Cour d'appel de Nancy, 29 février 2016, n° 14/03512

  • Cession·
  • Tva·
  • Administration fiscale·
  • Sociétés·
  • Notaire·
  • Droit d'enregistrement·
  • Profit·
  • Biens·
  • Taxation·
  • Immeuble

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Nancy, 29 févr. 2016, n° 14/03512
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Numéro(s) : 14/03512
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nancy, 12 novembre 2014, N° 12/04158

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D’APPEL DE NANCY

première chambre civile

ARRÊT N° /2016 DU 29 FEVRIER 2016

Numéro d’inscription au répertoire général : 14/03512

Décision déférée à la Cour : Déclaration d’appel en date du 24 Décembre 2014 d’un jugement du Tribunal de Grande Instance de NANCY, R.G.n° 12/04158, en date du 13 novembre 2014,

APPELANTS :

Maître X B, demeurant XXX

Représentés par la SCP THIBAUT Z, avocat au barreau de NANCY, plaidant par Maître P. HOONAKKER, avocat au barreau de STRASBOURG,

Maître C-D Y, demeurant XXX – XXX,

Représentés par la SCP THIBAUT Z, avocat au barreau de NANCY, plaidant Maître C Michel LICOINE, avocat au barreau d’ORLEANS,

INTIMÉES :

DIRECTION DEPARTEMENTALE DES FINANCES PUBLIQUES

dont le siège est XXX, agissant poursuites et diligences de son directeur pour ce domicilié audit siège,

Représentée par la SELARL LEINSTER WISNIEWSKI MOUTON LAGARRIGUE, avocat au barreau de NANCY, plaidant par Maître MOUTON, avocat au barreau de NANCY,

SARL HOENIMMO, SARL au capîtal de 40.000 € RCS NANCY 499 551 489, dont le siège est XXX, prise en la personne de ses représentants légaux pour ce domiciliés audit siége,

Représentée par Maître Nicolas BROVILLE, avocat au barreau de NANCY, plaidant par Maître GERARD, avocat au barreau de NANCY substituant Maître BROVILLE, avocat au barreau de NANCY,

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 Janvier 2016, en audience publique devant la Cour composée de :

Madame Patricia RICHET, Présidente de Chambre, entendue en son rapport,

Monsieur Yannick FERRON, Conseiller,

Monsieur Claude CRETON, Conseiller,

qui en ont délibéré ;

Greffier, lors des débats : Madame DEANA ;

A l’issue des débats, le Président a annoncé que l’arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe le 29 Février 2016 , en application de l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 29 Février 2016 , par Madame DEANA, Greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Madame Patricia RICHET, Présidente, et epar Madame DEANA , greffier ;


Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à


FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte du 14 août 2007 dressé par Me X B, notaire à Strasbourg, la SCI Carré d’As a acquis auprès de la société CMCIC Lease, suite à la levée d’option anticipée dans le cadre d’un crédit-bail immobilier qui lui avait été consenti le 19 mars 2002, moyennant la somme de 1 857 072,68€, un ensemble immobilier composé de bureaux et d’entrepôt dont la construction a été achevée le 1er octobre 2002, sis XXX à Hoenheim. Lors de cette levée d’option, les baux de sous-location des locaux qu’elle avait précédemment conclus en qualité de crédit-preneur avec les SAS Adler Groupe, Adler Radiateurs et MFC, sont devenus des baux principaux.

Suivant autre acte notarié dressé le même jour par Me B avec la participation de Me Y, notaire à Orléans, la SCI Carré d’As a vendu l’ensemble immobilier dont s’agit à la Sarl Hoenimmo moyennant la somme de 3 400 000 €. La société Hoenimmo s’engageait à poursuivre l’activité locative.

Ces deux cessions successives ont été placées sous le régime de l’article 257 bis du code général des impôts ( CGI) les exonérant de la TVA et des droits d’enregistrement, seules restant dues, d’une part, la taxe de publicité foncière au taux de 0,60% outre les frais d’assiette et de recouvrement au taux de 2,50% du montant de cette taxe et, d’autre part, la taxe supplémentaire de 10%, soit respectivement 13 278,07 € et 24 310 €.

