Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 3, 14 octobre 2020, n° 18/22316

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 ch. 3, 14 oct. 2020, n° 18/22316
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/22316
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 25 juillet 2018, N° 14/12721
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 29 septembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRÊT DU 14 OCTOBRE 2020

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/22316 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6RDB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juillet 2018 -Président du TGI de PARIS – RG n° 14/12721

APPELANTE

SAS THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ-MONTPARNASSE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 452 926 298

[…]

[…]

représentée par Me Blandine DAVID de la SELARL BALAVOINE ET DAVID AVOCATS – BMP & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0165, avocat postulant

assistée de Me Gérard ABADJIAN de la SARL A & C ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0543, avocat plaidant

INTIMÉE

SARL CARAO prise en la personne de sa gérante domiciliée en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 401 773 668

[…]

[…]

représentée par Me Jean-philippe AUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0053, avocat postulant

assistée de Me Prune SCHIMMEL-BAUER de l’AARPI HERBIERE FRACHON & SCHIMMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : U0009, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Septembre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre

Madame Sandrine GIL, conseillère

Madame Elisabeth GOURY, conseillère

qui en ont délibéré

Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre et par Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

*****

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 9 avril 2004, la société CARAO, anciennement dénommée la société D’EXPLOITATION THÉÂTRALE, a donné à bail à la société THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE divers locaux à usage commercial dépendant d’un immeuble situé […] pour une durée de 9 ans à compter du 9 avril 2004, moyennant un loyer annuel de 100.000 euros en principal.

Par acte extrajudiciaire du 17 décembre 2012, la société CARAO a fait signifier à la société THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE un congé à effet du 30 juin 2013, avec offre de renouvellement, proposant la fixation du loyer du bail renouvelé au 1er juillet 2013 à la somme annuelle de 198.000 euros HT HC.

Par acte d’huissier de justice du 2 septembre 2014, la société CARAO a fait assigner la société THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE devant le juge des loyers commerciaux près le tribunal de grande instance de Paris en fixation du loyer du bail renouvelé au ler juillet 2013.

Par jugement avant-dire droit du 3 décembre 2014, le juge des loyers commerciaux a, sous le bénéfice de 1'exécution provisoire :

— constaté que par 1'effet du congé avec offre de renouvellement signifié le 17 décembre 2012 par la société CARAO à la société THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE, le bail concernant les locaux situés […] s’était renouvelé a compter du 1er juillet 2013,

— ordonné une mesure d’expertise et désigné M. Q… en qualité d’expert avec pour mission de donner son avis sur la valeur locative des locaux litigieux au ler juillet 2013,

— fixé le loyer provisionnel pour la durée de 1'instance au montant du loyer contractuel en principal, outre les charges,

— réservé les dépens et les demandes au titre des frais irrépétibles.

L’expert a procédé à sa mission et déposé son rapport en décembre 2016. Il propose une valeur locative annuelle au 1er juillet 2013 de 142.000 euros (arrondie) détaillée ainsi qu’il suit :

— partie théâtre :

valorisation à la jauge :110.275 euros (401 placesx27,50€ prix de la place x 2 nombre de séances journalière x 5).

Valorisation au fauteuil : 100.250 euros (prix au fauteuil 250 euros)

valorisation retenue avant correction : 105.263 euros

abattement de 5% pour charges exorbitantes : +5263 euros

majoration de 5% pour accession différée : – 5263 euros

valeur retenue après correction : 105.263 euros

— partie habitation

valeur retenue avant correction 39.073 euros (155,05m²x21x12)

abattement de 5% pour charges exorbitantes :1954 euros

Valeur locative retenue après correction 37.119 euros

Par jugement en date du 26 juillet 2018, le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance de Paris a :

Vu le rapport d’expertise de M. B… Q… reçu au greffe le 30 décembre 2016,

— Fixé à la somme annuelle de 141 880 euros, en principal, hors taxes et hors charges, le loyer du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2013 entre la société CARAO et la société THEATRE DE LA GAITE MONTPARNASSE pour les locaux situés […] , toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,

— Condamné la société THEATRE DE LA GAITE MONTPARNASSE à payer à la société CARAO les intérêts au taux légal sur les arriérés de loyer à compter de la date de l’assignation pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après la date de l’assignation,

— Dit que les intérêts échus et dus au moins pour une année entière produiront des intérêts, en application de l’article 1343-2 du code civil,

— Ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,

— Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

— Partagé les dépens par moitié entre les parties, qui incluront le coût de l’expertise judiciaire.

