Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 19 avril 2019, n° 17/05334

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 11, 19 avr. 2019, n° 17/05334
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/05334
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 19 février 2017, N° 2016001553
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRÊT DU 19 AVRIL 2019

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/05334 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B23FD

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Février 2017 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2016001553

APPELANTE

SA SOCIETE FRANÇAISE DU RADIOTELEPHONE – SFR

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

N° SIRET : 343 059 564 (Paris)

représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP REGNIER – BEQUET – MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

assisté de Me Xavier CARBASSE, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : J098

INTIMEE

SASU X T.I.C.

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

N° SIRET : 431 903 954 (Lyon)

représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

assistée de Me Vincent RICHARD, avocat plaidant du barreau de LYON, toque : 667, substituant Me Marie DUVERNE, avocat au barreau de LYON, toque : 667

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Mars 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Michèle LIS SCHAAL, Présidente de la chambre

Madame Françoise BEL, Présidente de chambre

Madame Agnès COCHET-MARCADE, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Z A.

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Madame Michèle LIS SCHAAL, Présidente et par Madame Z A, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

La société X TIC (anciennement SERPOLLET.COM) appartient au groupe X et est spécialisée dans le tirage de fibres optiques, raccordements électriques, conception et étude de réseaux destinés au transport de l’énergie et au transport des fluides en général.

La société SFR, spécialisée dans la télécommunication sans fil, a fait appel depuis 2002 à X pour la réalisation de divers travaux sur son réseau.

En 2010, les parties ont formalisé leur relation commerciale par le biais de contrat, certains étant des contrats-cadres.

Suite à une chute significative des commandes en janvier 2015, la société X TIC a assigné devant le tribunal de commerce de Paris la société SFR en paiement au visa des articles L 441-6 I 5°du code de commerce et 1134 du code civil ( ancien) de la somme de 5 579 086 euros à titre d’indemnité pour rupture brutale des relations commerciales, d’ un montant de 12 849 euros correspondant au coût du stockage de son matériel inutilisable depuis le 1er janvier 2015 jusqu’au 7 avril 2016, d’une somme de 97 000 euros TTC correspondant au prix d’achat de ce matériel, suivant commande SFR n°4700036970, d’une somme de 6 776,40 euros TTC en règlement de ses factures 17326-2016, 17327-2016 et 17328-2016 outre la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

Par jugement contradictoire assorti de l’exécution provisoire en date du 20 février 2017, le tribunal de commerce de Paris a condamné SFR à payer à X TIC:

une somme de 1 736 970 euros de dommages et intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

une somme de 97 090,70 euros TTC correspondant au pris d’achat de matériel, suivant commande de SFR n° 4700036970,

une somme de 6 776,40 euros TTC en règlement des factures 17 326-2016, 17327-2016, et 17328-2016,

Débouté X TIC de sa demande relative au coût du stockage de son matériel inutilisable depuis le 1er janvier 2015 jusqu’au 7 avril 2016,

Débouté X TIC de sa demande de publication du jugement,

Rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires des parties ;

Ordonné l’exécution provisoire sans caution à hauteur de 500.000 euros, et avec garantie pour le solde. Ce ou ces garanties pourront prendre la forme, au choix de la société SFR d’une caution bancaire, d’un séquestre à la Caisse des dépôts et consignations ou d’une fiducie sûreté respectant les dispositions des articles 2018 et 2372-2 du code civil, au profit de la société SFR, les sommes ainsi garanties n’étant libérables au profit de l’un ou l’autre des parties qu’au vu d’une décision de justice passée en force de chose jugée ou d’un accord des deux parties pour un paiement ou une libération totale ou partielle de ce solde;

Condamné la société SFR aux dépens.

Les premiers juges ont retenu l’existence d’une relation commerciale établie entre les parties depuis 13 ans et ont accordé un montant de 1 736 970 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies en tenant compte d’un préavis de 8 mois et du fait que 50 % du chiffre d’affaires de la société X provenait de sa collaboration avec SFR, l’un des principaux opérateurs télécom et fournisseurs d’accès internet susceptibles de faire appel à la société X.

