Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 17 janvier 2020, n° 18/01078

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 11, 17 janv. 2020, n° 18/01078
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/01078
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 3 décembre 2017, N° 2016026805
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 11

ARRÊT DU 17 JANVIER 2020

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/01078 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B4ZSU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Décembre 2017 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2016026805

APPELANTE

Société AZIENDA ELETTRICA TICINESE (X)

prise en la personne de ses représentants légaux

A B C D

[…]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés n° CH 500 8 000 533 5

représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

assistée de Me Jody GRANADOS, avocat plaidant du barreau de PARIS, toque : D1448

INTIMEE

SA ELECTRICITE DE FRANCE

prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Paris sous le numéro B 552 081 317

représentée par Me Y Z, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

assistées de Me Cédric de POUZILHAC, avocat plaidant du barreau de Paris et Me Damien BERGEROT, avocat plaidant du barreau de Paris, toque : K 0186

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Novembre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Françoise BEL, Présidente de chambre

Mme Agnès COCHET-MARCADE, Conseillère

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785

du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI.

ARRÊT :

— contradictoire,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Mme Françoise BEL, Présidente et par Mme Saoussen HAKIRI, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Faits procédure prétentions et moyens des parties :

La société AZIENDA ELETTRICA TICINESE (ci-après dénommée X) est une société publique suisse chargée de la production, de l’acheminement et de la commercialisation d’électricité dans le canton du Tessin en Suisse. Elle vend de l’électricité sur le marché de gros à des distributeurs ou à de grandes entreprises, à l’exclusion des clients finals. Elle dispose également d’une activité de négoce d’électricité (trading) et opère sur les marchés extérieurs à la Suisse, notamment en France, en Italie, en Allemagne et en Autriche.

La société ÉLECTRICITÉ DE FRANCE (ci-après dénommée EDF) a pour activité la production et la fourniture d’électricité en France.

Le 10 décembre 2007, la société X a conclu avec la société EDF un contrat d’approvisionnement d’électricité pour une durée de 20 ans à compter du 1er janvier 2008.

Estimant que le prix du contrat était devenu très supérieur au prix du marché et qu’une telle situation lui causait des pertes financières considérables, la société X est entrée en contact le 22 août 2014 avec la société EDF en vue de renégocier le contrat.

Les échanges entre les parties d’ août 2014 à décembre 2015 n’ayant pas abouti à une solution satisfaisant la société X, celle-ci, estimant que la société EDF avait commis une faute dans son refus de renégocier les termes du contrat, a fait délivrer assignation à la société EDF devant le tribunal de commerce de Paris par acte d’huissier du 11 avril 2016, aux fins d’obtenir à titre principal la résiliation du contrat signé le 10 décembre 2007 et la condamnation de la société EDF à lui verser la somme de 72.301.085 euros en réparation du préjudice subi au 1er janvier 2016 à actualiser, et à titre subsidiaire la somme de 115.171.324 euros en raison de la poursuite du contrat en l’état jusqu’à son terme, la société demanderesse faisant valoir à l’appui de ses demandes, l’exécution de bonne foi du contrat et le principe jurisprudentiel de la renégociation du contrat lorsque des circonstances imprévues modifient sensiblement les conditions d’exécution, en l’espèce la baisse sur le marché européen du prix du MW/h passé de 48,9 euros en 2011 à 36,75 euros en 2016, devant conduire à la

renégociation du contrat par la société EDF, renégociation que la société EDF a refusée,

La société EDF s’y opposant, a conclu au débouté de l’ensemble des demandes, soutenant essentiellement

— l’absence de clause de renégociation , les parties privilégiant par choix la stabilité des conditions de fourniture et la force obligatoire du contrat,

— subsidiairement l’absence de preuve d’un changement imprévisible rendant l’exécution du contrat très onéreuse , le contrat ne garantissant pas de rentabilité à la société X, la connaissance par la société X des facteurs 'imprévisibles’ à la date de signature du contrat,

— l’absence de justification du préjudice subi.