Par déclaration en date du 15 octobre 2018, la SAS Théâtre de la Gaité-Montparnasse a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 30 juin 2020, la société Théatre de la Gaîté-Montparnasse, demande à la cour de :

— Recevant la société THÉÂTRE DE LA GAITE-MONTPARNASSE en son appel, la dire bien fondée,

En conséquence,

— Réformer le jugement rendu le 26 juillet 2018 par le Juge des loyers commerciaux du Tribunal de grande instance de Paris en ce qu’il a :

— fixé à la somme annuelle de 141.880 euros, en principal, hors taxes et hors charges, le loyer du bail renouvelé à compter du 1 er juillet 2013 entre la société CARAO et la société THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE pour les locaux situés […] , toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées,

— condamné la société THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE à payer à la société CARAO les intérêts au taux légal sur les arriérés de loyer à compter de la date de l’assignation pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance contractuelle pour les loyers échus après la date de l’assignation,

— dit que les intérêts échus et dus au moins pour une année entière produiront des intérêts en application de l’article 1343-2 du code civil,

— débouté les parties du surplus de leurs demandes,

— partagé les dépens par moitié entre les parties, qui incluront le coût de l’expertise judiciaire.

Statuant à nouveau dans cette limite,

Avant dire droit,

— Ordonner une expertise judiciaire, si mieux n’aime la Cour ordonner une consultation, confiée à un expert immobilier près la Cour d’appel de Paris spécialisé en matière d’évaluation de locaux commerciaux de théâtres avec mission de :

— convoquer les parties et, dans le respect du principe du contradictoire,

— se faire communiquer tous documents et pièces nécessaires à l’accomplissement de sa mission,

— visiter les locaux litigieux situés […] et les décrire,

— entendre les parties en leurs dires et explications,

— procéder à l’examen des faits qu’allèguent les parties,

— rechercher la valeur locative des lieux litigieux au regard des usages observés dans la branche d’activité considérée, à savoir en matière de théâtres, et en tenant compte des critères appliqués pour évaluer la valeur locative des locaux monovalents tenant notamment au prix praticable, au taux d’occupation et aux commissionnements et rabais internet,

— rendre compte du tout et donner son avis motivé,

— dresser un rapport de ses constatations et conclusions.

— Réserver les demandes des parties dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise judiciaire,

— A titre subsidiaire, si la Cour estimait ne pas devoir ordonner d’expertise judiciaire,

— Fixer le loyer annuel du bail renouvelé à compter du 1 er juillet 2013 entre la société CARAO et la société THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE pour les locaux situés […] , toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées :

o à titre principal, à la somme de 39.261,00 € en principal, hors taxes et hors charges,

o à titre subsidiaire, à la somme de 42.593,34 € en principal, hors taxes et hors charges,

o à titre encore plus subsidiaire, à la somme de 63.035,71 €.en principal, hors taxes et hors charges,

— Débouter la société CARAO de ses demandes d’intérêts de retard, de capitalisation des intérêts, d’indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et de dépens,

— Condamner la société CARAO à payer à la société THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE la somme de 20.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Y ajoutant,

— Déclarer la société CARAO mal fondée en son appel incident,

— La débouter de toutes ses demandes, fins et prétentions en cause d’appel.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 15 avril 2019, la société Carao, intimée, demande à la Cour de :

Vu l’article L. 145-36 du code de commerce

Vu les articles L. 145-9 à L. 145-11 du code de commerce

Vu les articles 1343-1 et 1343-2 du code civil

Vu les pièces versées aux débats

— DIRE ET JUGER la SARL CARAO recevable et bien fondée en son appel incident

— REFORMER le Jugement rendu le 26 juillet 2018 par le Juge des Loyers commerciaux en ce qu’il a :

— Fixé à la somme annuelle de 141.880 € en principal hors taxe et hors charges le loyer du bail renouvelé à compter du 1 er juillet 2013 entre la société CARAO et la société