Au regard de l’attestation du commissaire aux comptes produite aux débats relative au calcul de la marge sur coûts variables des chantiers du clients SFR sur la période du 1er juillet 2012 au 30 juin 2015, le tribunal retient un taux moyen de marge sur coûts variable de 36,23 % et une moyenne mensuelle de marge sur coûts variables de 384.210 €. Rapportée aux 8 mois de préavis suffisant, la marge des coûts variables sur la moyenne des trois exercices 2012, 2013 et 2014 correspond à la somme de 3.073.680 euros.

Durant l’année 2015, la marge sur coûts variables réalisée par la société X avec la société SFR est de 1.336.710 euros. Cette marge peut être considérée comme la réalisation partielle du préavis suffisant. Le tribunal estime donc le préjudice subi par la société X à la somme de 1.736.970 euros .

Concernant les demandes additionnelles, le tribunal relève que la société SFR a accepté de racheter le matériel stocké par la société X, correspondant à la commande n°4700036970, et de le retirer dans les locaux de la société X. La condamnation de la société SFR à payer la somme de 97.090,70 euros TTC correspond au prix d’achat du matériel, incluant les frais de stockage.

Trois commandes impayées ont fait l’objet de procès verbaux de réception, pour un montant total de 6.776,40 euros. Le tribunal condamne la société SFR au paiement des dites commandes.

La société SFR a interjeté appel de cette décision par déclaration du 14 mars 2017.

Par conclusions signifiées par le RPVA le 5 octobre 2017, auxquelles il est fait référence pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, la société SFR, sollicite de la Cour;

Vu les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile,

Vu les articles 1134 ancien et suivants du code civil,

Vu l’article L.442-6-I 5° du code de commerce,

CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté:

— la demande de la société X relative aux coûts de stockage de son matériel inutilisable depuis le 1er janvier 2015 jusqu’au 7 avril 2016;

— la demande de la société X de publier le jugement ;

INFIRMER le jugement entrepris pour le surplus et, statuant à nouveau:

DIRE et juger que la société X ne démontre pas l’existence d’une relation commerciale établie avec la société SFR, ni d’une brutalité dans la rupture, s’agissant des prestations confiées au titre des contrats FON, FTTH et Y ;

DIRE et JUGER que la société X ne démontre pas se trouver dans une situation de dépendance économique vis à vis de la société SFR ;

DIRE et JUGER qu’à supposer que la société X démontre se trouver dans une situation de dépendance économique vis à vis de la société SFR, cette situation ne pourrait résulter que d’un choix de sa part ;

DIRE et JUGER que la société X ne rapporte pas la preuve de l’ancienneté de ses relations avec la société SFR, de son chiffre d’affaires et de sa marge brute ;

DIRE et JUGER qu’en tout état de cause, la société X ne rapporte pas la preuve du préjudice subi du fait de la prétendue rupture brutale de relations commerciales établies;

DEBOUTER la société X de son appel incident, ainsi que de l’ensemble de ses demandes ;

CONDAMNER la société X à verser la somme de 30.000 euros à la société SFR au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

CONDAMNER la société X aux entiers dépens;

Sur la distinction entre les activités FTTH, FON et Y

L’appelante soutient que les trois contrats conclus entre les parties sont distincts :

Le contrat FON correspond à des prestations d’installation d’équipements de fibre optique noire. Il a été conclu le 25 novembre 2011 pour une durée initiale de deux ans et a été prorogé par avenant du 19 juin 2014.

Le contrat FTTH prévoit des prestations d’équipements de fibre optique dite « jusqu’au logement ». Il est régi par un contrat-cadre du 28 juin 2014, prenant effet rétroactivement le 1er janvier 2014, jusqu’au 1er janvier 2017. En application de ce contrat, ont été conclus un contrat d’exécution pour le déploiement d’un réseau en zone moins dense (contrat ZMD) qui a pris effet le 1er juin 2014 jusqu’au 31 décembre 2015, ainsi qu’un contrat d’exécution pour le déploiement d’un réseau en zone très denses (contrat ZTD). Les parties ont d’un commun accord mis un terme à cette activité.

