 février 2007 et le 19 juin 2008 ;

- les annonces de gains reçues et acceptées après le 19 juin 2008: ces actions sont soumises à la nouvelle prescription quinquennale qui expirait le 19 juin 2013 pour la plus ancienne de ces actions.

Dès lors que l’assignation a été régulièrement signifiée le 11 juin 2013 par et à la SA D. Dufresne, à aucune des 83 demandes en paiement formées par les consorts

n’est prescrite.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a déclaré prescrites les 28 actions relatives à des annonces de gains reçues avant le 11 juin 2007.

Sur le bien-fondé de la demande des consorts de remise des gains annoncés et acceptés par

En application de l’article 1371 du code civil dans sa rédaction applicable à la date des faits, l’organisateur d’une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence à première lecture l’existence d’un aléa s’oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer.

La SA D. Duchesne vend par correspondance divers objets et produits de nutrition ou liés à la santé sous diverses enseignes : « Biotonic », « TDV Santé », « TV Direct Distribution » et "Notre

Vie". Au soutien de ses activités commerciales, elle organise des loteries publicitaires à l’origine du présent litige.

Les consorts ont versé aux débats l’intégralité des 83 courriers de loterie publicitaire reçus et acceptés par entre le 14 février 2007 et 12 mars 2012. Ils soutiennent que ces 83 courriers de la SA D. Duchesne ont tous annoncé à un gain de somme d’argent présenté comme acquis, sans mettre en évidence à première lecture un quelconque aléa. Dans ses conclusions, la SA D. Duchesne soutient que toutes ses loteries sont conformes aux dispositions de l’article L. 121-36 du code de la consommation et qu’elles reposent sur l’organisation d’un pré-tirage au sort des gagnants, conformément au règlement du jeu déposé à l’étude de



Page 7

Ainsi que l’a exactement relevé le premier juge, les 83 annonces de gain de loterie adressées nominativement à procèdent d’affirmations fermes et catégoriques qui la présentent comme étant le « gagnant formellement identifie », la « seule et exclusive personne », la gagnante « officielle », « déclarée », « confirmée », « certifiée » ou « définitive » de sommes d’argent devant lui être adressées sous forme de chèque « garanti ».

Pour donner plus de force à ses annonces de gain, la SA D. Duchesne allait jusqu’à adresser à sa gagnante un « certificat de non imposition » (pièce n°30).

C’est ainsi que l’envoi du 22 août 2007 (pièce n°2) informe sous le titre écrit en lettres capitales « GAGNANT FORMELLEMENT IDENTIFIE » qu’elle a gagné en ces termes :

"Je peux vous certifier que cette excellente nouvelle vous concerne personnellement. Vous pouvez crier votre joie ! Grâce à votre numéro personnel unique et aussi désigné GAGNANT. le 420 716

592. vous êtes bien la seule et exclusive personne à pouvoir réclamer le chèque de 10.000 euros conformément au règlement joint et au procès verbal dressé air Huissier de Justice".

Le message de gain annoncé est ferme et inconditionnel puisque la gagnante est même invitée à « crier sa joie ». Le style et la typographie sont choisis à dessein pour appuyer l’annonce du gain à la destinataire nominativement désignée gagnante de cette somme d’argent, sans aucune réserve.

Seul un examen attentif, et de fait impossible à réaliser par une personne âgée et isolée, permettrait de trouver une discrète mention, écrite dans une police littéralement minuscule, positionnée en haut à gauche du document en ces termes « liste des prix soumis à aléas et règlements joints ».

Outre que les termes employés sont peu explicites pour le profane, la lecture de cette mention est très difficile à détecter dans le document puisqu’elle exige quasiment une loupe pour sa lecture. A l’inverse, le message principal d’annonce du gain est extrêmement visible, facile à comprendre et sans aucune ambiguïté.

Ce courrier d’annonce de gain est accompagné, outre l’image du chèque du gain, d’un « certificat officiel de gain » établi conformément « aux conclusions définitives consignées dans le Procès Verbal établi par Huissier de Justice » et d’un « avis de paiement de 10.000 euros » qui soulignent encore davantage le caractère ferme et définitif du gain annoncé.



Page 8

Sur cette deuxième page, le lecteur attentif peut découvrir le mot « aléa », subrepticement glissé dans une typographie minuscule, quasiment invisible en regard de l’annonce principale écrite en caractères démesurés, réaffirmant sans aucune réserve le caractère définitif du gain de

dans sesLes longues explications données par conclusions selon lesquelles les courriers de la SA D. Duchesne comporteraient la mention claire et explicite d’un aléa sont ainsi contredites par la lecture des 83 liasses de documents annonçant les gains versés aux débats (pièces n°1 à 87).

