Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 9, 16 mai 2019, n° 16/04154

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 9, 16 mai 2019, n° 16/04154
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 16/04154
Décision précédente : Tribunal d'instance de Paris, 4 janvier 2016, N° 11-15-000585
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 9

ARRÊT DU 16 MAI 2019

(n° , 2 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 16/04154 – N° Portalis 35L7-V-B7A-BYEHF

Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 Janvier 2016 – Tribunal d’Instance de PARIS (20e) – RG n° 11-15-000585

APPELANTE

Madame Y X

née le […] à […]

[…]

[…]

Représentée par Me Laurence GAUVENET, avocat au barreau de PARIS, toque : C1430

Substituée à l’audience par Me Nina DELAFRAYE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1430

INTIMÉE

SARL KELBONGOO

N° SIRET : 792 509 598 00019

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me Sylvain DUBOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : J145

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 mars 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe DAVID, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe DAVID, Président

Mme Fabienne TROUILLER, Conseiller

Mme Agnès BISCH, Conseiller

Greffier, lors des débats : Mme Z A

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par M. Philippe DAVID, Président et par Mme Z A, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 1er juillet 1993, Mme X B locataire d’un appartement au premier étage d’un immeuble sis […] dans le 20e arrondissement de PARIS.

Vingt ans plus tard, la SARL KELBONGOO prenait à bail un local commercial en dessous de chez elle, dans le cadre de son activité principale de vente de fruits et légumes biologiques.

Mme X se plaignait alors de nuisances sonores insupportables et excédant manifestement les troubles normaux du voisinage, en provenance de la chambre froide de la SARL KELBONGOO localisée juste au-dessous de sa chambre à coucher et compte tenu des déplacements incessants de chariots jusqu’à 22h. Ces nuisances étaient dûment constatées par un inspecteur de salubrité.

Le 22 mai 2014, la société PARIS HABITAT OPH, bailleur des deux parties, vers lequel elle s’était tournée du fait de l’échec de ses tentatives de résolution amiable du conflit, adressait à la SARL KELBONGOO une mise en demeure aux fins de la voir se conformer aux dispositions des articles R. 1334-30 à 1334-37 du code de la santé publique.

Le 8 avril 2015, une lettre de mise en demeure était adressée par Mme X à la SARL KELBONGOO et restait sans réponse.

Par acte d’huissier de justice en date du 17 juin 2015, Mme X assignait la SARL KELBONGOO devant le tribunal d’instance du 20e arrondissement de PARIS, aux fins de voir’sous le bénéfice de l’exécution provisoire,'la réalisation de travaux d’insonorisation mettant un terme aux nuisances sonores, sous astreinte de 50 euros par jours de retard à compter de la signification du jugement à intervenir et lui payer les sommes de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi et la somme de 1 000 euros à titre des frais irrépétibles.

Mme X faisait valoir que le préjudice moral subi depuis plus de deux ans, en sa qualité de retraitée et de personne handicapée passant la plupart de ses journées chez elle. Elle soutenait que par la faute de la SARL KELBONGOO, elle était victime d’insomnies, d’une dépression nerveuse chronique, de troubles d’anxiété et de l’humeur, ainsi que de troubles de l’audition tels que des acouphènes et une fatigue auditive, et ce au point de voir sa santé fragilisée et de devoir désormais être placée sous assistance respiratoire.

Par courrier en date du 18 juillet 2015, l’intervention amiable d’un expert en acoustique était proposée à Mme X par la SARL KELBONGOO, afin de s’assurer de la suffisance des travaux réalisés pour garantir la tranquillité de la locataire.

Mme X refusait cette proposition, préférant avoir recours à un expert judiciaire désigné par le tribunal.

Mme X sollicitait, à l’audience du 15 septembre 2015, le bénéfice de son assignation et rappelait que les troubles anormaux du voisinage avaient été constatés à trois reprises, qu’elle passait son temps chez elle et que l’immeuble n’était pas conçu pour accueillir des locaux commerciaux tels que celui loué par la SARL KELBONGOO.