Par jugement en date du 4 décembre 2017, le tribunal de commerce a débouté la société X de sa demande de résiliation du contrat et de réparation du préjudice allégué, a condamné la société X à payer à la société EDF la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et rejeté les demandes des parties autres, plus amples ou contraires, a condamné la société X aux dépens.

Le tribunal a jugé que la société EDF n’avait pas manqué à ses obligations contractuelles en refusant un ajustement des prix convenus au contrat et a en conséquence débouté la société X de sa demande de résiliation.

Il a également relevé, alors que la société X est un acteur averti du marché de l’électricité, qu’il a été recherché une garantie des volumes livrés, une protection contre les aléas du prix du marché et des coûts de production par des prix fermes, tel qu’ils étaient prévus par l’un des deux contrats proposés, les prix n’étant indexés que sur des indices non- corrélés au prix du marché de l’énergie, que les parties n’ont pas jugé nécessaire de prévoir un mécanisme de renégociation des prix en raison de circonstances économiques imprévues, et, qu’en l’absence de clause de renégociation d’un contrat dont il ne ressort pas à l’évidence qu’il soit déséquilibré sur l’ensemble de sa durée la société EDF n’avait pas manqué à son obligation de bonne foi au sens de l’article 1134 du code civil.

La société X a relevé appel du jugement par déclaration au greffe de la cour en date du 3 janvier 2018.

Vu les conclusions déposées et notifiées le 27 novembre 2018 par la société AZIENDA ELETTRICA TICINESE aux fins de voir la cour:

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 décembre 2017 en ce qu’il a débouté X de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Constater que le refus d’EDF de renégocier les termes du Contrat constitue incontestablement une faute, justifiant la résiliation du Contrat ainsi que la réparation du préjudice direct et certain causé à X ;

En conséquence,

Prononcer la résiliation du Contrat signé entre X et EDF le 20 décembre 2007 ;

Condamner EDF à verser à X, à titre principal, la somme de 82.485.045 euros en réparation du préjudice subi par cette dernière au 1er janvier 2018, cette somme devant être actualisée à la date du prononcé de la résiliation du Contrat ;

Subsidiairement :

Condamner EDF à verser à X la somme de 119.115.548 euros en raison de la poursuite du Contrat en l’état, jusqu’à son terme ;

En tout état de cause :

Condamner EDF à payer à X la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile correspondant aux frais irrépétibles de première instance et d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de Maître Patricia HARDOUIN ' SELARL 2H AVOCATS et ce, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’appelante soutient en substance que le droit applicable au contrat mettait à la charge des parties une obligation de renégociation du contrat en cas de bouleversement de l’économie générale du contrat même en l’absence de toute clause prévue par les parties; qu’en l’occurrence, EDF était tenue de renégocier les termes contractuels eu égard à l’évolution imprévue des circonstances économiques rendant l’exécution du Contrat excessivement onéreuse ; qu’en refusant d’aménager le Contrat, EDF a manqué à son obligation de renégociation et, plus largement, à son obligation d’exécuter le Contrat de bonne foi, justifiant par là-même la résiliation du Contrat et l’octroi de dommages et intérêts.

Elle fait valoir qu’avant la réforme du code civil par l’ordonnance du 10 février 2016, le juge judiciaire avait déjà consacré une obligation pour les parties de renégocier les termes d’un contrat devenu déséquilibré du fait d’un bouleversement des circonstances économiques imprévisibles au moment de la conclusion du contrat.

Elle indique que c’est justement en raison des événements récents qui ont modifié la structure du marché et ont bouleversé l’économie contractuelle prévue initialement qu’une renégociation aurait dû intervenir.