En effet, le lecteur des 83 documents annonçant les gains constate immédiatement que la mention de l’aléa figure toujours en caractères minuscules, qu’elle est à peine lisible et rédigée en termes abscons dissimulés en marge des documents.

Si la SA D. Duchesne avait réellement voulu informer sa destinataire de l’existence d’un aléa, elle aurait mentionné cet aléa au moyen de termes explicites et de façon lisible. Bien au contraire, la SA D. Duchesne noie systématiquement la mention de l’aléa et la dissimule toujours avec un soin particulier en marge du message principal. A l’inverse, le message du gain est toujours outrancièrement exprimé en des termes lyriques et enflammés et toujours au moyen d’une typographie rappelant celle des titres en première page des journaux.

Cette disproportion des messages démontre que les mentions de l’aléa du jeu n’ont été portées que pour permettre à la SA D. Duchesne, en cas de litige, d’argumenter sur son respect de la jurisprudence qui exige que l’organisateur d’une loterie mentionne clairement l’existence de cet aléa.

Cette exigence n’est cependant pas respectée lorsque le mode de rédaction utilisé ne donne pas un minimum de clarté et de visibilité à ces mentions et que la présentation du document vise au contraire à tromper les consommateurs destinataires de ces courriers.

La reproduction de chèques bancaires mentionnant le montant précis du gain avec comme bénéficiaire le nom et l’adresse de est aussi une technique utilisée pour convaincre la destinataire de l’absence d’aléa.

En effet, l’envoi d’une copie d’un tel chèque nominatif contredit en lui-même cet aléa puisqu’il établit au contraire que le gain était déjà acquis à Ce procédé est fréquemment utilisé, par exemple dans la pièce n°27 copie d’un chèque de 20 500 euros signé par « B C » du « département financier » à l’ordre de



Page 9

La pièce n°33 illustre également le même procédé consistant à affirmer un gain définitif et annoncer l’envoi d’un chèque en gros caractères et de façon répétée, tout en joignant un extrait du règlement en caractères minuscules et illisibles qui explique au lecteur, du moins à celui qui parviendrait à le déchiffrer, précisément le contraire du message de gain immédiatement compréhensible.

La volonté d’affirmer le caractère acquis du gain ressort de mentions toujours extrêmement claires telles que celles de la pièce n° 54:

"L’unique Chèque National Spécial de 15.5000 euros cash vous sera bien remis à votre total et entier bénéfice, dès autorisation de l’Huissier de Justice. C’est une certitude absolue !

La seule condition à respecter pour cela est de renvoyer le bon Bulletin Gagnant attendu par l’Huissier de Justice pour ce prix dans les délais les plus courts. Ce postulat administratif est tout ce qu’il y a de plus clair, net et précis. Les résultats sont d’ores et déjà définitifs et sans la moindre contestation possible".

L’examen des 83 annonces de gains adressées à montre que les termes enflammés et les expressions utilisées sont systématiquement imprimés en caractères de grande taille, soulignés, en gras, de type titre de journal.

Le règlement du jeu lui-même figure toujours dans une sorte de pavé illisible, un amas compact de très petits caractères majuscules très serrés, sans espaces ni retours à la ligne ni mise en forme, de sorte que sa lecture effective et intégrale suppose une attention et un effort extrêmes. Ces efforts ne peuvent pas être

raisonnablement demandés au consommateur qui est immédiatement convaincu de l’évidence affichée dans les gros titres. Les documents sont toujours mis en forme et rédigés de façon que le destinataire se focalise immédiatement sur le message du gain présenté comme inconditionnel.

La lecture de la mention de l’aléa est ainsi volontairement rendue difficile, voire impossible, par l’usage de phrases rédigées en majuscules, dans une police en petits caractères ou inscrite en rond à l’intérieur d’un sceau qui ne peut se lire qu’en retournant le document.

Et dans le cas peu probable où aurait pris connaissance de cette réserve mentionnée quant à l’aléa, un autre document vient immédiatement contredire cette réserve pour réaffirmer le caractère définitif du gain, comme par exemple dans la pièce n°4 en fin de document :



Page 10

"Oui, , après vérifications confirmées par Huissier de Justice, il ressort de manière indiscutable que comme le N° 419 715 217 est le vôtre, vous êtes effectivement la seule gagnante attitrée des 10.000,00 euros. Je vous en félicite !"