Le contrat Y a trait à des prestations de travaux de câblage intra-site sur les sites techniques de la société SFR. Il a été conclu le 25 juin 2014, prenant rétroactivement effet le 20 décembre 2013, pour se terminer le 30 juin 2015.

Par ailleurs, l’intimée ne rapporte pas la preuve de contrats conclus antérieurement à 2010, c’est donc à tort que le tribunal de commerce de Paris a constaté que: "La durée de cette collaboration, sa continuité, son renouvellement par des contrats successifs suffisent à établir la stabilité de cette relation, depuis 2002, soit 13 années."

Aux termes d’une jurisprudence constante, si des contrats successifs peuvent en effet permettre de qualifier une relation commerciale établie, encore faut-il que ces contrats portent sur un même objet (CA Paris, 28 mai 2014; CA Paris, 30 mai 2012; CA Versailles, 10 janvier 2012 ; CA Paris, 11 octobre 2012). Or, en l’espèce, il existe plusieurs contrats parallèles qui, par la singularité de leurs objets respectifs, ne forment pas une seule et même relation commerciale établie, de sorte qu’ils doivent être traités indépendamment les uns des autres.

Sur l’absence de rupture brutale de relations commerciales établies

L’appelante soutient qu’aucun des trois contrats précités n’est susceptible de caractériser une relation commerciale établie entre les parties.

Sur le contrat FON

Le contrat FON est intitulé à tort "contrat-cadre, il a été conclu pour une durée initiale de deux ans (du 1er juillet 2011 au 31 décembre 2013, puis prorogé par avenant du 19 juin 2014 jusqu’au 30 juin 2015. L’anticipation légitime de la pérennité de la relation commerciale avancée par la société X est donc sans fondement.

De plus, l’évolution des chiffres d’affaires réalisés entre les sociétés SFR et X de 2012 à 2015 révèle une baisse importante des commandes passées dans le cadre du contrat FON (aux alentours de 50%).

Sur le contrat FTTH

Le contrat FTTH est un contrat cadre. Il a été conclu le 28 juin 2014, prenant effet rétroactivement le 1er janvier 2014 pour une durée de trois ans, jusqu’au 1er janvier 2017.

Cette convention ne prévoyait aucun engagement de commandes et aucune indemnité due en raison de la non reconduction du contrat.

Deux contrats d’exécution ont été conclus en application du contrat FTTH :

Un contrat ZMD signé le 25 juin 2014, prenant effet rétroactivement le 1er juin 2014 et prenant fin le 31 décembre 2015 ;

Un contrat ZTD, conclu le 5 septembre 2014, prenant effet rétroactivement le 1er juin 2014. et devant prendre fin le 31 décembre 2015.

La société X ne saurait se prévaloir de ces contrats pour apporter la preuve d’une relation commerciale établie étant donné que le terme de ces contrats était fixé dès leur conclusion.

Sur le contrat Y

Comme l’a décidé le tribunal de commerce de Paris, il n’y a pas eu de résiliation abusive

du contrat Y, en ce que les prestations en découlant représentaient 6% du chiffre

d’affaires global et ont perduré tout au long de l’année 2015.

Sur la nécessité de prendre en compte la commune intention des parties en application de l’article 1156 du code civil ( ancien).

Les parties ont entendu placer leur relation contractuelle en dehors d’une logique de

relations commerciales établies.

La stipulation de termes dans chacun des contrats empêche d’apprécier la stabilité de ces

derniers, pourtant nécessaire à la caractérisation d’une relation commerciale

établie au sens de l’article L. 442-6.I.5° du code de commerce.