Elle explique que cette obligation, fondée sur les principes de bonne foi, d’équité et de loyauté contractuelle, n’entre nullement en contradiction avec le rejet de la théorie de l’imprévision par laquelle le juge judiciaire refusait de prendre en considération le temps et les circonstances pour réviser lui-même un contrat en cours d’exécution.

Elle en conclut que dès lors qu’une obligation de renégociation s’imposait et que cette obligation a été violée elle était fondée à demander la résiliation du contrat et l’octroi de dommages et intérêts.

L’appelante explique également que le jugement est entaché d’erreurs d’appréciation en ce qu’il repose sur une mauvaise compréhension de la nature du contrat et de l’équilibre contractuel initialement prévu par les parties, une présentation lacunaire de l’évolution des circonstances ayant présidé à la conclusion du contrat, une appréciation erronée du déséquilibre contractuel et de ses conséquences sur sa situation économique et financière et sur une présentation superficielle des négociations entre la société X et la société EDF.

Concernant le préjudice indemnisable, l’appelante soutient que si EDF avait accepté de renégocier le contrat dans les conditions acceptables définies par X, celle-ci se serait acquittée, à compter du 1er septembre 2014 , d’un prix aligné sur le prix de l’ARENH en lieu et place du terme de capacité et du terme pour la fourniture. Ce prix aurait couvert tous les coûts d’EDF (en ce compris la part « exploitation » et la part « investissement »), ce qui aurait justifié le remboursement des sommes avancées par X au moment du paiement initial du terme de capacité 14 pour les 160 mois restant à courir jusqu’à l’échéance du Contrat, soit jusqu’au 31 décembre 2027.

Ainsi pour une résiliation au 1er janvier 2018, le préjudice s’élève à :

—  3.573.687 euros au titre du surcoût ARENH,

—  25.168.501 euros au titre du non-remboursement de l’amortissement du versement initial et des intérêts pour la période s’étendant du 1er septembre 2014 jusqu’au jour de la résiliation,

—  53.742.857 euros au titre du non-remboursement de la fraction non amortie du versement initial pour la période s’étendant du jour de la résiliation au 31 décembre 2027, soit un montant total de 82.485.045 euros.

A titre subsidiaire dans l’hypothèse d’une poursuite du Contrat en l’état:

—  17.816.080 euros au titre du surcoût ARENH,

—  100.674.003 euros au titre du non-remboursement de l’amortissement du versement initial et des intérêts pour la période s’étendant du 1 er septembre 2014 jusqu’au 31 décembre 2027,

—  625.466 euros au titre du non-remboursement de la fraction non amortie du versement initial au 31 décembre 2027,

soit un montant total de 119.115.548 euros.

Vu les conclusions déposées et notifiées le 8 juillet 2019 par la société Electricité de France tendant à voir la cour :

Vu les anciens articles 1134 et 1184 du code civil ;

Vu l’article 9 de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 ;

Vu le nouvel article 1195 du code civil introduit par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 pour les contrats conclus à compter du 1er octobre 2016 ;

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris du 4 décembre 2017 (RG n°2016026805).

Y ajouter :

Condamner la société X à verser à la société EDF la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour la présente procédure d’appel ;

Condamner la société X aux entiers dépens de l’instance d’appel, lesquels pourront être directement recouvrés par Maître Y Z conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

L’intimée soutient que le contrat a été exécuté dans toutes ses dispositions et que la société X n’avait pas de motifs pour demander sa résiliation dans la mesure où aucune obligation de renégociation ne ressortait des clauses du contrat.

Elle fait valoir que l’article 1195 nouveau du code civil a introduit l’imprévision en droit français mais n’est pas applicable au contrat conclu antérieurement à la réforme, d’autant que cet article est une innovation et non une application de la jurisprudence antérieure.

Elle argue de ce que la société X ne démontre pas l’existence d’un changement imprévisible rendant l’exécution du contrat onéreuse, qu’elle a exécuté le contrat de bonne foi en acceptant de discuter de la renégociation et a formulé des propositions concrètes pour répondre à la demande de la

société X.

