Cour d'appel de Paris, 17 septembre 2015, n° 13/02437

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, 17 sept. 2015, n° 13/02437
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 13/02437
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Paris, 4 avril 2012, N° 10/11001

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRÊT DU 17 septembre 2015

(n° 360 , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S 13/02437

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Avril 2012 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS section activités diverses RG n° 10/11001

APPELANTE

SA OGF

XXX

XXX

représentée par Me Olivier KHATCHIKIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0619

INTIMEE

Madame B A

XXX

XXX

comparante en personne

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 Mai 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine MÉTADIEU, Présidente de chambre

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, lors des débats

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile

— signé par Madame Catherine MÉTADIEU, présidente et par Madame Véronique FRADIN-BESSERMAN, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire

Exposé du litige :

B A a été engagée par la Sa Ogf, en qualité de téléopératrice, selon des contrats de travail d’intérim en mai 2006 puis selon un contrat de travail à durée indéterminée en date du 21 juillet 2006.

La relation de travail est régie par la convention collective des pompes funèbres.

B A a été convoquée le 18 février 2010, pour le 26 février suivant à un entretien préalable à un éventuel licenciement et une mise à pied à titre conservatoire.

Elle a reçu notification de son licenciement pour faute grave par lettre recommandée datée du 12 mars 2010.

Estimant avoir été victime de harcèlement moral, B A a le 13 août 2010, saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin de voir prononcer à titre principal la nullité de son licenciement.

A titre subsidiaire, elle en a contesté le bien fondé.

Par jugement en date du 5 avril 2012, le conseil de prud’hommes a :

— jugé nul et de nul effet le licenciement

— constaté le refus de réintégration

— condamné la Sa Ogf à verser à B A les sommes de :

' 35 439,59 € de salaire depuis le licenciement au 2 janvier 2012,

' 3 543,95 € de congés payés afférents,

' 3 125,54 € d’indemnité compensatrice de préavis,

' 312,55 € de congés payés afférents,

' 1 250,22 € d’indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation

' 9 376,62 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

avec intérêts au taux légal à compter

— débouté B A du surplus de ses demandes

— débouté la Sa Ogf de sa demande reconventionnelle.

La Sa Ogf a relevé appel de cette décision dont elle sollicite l’infirmation.

Elle conclut au débouté de B A et à sa condamnation au paiement de la somme de 3 000 e en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

B A demande à la cour de confirmer le jugement déféré et par conséquent, à titre principal :

— annuler son licenciement

Par conséquent

A titre principal,

— condamner la Sa Ogf à lui payer la somme de 26 567,09 e correspondant à l’intégralité des salaires dus depuis la rupture jusqu’à sa réintégration effective arrêtée au 12 août 2011 ainsi que les congés payés afférents

A titre subsidiaire,

— dire son licenciement dépourvu de toute faute grave et de toute cause réelle et sérieuse

— condamner la Sa Ogf à lui payer les sommes de :

' 3 125,54 € d’indemnité compensatrice de préavis,

' 312,55 € de congés payés afférents,

' 1 250,22 € d’indemnité de licenciement,

' 20 000 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

' 10 000 € à titre de dommages-intérêts,

— assortir les condamnations de l’intérêt au taux légal avec capitalisation à compter de la saisine du conseil de prud’hommes

— ordonner la remise des bulletins de paye, d’un certificat de travail et d’une attestation destinée au Pôle emploi sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter de la date du prononcé du jugement.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l’exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l’audience, visées par le greffier et soutenues oralement.

Motivation :

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail.

L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la Sa Ogf reproche à B A :

— ses constants refus d’autorité

— la mise en place organisée d’un climat de terreur et de déstabilisation par l’oeuvre de la médisance, de l’insulte, du mensonge et de la manipulation,

— l’agression verbale et publique du directeur des ressources humaines du groupe Ogf.

B A invoque des faits de harcèlement moral de la part de la Sa Ogf et estime que son licenciement est dès lors nul.