Elle soutenait que les attestations produites par la défenderesse n’étaient pas probantes en ce que les personnes qui indiquaient ne pas subir de nuisances habitent soit côté rue, soit au troisième étage de l’immeuble.

Mme X affirmait que le tribunal était compétent pour statuer sur le présent litige et réduisait ses prétentions au titre des dommages et intérêts à la somme de 9 000 euros.

La SARL KELBONGOO soulevait avant tout débat au fond l’incompétence du tribunal d’instance compte tenu du montant de la demande de dommages et intérêts cumulé à la demande d’astreinte et sollicitait la compétence du tribunal de grande instance.

Sur le fond, la société soulignait que l’immeuble est très mal insonorisé, et indiquait avoir fait réaliser de nombreux travaux lorsqu’elle avait eu connaissance de troubles du voisinage. La défenderesse précisait que le « groupe froid » avait été installé le 27 mars 2014 puis déplacé, isolé à trois reprises et désolidarisé aux mois de juin 2014, septembre 2014, février 2015 et juin 2015, pour tenir compte des récriminations de Mme X.

A titre reconventionnel, la SARL KELBONGOO sollicitait la condamnation de Mme X à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens.

La SARL KELBONGOO soutenait qu’aucun trouble anormal du voisinage n’avait été signalé par d’autres voisins.

Par jugement contradictoire en date du 5 janvier 2016, le tribunal d’instance du 20e arrondissement de Paris :

— constatait la compétence du tribunal d’instance pour connaître du litige,

— déboutait Mme X de l’ensemble de ses demandes,

— condamnait Mme X à payer à la SARL KELBONGOO la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

— ordonnait l’exécution provisoire,

— rejetait les demandes pour le surplus.

Le tribunal retenait que le fait pour Mme X de réduire ses prétentions était inopérant, la compétence du tribunal étant déterminée au moment de sa saisine, soit à hauteur en l’espèce de 10 000 euros et que l’astreinte consistant en une mesure de contrainte accessoire à une demande destinée à en garantir l’exécution ne venant ainsi pas modifier le calcul du taux de ressort, de sorte que le tribunal d’instance était compétent.

Le tribunal relevait qu’aucun trouble anormal du voisinage n’avait été signalé par d’autres voisins, ni constaté par l’occupant d’un local jouxtant le local commercial litigieux, de sorte que la preuve du trouble n’était pas rapportée par Mme X qui n’établissait pas suffisamment que les

nuisances avaient excédé les troubles normaux du voisinage.

Le tribunal retenait l’absence de démonstration d’un lien de causalité directe entre les nuisances alléguées par Mme X et les troubles de santé mis en avant dont la nature et l’ampleur n’étaient pas davantage établies, de sorte que la demande en dommages et intérêts de Mme X était rejetée par le tribunal.

Par déclaration en date du 16 février 2016, Mme X interjetait appel de la décision.

Par procès-verbal d’huissier de justice en date du 1er avril 2016, Mme X faisait constater la pérennité des nuisances sonores dans son appartement, dont des bruits de roulement sur le sol du rez-de-chaussée dans son séjour et le ronflement d’un appareil du rez-de-chaussée dans sa chambre à coucher.

Mme X saisissait le premier président de la cour d’appel de Paris d’une demande d’arrêt de l’exécution provisoire au visa de l’article 524 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 18 octobre 2016, le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris rejetait cette demande en considérant que Mme X était financièrement en mesure de régler les 1 500 euros auxquels elle avait été condamnée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions au fond signifiées le 2 mai 2016, Mme X demande à la cour :

— de la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

— l’infirmation du jugement rendu par le tribunal d’instance du 20e arrondissement de Paris du 5 janvier 2016,

— la condamnation de la SARL KELBONGOO à réaliser les travaux d’insonorisation complémentaires afin de mettre un terme aux nuisances sonores constitutives d’un trouble anormal du voisinage, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de l’arrêt à intervenir,