Enfin elle excipe de ce que la société X n’a pas justifié de son préjudice dans la mesure où elle ne prouve pas l’existence d’un préjudice certain et donc indemnisable. Elle fait valoir que la clause limitative de responsabilité stipulée à l’article 5-3 du contrat est opposable à la société X, et que le versement initial n’est pas remboursable dès lors qu’il s’agit d’une somme ferme et définitive, et ne saurait donner lieu à indemnisation, que la référence au prix de l’ARENH n’est pas pertinente et que le point de départ du calcul de l’hypothétique préjudice proposé par la société X ne saurait être le 1er septembre 2014.

Motifs

La Cour renvoie, pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées,

1. Sur les stipulations contractuelles:

Il est constant que le contrat litigieux d’approvisionnement d’électricité , conclu entre les parties le 10 décembre 2007 pour une durée de 20 ans à compter du 1er janvier 2008, ne contient aucune clause de renégociation du contrat, le tribunal de commerce soulignant à juste titre que les parties n’ont pas jugé nécessaire de stipuler une telle clause dans un contrat à long terme, et que l’intention de la société X telle qu’elle ressort des dispositions contractuelles, était de disposer d’un volume garanti d’électricité à un prix la protégeant des aléas du marché.

Il résulte en effet des termes du contrat (article 1-objet du contrat) que les parties ont entendu définir les conditions de fourniture d’électricité par la société EDF à la société X pendant une longue durée fixée à vingt ans, la société fournisseur s’engageant à réserver une capacité de 70 MW pour toutes les heures sur son parc de production nucléaire, sous réserve de la possibilité d’interruption dans certaines conditions (article 2- conditions de fourniture), moyennant un certain prix (article 3-conditions financières).

Les parties sont convenues d’un seul mécanisme d’adaptation contractuel que le tribunal a relevé, (article 4.4 du contrat) dans le cas de disparition de l’un des indices auxquels sont adossées les conditions financières du Contrat Long Terme, dont fait expressément partie le retrait d’exploitation de l’une ou des tranches 3 ou 4 de la centrale de Cattenom: « si l’un des indices utilisés dans l’article 3 n’était plus publié ou s’avérait ne pas ou ne plus être applicable, EDF et X définiraient un nouvel indice préservant l’équilibre du Contrat».

L’intimée relève justement que l’article 4.4 susdit stipule, s’agissant de la centrale de Cattenom 3-4, que : « [e]n retenant cette indexation, les Parties n’ont pas pour autant souhaité créer un lien quelconque entre le Contrat et la centrale de Cattenom 3 & 4, ni entre le Contrat et les contrats attachés à la centrale de Cattenom 3 & 4. Elles ne sauraient donc se prévaloir à aucun moment et en aucune circonstance d’un tel lien pour demander une révision des conditions du Contrat [Long Terme] ou des contrats attachés à la centrale de Cattenom 3 & 4 », l’information sur l’indexation étant parfaitement connue de la société appelante dans la mesure où il est convenu une transmission annuelle de l’information à celle-ci en sa qualité d’actionnaire de la société AKEB titulaire d’un contrat attaché à la centrale de Cattenom 3 & 4 avec la société EGL, cette dernière titulaire d’un contrat attaché à la centrale de Cattenom 3 & 4 et que la société appelante est un opérateur du marché de l’électricité ce qui lui confère dès lors des compétences en ce domaine.

Il est donc établi que les parties ne sont pas convenues d’une obligation de renégociation du prix une telle obligation ne pouvant peser sur la société EDFque dans le cas démontré de l’existence d’un changement économique imprévisible, entraînant des conséquences excessivement onéreuses bouleversant l’équilibre contractuel au préjudice de la société X.