La pièce n°25 mentionne une variante du même procédé d’annonce de gain en ces termes : "POSTULAT DE PAIEMENT OFFICIEL: c’est le plus beau jour de votre vie. A l’instant même, ce lundi 15 mars 2010 à 15h, vous venez d’être déclarée comme la seule GRANDE GAGNANTE du CHÈQUE UNIQUE de 20.500,00 € à votre bénéfice exclusif. C’est incontestable !".

A côté de cette annonce de gain extrêmement claire qui saute littéralement au visage du lecteur, le rédacteur a dissimulé en caractère minuscule une mention figurant en coin en haut à gauche « Département des pré tirages gratuits Liste de prix soumis à aléas et règlement joint ».

Il ressort ainsi de l’examen des différents courriers d’annonce de gain versés aux débats que ces 83 courriers, sans exception, ne mettent pas en évidence à première lecture l’existence d’un aléa quant aux gains annoncés. Ils ont tous été rédigés de manière à induire en erreur et à empêcher leur destinataire de comprendre la subtilité de l’existence d’un aléa et d’un pré-tirage.

La disproportion totale entre le message principal de l’annonce du gain définitif et la mention extrêmement discrète et cachée d’un pré-tirage ou d’un aléa établit que la SA D. Duchesne a annoncé à 83 reprises à qu’elle était la gagnante définitive de ces sommes d’argent sans mettre en évidence à première lecture l’existence d’un aléa.

Il y a donc lieu de considérer qu’à travers ces envois qui présentent le caractère de faits purement volontaires de sa part, la société D. Duchesne s’est engagée, au regard des dispositions de l’article 1371 du code civil, à délivrer les gains annoncés à qui a clairement manifesté, à 83 reprises, son intention de les recevoir.

Ainsi que l’a justement retenu le tribunal concernant seulement trois courriers de loterie (correspondant aux pièces n°1, 2 et 3) pouvait donc légitimement considérer qu’elle était la gagnante d’une loterie publicitaire et qu’elle était en droit de réclamer les sommes d’argent annoncées à la seule condition de remplir les démarches administratives décrites dans ces courriers.



Page 11

C’est cependant par une appréciation erronée des données du litige que le tribunal a considéré que n’était plus de bonne foi à partir de la quatrième participation à une loterie de la SA D. Duchesne.

En effet, la mauvaise foi de ne peut résulter de la simple succession des envois litigieux par la SA D. Duchesne, le nombre d’envois étant insuffisant en lui-même pour démontrer que leur destinataire ne pouvait ignorer l’existence du caractère aléatoire des gains annoncés.

Bien au contraire, la multiplication par des achats de produits proposés par les bulletins de participation alors qu’elle n’en avait aucun besoin, tend à démontrer le crédit qu’elle accordait à ces promesses de gain qu’elle recevait sans pouvoir imaginer que la société D. Duchesne, organisatrice, refuserait de lui remettre ses gains.

La bonne foi de a été entretenue par le procédé utilisé par la SA D. Duchesne qui consiste à faire évoluer la présentation de ses documents, diversifier les montants annoncés et les présentations graphiques pour convaincre qu’elle a gagné à différents jeux successifs.

L’usage de quatre noms commerciaux différents par la société D. Duchesne a également contribué à entretenir la croyance légitime par de la réalité des gains annoncés.

Plus largement, les parties intimées ne versent aux débats aucune pièce permettant d’établir, ni même de penser, que était de mauvaise foi.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a retenu « en équité, une créance de principe » et considéré qu’au-delà de trois opérations, « avait compris que l’annonce du gain, malgré son caractère agressif et affirmatif n’était que l’annonce d’une chance de gain » et que « le fait qu’elle ait continué à croire en sa chance ne saurait conduire à lui allouer les sommes qu’elle demande, tant il est impossible de considérer qu’elle aurait pu, de bonne foi, croire pendant cinq ans qu’elle allait effectivement percevoir tous les mois de 10.000 à 20.500 euros ».

Dans sa motivation, le tribunal entend procéder à une analyse à caractère psychologique de la motivation de en

s’appuyant sur des signes tels que: « l’émotion et le tremblement de joie (qui) sont des manifestations habituelles chez les joueurs, qui peuvent dans certains cas être victimes d’une véritable addiction ».