Suite à une vérification de sa comptabilité portant sur la période du 13 août 2007 au 31 décembre 2009, l’administration fiscale a adressé le 13 octobre 2010 à la société Hoenimmo, une proposition de rectification qui a été finalement fixée, le 23 janvier 2011, déduction faite des sommes déjà acquittées, à la somme globale de 148 750 € au titre de la taxe de publicité foncière ( 102 000 €),44 200 € ( taxes additionnelles) et 2 550 € ( frais d’assiette et de recouvrement).

Par décision du 21 août 2012, la Direction Départementale des Finances Publiques ( DDFP) de Meurthe et Moselle a rejeté la réclamation contentieuse de la société Hoenimmo en date du 13 octobre 2011 au motif que la cession intervenue à son profit le 14 août 2007 ne constituait pas la première mais la seconde cession intervenue dans le délai de cinq ans suivant l’achèvement des locaux, la première cession ayant été réalisée au profit de la SCI Carré d’As , société n’ayant pas la qualité de marchand de biens.

La société Hoenimmo a alors, par actes des 5, 9 et 10 octobre 2012 fait assigner la DDFP de Meurthe et Moselle, Me Scott et Me Y devant le tribunal de grande instance de Nancy aux fins, sous le bénéfice de l’exécution provisoire,

— à titre principal, de voir dire et juger que la cession immobilière du 14 août 2007 intervenue entre elle et la SCI Carré d’As devait être regardée comme relevant des dispositions de l’article 257 bis du CGI pour constituer la transmission d’une universalité totale de biens dans le délai de cinq ans de l’achèvement de l’immeuble,

— en conséquence de

* déclarer non fondée la décision en date du 21 août 2012 de la DDFP de Meurthe et Moselle et de lui accorder la décharge de l’imposition et des pénalités contestées,

* condamner la DDFP de Meurthe et Moselle à lui rembourser les dépens mentionnés à l’article R 207-1 du livre des procédures fiscales ainsi que la somme de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— à titre subsidiaire, de voir dire et juger que Mes B et Y ont manqué à leur devoir de conseil en soumettant la cession immobilière en cause à l’article 257 bis du CGI,

— en conséquence, de

* condamner in solidum en tant que de besoin Mes B et Y à la relever de toutes condamnations en principal, intérêts et frais qui pourraient être prononcées contre elle au profit de la DDFP de Meurthe et Moselle,

* les condamner à participer à ses frais irrépétibles de défense à concurrence de 5 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* les condamner à tous les dépens de la procédure principale.

Par jugement contradictoire du 13 novembre 2014, la juridiction saisie a

— confirmé la décision de rejet prise le 21 août 2012 par la DDFP de Meurthe et Moselle,

— débouté la Sarl Hoenimmo de toutes ses demandes principales,

— déclaré Mes B et Y civilement responsables des conséquences dommageables résultant du rejet par la DDFP de Meurthe et Moselle de l’application de la dispense de taxation prévue par l’article 257 bis du CGI à la cession intervenue le 14 août 2007 entre la SCI Carré d’As et la Sarl Hoenimmo,

— condamné en conséquence in solidum Mes B et Y à relever la société Hoenimmo de toutes condamnations en principal, intérêts et frais prononcées contre elle au profit de la DDFP de Meurthe et Moselle, au titre de l’avis de mise en recouvrement émis le 23 juillet 2012 par le service des impôts des entreprises de Strasbourg-Est,

— ordonné l’exécution provisoire,

— débouté la Sarl Hoenimmo ainsi que Mes B et Y de leurs demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné in solidum Mes B et Y à payer à la Sarl Hoenimmo la somme de 2 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné in solidum Mes B et Y aux dépens.