Si l’ancienneté des relations constituait un élément à prendre en compte, les parties

l’auraient précisé dans leurs contrats, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Sur l’absence de dépendance économique de la société X vis à vis de la société

SFR

La société SFR conteste l’état de dépendance économique de la société X retenu par

le tribunal de Paris au motif qu’en 2014, 50% du chiffre d’affaires réalisé par

cette dernière provenait de sa collaboration avec l’appelante.

Une lettre adressée par la société X à la société SFR le 13 juin 2014 contredit

d’ailleurs cette théorie: "(') les treize millions d’euros de chiffre d’affaires

réalisés par SERPOLLET.COM (filiale du groupe X) ne nous place en

aucune façon en situation de dépendance par rapport à votre société". Une

situation de dépendance économique doit s’analyser globalement au niveau du

groupe et ne pourra donc être caractérisée en l’espèce. En effet, rapporté au

groupe X, le chiffre d’affaires réalisé au titre des relations commerciales

avec la société SFR représente 4,5% du chiffre d’affaires global.

En outre, la société X était tenue de déclarer tout franchissement du seuil de 25%

du chiffre d’affaires réalisé avec SFR, afin de prémunir les parties contre toute

possibilité de dépendance économique. Aucune information de cette nature n’a

été réalisée par la société X.

Enfin, il est de jurisprudence constante que la responsabilité d’une partie ne saurait être

engagée du fait d’une situation de dépendance économique délibérée de la part de son

cocontractant (CA Paris, 14 septembre 2012).

Or ce sont les choix stratégiques de la société X qui l’ont conduite à consacrer 50%

de ses activités à la société SFR.

Sur le caractère injustifié du montant réclamé par l’intimée

La société X ne justifie pas d’un préjudice donnant lieu à indemnisation. Le chiffre

d’affaires de 2015 est sensiblement similaire à celui de 2013 et de 2012, comme en

témoigne les informations figurant sur le site Infogreffe.

La réorganisation de la société X s’est donc faite rapidement et sans dommage.

De plus, les demandes d’indemnisation de la société X reposent sur une attestation

de son commissaire aux comptes, dans laquelle il ne se prononce pas lui même sur la part

de chiffre d’affaires réalisé par la société X avec la société SFR mais porte

seulement un avis sur « la concordance des informations ».

En outre, si l’ancienneté de la relation peut être fixée à 2002 comme le prétend la société

X, le chiffre d’affaires annuel aurait du faire l’objet d’une moyenne portant sur toute

cette période. Or, la moyenne retenue ne prend en compte que les années postérieures à

2011, date à laquelle le chiffre affaires a sensiblement augmenté.

Dès lors, c’est sur la base de quatre années, et non treize, que le tribunal aurait du établir

la durée d’un préavis suffisant pour déterminer le montant de l’indemnisation. La société

X n’établit donc pas le quantum de son préjudice.

Par conclusions signifiées par le RPVA le 8 août 2017, auxquelles il est fait référence

pour plus ample exposé des motifs, de leur argumentation et de leurs moyens, la société

X sollicite de la Cour :

Vu l’article L.441-6 du code de commerce,

Vu l’article 1134 ancien du code civil,

Vu les articles 515 et 700 du code de procédure civile,

CONSTATER que les sociétés SFR et X étaient en relation commerciale établie

depuis 2002 ;

CONSTATER que plus de 50 % du chiffre d’affaires de la société X provenait de sa collaboration avec la société SFR ;

CONSTATER l’absence de fautes ou de manquements graves imputables à la société X dans l’accomplissement de ses obligations contractuelles ;

DIRE et JUGER que les sociétés SFR et X étaient liées par des relations commerciales établies au sens de l’article L.442-6 5° du code de commerce ;

DIRE et JUGER que la société SFR aurait dû donner un préavis écrit de 18 mois à la société X, ce qui n’a pas été le cas ;

DIRE et JUGER que la société SFR a rompu brutalement les relations commerciales établies qui la liaient à la société X ;

