Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 26 juin 2012, n° 09/29110

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 8, 26 juin 2012, n° 09/29110
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 09/29110
Sur renvoi de : Cour de cassation, 29 juin 2009

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRET DU 26 JUIN 2012

(n° , pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 09/29110

Sur renvoi après cassation du 30 juin 2009 d’un arrêt rendu le 29 novembre 2007 par la Cour d’Appel de PARIS (3e Ch. B) RG : 07-05754 sur appel d’un jugement rendu le 15 janvier 2007 par le Tribunal de Commerce de PARIS (1re Ch.A) RG :2006058718

XXX

Société ELLIOTT INTERNATIONAL L.P.

C/o MAPLES & CALDER P.O. Box 309

XXX

XXX

représentée par ELLIOTT INTERNATIONAL ADVISORS INC dont le siège est situé XXX elle-même prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me François TEYTAUD (avocat au barreau de PARIS, toque : J125)

et de Me V-rené FARTHOUAT de la ASS FARTHOUAT ASSELINEAU ET ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : R130)

et de Me Benoit FLEURY, avocat au barreau de PARIS, toque : J0015

Société THE LIVERPOOL LIMITED PARTNERSHIP

XXX

XXX

représentée par LIVERPOOL ASSOCIATES LTD, Appleby Spurling Hunter Cedar House 41, Cedar Avenue Hamilton HM12 BERMUDA elle-même prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me François TEYTAUD (avocat au barreau de PARIS, toque : J125)

et de Me V-rené FARTHOUAT de la ASS FARTHOUAT ASSELINEAU ET ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : R130)

et de Me Benoit FLEURY, avocat au barreau de PARIS, toque : J0015

Société TOMPKINS SQUARE PARK

XXX

XXX

représentée par XXX elle-même prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me François TEYTAUD (avocat au barreau de PARIS, toque : J125)

et de Me V-rené FARTHOUAT de la ASS FARTHOUAT ASSELINEAU ET ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : R130)

et de Me Benoit FLEURY, avocat au barreau de PARIS, toque : J0015

XXX

C/o RE/XXX

XXX

NEW YORK (USA)

représentée par RE/XXX dont le siège social est situé c/o RE/XXX 1185 Avenue of the 18th floor New YorK NY 10036 ETATS UNIS D’AMERIQUE elle-même prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me François TEYTAUD (avocat au barreau de PARIS, toque : J125)

et de Me V-rené FARTHOUAT de la ASS FARTHOUAT ASSELINEAU ET ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : R130)

et de Me Benoit FLEURY, avocat au barreau de PARIS, toque : J0015

XXX

C/o RE/XXX

XXX

ETATS UNIS D’AMERIQUE

représentée par RESURGENCE ASSET MANAGEMENT L.L.C. dont le siège social est situé c/o RE/XXX 1185 avenue of the Americas 18th New York NY 10036 ETATS UNIS D’AMERIQUE elle-même prise en la personne de son représentant légal

représentée et assistée de Me François TEYTAUD (avocat au barreau de PARIS, toque : J125)

et de Me V-rené FARTHOUAT de la ASS FARTHOUAT ASSELINEAU ET ASSOCIES (avocat au barreau de PARIS, toque : R130)

et de Me Benoit FLEURY, avocat au barreau de PARIS, toque : J0015

XXX

Maître M N ès qualités de commissaire à l’exécution du plan de la SA GROUPE EUROTUNNEL, venant aux droits de la société TNU PLC anciennement dénommée EUROTUNNEL PLC

XXX

XXX

représenté et assisté de la SCP DUBOSCQ-PELLERIN (Me F PELLERIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0018)

et de Me Alice GAILLARD, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Olivier PUECH,

(SCP GIDE LOYRETTE NOUEL)

Maître B Y ès qualités d’administrateur judiciaire de la SA GROUPE EUROTUNNEL, venant aux droits de la société TNU PLC anciennement dénommée EUROTUNNEL PLC

XXX

XXX

représenté et assisté de la SCP DUBOSCQ-PELLERIN (Me F PELLERIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0018)

et de Me Alice GAILLARD, avocat au barreau de PARIS, substituant Me Olivier PUECH,

(SCP GIDE LOYRETTE NOUEL)