— la condamnation de la SARL KELBONGOO à payer la somme de 10 000 euros à Mme X en réparation de son préjudice moral subi,

— la condamnation de la SARL KELBONGOO au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, Mme X fait valoir que deux procès-verbaux dressés par un inspecteur de salubrité attestent de l’existence de nuisances sonores émanant de la chambre froide de la société intimée. L’appelante produit le résultat d’un contrôle effectué le 10 avril 2014, entre 22h et 22h30 qui relève un bruit résiduel de 6 décibels et un contrôle effectué le 6 novembre 2014 entre 23h et 23h30 qui relève un bruit résiduel de 9 décibels prouvant ainsi que la chambre froide génère de réelles nuisances sonores. L’émergence globale était alors de 8.5 décibels, pour une émergence tolérée de 3 décibels en période nocturne et de 5 décibels en période diurne. Le rapport issu de ces mesures conclut à l’insuffisance des travaux d’insonorisation réalisés par l’intimée. L’appelante affirme que les contrôles, dont la durée des bruits constatés figure au rapport, ont été réalisés à quatre reprises, des jours de semaine différents et à des périodes de l’année différentes, afin d’établir le plus sincèrement possible la réalité des troubles, cette méthode ne violant en aucun cas les dispositions de l’article 5.4 de la norme AFNOR qui, contrairement à ce qui est soutenu par l’intimée, n’impose aucunement de mesurer le bruit résiduel le même jour de le bruit ambiant.

L’appelante fait valoir que le groupe froid est une machine qui doit nécessairement fonctionner et fonctionne donc en l’espèce sans interruption pour maintenir une température de 3°C, contrairement à ce qu’affirme la SARL KELBONGOO qui prétend qu’il est la plupart du temps hors de fonctionnement.

Mme X produit le procès-verbal du 1er avril susmentionné aux fins de démontrer que la SARL KELBONGOO n’a aucunement cherché à prendre en considération sa situation sédentaire. Elle produit également une pièce tendant à prouver la démission d’une aide à la personne qui ne supportait pas les bruits de moteurs et de chariots permanents. Mme X se fonde sur la réalisation par la SARL KEBONGOO de travaux d’insonorisation pour démontrer la réalité des troubles sonores et soutient que ceux-ci demeurent.

Concernant son préjudice moral et financier, Mme X fait valoir qu’elle souffre de divers maux imputables à l’exposition aux nuisances sonores, qu’elle est actuellement sous antidépresseurs et sous anxiolytiques, sa tranquillité étant depuis près de trois ans troublée par les troubles dont la SARL KELBONGOO est à l’origine. Mme X réclame en conséquence la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Dans ses conclusions dernières conclusions au fond signifiées le 7 juillet 2016, la SARL KELBONGOO demande à la cour :

— à titre principal, de constater que la SARL KELBONGOO n’a commis aucun trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage et d’en conséquence, débouter Mme X de l’ensemble de ses demandes,

— à titre subsidiaire, de constater que Mme X ne justifie aucun préjudice et d’en conséquence la débouter de l’ensemble de ses demandes,

— en tout état de cause, la condamnation de Mme X à payer à la société KELBONGOO la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la SARL KELBONGOO fait valoir que des travaux destinés à réduire les bruits du commerce ont été réalisés en 2014 au moment de l’aménagement, et notamment l’acquisition d’un groupe froid haut de gamme conçu spécifiquement pour répondre aux problèmes acoustiques en milieu urbain, puis pour répondre aux demandes de Mme X, notamment le déplacement du groupe froid dans un couloir sans fenêtre pour éviter toute remontée de bruit par la cour de l’immeuble moyennant un prix de 1 906,08 euros ou le 19 juin 2014, le coffrage du groupe froid pour un montant de 377,16 euros et 60 euros de pose.