2. Sur l’existence d’une modification imprévue des circonstances ayant présidé à la conclusion du contrat qui bouleverse l’équilibre contractuel, entraînant une obligation de renégociation du contrat sur le fondement de l’obligation de loyauté dans la conduite des discussions entre les parties :

Les dispositions de l’article 1134 du code civil dans sa version applicable au présent litige posent le principe de l’intangibilité des conventions qui exclut la révision pour imprévision par le juge. Néanmoins, il peut être admis que l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi doit inciter les parties à renégocier une convention dont le déséquilibre résulte notamment d’une hausse imprévisible du coût de l’énergie qui est susceptible de bouleverser l’économie du contrat.

L’appelante reconnaît que le contrat n’est pas contractuellement adossé au prix du marché, mais elle soutient que l’équilibre contractuel tel qu’initialement envisagé par les parties était étroitement lié aux conditions de marché, l’accord portant sur un prix certes stable mais également compétitif et que l’évolution des prix que l’intimée a refusé de renégocier est contraire à la commune intention des parties telle que révélée par les échanges contractuels, ainsi que le prix du contrat ne reflète pas le coût de production du nucléaire assorti d’une « rémunération adéquate » d’EDF, l’intention de la société X étant de disposer en France d’une « ressource adossée à des actifs industriels » et, pour la société EDF, de disposer de moyens de « couverture compétitive, principalement en pointe ».

Elle verse aux débats à l’appui de ses prétentions une pièce (16) portant sur la réunion du 21 mai 2007 tenue entre les parties, mentionnant , au titre '1. Besoins des parties', la ' Demande X', laquelle est l’ 'Achat d’énergie en France, adossée à des actifs industriels , et au titre '2. Structure de l’accord: Une problématique concurrence: Dans un cadre industriel ( co-investissement) ou offrant des contreparties spécifiques: Mise à disposition d’X d’énergie en base nucléaire en contrepartie d’un droit d’ accès d’EDF à des capacités de pointe en Suisse, Accord sur une durée de 15 à 20 ans avec garantie de recouvrement de la valeur des investissements des actifs sous-jacents'.

Le 'partage du risque industriel: Dans les limites acceptables par X… Part exploitation indexée sur indices de l’évolution des charges nucléaires'.

La pièce 17 relative à la réunion du 11 juin 2007 mentionne 'le principe pour le payement des coûts pour la part investissement de la fourniture EDF se base sur une rémunération adéquate du capital investi par EDF dans le parc nucléaire existant’ puis énumère , au titre du 'Prix de base: Part exploitation: la Part fixe, la Part indexée comprenant 10% Approvisionnement d’uranium; 35% main d’oeuvre; 45% hors main d’oeuvre; 10% Charges fiscales du parc REP', et la mensualité du payement.

Or le contrat litigieux du 20 décembre 2007 présente la caractéristique qu’il n’est pas lié aux prix du marché ni à la variation des prix de production, dès lors qu’une part significative du prix de base ( le terme mensuel de capacité du mois 'm’ de l’année, prévu à l’article 3.1) et terme mensuel de fourniture d’énergie (article 3.2) est indexée à des indices généraux dont une part n’est pas spécifique au nucléaire , le premier étant indexé sur l’inflation zone euro publiée par l’Union européenne-indices harmonisés des prix de la consommation IPCH, le second selon une formule comprenant l’EBI ( indice de prix à la production française commercialisée sur le marché français, dans l’industrie), l’IPC TCH, l’indice des prix à la consommation ensemble des ménages, le coût de la main d’oeuvre, indice du coût horaire du travail, le prix de l’uranium naturel en euro par kgU tel que publié par Euratom dans son rapport annuel, les charges fiscales, taxes, impositions, redevances et contributions de toute nature rattachées aux tranches 3 et 4 de la centrale nucléaire de Cattenom payée au cours d’une année donnée par EDF et dont la liste est énumérée au contrat, la valeur moyenne arrondie le plus proche de la valeur Puissance Continue Nette des tranches 3et 4 de la centrale nucléaire de Cattenom, outre le versement initial d’une somme qualifiée au contrat de ferme et définitive d’un montant de 82.742.955 euros (article 3.1 a) au titre d’une partie de la réservation de la capacité nucléaire interruptible, cette dernière somme n’étant dès lors pas susceptible de variation future.