Pour se déterminer en ce sens, le tribunal a considéré que contrairement aux allégations de la société Hoenimmo, son acquisition auprès de la SCI Carré d’As constituait non pas la première mais la seconde cession intervenue dans le délai de cinq ans suivant l’achèvement des locaux, la première ayant été réalisée au profit de cette dernière, laquelle n’a pas la qualité de marchand de biens au sens des dispositions de l’article 257 7° 2 du CGI; qu’en sa qualité de bénéficiaire de la transmission d’universalité totale des biens immobiliers acquis auprès de la SCI Carré d’As, la société Hoenimmo était réputée continuer la personne du cédant et tenue, en conséquence, d’opérer les régularisations du droit à déduction et les taxations de cessions à soi-même qui deviendraient exigibles postérieurement à celles-ci et qui auraient en principe incombé au cédant si ce dernier avait continué à exploiter le bien immobilier dont s’agit; que la société Hoenimmo ne pouvait se prévaloir que de la dispense de régularisation de TVA antérieurement déduite au titre de l’immeuble en cause et non d’une dispense de taxation.

Le tribunal a en outre considéré que les notaires, tenus à une obligation de conseil envers leurs clients dans le cadre de la rédaction de leurs actes, notamment quant à leurs incidences fiscales et tenus de veiller tant à la validité qu’à l’efficacité des actes, avaient commis une erreur manifeste dans l’acte de vente du 14 août 2007, procédant indéniablement d’une interprétation erronée des dispositions de l’article 257 bis du CGI, en indiquant à tort que la cession intervenue au profit de la société Hoenimmo n’était soumise ni à TVA ni à droit d’enregistrement; que s’agissant d’une opération particulière de transmission de patrimoine entre deux sociétés, ils auraient dû faire preuve de plus de vigilance et de prudence et s’interroger davantage sur la possibilité de placer les deux actes du 14 août 2007 sous le régime fiscal de l’article 257 bis du CGI; que cette faute commise par les deux notaires venant en concours, engage leur responsabilité civile professionnelle sur le fondement de l’article 1382 du code civil; que le préjudice financier de la société Hoenimmo résultant du redressement fiscal constitue non pas une simple perte de chance mais présente un caractère certain devant s’apprécier au regard de l’intégralité des droits éludés; que l’avis de mise en recouvrement étant devenu définitif à l’expiration des voies de recours gracieux et contentieux rendait immédiatement exigibles les droits de TVA éludés.

Maîtres B et Y ont interjeté appel de ce jugement le 24 décembre 2014.

En l’état de leurs dernières écritures,

Maître B demande à la cour,

— à titre principal, d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à garantir la société Hoenimmo,

— à titre subsidiaire en cas de faute,

* d’infirmer le jugement en ce qu’il a reconnu un préjudice certain et en ce qu’il n’a pas jugé que le seul préjudice de la société Hoenimmo était égal à la perte de chance de pouvoir renoncer à l’opération,

* de dire et juger que la perte de chance est nulle en l’espèce,

— à titre infiniment subsidiaire, de dire et juger qu’il ne doit pas les pénalités de retard appliquées par l’administration fiscale,

— en tout état de cause, de condamner la société Hoenimmo au paiement d’une indemnité de 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Me Z, avocat aux offres de droit.

Au soutien de ses demandes, il fait valoir que la mise en oeuvre de la responsabilité civile professionnelle du notaire sur le fondement de l’article 1382 du code civil est subordonnée à la preuve cumulative d’une faute caractérisée et d’un préjudice indemnisable, actuel et certain, en relation directe avec la faute invoquée.

Pour dire qu’il n’a pas commis de faute, Me B indique que dans sa version applicable à la date des faits, l’article 257 bis du CGI excluait de l’imposition à la TVA la transmission d’universalité totale ou partielle des biens, le bénéficiaire de la transmission étant réputé continuer la personne du cédant en poursuivant l’exploitation de l’universalité transmise; qu’à ce titre la cession intervenue entre les sociétés CMCIC et Carré d’As répondait aux critères de la transmission d’une universalité de biens de l’article 257 bis du CGI dans la mesure où cette cession l’était dans une logique de transmission et de restructuration de l’entreprise puisque la reprise des baux avait été expressément prévue dans l’acte de vente: que la doctrine est unanime pour considérer qu’une telle cession a un caractère intercalaire et ne constitue donc pas la première cession faisant sortir l’immeuble neuf du champ d’application de la TVA immobilière, de telle sorte que toute vente ultérieure dans le même délai de cinq ans peut bénéficier de la dispense de TVA et des droits d’enregistrement; que dans sa décision de rejet de la réclamation du 21 août 2012, l’administration fiscale a elle-même reconnu que les deux opérations successives du 14 août 2007 répondaient exactement aux conditions de l’article 257 bis du CGI.