SELAFA Z en la personne de Maître V-W A ès qualités de mandataire judiciaire de la SA GROUPE EUROTUNNEL, venant aux droits de la société TNU PLC anciennement dénommée EUROTUNNEL PLC

XXX

XXX

représentée et assistée de Me Frédéric BURET (avocat au barreau de PARIS, toque : D1998)

et de Me Olivier DEBEINE de la SCP GRAND-AUZAS (avocat au barreau de PARIS, toque : P478)

SELAFA Z en la personne de Maître S K-L ès qualités de mandataire judiciaire et de commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde de la SA GROUPE EUROTUNNEL, venant aux droits de la société TNU PLC anciennement dénommée EUROTUNNEL PLC

XXX

XXX

représentée et assistée de Me Frédéric BURET (avocat au barreau de PARIS, toque : D1998)

et de Me Olivier DEBEINE de la SCP GRAND-AUZAS (avocat au barreau de PARIS, toque : P478)

SA GROUPE EUROTUNNEL, venant aux droits de la Société TNU PLC anciennement dénommée EUROTUNNEL PLC

prise en la personne de ses représentants légaux

XXX

XXX

représentée et assistée de Me Nathalie LESENECHAL (avocat au barreau de PARIS, toque : D2090)

et de Me Georges JOURDE de la ASS VEIL JOURDE (avocat au barreau de PARIS, toque : T06)

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 avril 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente

Madame I J, Conseillère

Monsieur Joël BOYER, Conseiller

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Marie-W HOUDIN

ARRÊT :

— contradictoire

— rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Marie HIRIGOYEN, présidente et par Mme Marie-W HOUDIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Les sociétés, de droit français, Eurotunnel SA et, de droit anglais, Eurotunnel Plc ont pour activité l’exploitation de la liaison fixe transmanche entre Coquelles (Pas-de-Calais) et Folkestone(Kent).

Chacune d’entre elles détenait le contrôle exclusif d’une filiale, la première celui de la société de droit français France Manche SA, la seconde celui de la société de droit anglais, The Channel Group Limited, lesquelles filiales se sont vu confier conjointement l’exploitation de la liaison transmanche.

Afin d’assurer le financement de l’opération, la société France Manche SA et la société de droit anglais, Eurotunnel Finance Limited, filiale de la société The Channel Group Limited, ont contracté un certain nombre d’emprunts obligataires, régis par le droit anglais, et garantis aux termes d’un Owning Group Guarantee Agreement du 3 mars 1998 par plusieurs sociétés du groupe Eurotunnel, parmi lesquelles les sociétés Eurotunnel Plus Limited, Eurotunnel Services Limited, XXX.

Ces sociétés ont à ce titre octroyé aux obligataires des sûretés, assorties, dans l’hypothèse où ces dernières seraient mises en oeuvre, d’un mécanisme de substitution d’entités ad hoc créées par les créanciers aux lieu et place des garants dans l’exploitation de la concession et la poursuite de leurs activités.

XXX, XXX, XXX, (les sociétés Elliot International dans la suite de la décision), qui gèrent des fonds d’investissement et sont domiciliées au Royaume-Uni et au Luxembourg, ont acquis des dettes et des obligations émises par la société Eurotunnel Finance Limited, ainsi garanties.

Dès l’année 2003, la situation financière du groupe Eurotunnel a conduit les sociétés Eurotunnel Finance Limited et France Manche SA à envisager des négociations avec leurs créanciers en vue d’une restructuration de la dette financière.

Un accord préliminaire de restructuration financière a été conclu le 23 mai 2006 avec un 'comité ad hoc’ des créanciers représentant plus de 50% de la dette totale.

Puis, par 17 jugements distincts en date du 2 août 2006, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice des sociétés Eurotunnel Finance Limited et France Manche SA ainsi que de 15 autres sociétés s’étant portées garantes de leurs dettes financières, parmi lesquelles la société Eurotunnel Plc, société de droit anglais ayant son siège social dans le Kent au Royaume-Uni.

Ces mêmes décisions ont désigné AE Leguerneve et Y en qualité d’administrateurs judiciaires avec une mission de surveillance et la Selafa Z, en la personne de Maître A et en celle de Maître K-L, en qualité de mandataire judiciaire, la période d’observation ayant été fixée à six mois.

Les sociétés Elliott International ont, par déclaration du 1er septembre 2006, formé tierce opposition à cinq de ces décisions, parmi lesquelles celle ouvrant une procédure de sauvegarde à l’égard de la société Eurotunnel Plc.