L’appelante n’établit pas que le contrat litigieux présente les caractéristiques d’un contrat adossé à des actifs industriels, dans la mesure où le contrat ne stipule pas de prise en charge par celle-ci du certains coûts de production de cet actif, tels les travaux de maintenance programmée ou fortuits (incident, panne, etc.). La seule mention dans un compte-rendu d’une réunion pré-contractuelle des besoins énoncés par l’appelante d’achat d’énergie en France, adossé à des actifs industriels , et d’un risque de concurrence dans le cadre d’un co-investissement, est inopérante, un tel co-investissement n’ayant pas été convenu lors de la rédaction du contrat. L’énoncé d’une 'rémunération adéquate du capital investi par EDF’ qui n’est pas suivi dans le contrat d’une telle stipulation précisant les actifs et le montant de la rémunération et le partage effectif des risques industriels afférents, ainsi que les mentions invoquées objets de discussions pré-contractuelles n’ayant manifestement pas été retenues lors de la rédaction du contrat en cause, ne sont dès lors pas des éléments probants d’un contrat adossé à des actifs industriels.

L’appelante conteste vainement les effets de l’information annuelle qui lui est donnée en vertu de l’article 4.4 du contrat, alors qu’elle est un opérateur économique averti exerçant dans le domaine de l’énergie électrique appartenant au consortium AKEB regroupant sept sociétés suisses fournisseurs d’électricité et qu’elle a eu accès aux pièces financières lui procurant toute l’information nécessaire sur l’évolution des coûts du nucléaire sur un horizon de quatre années à venir (période 2007-2011) à partir des coûts des centrales représentant 93% du parc nucléaire français et dès lors étant suffisamment représentatives de celui-ci, sur le décalage pouvant exister entre les prévisions de dépenses et les dépenses effectives constatées l’année suivante, partant du risque économique inhérent aux contrats adossés à des actifs de production, cette information lui permettant de faire le choix, en toute connaissance de cause d’un contrat décorrélé des actifs de production et de privilégier une stabilité du prix dans le cadre d’un contrat de longue durée, contrepartie d’un engagement de fourniture d’électricité nucléaire interruptible .

Il résulte en conséquence des éléments produits qu’à la suite des échanges pré-contractuels, la société X a fait le choix éclairé d’une fourniture de longue durée moyennant un prix stable, qui n’est pas soumis aux variations des indices liés à l’énergie et aux coûts industriels.

La société appelante ne rapporte pas la preuve d’une recherche d’un prix du contrat compétitif, contractuelle et déterminante de la conclusion du contrat en sorte que le moyen est également écarté.

L’appelante ayant accès de par sa qualité de professionnel averti des caractéristiques du marché de l’électricité, aux informations relatives aux prix de l’énergie nucléaire ne peut valablement prétendre à l’existence d’une erreur sur le prix du contrat en ce que celui-ci a été fixé dès l’origine à un niveau largement supérieur au coût de production de l’électricité nucléaire, y compris en intégrant dans ce coût une juste rémunération du capital investi au titre du contrat, en sorte que ce moyen est écarté.

L’appelante fait valoir au soutien de ses prétentions le moyen de l’impact des changements structurels sur sa rentabilité et sa structure financière.