Il rappelle aussi que le paiement d’un impôt auquel le contribuable est légalement tenu ne constitue pas un dommage indemnisable par le notaire; qu’en tout état de cause le préjudice allégué par la société Hoenimmo n’est ni certain ni direct, faute pour cette dernière de disposer d’autres moyens lui permettant d’être dispensée de toute taxation et que si un préjudice était retenu par la cour, il ne pourrait s’analyser qu’en une perte de chance de renoncer à l’acquisition du bien immobilier; que cette perte de chance doit être considérée comme nulle dès lors qu’au regard de la rentabilité de l’opération résultant des loyers versés, la société Hoenimmo n’aurait pas renoncé à l’opération si elle avait eu connaissance de l’imposition.

Me B précise aussi que si la cour venait à confirmer sa condamnation à garantir la société Hoenimmo de toutes condamnations en principal, intérêts et frais, elle devrait juger que les pénalités de retard appliquées par l’administration fiscale ne sont pas dues par le notaire, le 'préjudice’ étant compensé par la conservation des fonds par ladite société et la possibilité d’en tirer profit en les faisant fructifier. Il ajoute que cette demande ne constitue pas une prétention nouvelle qui serait irrecevable comme le soutient la DDFP.

Maître Y demande à la cour

— à titre principal

* de dire et juger que la cession immobilière intervenue entre la SCI Carré d’As et la société Hoenimmo doit être regardée comme relevant des dispositions de l’article 257 bis du CGI pour constituer la transmission d’une universalité totale des biens dans le délai de cinq ans de l’achèvement de l’immeuble, et, en conséquence,

* d’annuler la décision de rejet prise le 21 août 2012 par la DDFP de Meurthe et Moselle,

* de dire qu’il n’y a lieu à garantie de la société Hoenimmo contre lui,

* d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué,

— à titre subsidiaire,

* de débouter la société Hoenimmo de sa demande en garantie contre lui et de ses demandes accessoires et, en conséquence,

* d’infirmer le jugement du chef de ses dispositions l’ayant condamné à garantir la société Hoenimmo de toutes condamnations en principal, intérêts et frais prononcées contre elle au profit de la DDFP de Meurthe et Moselle au titre de l’avis de mise en recouvrement émis le 23 juillet 2012 par le service des impôts des entreprises de Strasbourg Est,

*de condamner la société Hoenimmo au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Z,

— à titre encore plus subsidiaire, de dire que les pénalités de retard éventuellement appliquées par l’administration fiscale ne constituent pas un préjudice indemnisable et n’entreront pas dans les sommes à la garantie desquelles il pourrait être condamné au bénéfice de la société Hoenimmo et de débouter le directeur départemental des finances publiques de sa demande tendant à faire déclarer cette prétention irrecevable.

Au soutien de ses demandes, il fait valoir qu’il résulte des rescrits n° 2006/34 et 2006/58 de l’administration fiscale relatifs à l’interprétation de l’article 257 bis du CGI, que la cession intervenue entre la société CMCIC Lease et la SCI Carré d’As constitue une transmission d’universalité de biens présentant un caractère intercalaire n’ayant pas valeur d’une première cession et n’ayant donc pas fait sortir l’immeuble du champ d’application de la TVA; que le jugement devant être infirmé sur ce point, la demande en garantie formée par la société Hoenimmo contre lui se trouve dépourvue d’objet.

Subsidiairement, rejoignant son confrère Me B à ce sujet, il rappelle, s’agissant du préjudice, que le tribunal n’a pas respecté le principe posé par la jurisprudence selon lequel le paiement de l’impôt auquel le contribuable est légalement tenu ne constitue pas un préjudice indemnisable dès lors qu’il n’est pas démontré que, même dûment conseillé, il aurait pu bénéficier d’un régime fiscal plus avantageux ou être imposé dans une moindre mesure.