Par jugement en date du 15 janvier 2007, le tribunal de commerce de Paris a déclaré cette tierce opposition recevable mais mal fondée, a débouté les sociétés tierces opposantes de leurs demandes et les a condamnées à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, une somme de 10 000 euros à la société Eurotunnel Plc et une même somme de 10 000 euros à la Selafa Z, ès qualités.

Sur appel des sociétés Elliot International et par arrêt du 29 novembre 2007, cette cour a dit l’appel recevable, dit n’y avoir lieu de mettre hors de cause Me Y, ès qualités d’administrateur judiciaire de la société Eurotunnel Plc, infirmé le jugement déféré, dit irrecevable la tierce opposition et condamné les sociétés Elliot International LP, XXX, XXX à payer, par application de l’article 700 du code de procédure civile, chacune, 10 000 euros à la société Eurotunnel Plc, 10 000 euros à Me H, ès qualités, 1 000 euros à Me Y, ès qualités, et, solidairement, 15 000 euros à la Selafa Z, ès qualités, ainsi qu’aux dépens.

Sur pourvoi des sociétés Elliott International et par arrêt du 30 juin 2009, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, après avoir donné acte à la société MD Sass Corporate Resurgence Partners III LP et à la société MD Sass Re/Enterprise Partners LP du désistement de leur pourvoi, expressément accepté, a cassé et annulé l’arrêt de la cour du 29 novembre 2007, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il a dit irrecevable la tierce opposition des sociétés Elliott International LP, XXX, XXX, et a remis, en conséquence sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée.

Cet arrêt de cassation partielle a été prononcé au visa du règlement n°1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité et de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de 'homme et des libertés fondamentales, et aux motifs suivants :

'Attendu que pour dire irrecevable la tierce opposition, l’arrêt retient que cette voie n’est ouverte aux créanciers du débiteur que si leurs droits ont été atteints à raison d’une fraude ou s’ils ont un moyen propre et qu’il ne leur suffit donc pas d’être intéressés par la procédure ;

' Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les créanciers domiciliés dans un Etat membre autre que celui de la juridiction qui a ouvert une procédure principale d’insolvabilité ne peuvent être privés de la possibilité effective de contester la compétence assumée par cette juridiction, la cour d’appel, qui a méconnu le doit d’accès au juge, a violé les textes susvisés'.