La loi suisse sur l’approvisionnement en électricité du 23 mars 2007 sur l’ouverture à la concurrence du secteur de l’électricité en Suisse, la conduisant à devoir pratiquer des prix concurrentiels pour revendre à ses clients situés en Suisse l’électricité achetée à EDF, à la suite de laquelle l’appelante indique avoir subi au cours de la période 2008-2018 des pertes d’exploitation pour un montant de 63.491 millions d’euros et dû prévoir une perte moyenne de 4 millions d’euros par an sur la période 2019-2027, une perte cumulée de 36.791 millions d’euros

sur la période 2018 – 2027 et de plus de 100 millions sur toute la durée du contrat , en ce qu’elle est antérieure à la date de conclusion du contrat et pouvait être anticipée par l’opérateur, n’est pas un facteur imprévisible susceptible d’être pris en compte dans les relations contractuelles entre les parties à l’instance.

Le caractère onéreux du contrat qui en est résulté ne peut être valablement opposé à la société EDF et faire peser sur l’intimée une obligation de renégociation.

S’agissant de la circonstance du développement des hydrocarbures non-conventionnels en Amérique du nord à partir de 2009 entraînant un effondrement du prix du pétrole à partir du mois de juillet 2014, un tel fait n’est pas susceptible d’appartenir à la catégorie des changements structurels en matière d’énergie, le cours du baril d’hydrocarbure ou le cours du gaz étant empreints d’une particulière volatilité ainsi que d’autres énergies ou produits ou facteurs monétaires, affectant habituellement le prix du marché.

En ce qui concerne le développement accéléré des énergies renouvelables à partir de 2010, l’appelante reconnaît dans ses écritures (en page 24) que le développement des énergies renouvelables a commencé en Europe avant la signature du contrat, l’intimée apportant les précisions selon lesquelles ce développement avait fait l’objet d’une directive n°2001/77/CE antérieure à la date de conclusion du contrat relative aux objectifs assignés par l’Union Européenne en matière de développement des énergies renouvelables , directive à laquelle a succédé la directive n°2009/28/CE du 23 avril 2009 ayant rendu contraignants les objectifs antérieurs qui n’étaient qu’indicatifs, portant sur 20 % de l’énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation totale d’énergie de la Communauté. L’intimée relève que dès la directive 2001/77/CE du 27 septembre 2001 relative à la promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables sur le marché intérieur de l’électricité, il était rappelé dans le Considérant n°2 que « [l]a promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables est au premier rang des priorités de la Communauté».

Dans ces conditions, le développement en cause ne présente pas de caractère imprévisible de sorte que les effets éventuels sur le prix du marché ne sont pas susceptibles d’être retenus comme un facteur faisant peser sur la société intimée une obligation de renégociation du contrat.

L’appelante allègue encore comme facteur imprévisible, le marché du CO 2, instauré par la directive n°2003/87/CE du 13 octobre 2003 afin de « favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes », mettant en oeuvre à compter du 1er janvier 2005 un système communautaire d’échange de quotas d’émission dit « SDEQE ».

Ce système préexistant à la conclusion du contrat litigieux n’est pas susceptible de constituer un événement imprévisible et doit être écarté.

Il s’ensuit que l’appelante ne rapportant pas la preuve d’une mutation structurelle du marché de l’électricité imprévisible à ladate du contrat en cause ayant entraîné pour la société X une exécution excessivement onéreuse du contrat, il en résulte que la société EDF n’était pas débitrice d’une obligation de renégociation du contrat et n’ a pas commis de faute dans l’exécution de bonne foi du contrat, en sorte que c’est à bon droit que le tribunal de commerce a débouté la société X de l’ensemble de ses demandes en résiliation et en indemnisation.

Le jugement entrepris est confirmé en ses chefs critiqués.

Par ces motifs

La cour,

Confirme le jugement entrepris en ses chefs critiqués ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société AZIENDA ELETTRICA TICINESE (X) à payer à la société Electricité de

France la somme de 40.000 euros ;

Rejette toute demande autre ou plus ample ;

Condamne la société AZIENDA ELETTRICA TICINESE (X) aux entiers dépens recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier Le président

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 11, 17 janvier 2020, n° 18/01078