L’intimée fait valoir que Mme X, en refusant la proposition d’intervention d’un expert acoustique au profit d’un expert judiciaire démontre sa mauvaise foi, en ce qu’elle a empêché la SARL KELBONGOO de faire la preuve de l’absence de nuisances sonores et alors même que la plainte qu’elle avait déposé à ce sujet avait été classée sans suite.

L’intimée relève que de nombreuses informations obligatoires sont absentes des rapports de mesurage sonore les rendant non probants.

La SARL KELBONGOO affirme que le groupe froid est relié à un thermostat qui contrôle sa température lui permettant de ne pas être en fonctionnement en continu, la machine étant le plus souvent éteinte la nuit où la température est moins susceptible de varier.

L’intimée affirme que le bruit produit par le commerce n’excède pas le trouble normal de voisinage et conteste la demande en dommages et intérêts de l’appelante qui ne justifie pas de son calcul de l’indemnité demandée de 10 000 euros et ne rapporte pas la preuve d’un préjudice.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 15 janvier 2019.

SUR CE,

1- Par acte sous seing privé en date du 15 octobre 2013, la société KELBONGOO avait acquis le droit au bail du local situé au rez-de-chaussée de l’immeuble ainsi que l’ensemble des aménagements, en ce compris une chambre froide.

En vue de la réalisation de travaux d’aménagement du local, les gérants de la société KELBONGOO se sont rapprochés de l’agence d’architectes LALM qui a rendu son projet le 31 janvier 2014.

Les travaux d’aménagement ont donc nécessairement été réalisés postérieurement à cette date.

L’activité de la société KELBONGOO nécessitant de conserver des denrées alimentaires au frais, la société KELBONGOO a fait l’acquisition d’un groupe de condensation frigorifique et le 27 mars 2014, la société KELBONGOO a fait installer le modèle SILENSYS, groupe froid haut de gamme pour un montant de 6 600 euros.

Suite à l’installation du groupe froid, Mme X s’est plainte de remontées de bruit par la fenêtre donnant sur la cour de l’immeuble. La société KELBONGOO a alors fait déplacer le groupe froid dans un couloir sans fenêtre, pour éviter toute remontée de bruit par la cour de l’immeuble moyennant un prix de 1 906,80 euros.

Après avoir reconnu une nette amélioration de la situation, Mme X s’est plainte de ce que le groupe froid de la chambre froide lui causait de fortes nuisances.

Le 19 juin 2014, la société KELBONGOO a donc fait coffrer le groupe froid avec des plaques d’isolation MERFOCOM, lesquelles sont habituellement utilisées pour l’insonorisation des moteurs de bateaux pour un montant de 377,16 euros et 60 euros de pose.

Mme X a cependant déposé une plainte auprès de la préfecture de police de Paris et un inspecteur de la salubrité de la Préfecture de police s’est rendu sur place pour effectuer des mesures entre 22h et 22h30. Les mesures relevées dans son rapport en date du 23 juillet 2014 révèlent que le niveau de bruit ressenti chez Mme X est extrêmement faible puisque l’émergence globale s’établie à 3,5 dB alors que le seuil réglementaire est de 3 dB et que la marge d’erreur lors de mesures de ce type est d’au moins un demi dB.

Dès le mois de septembre 2014, la société KELBONGOO a réagi en faisant procéder à l’isolation acoustique des tuyaux du groupe froid pour un montant de 175,30 euros.

Le 12 novembre 2014, l’inspecteur de la salubrité de la préfecture de police a remis un nouveau rapport suite à une deuxième visite sur place. Celui-ci fait état d’une émergence globale de 8,5 dB mais précise que les gérants de la société KELBONGOO « ont effectué des travaux d’insonorisation en isolant les canalisations mais visiblement cela a amplifié les nuisances sonores. Il y a donc lieu d’accorder un délai supplémentaire car les cogérants sont de bonne volonté et sont prêts à faire le nécessaire ».

La société KELBONGOO a dès lors contesté les mesurages de la préfecture de police par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 septembre 2015.