CONFIRMER la décision du tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a jugé que la société SFR a rompu brutalement sa relation commerciale avec la société X ;

REFORMER la décision du tribunal de commerce de Paris en ce qu’elle a limité la condamnation de la société SFR à hauteur de 1.736.970 euros ;

CONDAMNER la société SFR à verser à la société X la somme de 5.579.086 euros à titre d’indemnité pour rupture brutale des relations commerciales établies ;

CONDAMNER la société SFR à verser à la société X la somme de de 12.849 euros correspondant au coût de stockage de son matériel inutilisable, depuis le 1er janvier 2015 jusqu’au 7 avril 2016 ;

AUTORISER la société X à publier la décision dans les magazines de son choix, aux frais de la société SFR dans la limite de 15.000 euros ;

CONDAMNER la société SFR à payer à la société X la somme de 20.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNER la société SFR aux entiers dépens de l’instance ;

Sur la qualification de relations commerciales établies

Les sociétés X et SFR se sont inscrites dans une relation commerciale depuis 2002, qui s’est accrue progressivement.

Cette relation a été formalisé par des contrats cadre à partir de janvier 2012.

La continuité de la relation ressort de la volonté exprimée par la société SFR, en juin 2014, par la signature de trois contrats, en renouvellement de son partenariat avec la société X. Le contrat FTTH, régularisé le 28 juin 2014, devait durer jusqu’en juin 2017.

Le caractère régulier, stable et significatif de la relation commerciale entre les parties est donc effectif.

Par ailleurs, ces contrats n’ont pas des objets différents mais s’inscrivent dans un seul et même cadre, à savoir le déploiement de la fibre optique sur le réseau de la société SFR.

Par ailleurs, l’antériorité des relations commerciales à la signature des différents contrats est évoquée

dans les clauses de ces derniers.

La société SFR prétend que la société X aurait dû l’alerter de l’existence de l’état de dépendance économique à son égard. Néanmoins, au regard du volume de commandes passé par la société SFR, cette dernière ne pouvait ignorer l’état de dépendance économique de son cocontractant.

Cette dépendance économique s’appréciera au seul regard de la société X, prise en compte comme une entité juridique pourvue d’une personnalité morale propre, et non du groupe X.

Sur la rupture brutale de cette relation commerciale établie par la société SFR

Alors que la société SFR venait de renouveler trois contrats cadres de juin 2014, il était impossible pour la société X de prévoir la rupture qui allait suivre.

Le chiffre d’affaires de l’année 2015 s’écroulait considérablement alors que les contrats précités étaient toujours en cours d’exécution.

Cette chute considérable du chiffre d’affaires sans avertissement préalable constituait une rupture quasi-totale et brutale de leurs relations commerciales, pourtant établies depuis treize ans.

La société SFR prétend que le rachat de la société SFR par la société NUMERICABLE était de notoriété publique. A supposer que ce soit le cas, cela ne l’exonérait pas de son obligation d’annoncer la rupture de leurs relations à la société X par écrit, en lui laissant un préavis suffisant.

Or, conformément à la législation et à la jurisprudence établie, une rupture est considérée comme brutale dès lors que son auteur n’a pas respecté un préavis écrit et dénué d’équivoque.

Ce n’est qu’en juin 2015, après que les commandes aient brutalement chuté, que la société SFR confirmait sa volonté de mettre fin à sa relation avec la société X en lui proposant la signature d’un protocole transactionnel afin de procéder à la résiliation anticipée des contrats en cours.

Elle ne prévoyait aucun préavis ni aucune indemnité de rupture, mais tentait de faire renoncer la société X à son droit d’ester en justice, sans contrepartie.

Contrairement à ce que soutient l’appelante, la société X n’a jamais signifié son accord sur la fin de sa relation avec la société SFR sur l’activité FTTH, elle a seulement établi le décompte des sommes dues par la société SFR.

Sur l’absence de faute commise par la société X

La société SFR a tacitement mis fin à sa relation avec la société X, sans faire état d’un quelconque manquement de sa part.