Il indique que la société Hoenimmo ne rapporte pas la preuve que même dûment conseillée, elle aurait pu éviter de payer les droits sur lesquels a porté le redressement opéré par l’administration fiscale ni n’établit qu’elle aurait renoncé à l’opération et ce d’autant que le délai de cinq ans pour faire entrer la vente dans le champ d’application de l’article 257 bis expirait au mois d’octobre 2007; qu’en l’absence de caractère certain de son préjudice, la société Hoenimmo ne pouvait que revendiquer une perte de chance d’avoir pu renoncer à l’opération d’acquisition de l’immeuble dont la probabilité qu’elle se réalise était totalement incertaine.

A titre encore plus subsidiaire, dans le cas où la cour maintiendrait une condamnation à garantir la société Hoenimmo de toutes condamnations au profit de la DDFP, les éventuelles pénalités de retard devraient en être exclues faute de constituer un préjudice indemnisable dès lors que le préjudice en résultant pour le contribuable est compensé par la conservation des fonds par celui-ci et la possibilité d’en tirer profit en les faisant fructifier, demande qui ne peut être considérée comme nouvelle et donc irrecevable en cause d’appel.

La société Hoenimmo demande à la cour d’infirmer le jugement et de satisfaire à ses demandes telles que formulées devant le tribunal et exposées ci-dessus, y compris en ce qui concerne l’exécution provisoire 'du jugement à intervenir’ ( sic).

Elle fait valoir que si le tribunal a bien reconnu que l’article 257 bis du CGI s’appliquait à l’opération en cause, en revanche il n’en avait pas déduit les conséquences qui s’imposaient, en l’espèce une absence de taxation à la TVA et aux droits d’enregistrement, dès lors que dans sa version en vigueur au 14 août 2007, cet article précisait que les opérations mentionnées aux 6° et 7° étaient dispensées de TVA lors de la transmission d’une universalité totale ou partielle de biens, le bénéficiaire étant réputé continuer la personne de cédant; que ce texte a été commenté par l’administration fiscale dans une instruction du 20 mars 2006 de laquelle il résultait qu’en cas de vente successives d’un même immeuble dans le délai de cinq ans de son achèvement, il convenait de considérer que si la première vente remplissait les critères d’une transmission d’universalité de l’article 257 bis du CGI, elle ne faisait pas sortir l’immeuble du champ d’application de la TVA; que cette analyse était unanimement partagée par la doctrine et même par l’administration fiscale dans sa décision du 21 août 2012.

Subsidiairement, elle soutient que le notaire est tenu d’un devoir de conseil, y compris en cas de concours avec un autre notaire, ce qui a pour effet de les rendre responsables in solidum envers la victime; que la présence d’une controverse ou d’une incertitude juridique ne décharge pas le notaire de son obligation de conseil et qu’il doit notamment prévoir les conséquences fiscales des actes qu’il rédige et en informer ses clients; qu’au titre des dommages et intérêts, il doit être condamné à payer les sommes correspondant au montant des pénalités ou du redressement fiscal; que si elle avait été dûment informée des conséquences fiscales de l’acte en cause, elle aurait pu trouver des solutions alternatives, telles que rachat des parts sociales de la SCI Carré d’AS avec reprise du passif, ce qui aurait limité la fiscalité des droits d’enregistrement à 5 000 € ou négociation d’une baisse de prix de l’ensemble immobilier.; que la faute des notaires lui a donc causé un préjudice certain.

Le Directeur Départemental des Finances Publiques de Meurthe et Moselle demande à la cour de

— confirmer le jugement en ce qu’il a confirmé la décision de rejet prise le 21 août 2012,

— débouter la société Hoenimmo ainsi que Mes B et Y de toutes leurs demandes, fins et conclusions contraires,

— prononcer l’irrecevabilité de la prétention nouvelle relative aux pénalités de retard ou, à défaut, à mettre à la charge de la société Hoenimmo les intérêts de retard authentifiés par l’avis de mise en recouvrement du 23 juillet 2012,

— condamner toute partie succombante à 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction de ceux d’appel au profit de Me Clarisse Mouton, avocate, qui affirme en avoir fait l’avance.