Sur déclaration de saisine après renvoi et par dernières conclusions signifiées le 23 août 2011, les sociétés Elliott International LP, XXX et XXX demandent à la cour de les dire recevables et bien fondées à interjeter appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 15 janvier 2007 relatif à la tierce opposition formée par elles au jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde au bénéfice de la société Eurotunnel Plc en date du 2 août 2006, de dire et juger que le tribunal de commerce de Paris n’était pas compétent au regard du règlement n°1346/2000 pour ouvrir une procédure de sauvegarde à l’encontre de la société Eurotunnel Plc, procédure qui relève de la seule compétence des juridictions anglaises ; à titre subsidiaire, de dire et juger que le tribunal de commerce de Paris ne pouvait ouvrir, au regard de l’article L 620-1 du code de commerce, une procédure de sauvegarde, la société Eurotunnel Plc ne réunissant pas les conditions nécessaires à l’ouverture de cette procédure, en conséquence, d’infirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a dit recevable la tierce opposition, faisant droit à cette tierce opposition de rétracter ou infirmer le jugement ayant ouvert la procédure de sauvegarde ; en tout état de cause, de condamner solidairement les intimés à leur payer la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et au paiement des entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 25 octobre 2011, la Selafa Z (AE S K-L et V-W A) demande à la cour, à titre principal, sur la recevabilité de l’appel, de dire et juger que les société appelantes ont renoncé à contester l’ouverture comme le déroulement de la procédure de sauvegarde des sociétés du groupe Eurotunnel en n’utilisant pas la faculté offerte par le plan de laisser les contreparties prévues en séquestre, de déclarer en conséquence irrecevable l’appel sur le jugement du 15 janvier 2007 ; à titre subsidiaire, sur la recevabilité tant de la tierce opposition que de l’appel, de dire et juger que les fonds ne disent pas en quoi la compétence des juridictions du Royaume-Uni et l’application de la loi du Royaume-Uni auraient été pour eux préférables, par conséquent, de dire et juger que les fonds n’ont pas d’intérêt légitime à agir en tierce opposition, de dire et juger irrecevable l’appel, les appelants étant privés du droit d’agir du fait de l’irrecevabilité de la tierce opposition, de dire et juger que les juridictions françaises n’ont pas pouvoir de se prononcer sur la validité de l’inscription de la procédure de sauvegarde à l’annexe A du règlement du Conseil du 29 mai 2000 et, par conséquent, de dire et juger irrecevable la demande tendant à voir constater que la procédure de sauvegarde n’entre pas dans le champ d’application du règlement n°1346/2000 ; à titre infiniment subsidiaire, sur le fond, de dire et juger que les procédures figurant à l’annexe A dudit règlement européen sont de plein droit dans le champ d’application de ce règlement, subsidiairement, que la procédure de sauvegarde satisfait aux critères posés par l’article 1er de ce règlement, que le centre des intérêts principaux de la société était à Paris lors de l’ouverture de la procédure de sauvegarde, que la société justifiait de difficultés insurmontables de nature à la conduire à la cessation des paiements, de confirmer le jugement déféré, de débouter les fonds de l’intégralité de leurs demandes, et de les condamner solidairement à payer à la Selafa Z, ès qualités, la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre le paiement des sommes allouées à ce titre en première instance, et aux entiers dépens.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 22 février 2012, Maître M N, en sa qualité de commissaire à l’exécution du plan, et Maître B Y, en sa qualité d’administrateur judiciaire, présentent les mêmes demandes que la Selafa Z, à l’exception de la demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, à raison de laquelle ils sollicitent, ensemble, une somme de 7 000 euros, outre le paiement des sommes allouées à ce titre en première instance.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 23 septembre 2011, la société Groupe Eurotunnel SA, venant aux droits de la société TNU Plc, anciennement Eurotunnel Plc, demande à la cour de déclarer 'Elliott’ mal fondée en sa demande tendant à contester la compétence des juridictions françaises, de confirmer le jugement sur ce point, de la déclarer irrecevable en ses demandes tendant à contester le bien fondé de la procédure ; subsidiairement, de l’y déclarer mal fondée, de confirmer le jugement et de condamner chacun des appelants à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice né du caractère abusif de la procédure et celle de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

1. Sur la recevabilité de l’appel

En l’état de la cassation de l’arrêt du 29 novembre 2007, qui n’est que partielle et qui délimite la saisine de la cour, les développements des parties sur l’irrecevabilité de l’appel des sociétés Eliott International sont inopérants, l’arrêt du 29 novembre 2007 qui a déclaré les sociétés appelantes recevables en leur appel n’étant pas affecté, à cet égard, par la cassation partielle prononcée.

2. Sur la recevabilité de la tierce opposition

S’agissant du cas d’ouverture de la tierce opposition, tel que précisé par l’arrêt de cassation du 30 juin 2009, au profit de créanciers domiciliés dans un Etat membre autre que celui de la juridiction qui a ouvert une procédure principale d’insolvabilité, lesquels ne sauraient être privés de la possibilité effective de contester la compétence ainsi assumée par la juridiction française, il n’est plus sérieusement discuté en tant que tel par aucun des intimés et s’impose dès lors que le créancier étranger a nécessairement un intérêt spécifique, qui ne se confond pas avec celui du débiteur ou celui de la collectivité des créanciers, à revendiquer, le cas échéant, la compétence de sa juridiction nationale ou l’application de son droit national.

Les intimés font encore valoir que les tiers opposants seraient désormais dépourvus d’intérêt à agir dans la mesure où ils ont, comme tous les autres obligataires, et en exécution du plan homologué par le tribunal de commerce de Paris dans son jugement du 15 janvier 2007, cédé les obligations qu’ils détenaient en contrepartie de nouvelles obligations émises par la filiale de GET SA et remboursables en actions dites ORA.

Mais l’existence de l’intérêt à agir doit être appréciée au jour de la tierce opposition dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l’auraient rendu sans objet.

Or, il n’est pas contesté qu’à la date d’ouverture de la procédure de sauvegarde, les sociétés tierces opposantes étaient détentrices d’obligations qui leur conféraient intérêt et qualité à agir, ce qu’elles avaient publiquement manifesté à diverses reprises en s’étant vivement opposées, comme en attestent les pièces et coupures de presse qui en rendent compte, aux conditions de renégociation et de restructuration de la dette alors envisagées par le groupe Eurotunnel et dont elles déploraient être tenues à l’écart.