Au mois de février 2015, la société KELBONGOO a alors fait procéder à de nouveaux travaux pour

réduire le bruit, le tout pour un montant de 390,45 euros :

— Désolidarisation du groupe froid de la chambre froide afin de faire reposer le moteur et le ventilateur sur une traverse elle-même reposant sur des montants au sol, avec silent blocks en dessous pour éviter les vibrations ;

— Désolidarisation du coffrage du groupe froid de la colonne attenante pour éviter les vibrations.

Le 17 février 2016, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a classé sans suite la plainte de Mme X au motif que « la régularisation de la situation est intervenue ».

Le 26 juin 2015, l’inspecteur de la salubrité de la Préfecture de police a procédé à une troisième mesure constatant une émergence globale de seulement 3,5 dB en période nocturne.

Aussitôt la société KELBONGOO a fait réaliser de nouveaux travaux :

— Pose de mousse d’isolation phonique sur les tuyaux du groupe froid ;

— Pose de mousse et de plaques anti vibration sur le coffrage du groupe froid.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 18 juillet 2015, la société KELBONGOO a écrit à Mme X afin de lui proposer qu’un acousticien vienne réaliser une étude complète de l’impact sonore des équipements, afin de constater l’absence de nuisances, un sonomètre devant être installé chez elle pendant 24 heures.

Par lettre recommandée du 25 juillet 2015, Mme X indiquait être absente au mois d’août et repoussait la proposition de la société KELBONGOO, dont l’objet était pourtant de permettre une résolution amiable de la procédure judiciaire dont elle est à l’origine.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 25 août 2015, la société KELBONGOO écrivait à nouveau à Mme X pour lui proposer un rendez-vous avec l’acousticien au mois de septembre.

2- Au soutien de ses demandes, Mme X indique subir des nuisances sonores constitutives d’un trouble anormal de voisinage depuis l’installation de la société KELBONGOO dans les locaux situés au rez-de-chaussée de l’immeuble dont elle est également locataire.

Cette dernière s’appuie sur des relevés réalisés par la préfecture de police qui sont contestés par la société KELBONGOO.

Ainsi, les comptes-rendus de mesures de la préfecture de police mentionnent que la norme AFNOR S 31-010 fait partie des textes applicables lors des mesurages, norme qui précise les méthodes de mesurage permettant d’apprécier si un bruit est susceptible de causer une gêne.

A cet égard, l’intimée relève que le bruit résiduel n’a cependant pas été mesuré le même jour que le bruit ambiant alors que selon la norme AFNOR, le niveau de bruit doit être évalué en comparant le niveau du bruit ambiant (équipements en fonctionnement) avec le niveau du bruit résiduel (tous équipements à l’arrêt).

En effet, il ressort des rapports de mesurage que le bruit résiduel a été mesuré une fois le 10 juillet 2014 et que le résultat obtenu ce jour-là a ensuite été utilisé comme point de comparaison pour les études réalisées les 6 novembre 2014 et 17 avril 2015.

En outre, la norme AFNOR prévoit en son article 7 les informations que le rapport de mesurage doit obligatoirement contenir :

— l’objet des mesurages ;

— la méthode utilisée (contrôle ou expertise) ;

— pour chacun des éléments de la chaîne : nature, marque, type, numéro de série ;

— la durée du (des) bruit(s) particulier(s) ainsi que celle de l’intervalle d’observation et, le cas

échéant, celle des intervalles de mesurage ;

— le moment de la journée où le(s) bruit(s) se manifeste(nt) et où les mesurages ont été effectués ;

— les emplacements de mesurage avec leur qualification (conventionnels ou spécifiques) ;

— le croquis des lieux (à main levée ou autres) :

— avec indication de l’emplacement de la source ;

— avec indication précise des emplacements de mesurage ;

— les conditions de fonctionnement de la (des) source(s) de bruit telles qu’elles ont pu être

appréhendées et notamment en cas de mesurages à l’extérieur, les conditions météorologiques régnant pendant les mesurages (voir 5.3 ou 6.4) ;