La seule motivation de cette rupture avancée par la société SFR, exposée dans le projet de protocole transactionnel, est de « s’appuyer sur un seul intervenant sur l’ensemble des activités d’ingénierie, de déploiement, de maintenance, de vie du réseau, de raccordements clients et de SAV. »

La société SFR continue de faire appel à la société X pour les prestations qu’elle ne peut faire réaliser en interne ou d’autres prestataires.

La bonne exécution du contrat conclu par la société X est donc établie.

Aucune faute ne peut être imputée à la société X.

Sur le préjudice subi par la société X

Conformément à une jurisprudence établie, la société SFR aurait du accorder à la société X un préavis d’une durée minimum de dix huit mois.

Le préjudice subi par l’intimée correspond à la différence entre la marge brute qu’elle aurait dû réaliser pendant la période de préavis qui aurait dû être observée, et celle réalisée pendant la période allant du 1er janvier 2015 au 30 juin 2015.

Le tribunal de commerce de Paris n’a accordé que la somme de 1.736.970 euros à titre d’indemnité, soit l’équivalent de 8 mois de préavis.

L’indemnité devrait s’élever à 5.579.086 euros, correspondant au montant de la marge brute qu’elle aurait réalisée si un préavis de dix huit mois avait été respecté.

Les frais de stockage s’élevant à 12.849 euros ne sont pas compris dans le coefficient contractuel de 8% "peines et soins" comme l’a apprécié le tribunal de commerce de Paris. Dès lors, ce préjudice s’ajoute à l’absence de marge brute réalisée pendant le préavis.

Enfin, la nuisance au marché du comportement contractuel de la société SFR justifie que soit publiée la décision à venir à ses frais, dans la limite de 15.000 euros.

SUR CE ;

Considérant que l’ article L 442-6 I 5° du Code de commerce stipule: ' engage la responsabilité de son auteur et l’ oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant industriel…

5°) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels',

que les dispositions sus-visées ont vocation à s’ appliquer lorsqu’il existe une relation commerciale, qui s’entend d’ échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper pour l’ avenir une certaine continuité du flux d’ affaires entre les partenaires commerciaux

qu’ il convient donc d’ examiner si la rupture de la relation commerciale directe était établie et a été brutale ;

Considérant qu’en l’espèce si les contrats conclus entre X TIC et SFR étaient distincts, il n’en demeure pas moins que ces contrats n’ont pas des objets différents mais s’inscrivent dans un seul et même cadre, à savoir le déploiement de la fibre optique sur le réseau de la société SFR, peu importe leur qualification en contrats-cadres ou pas, de leur durée et de l’absence d’engagements de commandes et d’exclusivité,

que ces contrat constituaient un flux d’affaires au sens de l’article L 442-6 I 5° du code de commerce,

qu’ ainsi, ces relations commerciales revêtaient un caractère de suivies, habituelles et stables,

qu’en conséquence, il convient de qualifier les relations commerciales entre SFR et X TIC d’établies ;

Considérant que par courrier recommandé AR du 16 décembre 2014, SFR informait X TIC

que le contrat cadre de déploiement d’infrastructures optiques signé en 2011 serait résilié au 30 juin 2015,

qu’en outre une chute significative des commandes a eu lieu en janvier 2015 pour tous les contrats en cours (chiffre d’affaire passant à 2 262 859 euros sur les 6 premiers mois de 2015 en comparaison avec une moyenne semestrielle en 2013 de 7 614 523 euros), la société SFR ayant décidé de « s’appuyer sur un seul intervenant sur l’ensemble des activités d’ingénierie, de déploiement, de maintenance, de vie du réseau, de raccordements clients et de SAV » (projet de protocole d’accord pour entériner la fin des relations commerciales entre les parties qui n’a pas abouti), alors qu’elle venait de renouveler avec X TIC trois contrats cadres en juin 2014 et que le contrat FTTH devait durer jusqu’en juin 2017,

que la société X TIC pouvait donc légitimement croire en la poursuite de leurs relations commerciales,

qu’aucun préavis écrit n’ a été proposé par SFR,

que dans ces conditions, la chute significative des commandes constitue une rupture brutale partielle des relations commerciales au sens de l’article L 442-6 I 5°du code de commerce;