C’est enfin vainement que la société Groupe Eurotunnel SA soutient, seule des intimées, que la preuve ne serait pas suffisamment rapportée d’une détention d’obligations par les appelantes à la date du jugement d’ouverture, au motif qu’une opération massive de conversion en obligations à taux révisable ou en obligations de stabilisation aurait été organisée dès le 15 mai 2006, alors que les sociétés Elliott justifient que le transfert forcé des titres Eurotunnel qu’elles détenaient est intervenu, en exécution du plan de sauvegarde, le 28 juin 2007.

Dès lors, l’intérêt à agir des tiers opposantes subsiste en dépit de la dépossession, que précisément elles contestent, de leurs titres par l’effet du plan de sauvegarde.

3. Sur l’application du règlement n° 1346/2000 du Conseil européen du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité

Les sociétés appelantes soutiennent que la procédure de sauvegarde telle qu’elle est organisée par le doit français ne relève pas de ce règlement, lequel ne serait applicable selon la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés européennes qu’aux 'procédures d’insolvabilité’ entraînant 'un dessaisissement du débiteur', de sorte que les procédures de sauvegarde avec une seule mission de surveillance seraient, en tout état de cause mais nécessairement, exclues de son champ d’application.

Le paragraphe 1 de l’article premier ( 'Champ d’application') du règlement dispose :

'1) Le présent règlement s’applique aux procédures collectives fondées sur l’insolvabilité du débiteur qui entraînent le dessaisissement partiel ou total de ce débiteur ainsi que la désignation d’un syndic.'

L’article 2 ('Définition') précise :

'Aux fins du présent règlement , on entend par

a) 'Procédure d’insolvabilité’ : les procédures collectives visées à l’article 1er paragraphe 1. La liste de ces procédures figure à l’annexe A'.

Enfin, le considérant 9 de l’exposé des motifs énonce 'Les procédures d’insolvabilité auxquelles s’applique le présent règlement sont énumérées aux annexes'.

Or, la procédure de sauvegarde a précisément été ajoutée par l’effet d’un règlement 694/2006 du 27 avril 2006 aux procédures françaises entrant dans le champ d’application du règlement 1346/2000.

L’énumération en annexe, pays par pays, des procédures qui relèvent de ce règlement, lequel a force obligatoire et s’applique directement dans tout Etat-membre, ayant précisément vocation à assurer la sécurité juridique de son application, le débat entretenu par les sociétés appelantes sur le point de savoir si la sauvegarde satisferait ou non aux critères d’insolvabilité et de dessaisissement partiel ou total mentionnés à l’article premier est inopérant et vain, l’ajout en 2006 à cette annexe, dans la rubrique France, de la sauvegarde aux côtés du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire qui, jusqu’alors, seuls y figuraient, ayant définitivement tranché le problème.

Il résulte de la mention sans réserve ni distinction de la sauvegarde dans cette annexe que cette procédure relève du champ d’application du règlement européen 1346/2000, que la mission confiée à l’administrateur soit de surveillance ou d’assistance.

4. Sur la juridiction compétente en application du règlement européen

Aux termes de l’article 3.1 du règlement, les juridictions d’un Etat-membre sont compétentes pour ouvrir une procédure principale d’insolvabilité à l’égard de toute société ayant le centre de ses intérêts principaux sur le territoire de cet Etat-membre, précision étant faite que 'pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège'.

La présomption que ce texte édicte de localisation des intérêts principaux au siège statutaire peut être renversée si des éléments objectifs et vérifiables par les tiers permettent d’établir la réalité d’une situation différente.

Enfin, le considérant 13 du règlement précise que 'le centre des intérêts principaux devrait correspondre au lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est donc vérifiable par les tiers'.

La société Eurotunnel Plc était une société de droit anglais dont le siège social était situé à Folkestone dans le Kent.