THÉÂTRE DE LA GAÎTÉ MONTPARNASSE pour les locaux situés […] , toute autre clause et condition du bail expiré demeurant inchangées

— Débouté les parties du surplus de leurs demandes

— CONFIRMER le Jugement rendu le 26 juillet 2018 pour le surplus

Et, statuant à nouveau :

— FIXER à la somme annuelle de 190.000 € en principal, hors taxe et hors charges le loyer du bail renouvelé à compter du 1 er juillet 2013 entre la société CARAO et la société THEATRE DE LA GAITE MONTPARNASSE pour les locaux situés […] , toute autre clause et condition du bail expiré demeurant inchangée, cette somme correspondant à :

—  135.160 € pour la partie des locaux abritant le Théâtre

—  39.073 € pour la partie des locaux abritant les appartements, soit la partie habitation

—  24.050 € pour le local commercial se situant sur rue

Soit la somme de 198.283 €, ramenée à 190.000 € en considération des charges pesant sur le locataire.

— CONDAMNER la SAS THEATRE DE LA GAITE MONTPARNASSE à verser à la SARL CARAO la somme de 15.000 € au titre de l’article 700 du CPC et la somme de 7.628, 55 € en remboursement des frais exposés par elle dans le cadre de l’Expertise judiciaire au titre des honoraires réglés à M. B… Q….

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 9 septembre 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société locataire critique le rapport d’expertise judiciaire, notamment en ce qu’il a retenu le principe d’une jauge théorique majorée, méthode critiquée par le syndicat national du théâtre privé, la multiplication des horaires et du nombre de spectacles présentés n’ayant pas eu pour conséquence d’accroître le chiffre d’affaire global du secteur, que la compagnie des experts a préconisé une refonte de la méthode hôtelière utilisée pour la fixation du montant des loyers des hôtels, qu’il doit en être de même en ce qui concerne la méthode de la jauge utilisée pour la fixation du montant du loyer des théâtres, que l’expert Q…, lui même dans un article publié le 12 novembre 2019,préconise une telle réforme, qu’il reconnaît lui-même que les professionnels du spectacle assimilent la jauge au nombre de fauteuils effectivement vendus et que la jauge des experts est qualifiée de jauge financière, reconnaissant ainsi que la méthodologie qu’il a employée ne correspond pas aux usages visés par l’article R145-10 du code de commerce.

La cour rappelle que par application des dispositions des articles L145-36 et R 145-10 du code de commerce, le loyer des locaux monovalents, à l’instar des théâtres, peut être déterminée par rapport aux usages dans la branche d’activité considérée.

La valeur locative des théâtres est habituellement évaluée selon la méthode de la jauge. Est également utilisée la méthode par la valeur au fauteuil, souvent à titre de recoupement.

Selon la méthode dite à la jauge, la valeur locative correspond à la recette journalière théorique maximum (jauge) x un coefficient.

La jauge correspond au nombre de places vendables x un prix moyen de la place x nombre de séances journalières.

Le fait que l’expert judiciaire ait pu, plusieurs années après le dépôt de son rapport, émettre des suggestions visant à améliorer la méthode d’évaluation des théâtres dite à la jauge, ou que les experts, aient décidé d’apporter des correctifs à la méthode hôtelière utilisée pour l’évaluation des loyers des hôtels, ne peut remettre en question, la méthode utilisée au cas d’espèce pour une évaluation en juillet 2013, étant au surplus observé, que le juge n’est pas tenu d’appliquer les usages de la branche considérée, si bien qu’il importe peu que ceux-ci diffèrent de la méthode retenue par l’expert judiciaire. Dans ces conditions, il ne sera pas fait droit, faute d’éléments nouveaux à la demande de nouvelle expertise, étant au besoin souligné qu’aucune des parties ne sollicite la nullité du rapport de l’expert Q…, lequel a effectué un travail consciencieux dans le respect du contradictoire.

Sur les locaux pris à bail

L’expert Q… et le premier juge ont considéré que les locaux prix à bail comprenaient deux parties distinctes, le lot 1 (théâtre) et le lot 2 (appartement), qu’ils ont valorisés séparément.