A l’appui de ses demandes, après avoir indiqué de manière préliminaire que la cour ne peut, en méconnaissance des dispositions de l’article L 199 du livre des procédures fiscales, prononcer l’annulation de l’avis de mise en recouvrement litigieux et que son mémoire n’entend défendre que les intérêts du Trésor Public à charge pour les autres parties d’assurer leur propre défense comme elles l’entendent, le Directeur Départemental des Finances Publiques maintient que l’opération litigieuse ne constitue pas la première mais la seconde cession intervenue dans le délai de cinq ans suivant l’achèvement des locaux, la première l’ayant été au profit de la SCI Carré d’As qui n’a pas la qualité de marchand de biens.

Pour lever toute ambiguïté, il indique que la cession au profit de la SCI Carré d’As ne peut être considérée comme une transmission d’universalité de biens au sens de la doctrine administrative résultant des rescrits n° 2006/34 et 2006/58, cette notion ne couvrant pas les transferts de biens et services réalisés au profit d’une personne qui n’entend pas exploiter l’universalité ainsi transmise mais simplement liquider immédiatement l’activité concernée ce qui est le cas en l’espèce, la SCI Carré d’As ayant revendu le bien le même jour que son acquisition ce qui démontre qu’elle n’entendait pas poursuivre l’activité de location lors de son acquisition. Il s’ensuit donc que la cession à la SCI Carré d’As a fait sortir l’immeuble en cause du champ d’application de la TVA, peu important que les contrats de sous-location aient été transmis au second acquéreur.

Subsidiairement, il soutient que la prétention des appelants tendant à voir dire qu’ils ne doivent pas les pénalités appliquées par l’administration fiscale est irrecevable comme étant nouvelle à hauteur de cour . Dans le cas où la cour estimerait cette demande recevable mais jugerait la rectification de l’administration fondée, il demande à la juridiction de confirmer que l’intérêt de retard authentifié par l’avis de mise en recouvrement du 23 juillet 2012 reste à la charge de la société Hoenimmo et ce afin de ne pas léser les intérêts du Trésor Public.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 novembre 2015.

SUR CE :

L’article 257 du CGI disposait, dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, que les ventes d’immeubles achevés, sous réserve qu’elles soient consenties dans les cinq ans de l’achèvement de ces immeubles et qu’elles n’aient pas été précédées d’une mutation consentie depuis cet achèvement au profit d’une personne autre qu’un marchand de biens, entrent dans le champ d’application de la TVA immobilière et sont donc assujetties à la TVA ( article 257 7° du CGI) et sont soumises au droit d’enregistrement ou à la taxe de la publicité foncière perçue au profit du département de situation des biens au taux réduit de 0,60% outre une taxe additionnelle de 0,10% perçue au profit de l’Etat.

L’article 257 bis du CGI, dans sa version en vigueur en 2007, disposait que

' Les livraisons de biens et prestations de services, réalisées entre redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, sont dispensées de celle-ci lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d’apport à une société, d’une universalité totale ou partielle de biens.

Le bénéficiaire est réputé continuer la personne du cédant, notamment à raison des régularisations de la taxe déduite par ce dernier, ainsi que, s’il y a lieu, pour l’application des dispositions du e du 1 de l’article 266, de l’article 268 ou de l’article 297 A'.

Dans une instruction 3 A-6-06 n° 50 du 20 mars 2006, l’administration fiscale a précisé que la notion de transmission d’une universalité totale ou partielle de biens doit s’entendre comme tout transfert d’un fonds de commerce ou d’une partie autonome d’une entreprise, comprenant des éléments corporels et, le cas échéants, incorporels qui, ensemble, constituent une entreprise ou une partie d’une entreprise susceptible de poursuivre une activité économique autonome. Elle a également précisé que cette notion ne couvrait pas les transferts de biens et services réalisés au profit d’une personne qui n’entend pas exploiter l’universalité ainsi transmise mais simplement liquider immédiatement l’activité concernée, ainsi qu’il en est de la simple cession de biens.