Faisant appel public à l’épargne, elle portait l’intégralité du capital émis de la société The Channel Tunnel Group et agissait, à ce titre, comme une holding, aux côtés de la société de droit français Eurotunnel SA. Il sera relevé, dès ce stade, que seules des 'unités Eurotunnel', composées chacune d’une action Eurotunnel SA et d’une action Eurotunnel, étaient inscrites à la cote, de sorte que l’actionnaire ne pouvait pas souscrire au capital d’une seule des deux sociétés, mais souscrivait nécessairement au capital d’Eurotunnel.

Les sociétés appelantes font essentiellement reproche au jugement déféré d’avoir renversé la présomption du siège par seule référence à la structure du groupe Eurotunnel dans son ensemble et non pas en considération des caractéristiques propres de la société en cause.

Il est vrai que l’établissement du siège social de la maison mère, dans un groupe de sociétés, ne suffit pas, à lui seul, à déterminer la compétence juridictionnelle propre à chaque filiale constituant une entité distincte. Aussi, la circonstance que certains choix économiques de la filiale puissent être contrôlés par la maison mère établie dans un autre Etat ne suffit-elle pas, à elle seule, à écarter la présomption qui s’attache au siège de ladite filiale.

Il demeure que certaines organisations particulièrement intégrées de groupe de sociétés peuvent avoir des incidences sur le centre des intérêts principaux des filiales, lesquelles incidences participent d’un faisceau d’indices propre à renverser la présomption qui s’attache au siège social.

Telle a été l’analyse des premiers juges qui mérite d’être pleinement approuvée.

Il sera rappelé, à cet égard :

— que la société The Channel Tunnel Group s’est vue confiée conjointement avec la société de droit français France Manche SA la concession de l’exploitation de la liaison transmanche, une société en participation de droit français et un partenership de droit anglais ayant été mis en place entre les deux sociétés holding (Eurotunnel SA et Eurotunnel PLC) et leurs deux filiales respectives, concessionnaires, un conseil commun ayant été constitué auquel les deux sociétés holding ont délégué 'tous pouvoirs relatifs à la stratégie, à l’administration et à la direction du partnership et de la société en participation et à la gestion de son activité', le chapitre I du Règlement intérieur du conseil commun précisant : 'il n’existe sur le plan opérationnel qu’une seule organisation',

— qu’après une période de coprésidence, et à compter de l’année 2005, ce conseil commun a été présidé par une seule personne, de nationalité française, M. F X, également directeur général du groupe Eurotunnel, et que les mêmes personnes, toutes de nationalité française, composaient à l’identique le conseil commun et les organes collégiaux de direction des sociétés holding (Eurotunnel SA et Eurotunnel PLC) et des sociétés concessionnaires (The Channel Tunnel Group et France Manche SA),

— que ce conseil commun se réunissait quasiment exclusivement Paris où M. X exerçait ses fonctions,

— que la gestion courante du groupe, en ce compris l’ensemble de ses filiales, était assurée par un comité exécutif ayant autorité sur toutes les directions opérationnelles du groupe, toutes dirigées par un Français depuis Paris.

Il résultait de cette organisation centralisée du groupe Eurotunnel, s’agissant de la société Eurotunnel Plc à la date d’ouverture de la procédure de sauvegarde, que le président de son conseil d’administration était français comme l’ensemble des autres membres de son conseil d’administration, qu’elle ne disposait d’aucune autonomie de gestion ni d’aucune autonomie financière, que l’ensemble des décisions la concernant étaient prises à Paris, où se trouvaient regroupés la direction financière, les services de comptabilité et de consolidation des comptes ainsi que la 'gestion des tiers’ (clients, fournisseurs, comptes bancaires).

Il résulte d’une telle situation que le centre des intérêts principaux de la société Eurotunnel Plc se situait en France.

Les sociétés appelantes soutiennent encore que cette organisation interne leur était inconnue et qu’elle ne saurait leur être opposée, la localisation du centre des intérêts principaux ailleurs que dans l’Etat d’établissement du siège social devant être vérifiable par des tiers.

Il sera rappelé que la localisation du centre des intérêts principaux s’apprécie à la date du jugement d’ouverture.