La société locataire soutient qu’en fait, les parties théâtre et appartements sont très étroitement imbriquées et forment un tout indivisible, qu’en toute hypothèse, elle a été dans l’obligation d’affecter partiellement la partie, qualifiée d’habitation par la bailleresse à l’usage des comédiens, permettant ainsi d’attirer des vedettes, compte tenu de la médiocrité des dépendances du théâtre (loges aveugles, trois toilettes, douche dans la buanderie, absence de hall d’attente… )

A titre subsidiaire, si la division de l’immeuble était retenue, elle demande de ramener la surface de la partie habitation à 85,39 m², après déduction de la surface des locaux affectés à l’usage des acteurs et donc à l’exploitation du théâtre (au premier étage le studio avec la salle de bains et WC , la salle à manger ; au 2e étage le salon ).

Le bail liant les parties en date du 9 avril 2004, stipule au chapitre 5

-4 'désignation des locaux loués : lot 1 (Théâtre) tel qu’identifié par le plan ci-annexé

lot 2 (appartements) tel qu’identifié par le plan ci-annexé,

[…]

-6 'destination :

pour le lot 1

lesdits locaux devront exclusivement être affectés à l’exploitation d’un théâtre, destiné à représenter des pièces pour grand public.(…)le tout afin de conserver au lieux loués l’activité de théâtre dans le respect de la tradition et de la réputation du 'théâtre de Gaîté Montparnasse'

pour le lot 2 :

'usage exclusif d’habitation'.

Dans ces conditions, compte tenu de l’affectation contractuelle des locaux 'à usage exclusif d’habitation', ceux-ci doivent être valorisés conformément à leur destination contractuelle, selon la méthode comparative des prix au m², quand bien même la société locataire les aurait-elle mis à disposition des comédiens afin d’améliorer leur confort, l’usage des lieux fait par le preneur ne modifiant pas leur destination contractuelle.

Sur la valorisation d’une surface située au rez-de-chaussée

L’expert judiciaire et le premier juge ont écarté la valorisation séparée d’une surface située au rez-de-chaussée sollicitée par la bailleresse.

Celle-ci soutient qu’existe au rez-de-chaussée du théâtre un local de 34,10m², à usage de boutique ; qu’elle établit ces faits par les premiers plans disponibles datant de 1982, par le dossier photographique conservé aux archives de monuments historiques datant de janvier 1983, que cette boutique existait encore avec une vitrine lors de l’inscription de l’immeuble à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques le 3 avril 1984, que l’expert judiciaire a d’ailleurs relevé que le rez-de-chaussée de l’immeuble au numéro 26, est occupé par une vitrine occultée habillée d’encarts publicitaires du théâtre ; que l’avenant du 7 mars 1996, au bail du 8 février 1996,consenti par L’EURL LES TONNELLES à la société d’exploitation théâtrale, représentée par son directeur général M. E… Y… K…, stipule dans sa clause de destination au rez-de- chaussée 'une boutique sur la […] et une arrière boutique'. Elle soutient que si ce local est actuellement à usage de réserve c’est de l’unique fait du preneur et que rien ne s’oppose à ce qu’il en soit fait un usage commercial. En tout état de cause, elle souligne que compte tenu de son emplacement et de sa superficie, ce local doit être valorisé comme étant une annexe spécifique apportant une plus value au théâtre.

La société locataire s’oppose à toute valorisation séparée de cet espace.

La cour relève, qu’il importe peu qu’avant la conclusion du bail liant les parties, il ait pu exister au rez-de-chaussée du théâtre, un local commercial formant boutique occupée par un retoucheur. Ni la clause de destination, ni la clause de désignation du bail liant les parties, ne font mention de cette boutique et ne permettent de la valoriser séparément du théâtre dont elle constitue avec les loges et les couloirs, des dépendances.

Compte tenu des règles particulières appliquées quant à la détermination de la valeur locative des théâtres, il est admis que le coefficient appliqué à la jauge permet de tenir compte de l’ensemble des particularités de l’outil immobilier affecté à cette destination contractuelle, sans qu’il soit de ce fait besoin de valoriser séparément les dépendances nécessaires de la salle de spectacle.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a refusé de valoriser séparément cette surface.

Sur le théâtre

Selon la méthode dite de la jauge

S’agissant de l’application de la méthode dite de la jauge, les parties s’opposent sur le nombre de places vendables.