Dans sa décision de rescrit n° 2006/34 du 12 septembre 2006 prise en réponse à la question: 'Quelles sont les modalités d’application de la dispense de taxation à la TVA prévue par l’article 257 bis du CGI en cas de transmission d’une universalité totale ou partielle de biens’ ', l’administration fiscale précise que ' La dispense de taxation s’applique aux cessions d’immeubles attachés à une activité de location immobilière avec reprise ou renégociation des baux en cours, qui interviendraient entre deux bailleurs redevables de la TVA au titre de cette activité dès lors que ces cessions s’inscrivent dans une logique de transmission d’entreprise ou de restructuration réalisée au profit d’une personne qui entend exploiter l’universalité transmise.'

De même, dans sa décision de rescrit n° 2006/58 du 26 décembre 2006 prise en réponse à la question: ' Quelles sont les modalités d’application des dispositions de l’article 257 bis du CGI dans le secteur immobilier '', l’administration fiscale répond que 'Le bénéfice de la dispense de taxation à la TVA, prévue à l’article 257 bis du CGI vise exclusivement les transferts de biens et de services qui interviennent dans le cadre de la transmission d’une entreprise ou d’une restructuration d’entreprise et qui sont réalisés au profit d’une personne qui entend exploiter l’universalité transmise'.

Au cas d’espèce, dès lors que la SCI Carré d’As a cédé l’immeuble le jour même de son acquisition, soit le 14 août 2007 et non le 13 septembre 2007 comme l’a improprement indiqué le conseil de la société Hoenimmo dans ses réponse à proposition de rectification du 10 décembre 2010 ( pièce n° 5) et réclamation contentieuse du 13 octobre 2011 ( pièce n° 7), il y a lieu de considérer que la première cession intervenue au profit de la SCI Carré d’As ne peut être considérée comme une transmission d’une universalité de biens, la SCI Carré d’As n’ayant pas entendu poursuivre son activité de location de biens immobiliers.

Cette analyse est d’ailleurs corroborée par les écritures de Me B et sa pièce n° 1 aux termes desquelles la SCI Carré d’As et la société Adler Groupe faisaient partie d’un même groupe de sociétés et que la société Adler Groupe étant confrontée à des difficultés financières, elles ont recherché avec leur expert-comptable une solution permettant d’éviter la faillite de l’entreprise et ont donc effectué un montage juridique consistant notamment pour la SCI Carré d’As à lever de manière anticipée l’option d’achat dont elle bénéficiait de manière à devenir propriétaire des bâtiments afin de pouvoir les vendre à un investisseur. Il s’ensuit que la SCI Carré d’As n’avait nullement l’intention de poursuivre une activité de loueur de l’immeuble en cause.

Il s’ensuit que la notion de vente intercalaire n’a pas vocation à s’appliquer au cas d’espèce et que l’acte de cession intervenu entre la SCI Carré d’As et la société Hoenimmo constitue bien un deuxième acte de cession devant être soumis au régime commun pour les ventes d’immeubles.

La décision de la DDFP de Meurthe et Moselle en date du 21 août 2012 sera en conséquence confirmée et la société Hoenimmo déboutée de ses demandes à ce titre.

Sur ses demandes subsidiaires, ainsi que l’a justement relevé le premier juge, les notaires ayant rédigé l’acte de cession SCI Carré D’As- Sarl Hoenimmo, ont singulièrement manqué à leur obligation de conseil en indiquant dans l’acte en cause, suite à une erreur manifeste d’interprétation des textes fiscaux, que ladite cession n’était pas soumise à TVA ni à droit d’enregistrement. S’agissant en effet d’une opération très particulière posant le problème de la transmission ou non d’une universalité totale ou partielle de biens et compte tenu des difficultés d’interprétation que soulevaient les dispositions de l’article 257 bis du CGI, difficultés ayant donné lieu à instruction fiscale n° 50 du 20 mars 2006 et rescrits n° 2006/34 et 2006/58 dont ils avaient parfaitement connaissance, en ayant fait mention dans cet acte, ainsi qu’à des articles de doctrine émanant de notaires ( pièces B n° 11 et 12) qu’ils ne pouvaient davantage ignorer, il leur appartenait de s’informer auprès de l’administration fiscale afin de garantir à leurs clients que leur acte ne serait pas remis en cause par cette dernière.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a retenu que les notaires avaient commis une faute.