Il est établi par les pièces versées aux débats :

— que le très haut niveau d’intégration des sociétés du groupe, placées sous l’autorité d’un conseil commun unique et d’un comité exécutif unique, constituait une donnée publique, régulièrement rappelée dans les rapports annuels d’activité d’Eurotunnel,

— que face aux difficultés liées à l’endettement du groupe, et aux restructurations que cet endettement imposait, le centre de gravité de l’organisation, initialement conçue comme bi-nationale (franco-anglaise) s’est, à compter de l’année 2004, déplacé vers la France, et singulièrement à Paris, où se sont trouvés réunis à la fois les centres décisionnels et stratégiques mais aussi toutes les directions opérationnelles, intégrées, des sociétés du groupe,

— que dès l’année 1996, le tribunal de commerce de Paris avait désigné des mandataires ad hoc en vue de faciliter les discussions du groupe Eurotunnel avec les créanciers, les sociétés têtes du groupe, les sociétés concessionnaires et les sociétés portant la dette étant toutes concernées par cette procédure,

— qu’un nouveau mandataire ad hoc a été désigné par le tribunal de commerce de Paris en 2004 en vue de faciliter l’élaboration d’un plan de restructuration, dénommé 'Dare', pour le compte de l’ensemble des sociétés du groupe,

— que les sociétés appelantes, créancières de dette subordonnée dont toutes les sociétés du groupe Eurotunnel était les garantes, ont participé directement ou indirectement aux discussions ainsi ouvertes à Paris, lesquelles ont au demeurant fait l’objet d’une très large médiatisation tant dans la presse généraliste que spécialisée.

Il résulte de l’ensemble de ces faits qu’à la date d’ouverture de la procédure de sauvegarde à l’égard de la société Eurotunnel Plc, le déplacement du centre de ses intérêts depuis son siège statutaire dans le Kent à Paris était notoire depuis plusieurs années, vérifiable par les tiers et 'prévisible’ au sens de la législation européenne.

La localisation à Paris du centre des intérêts principaux de la société Eurotunnel Plc, différente de son siège statutaire dans le Kent, est dès lors établie et c’est par une juste application des dispositions du règlement 1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité que le tribunal de commerce de Paris a retenu sa compétence.

Aussi, le jugement déféré sera-t-il confirmé en toutes ses dispositions.

5. Sur la contestation au fond de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde

Les sociétés Elliott International contestent, subsidiairement, en appel, l’ouverture d’une procédure de sauvegarde à l’égard de la société Eurotunnel Plc, en soutenant que les conditions prévues par l’article L 610-1 du code de commerce n’étaient pas réunies à cet égard.

Mais c’est à juste titre que les sociétés intimées concluent à l’irrecevabilité de ce moyen, la voie de recours extraordinaire que constitue la tierce opposition n’ayant été ouverte aux sociétés Elliott International qu’en raison de leurs qualités de créanciers domiciliés dans un Etat membre autre que celui de la juridiction ayant ouvert la procédure principale d’insolvabilité et aux seules fins de leur permettre de contester la compétence assumée par cette juridiction.

Aussi, le moyen tiré de la méconnaissance des conditions légales d’ouverture d’une procédure de sauvegarde est-il irrecevable par application des dispositions de l’article 583, alinéa 2, du code de procédure civile.

6. Sur les autres demandes

La tierce opposition des sociétés Elliott International ayant été déclarée recevable, la société Groupe Eurotunnel SA sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive, laquelle est insuffisamment caractérisée.

Des considérations d’équité conduiront à condamner in solidum les sociétés Elliott International LP, XXX et XXX à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :

— une somme de 10 000 euros à la société Groupe Eurotunnel SA, venant aux droits de la société Eurotunnel Plc,

— une somme de 10 000 euros à la Selafa Z, ès qualités,

— une somme de 5 000 euros à AE M H et B Y, chacun en sa qualité, et les deux pris ensemble.

PAR CES MOTIFS

Statuant dans les limites de l’arrêt de renvoi après cassation partielle,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Déclare irrecevable au soutien de la tierce opposition le moyen tiré de la méconnaissance des conditions légales d’ouverture d’une procédure de sauvegarde,

Déboute la société Groupe Eurotunnel SA, venant aux droits de la société TNU Plc, anciennement dénommée Eurotunnel Plc, de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamne in solidum les sociétés Elliott International LP, XXX et XXX à payer, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :

— une somme de 10 000 euros à la société Groupe Eurotunnel SA,

— une somme de 10 000 euros à la Selafa Z, ès qualités,

— une somme de 5 000 euros à AE M H et B Y, chacun en sa qualité, et les deux pris ensemble.

Condamne les sociétés Elliott International LP, XXX et XXX aux dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 26 juin 2012, n° 09/29110