Page 12

Le premier juge ajoute : « On remarque aussi que, si continue de répondre avec assiduité pendant plusieurs années, ces mots manuscrits disparaissent ensuite, ce que l’on peut interpréter comme une certaine résignation à l’échec. A moins qu’elle n’ait fini par lire au moins une fois le règlement du jeu, devenu au fil du temps, et aussi sans doute des condamnations, plus accessible (pièce n°78 par exemple, pour un jeu de novembre 2011). »

Sur le plan factuel, l’amélioration des pratiques de la SA D. Duchesne relevée par le tribunal n’est pas clairement établie. L’exemple de la pièce n°78, mentionné dans les motifs du jugement, n’est pas probant dans la mesure où la même technique du gain annoncé sans aléa apparent à première lecture continue d’y être appliquée. Tout au plus la présentation est moins excentrique dans la forme, mais elle est tout aussi trompeuse pour la destinataire de ces courriers. Tous les 83 courriers d’annonce de gain de 2007 à 2012 relèvent en effet des mêmes techniques de manipulation et de dissimulation par la SA D. Duchesne de l’aléa et de l’existence d’un pré-tirage.

Mais surtout, cette motivation du tribunal est purement hypothétique et fondée sur une exégèse psychologique des écrits de insuffisante pour démontrer la mauvaise foi de cette dernière. Son comportement décrit comme révélateur de mauvaise foi, démontre bien au contraire la totale vulnérabilité et

la naïveté de face à la SA D. Duchesne qui étrangement – lui demandait de préciser sa date de naissance (23 octobre 1923) dans ses bulletins de jeu.

Cet état de faiblesse est en effet celui d’une personne âgée et isolée, destinataire idéale et cible parfaite identifiée par la SA D. Duchesne qui lui annonce régulièrement des gains définitifs qu’elle entend ensuite refuser de lui payer tout en profitant de ses nombreuses commandes de produits divers. pensait ainsi sans doute favoriser la remise des gains qui lui avaient été promis.

L’exploitation qui a été faite de la vulnérabilité de

à de multiples reprises ne saurait aucunement exonérer la SA D. Duchesne de ses engagements quant aux gains promis.

Car si est de bonne foi face aux loteries de la SA

D. Duchesne, cette dernière est au contraire d’une particulière mauvaise foi puisqu’elle est parfaitement informée de la jurisprudence établie de la Cour de cassation sur les quasi-contrats et qu’elle a été plusieurs fois condamnée pour ce type d’agissements depuis plus de vingt ans qu’elle développe son activité.



Page 13

Le fait que la société D. Duchesne ait multiplié ses agissements à au moins 83 reprises auprès de ne saurait dispenser la société organisatrice de ces loteries d’en assumer les conséquences juridiques.

En continuant d’annoncer des gains à sans mention apparente à première lecture d’un aléa, la SA D. Duchesne, en parfaite connaissance de cause, s’est engagée quasi contractuellement à 83 reprises

justifient des sommes dues par la SALes consorts D. Duchesne au titre des gains définitifs annoncés à et qui ne lui ont jamais été payés :

- 13 loteries « Biotonic »: 162 000 euros

- 32 loteries 'TDV Santé" : 384 000 euros

- 26 loteries TV Direct Distribution: 308 500 euros

- 12 loteries Notre Vie : 147 500 euros

L’ensemble représente un gain total cumulé de 1 002 000 euros.

La SA D. Duchesne s’est donc unilatéralement rendue débitrice de

83 obligations au bénéfice de Elle sera en conséquence condamnée à régler le gain total de 1 002 000 euros aux consorts

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu’il a limité l’engagement de la SA D. Duchesne envers à seulement trois quasi-contrats.

Sur le bien-fondé des autres demandes indemnitaire formées par

sollicitent la condamnation de la SA Les consorts et de la SCP d’huissiers de justice à D. Duchesne, de

33 886,48 euros en réparation d’un préjudice matériel représentant les commandes de produits effectuées par

, outre un préjudice moral de 30 000 euros.

Les consorts n’apportent cependant pas la preuve formelle de ce que les commandes de produits litigieuses faites par la conséquence directe d’un comportement fautif de la part de la SA D. Duchesne à caractère de stratagème déloyal.

S’agissant du préjudice moral, il est établi que la SA D. Duchesne a commis une faute en multipliant les annonces de gains de loterie sans jamais les régler à . Ce comportement fautif de la SA D. Duchesne a causé un préjudice particulier à lié à l’attente de ses gains qui ne lui ont jamais été payés. Ce préjudice moral sera fixé à hauteur de 10 000 euros.