Il sera toutefois infirmé en ce qui concerne le préjudice allégué.

En effet, dès lors que le préjudice dont il est réclamé réparation correspond intégralement au montant du redressement fiscal, donc au paiement d’un impôt auquel est légalement soumis le contribuable, ce préjudice ne peut constituer un dommage indemnisable par les notaires mais seulement s’analyser en une perte de chance de renoncer à l’opération envisagée, étant rappelé que seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable et que la réparation de la perte de chance ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

Or il n’est nullement établi que même dûment conseillée, la société Hoenimmo aurait bénéficié d’un régime fiscal plus avantageux. Si elle prétend qu’elle aurait pu opter pour un rachat des parts de la SCI Carré d’AS avec reprise de son passif avant de la transformer en SAS, ce qui n’aurait engendré que le paiement de droits d’enregistrement à hauteur de 5 000 €, la cour ne peut que constater qu’une telle opération, n’ayant d’ailleurs pas la même finalité que celle ayant donné lieu à vérification, n’est, en tout état de cause, présentée que comme une simple éventualité.

De même ne constitue qu’une simple hypothèse l’éventuelle négociation à la baisse du prix de l’immeuble.

En réalité, la perte de chance de ne pas contracter la cession dont s’agit est nulle. En effet, ainsi que rappelé ci-dessus, le but de cette opération de cession était d’éviter la faillite de la SAS Adler Groupe. Il ne fait donc aucun doute que si elle avait su qu’elle aurait à payer une somme supplémentaire de 148 750 € à l’administration fiscale, ce qui représente un montant minime par rapport aux 3 400 000 € du coût d’acquisition de l’ensemble immobilier et qui aurait fait baisser la rentabilité de l’opération de 7,6% à 7,3% compte tenu du prix des loyers, il est évident que la société Hoenimmo n’aurait pas renoncé à son acquisition.

Elle sera en conséquence déboutée de ses demandes en réparation de préjudice et en garantie par les notaires, étant relevé que cette demande en garantie ne peut, au regard des dispositions de l’article 565 du code de procédure civile, être considérée comme irrecevable en cause d’appel.

Succombant en ses prétentions, la société Hoenimmo sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel et condamnée à payer au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et en équité, les sommes détaillées au dispositif du présent arrêt. Elle sera en conséquence déboutée de ses propres demandes de ces chefs.

PAR CES MOTIFS :

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement uniquement en ce qu’il a confirmé la décision de rejet prise le 21 août 2012 par la Direction Départementale des Finances Publiques de Meurthe et Moselle et en ce qu’il a dit que Maître X B et Maître C-D Y avaient commis une faute ;

L’infirme pour le surplus et statuant à nouveau,

Dit qu’il n’est résulté de la faute des notaires aucun préjudice indemnisable pour la Sarl Hoenimmo ;

La déboute en conséquence de toutes ses demandes à ce titre ;

Dit que l’intérêt de retard authentifié par l’avis de mise en recouvrement reste à la charge de la Sarl Hoenimmo ;

Rejette pour le surplus les demandes des parties ;

Condamne la Sarl Hoenimmo à payer au titre de l’article 700 du code de procédure civile, les sommes de TROIS MILLE EUROS (3.000 €) à Maître X B, TROIS MILLE EUROS (3.000 €) à Maître C-D Y et MILLE CINQ CENTS EUROS (1.500 €) à la Direction Départementale des Finances Publiques de Meurthe et Moselle ;

Condamne la Sarl Hoenimmo aux entiers dépens de première instance et d’appel avec recouvrement, chacun en ce qui les concerne, par Maître Z et Maître Mouton, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame RICHET, Présidente de la première chambre civile de la Cour d’Appel de NANCY, et par Madame DEANA, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Signé : C. DEANA.- Signé : P. RICHET.-

Minute en quinze pages.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Nancy, 29 février 2016, n° 14/03512