— la date à laquelle les mesurages ont été effectués et le nom de l’opérateur ;

— la date d’établissement du document et le nom du responsable des mesurages ;

— les niveaux de pression acoustique continus équivalents pondérés A, LAeq,T, relevés en

précisant les intervalles de temps associés ;

— la méthode d’auto-vérification utilisée, le cas échéant, le descriptif de la méthode utilisée si celle-ci est différente de celle de l’annexe A ;

— dans le cas de la méthode d’expertise, donner :

— une évaluation justifiée de la précision des mesurages selon les indications du 6.6.1 ;

— si possible une représentation graphique de séries de LAeq courts précisant les échelles sur les axes de coordonnées ainsi que la durée d’intégration (voir 6.5.1) ;

— le cas échéant, les indicateurs particuliers utilisés.

Le rapport de mesurage doit indiquer en outre les circonstances particulières et les incidents éventuels susceptibles d’avoir agi sur les résultats.

En l’espèce, le rapport de la préfecture de police ne contient aucune mention précisant que les mesurages ont été effectués conformément à la norme NF S 31-010 sans déroger à aucune de ses dispositions ;

— il ne précise pas la durée des bruits constatés ;

— il ne contient aucun croquis des lieux ;

— il ne fait état d’aucune auto-vérification (contrôle mis en 'uvre afin de vérifier le bon fonctionnement de la chaîne de mesure) ;

— il ne précise pas la méthode de mesurage utilisée.

La norme AFNOR prévoit en effet deux méthodes de mesurage :

— la méthode dite « de contrôle » ;

— la méthode dite « d’expertise ».

La méthode de contrôle a été conçue pour effectuer des mesures simplifiées et approximatives, à l’inverse de la méthode d’expertise qui permet une analyse plus fine. Or, le rapport ne précise nullement la méthode de mesurage mise en 'uvre.

Les mesures de la préfecture de police ne respectent donc pas les règles de base édictées par la norme AFNOR S 31-010.

L’ensemble de ces irrégularités affectent ainsi gravement les comptes-rendus de la préfecture de police qui ne peuvent par conséquent être regardés comme probants.

Au surplus, l’article R. 1334-33 du code de la santé publique dispose que :

« Les valeurs limites de l’émergence sont de 5 décibels A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 dB (A) en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s’ajoute un terme correctif en dB (A), fonction de la durée cumulée d’apparition du bruit particulier :

1° Six pour une durée inférieure ou égale à 1 minute, la durée de mesure du niveau de bruit ambiant étant étendue à 10 secondes lorsque la durée cumulée d’apparition du bruit particulier est inférieure à 10 secondes ;

2° Cinq pour une durée supérieure à 1 minute et inférieure ou égale à 5 minutes ;

3° Quatre pour une durée supérieure à 5 minutes et inférieure ou égale à 20 minutes ;

4° Trois pour une durée supérieure à 20 minutes et inférieure ou égale à 2 heures ;

5° Deux pour une durée supérieure à 2 heures et inférieure ou égale à 4 heures ;

6° Un pour une durée supérieure à 4 heures et inférieure ou égale à 8 heures ;

7° Zéro pour une durée supérieure à 8 heures. »

En l’espèce, le dernier rapport de la préfecture de police conclut de 3,5 dB(A) et n’applique aucun correctif en partant du postulat que la durée d’apparition du bruit est supérieure à 8 heures.

Toutefois, comme le fait justement observer la société KELBONGOO, le groupe froid n’est pas en fonctionnement de manière continue. Le groupe froid est relié à un thermostat qui régule sa température. Quand la température remonte, le thermostat met en marche le groupe pour produire du froid. Quand la température désirée est atteinte, le thermostat coupe l’alimentation du moteur.

En outre, la nuit, la température ambiante est plus basse et les portes de la chambre froide ne sont pas ouvertes. En conséquence, le groupe froid est le plus souvent éteint pendant cette période.