Page 14

Le jugement sera donc infirmé dans ses dispositions relatives aux demandes indemnitaires et la somme de 10 000 euros sera mise à la charge de la SA D. Duchesne.

Sur les demandes formées contre et la SCP

d’huissiers de justice

et ès qualités de liquidateur amiable de la SCP d’huissiers de justice Z E-D-E-F demandent l’infirmation du jugement entrepris en ce qu’il a retenu la responsabilité délictuelle de l’huissier de justice. Les intimés concluent également au rejet des demandes indemnitaires des appelants.

Ils font valoir que :

- la mention d’un huissier, sur les documents concernant les loteries publicitaires, ne constitue pas un choix marketing mais une obligation légale imposée par les articles L. 121-37 et L. 121-38 du code de la consommation.

- les jeux de la société Duchesne sont conformes à la loi antérieure au 14 mars 2014.

- le contrôle opéré par l’huissier ne peut porter que sur les règles imposées par les articles L. 121-36 et L. 121-37 du code de la consommation.

L’article L. 121-38 du code de la consommation dispose : « Le règlement des opérations ainsi qu’un exemplaire des documents adressés au public doivent être déposés auprès d’un officier ministériel qui s’assure de leur régularité ».

Contrairement à la position soutenue par les intimés, la loi du 17 mars 2014 n’a pas modifié cet article L. 121-38 ni l’article L.121-37 sur cette disposition : « Les documents présentant l’opération publicitaire ne doivent pas être de nature à susciter la confusion avec un document administratif ou bancaire libellé au nom du destinataire ou avec une publication de la presse d’information. ».

La loi n’a pas davantage changé quant aux obligations nées des quasi-contrats créés par la seule volonté de la SA D. Duchesne qui annonce des gains sans mention apparente à première lecture de l’éventuel aléa.

Tous les documents de loterie publicitaire adressés à mettent en avant le contrôle et la supervision exercée par T’huissier de justice sur ces annonces de gains de loterie.



Page 15

En exerçant sa mission de contrôle de la loterie, a nécessairement pris connaissance de tous les documents afférents aux annonces de gain. Il n’a pas pu ignorer que ces annonces de gain adressées à dissimulaient l’existence d’un pré tirage et d’un aléa affectant ces gains.

soutient que la mention de son nom sur les documents de la SA D. Duchesne n’avait aucune visée publicitaire mais était imposée par la loi pour l’accès au règlement

aEn collaborant aux 83 loteries pour lesquelles reçu les annonces de gain, a autant de fois failli à son obligation de contrôle telle que définie par l’article L. 121-38 du code de la consommation.

Cette participation de l’huissier est un facteur important de la réussite de ces loteries commerciales puisqu’elle apporte la caution morale et la garantie de probité inhérente à la profession d’huissier de justice, profession réglementée dont l’intervention a mis en confiance.

En effet, la participation de l’huissier de justice est mise en exergue dans toutes les 83 annonces de gains reçues par

"Grâce à votre numéro personnel unique et aussi désigné gagnant le n°420716592. vous êtes bien la seule et exclusive personne à pouvoir réclamer le Chèque de 10.000 euros

(65.595,70 Frs), conformément au règlement joint et au procès verbal dressé par l’Huissier de Justice" (pièce n°1)

ou encore « Cet envoi nominatif est fait sous le contrôle rigoureux de l’Huissier de Justice et du Comité de Direction »(pièce n°8). La pièce n°3 présente un « CERTIFICAT D’ATTRIBUTION contrôlé par Huissier de Justice » ajoutant plus bas à nouveau ; "Un Procès Verbal d’Huissier de Justice a été établi pour l’occasion!".

La pièce n°4 met aussi en avant la garantie de l’huissier de justice en ces termes :

« Avis d’attribution d’un chèque bancaire au grand gagnant par HUISSIER DE JUSTICE ».

En certifiant une « attribution » de prix ou de chèque, a fait un mauvais usage de la confiance dont jouit sa profession d’officier ministériel, accréditant ainsi que les gains étaient acquis à En effet, sauf à déformer le sens des mots, un "avis

d’attribution" confirme sans ambiguïté que le gain est ferme et définitif.



Page 16

Cette mise en avant de l’intervention de l’huissier de justice a été systématique dans chacune des 83 loteries publicitaires objet du litige, ce qui confirme que la caution morale et juridique d’un officier ministériel est un facteur essentiel de succès de ces pratiques commerciales.