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l’article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments de prouver, que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, B A invoque les faits suivants :

— elle a été déqualifiée et la Sa Ogf a fait un usage inapproprié de son pouvoir de direction,

— le comportement de K Z : sa mauvaise humeur, son caractère lunatique, hautain, méprisant et rancunier, ses sautes d’humeur, ambiance malsaine, pratiques perverses,

— elle a développé un syndrome dépressif réactionnel nécessitant un traitement par antidépresseur et anxiolytique,

— la direction parfaitement informé des agissements de K Z a préféré faire des exemples en sanctionnant les salariés meneurs de la contestation et a par ailleurs minimisé les faits.

Pour étayer ses affirmations, B A produit notamment

— une lettre en date du 21 octobre 2009 adressée à l’employeur aux termes de laquelle elle dénonce de manière explicite le comportement de K Z,

— un courrier daté du 19 septembre 2009 à l’intention de la direction rédigé par une de ses collègues, K Dias Teixera, faisant état du caractère lunatique de sa responsable,

— une lettre de Leïla Laceb du 25 septembre 2009, signalant 'un manque de communication significative avec Melle D.',

— Ihsan Kabli relate avoir vu K Z 'balancer les documents sur le bureau de B',

— Malika Boulhcen déclare : '… Je me permets d’intervenir en tant que témoin car à ce jour Melle A B va très mal moralement ce qui est en partie le fait de sa hiérarchie M. C et Melle Z qui elle n’a loupé aucune occasion de la rabaisser, humilier et même narguer Melle A’ et indique avoir été choquée par l’annonce lors d’une réunion de la promotion d’une autre salariée aux fonctions de chef de groupe, sans avoir prévenu auparavant B A de ce que finalement ce n’était pas elle qui était retenue comme on le lui avait laisser entendre,

— Zinedine Belaîdi a, quant lui, constaté que B A avait 'un comportement assez sec vis à vis de B A',

— un certificat médical en date du 4 mars 2010, de son médecin traitant qui précise : 'Elle présente en effet un syndrome dépressif (stress professionnel) nécessitant jusqu’à ce jour un traitement approprié par antidépresseur et anxiolytique et mon écoute pour son soutien moral’ ainsi que la lettre suivante du professeur J-C Piette destinée au médecin du travail (27 février 2010) :

'Je suis depuis près de vingt ans Mademoiselle B A .. en raison d’un lupus systémique qui était remarquablement bien contrôlé toutes ces dernières années. La survenue d’un réchauffement articulaire marqué, au cours des derniers mois, est probablement lié à l’atmosphère tendue rencontrée au travail'.

B A établit l’existence de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

L’employeur fait valoir que B A qui exerçait ses fonctions au sein du centre d’appels 'prévoyance funéraire', sous la responsabilité d’un chef de groupe, d’une responsable de centre d’appel, K Z, et du directeur du service rapatriements et du centre d’appels et des exécutions des contrats, E C, n’a pas accepté le recrutement interne de Leïla Laleb aux fonctions de chef de poste, qu’elle en a conçu une amertume très forte et a mis en place une entreprise de déstabilisation systématique de ses supérieures hiérarchiques, notamment de K Z, sur qui sa rancoeur s’est cristallisée, qu’elle a tenté de coaliser à cette fin Mesdames Boulhcen, Teixeira, Nitoo.

La Sa Ogf indique ne pas être restée inactive, avoir répondu aux lettres de B A, l’avoir rencontrée notamment le 30 octobre 2009, dans le cadre d’un entretien préalable à l’issue duquel elle a renoncé à la sanctionner pour ses manquements aux règles internes de l’entreprise (retards, appels personnels perturbant le bon fonctionnement du service, refus de l’autorité de K Z) et enfin avoir saisi le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

La Sa Ogf produit :

— une lettre en date du 16 novembre 2009 de K Z dénonçant le comportement de B A qui ne répondait pas à son bonjour, ne prévenait pas en cas de retard or pour la prise de ses pauses, était agressive à la moindre remarque, oubliait de venir travailler, et se disant 'touchée par ces reproches non fondés et consternés par ces écrits qui n’ont qu’un but celui de nuire alors que M. C et moi-même avons toujours ménagé B A plus que d’autres collaborateurs',

— le témoignage d’Awaitif Touhiri qui a vu B A taper de rage du pied dans les tiroirs de son bureau et jeter sa pomme contre le mur, car elle était mécontente que M X ne lui ait pas parlé alors qu’il attendait son café à la machine, ce que confirme Madame Y,