L’expert judiciaire et le premier juge ont retenu 401 places. La société locataire soutient qu’en fait il n’existe que 399 places, dont 253 en première catégorie à l’orchestre et non 255 comme l’a retenu l’expert ; que de surcroît il convient de retrancher de ce nombre les places difficilement vendables comme les strapontins, lesquels sont au nombre de 25, si bien que seules 374 places doivent être retenues avec cette méthode.

L’expert judiciaire ne précise pas son calcul pour retenir 401 places vendables dont 255 à l’orchestre, alors même que la société locataire soutenait lors de l’expertise que ce nombre était de 399. La capacité autorisée par la préfecture de Police n’est produite aux débats par aucune des parties. Il résulte d’un extrait du site de l’association pour le soutien du théâtre privé du 17 avril 2015, que la jauge est de 399 places ; ce nombre qui correspond à celui relevé par la société locataire sur les plans versés aux débats sera en conséquence retenu.

Le nombre de places retenu étant celui qui peut être théoriquement vendu, seules les places indisponibles pour des raisons de police administrative peuvent être décomptées, et non celles correspondant à des strapontins, qui relèvent de la politique commerciale du preneur.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de retrancher les strapontins du total des places vendables.

Les parties s’opposent sur le prix des places devant être retenu. La société locataire accepte le prix de 27,50 euros, proposé par l’expert judiciaire. La bailleresse soutient qu’il convient de prendre en compte les prix effectivement payés en 2013, pour chaque catégorie et non en fonction d’un prix moyen ; que l’association pour le soutien des théâtres privés ne prend pas en compte les tarifs effectivement pratiqués par les théâtres, mais ne fait qu’établir un prix moyen à la place sans tenir compte des catégories de places et des différences de prix applicables en fonction de ces catégories. Elle soutient en outre que le prix de 27,50 euros, tiré de la pièce adverse 37 ferait état de prix pratiqués en 2014/2015 soit postérieurement au renouvellement du bail . Elle relève que les tarifs pratiqués en 2013, étaient les suivants : 36 euros en première catégorie, 28 euros en 2e catégorie et 18 euros en 3e catégorie, pour un spectacle en janvier 2013, les mêmes tarifs étant appliqués en août 2013, pour un autre spectacle, soit une recette théorique maximum de 13.526 euros, calculée en fonction de chaque catégorie.

L’expert judiciaire a retenu comme prix des places, celui indiqué dans le document sus-visé de l’association pour le soutien du théâtre privé, lequel indique pour le théâtre de la Gaîté Montparnasse pour la saison 2010/2011 un prix moyen de place de 29 euros et pour la saison 2011/2012 un prix moyen de place de 30,90 euros et pour la saison 2012/2013 un prix moyen de place de 27,20 euros et pour la saison 2013/2014 un prix moyen de 22,90 euros.

La cour retient que s’il est exact que pour la détermination du montant de la valeur locative, il n’y a pas lieu de prendre en compte les éléments postérieurs à la date de renouvellement, pour autant le prix moyen relevé par l’association pour le soutien du théâtre privé, pour le théâtre de la Gaîté Montparnasse pour la saison 2012/2013, correspondant à la date du renouvellement est de 27,20 euros, soit sensiblement le même que celui retenu par l’expert judiciaire et admis par le preneur. La bailleresse n’établit pas que ce prix calculé par l’association ne correspondrait pas au prix pratiqué, alors même qu’il résulte du rapport d’expertise que pour la saison 2012/2013, le prix moyen par entrées payantes, calculé en fonction des recettes encaissées, était de 22,24 euros et de 26euros, après réintégration des entrées gratuites.

La bailleresse soutient qu’en cas de double programmation journalière, la recette théorique doit être multipliée par deux, ce qu’ont retenu l’expert judiciaire et le premier juge.

La société locataire conteste la prise en compte d’une deuxième séance, soulignant que cette double programmation n’est que ponctuelle ; que la multiplication des horaires n’a pas eu pour conséquence d’accroître le chiffre d’affaires du secteur ; que la plupart des théâtres privés sont contraints de pratiquer de la sorte ; que le théâtre pratiquait la double programmation avant la conclusion du bail, sans que la fixation du loyer en tienne compte. A titre subsidiaire, elle soutient que dans l’hypothèse, où la cour retiendrait deux séances journalières, il conviendrait d’appliquer une pondération, étant observé que selon les données communiquées à l’expert judiciaire, le taux d’occupation des places est d’environ 59%.