Ainsi, la durée d’apparition du bruit est nécessairement inférieure à huit heures, ce qui justifie un correctif.

3- Dans ces conditions, Mme X fait état de nuisances sonores causées par l’activité de la société KELBONGOO en se fondant sur des mesures totalement contestables et insuffisantes pour établir l’anormalité des nuisances qu’elle allègue.

Conformément à l’article 9 du code de procédure civile : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

Mme X a donc la charge de rapporter la preuve de l’anormalité des troubles qu’elle allègue.

Cependant, l’appelante ne rapporte pas la preuve de troubles excédant les troubles inhérents à toute activité commerciale exercée en bas d’immeuble.

Alors que la société KELBONGOO a déjà fortement renforcé l’isolation acoustique du groupe froid, Mme X reconnaît ainsi elle-même que les nuisances qu’elle prétend ressentir ne sont pas liées à l’activité de la société KELBONGOO mais à l’insuffisance de la qualité acoustique de l’immeuble.

Le responsable de l’amicale des locataires de l’immeuble atteste ainsi : « Je déclare ne pas être réveillé la nuit par des bruits sonores venant du magasin KELBONGOO. L’immeuble est très mal insonorisé, le moindre bruit est perceptible.

Les responsables de cette société ont toujours tenu compte des remarques des locataires de l’immeuble concernant les bruits nocturnes lors de l’installation du magasin. Les problèmes ont été réglés très vite (') »

En conséquence les troubles anormaux de voisinage invoqués par Mme X à l’encontre de la société KELBONGOO ne sont pas établis s’agissant du fonctionnement de la chambre froide.

4- Mme X mentionne également que le roulement des chariots utilisés lors des livraisons serait constitutif de troubles anormaux du voisinage.

Sur ce point, il doit être rappelé qu’en matière de troubles anormaux de voisinage, la sensibilité de la victime aux nuisances est appréciée par rapport à ce que devrait faire ou ressentir une personne « normale ».

A cet égard, Mme X indique dans ses conclusions être « retraitée, handicapée et sous assistance respiratoire 24h sur 24h » et passer « ses journées à son domicile ».

Cependant, cette circonstance ne constitue pas un élément permettant de caractériser un trouble anormal de voisinage, ni d’y voir une circonstance aggravante.

S’agissant de l’état de santé de Mme X, il ressort d’une des ordonnances que cette dernière verse aux débats que ses troubles psychiques sont antérieurs à l’installation de la société KELBONGOO dans les locaux du 18-20 rue Borrégo.

Ainsi, alors la société KELBONGOO a acquis le droit au bail de ses locaux le 15 octobre 2013 mais n’a ouvert sa boutique que 6 mois plus tard, la prescription d’antidépresseurs date du 6 novembre

2013.

Mme X ne peut donc soutenir que les bruits du groupe froid sont la cause de ses problèmes de santé.

Le procès-verbal de constat qui a été établi par un huissier de justice, à 17h30 qui ne correspond pas à une période nocturne, ne fait que constater l’exercice de l’activité normale de la société KELBONGOO. Il n’est donc aucunement probant.

Par ailleurs, les témoignages des salariés de Mme X ne peuvent être valablement retenus.

Il apparaît en outre que les livraisons n’ont lieu que deux jours par semaine.

Enfin, la société KELBONGOO justifie que les roulettes des chariots utilisés sont munies de bandage en caoutchouc pour éviter les bruits.

Dès lors, aucun trouble de voisinage n’est établi.

Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.

5- Mme X succombant en son appel sera condamnée en tous les dépens.

En outre, il paraît équitable d’allouer à la société KELBONGOO une somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe :

— Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

— Condamne Mme X à payer à la société KELBONGOO la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile par Maître Sylvain DUBOIS, avocat,

— Rejette les autres demandes.

Le greffier Le président

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Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 9, 16 mai 2019, n° 16/04154