— une attestation de Mirande Agnamey, téléopératrice, qui fait état de la dégradation de l’ambiance et de l’atmosphère au centre d’appel Ogf du fait de B A, K Teixera, Nitoo Balgobin, Malika Boulhcen et décrit ces dernières comme un’quatuor qui visiblement prenait plaisir à harceler moralement K Z en lui manquant totalement de respect', et qui ajoute avoir elle-même subi des insultes pour avoir refusé de participer à la cabale, son compagnon attestant de ce que cette dernière a connu un épisode dépressif aigu pendant six mois (insomnies, crises de larmes) envisageant même de donner sa démission,

— une attestation de Soraya Benamar qui évoque l’atmosphère 'infecte’ au centre d’appel, 'principalement due à la présence de B A’ décrite comme impolie (ni bonjour ni merci), faisant l’opposé des consignes qui lui étaient données, cela dans le simple but de la déstabiliser et d’engager une situation de conflit, tenant des 'propos des plus dégradants envers Mlle Z’ 'ce n’est qu’une pute…', et précise avoir également 'subi une pression et un harcèlement psychologique terrible de la part de B et K Teixera',

— le témoignage du père de K Z qui indique n’avoir jamais vu sa fille dans un tel état de stress, et du compagnon de cette dernière qui constatait qu’elle rentrait en pleurs du travail, et ajoute que depuis le départ de B A de Nitoo Balgobin et Malika Boulhcen l’état de santé de sa fille s’est beaucoup amélioré,

— un certificat médical du médecin de K Z certifiant qu’elle présentait, à la date du 12 février 2012, 'un état dépressif assez sévère …' qui a nécessité 'un traitement médical avec une psychothérapie et possiblement un arrêt maladie si nécessaire',

— le procès verbal de la réunion du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail en date du 4 novembre 2009 ayant décidé d’annuler le droit d’alerte 'concernant les centres d’appel’ et de 'le requalifier’ en mission avec désignation de trois membres.

Il résulte notamment des témoignages versés aux débats par la Sa Ogf, notamment des collègues exerçant des fonctions de même nature et niveau hiérarchique que B A, que les faits matériellement établis par cette dernière, notamment par des témoignages de collègues toutes en conflit avec la Sa Ogf, sont sans lien avec des agissements de harcèlement moral mais qu’ils sont la conséquence d’une crispation des relations de la salariée avec sa hiérarchie à la suite de sa déception de ne pas être nommée chef de groupe comme elle l’espérait, ce qui a conduit à la dégradation de ses relations non seulement avec ses supérieurs directs mais aussi avec ses collègues qui ne la soutenaient, et ont particulièrement souffert de la détérioration de leurs conditions de travail.

Le harcèlement moral n’est pas établi.

Le jugement est infirmé en ce qu’il a alloué à B A des dommages-intérêts à ce titre.

Il convient concernant les faits reprochés à B A, dans la lettre de licenciement de se reporter aux témoignages ci-dessus analysés, versés aux débats par l’employeur, établissant que cette dernière a eu un comportement agressif à l’encontre de M. X, et qu’elle a crée un climat de travail ayant perturbé ses collègues de travail notamment en exerçant sur les certaines d’entre elle (Mesdames Agnamey et Benamar) des pressions ou proférant des insultes.

Ces faits s’ils sont constitutifs d’une cause réelle et sérieuse de licenciement en ce qu’ils ont eu pour effet d’instaurer un climat ayant affecté la santé de certains salariés de la société, ne justifiaient toutefois pas la cessation immédiate du contrat de travail.

Il convient par conséquent d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que le licenciement ne reposait pas sur une faute grave, de dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, et donc de confirmer le jugement que du seul chef des condamnations prononcées au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ainsi que de l’indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants ont été exactement appréciés par le conseil de prud’hommes.

Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile :

L’équité ne commande pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire publiquement ;

Infirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne les indemnités de rupture

Statuant à nouveau

Dit le licenciement de B A fondé par une cause réelle et sérieuse

Condamne la Sa Ogf à payer à B A les sommes de :

—  3 125,54 € d’indemnité compensatrice de préavis,

—  312,55 € de congés payés afférents,

—  1 250,22 € d’indemnité de licenciement,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile

Condamne la Sa Ogf aux entiers dépens.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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