La cour retient qu’il est établi par le rapport d’expertise judiciaire, qui a analysé les pièces produites par le preneur, et qui n’est pas critiqué sur ce point, qu’au cours de la saison 2012/2013, trois des quatre spectacles programmés ont fait l’objet de deux séances journalières. Aucun élément n’est donné pour la saison précédente et au cours de la saison suivante seuls deux spectacles sur six ont fait l’objet de deux séances journalières.

La valorisation à la jauge, prend en compte une recette idéale déterminée à partir du nombre de places vendables, tous les jours de l’année avec une seule séance journalière. La majoration de cette jauge en raison d’un plus grand nombre de séances journalières proposées, doit prendre en compte les caractéristiques physiques du théâtre et la réalité de cette double programmation quotidienne.

En l’espèce, le théâtre ne dispose que d’une seule salle et d’une scène peu profonde, si bien que le fait qu’il puisse, comme beaucoup d’autres théâtres privés proposer pour certains spectacles deux séances journalières, ne peut avoir pour effet de multiplier par deux sa jauge, mais seulement de la majorer de 0,50%.

Selon l’expert judiciaire le coefficient multiplicateur est compris entre 4,5 et 5,5 avec des exceptions jusqu’à 7 pour les petites salles plus faciles à remplir.

L’expert judiciaire propose un coefficient de 5, accepté par la bailleresse. La société locataire lui préfère un coefficient de 4,5.

Compte tenu de la situation favorable au sein d’un quartier largement voué aux activités et divertissements nocturnes, avec une prédominance des restaurants, cafés, cinémas et salles de spectacles renommés présentant un intérêt évident pour l’activité exercée, à proximité immédiate d’autres théâtres, situés dans la même rue ([…] ), qui n’est pas sérieusement affectée par l’existence de quelques sex-shops, avec la présence de nombreux hôtels de tourisme, de la notoriété et l’originalité architecturale de l’établissement, de sa construction ancienne complexe, avec d’importantes surfaces improductives en étage et en sous-sol qui astreignent dans le principe le locataire à un entretien coûteux, des parcs de stationnement à proximité, contrairement à ce que soutient le preneur, les locaux étant situés à proximité immédiate tant de la tour Montparnasse que de la gare du même nom et le stationnement étant autorisé dans la rue côté pair, de la configuration physique de la scène qui limite la gamme de spectacles possibles, de l’importance du volume qui aboutit à des contraintes de remplissage, le coefficient de 5 proposé par l’expert judiciaire a été correctement apprécié.

Il s’ensuit que selon cette méthode la valeur locative est de

399x27,50x5x1,5=82.293,75 euros

Sur la valeur locative des appartements

Sous réserve des développements qui précèdent sur la demande de la société locataire de valoriser séparément une partie des locaux à usage d’habitation, et qui n’a pas été retenue par la cour, il convient d’observer que la surface totale de 155,05m² est admise par les parties, ainsi que le prix au m² proposé par l’expert de 21 euros.

En conséquence, la valeur locative s’établit à la somme de 39.073 euros.

Sur les abattements et les majorations

L’expert judiciaire propose en outre d’appliquer un abattement 5% compte tenu de la clause de transfert des charges exorbitantes du droit commun.

La bailleresse s’oppose à un tel abattement au motif que si l’article 5 du bail met à la charge de la société locataire les travaux relevant de l’article 606 du code civil, celle-ci n’a pas satisfait à ses obligations contractuelles.

La société locataire demande la fixation à 20% de l’abattement pratiqué. Elle justifie du fait que le montant de l’impôt foncier dont elle assure la charge s’est élevé pour l’année 2013 à la somme totale de 8092 euros, soit un montant excédent les 5% proposés par l’expert judiciaire, qu’elle doit en outre supporter les grosses réparations, en ce compris le ravalement, qu’en cas de transmission du droit au bail à un tiers autre que le bailleur, les appartements seront exclus de la transmission sans diminution du loyer, ce qui compte tenu de la configuration des lieux restreindra considérablement la possibilité de céder son fonds.