Considérant qu’en cas de rupture d’une relation commerciale établie, le préavis suffisant s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l’état de dépendance économique de l’entreprise évincée au moment de la notification de la rupture,

que le préavis doit permettre à celui qui subit la rupture de pouvoir trouver des solutions de rechange,

qu’en l’espèce, les relations commerciales ont débuté en 2002 ( non réellement contesté par SFR et résultant des contrats qui indiquent: « les parties conviennent que le contrat exprime l’intégralité des engagements souscrits par elles et qu’il annule et remplace tous actes ou conventions antérieurs ayant le même objet ») et se sont terminées en janvier 2015 soit une relation commerciale d’une durée de 13 ans,

qu’au vu de la durée de cette relation et de l’état de dépendance économique de la société X TIC (et non du groupe X) vis à vis de SFR, l’état de dépendance économique se définissant comme l’impossibilité pour une entreprise de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu’elle a nouées avec l’entreprise qui est l’auteur de la rupture, X TIC ( par une attestation du commissaire aux comptes de la société X TIC) établissant que plus de 50% de son chiffre d’affaire sur les années 2012, 2013 et 2014 provenait de sa relation commerciale avec SFR sur un marché où n’opèrent que les principaux opérateurs Télécom et fournisseurs d’internet , c’est par une appréciation juste et pertinente des premiers juges qu’un préavis d’une durée de 8 mois a été retenu,

qu’en cas d’ insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire, le préjudice consistant en la perte de marge brute ou de marge sur coût variable que la société victime de la rupture aurait dû percevoir pendant la durée du préavis,

que c’est également à juste titre que les premiers juges ont retenu un taux moyen de marge sur coût variables (chiffre d’affaires réalisé par X avec SFR moins les achats associés: coûts des fournitures externes, des intérimaires, des locations de matériel externe, de la sous-traitance, des assurances, des taxes organiques et des déplacements du personnel) de 38,71 % qui représente le taux moyen de marge sur coût variable sur la période de 2012 à 2014 (attestation du commissaire aux comptes de la société X TIC), soit une moyenne mensuelle de marge sur coûts variables de 384.210 € ( 13 831 592 euros sur les 3 années précédant la rupture),

qu’appliqué à la durée de préavis de 8 mois, le préjudice s’élève donc au montant de 3 073 680 euros,

que s’agissant d’une rupture brutale partielle, il convient de tenir compte de la poursuite ralentie des relations commerciales en 2015, la marge brute réalisée du 1er janvier 2015 au 31 juin 2015 s’élevant à 1 336 710 euros qu’il faut déduire de la somme de 3 073 680 euros soit un montant de 1 736 970 euros,

qu’ en conséquence, le jugement entrepris sera confirmé à l’exception des condamnations de SFR à payer les sommes de 97 090,75 euros et 6 776,40 euros qui ont été réglées par SFR (pièces 38 et 39 de SFR),

que pour le surplus, le jugement sera confirmé concernant le débouté de la demande de X TIC sur la publication du jugement qui n’est pas justifiée et sur le rejet de la demande pour les frais de stockage qui étaient contractuellement à la charge de X TIC (article 5.2.1) ;

Considérant que l’équité impose de condamner la société SFR à payer la société X TIC la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l’exception des condamnations de SFR à payer les sommes de 97 090,75 euros et 6 776,40 euros qui ont été réglées par SFR ;

DEBOUTE les parties de leurs plus amples prétentions ;

CONDAMNE la société SFR à payer à la société X TIC la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

LA CONDAMNE aux entiers dépens.

Le greffier Le président

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 19 avril 2019, n° 17/05334