Si avait rempli les obligations mises à sa charge par l’article L. 121-38 du code de la consommation, il aurait nécessairement constaté, compte-tenu de la formation juridique préalable à l’exercice de son activité, que ces documents ne respectaient pas la loi.

L’huissier de justice aurait par exemple exigé de la SA D. Duchesne qu’elle respecte les dispositions de l’article L. 121-37 du code de la consommation qui prohibent l’usage d’un document de nature à susciter la confusion avec un document bancaire tel que la reproduction d’un chèque libellé à l’ordre de

aurait également dû s’émouvoir que la rédaction de documents et courriers adressés à faisaient naître la croyance à un gain certain en dissimulant volontairement

l’existence d’un pré-tirage et d’un aléa.

En apportant ainsi sa caution d’officier ministériel aux agissements de la SA D. Duchesne qui promettait des gains de sommes d’argent à alors que son nom et sa qualité étaient particulièrement mis en avant dans les documents litigieux, a favorisé, soutenu et crédibilisé les manoeuvres déployées pour annoncer ses gains à

En conséquence, a commis une faute délictuelle qui a directement concouru à la mise en oeuvre des 83 opérations de loterie organisées par la SA D. Duchesne qui ont toutes été suivies d’une inexécution par cette dernière de ses obligations quasi contractuelles.

Les agissements de responsable sur le fondement de la responsabilité délictuelle, a contribué à créer l’apparence trompeuse de cette loterie pour la personne informée d’un gain ferme et définitif alors qu’elle n’était que pré-sélectionnée.

Contrairement à la position soutenue par dans ses écritures, le fait que la SA D. Duchesne soit tenue quasi contractuellement alors qu’il est lui-même tenu délictuellement ne fait pas obstacle à une responsabilité in solidum entre l’organisateur de la loterie et l’huissier fautif qui collaboré à cette loterie et mis en oeuvre les artifices destinés à tromper les bénéficiaires des gains annoncés.



Page 17

En effet, a directement participé à l’opération et il a donné de la crédibilité à l’annonce de ces gains par la SA D. Duchesne. Les fautes personnelles de l’huissier ont donc été indissociablement liées aux agissements de la SA D. Duchesne.

se trouve ainsi engagé solidairement aux côtés de la SA D. Duchesne dans les 83 quasi-contrats qui ont donné naissance à l’obligation de payer les gains promis à

Le jugement sera donc infirmé en ce qu’il a limité le quantum de

condamnation de au titre de sa responsabilité délictuelle à payer les sommes de 2 543,51 euros de préjudice matériel et de 1 000 euros pour le préjudice moral.

et la SCP Z-A-D-E

F seront donc condamnés in solidum avec la société

D. Duchesne à payer à aux consorts les 83 gains promis à représentant la somme de 1 002 000 euros.

Outre sa participation personnelle à la création d’engagements au bénéfice de l’huissier de justice a aussi été auteur de fautes delictuelles et de manquements professionnels qui ont contribué, concurremment avec les fautes commises par la SA

D. Duchesne, à causer le préjudice moral subi par à hauteur de 10 000 euros.

et la SCP Z-A-D-E

F seront donc condamnés in solidum avec la société

D. Duchesne à payer aux consorts la somme de

10 000 euros pour le préjudice moral.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme la décision déférée en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non recevoir fondée sur la prescription opposée par et ès qualités de liquidateur amiable de la SCP Z-A-D E-F;

Fixe la créance due par la SA D. Duchesne à à la somme de 1 002 000 euros et outre 10 000 euros représentant les gains promis à pour le préjudice moral;



Page 18

Condamne et ès qualités de liquidateur amiable de la SCP Z-A D-E-F in solidum avec la SA D. Duchesne

laà payer à et somme de 1 002 000 euros représentant les gains promis à

Condamne et ès qualités de liquidateur amiable de la SCP Z-A D-E-F in solidum avec la SA D. Duchesne

à payer à et la somme de 10 000 euros pour le préjudice moral;

Déboute les parties de leurs plus amples demandes ;

Condamne et ès qualités de liquidateur amiable de la SCP Z-A D-E-F aux dépens de la procédure de première instance et d’appel;

Condamne et ès qualités de liquidateur amiable de la SCP Z-A D-E-F à payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE CONSEILLER

[…]

DE PRESIDENT

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Montpellier, 6 mai 2021, n° 15/01893