Le preneur conteste la majoration pour accession différée en fin de jouissance proposée par l’expert. La cour retient qu’une telle clause ne constitue pas un désavantage pour le bailleur et ne peut entraîner à son profit une majoration de la valeur locative.

Selon l’article 5 du bail, le preneur doit assurer les travaux relevant de l’article 606 du code civil, étant précisé que par dérogation, le bailleur supportera le coût desdits travaux dans le cas exclusif où il se verrait allouer et régler des subventions publiques destinées à de tels travaux, et ce à concurrence du montant des subventions perçues. En outre, le preneur "fera son affaire personnelle dès à présent, et pendant toute la durée du bail, de leur maintien en conformité au regard de toutes les réglementations administratives et de police applicables tant auxdits locaux qu’à l’activité qui y sera exercée. Il se conformera à toutes les recommandations et injonctions émanant de l’inspection du travail, des commissions d’hygiène et de sécurité et plus généralement de tous les services ou autorités administratives concernés'.

Le bail stipule également un transfert de la charge de la taxe foncière et restreint les possibilités de cession du fonds à un tiers, dans la mesure où dans cette hypothèse, 'sauf renonciation du bailleur, ou de son substitué les appartements constituant le lot n°2 visé à l’article 4 du chapitre 5 ne feront plus l’objet du présent bail et ce, sans diminution de loyer'.

Dans ces conditions, il convient de retenir un abattement de 10%, peu important à cet égard que le preneur ait assuré ou non, jusqu’à présent, la charge des grosses réparations, s’agissant d’une clause exorbitante de droit commun susceptible de s’appliquer à tout moment.

La valeur locative du bail renouvelé doit en conséquence être fixée à la somme de 109.230 euros calculée de la façon suivante :

partie théâtre

82.293,75 x0,90=74.064,37uros

partie appartements

39.073x0,90=35.165,70

total =109.230,07euros arrondie à 109.230 euros

Selon la méthode dite au fauteuil

L’expert Q… en page 5 de sa note de synthèse a établi un tableau comparatif des salles de spectacles et des théâtres.

Il en résulte pour les théâtres de moins de 450 places un prix au fauteuil compris entre 28 euros et 206 euros (en 2007 pour le théâtre Y… de 350 places); pour les théâtres compris entre 450 et 750 places un prix au fauteuil compris entre 90 euros (1998 pour le théâtre Montparnasse de 715 places) à 223 euros (2008 théâtre des Mathurins pour 462 places).

La société locataire soutient que compte tenu des références produites, le prix au fauteuil ne peut excéder 130 euros. La bailleresse ne s’explique pas sur cette méthode de valorisation.

L’expert judiciaire a retenu un prix au fauteuil de 250 euros en raison de la pratique de la double programmation pratiquée dans les lieux.

Si les références produites sont un peu anciennes par rapport à la date de renouvellement du bail dont s’agit, les plus récentes pour des théâtres d’une jauge semblable, comme la Comédie Caumartin (2006, 390 places 154 euros), le théâtre Y… (2007, 350 places prix au fauteuil de 206 euros) ou encore celui du théâtre des Mathurins (2008, 462 places, prix au fauteuil de 223 euros) retiennent l’attention. Il résulte de ces éléments que le prix proposé par l’expert judiciaire de 250 euros le fauteuil est élevé, un prix de 210 euros qui tient compte de l’ancienneté des références et de la majoration due au fait que deux séances journalières sont parfois proposées, est plus adapté.

Avec cette méthode le prix est de

399x210 =83.790 euros

Après application d’un abattement de 10% pour charges exorbitantes, le prix s’établit à

83.790x0,90=75.411 euros.

La valeur de recoupement par fauteuil étant cohérente avec la valeur locative évaluée par la méthode dite à la jauge, il convient de retenir la valeur locative selon la méthode dite à la jauge, conforme aux usages.

Par conséquent le jugement de première instance, sera infirmé sur le quantum du montant du loyer du bail renouvelé.

Sur les demandes annexes

S’agissant de la fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative pour laquelle une expertise était nécessaire et de l’intérêt des parties, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné chacune des parties par moitié aux dépens incluant le coût de l’expertise.

L’équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Les deux parties succombant en cause d’appel, il sera fait masse des dépens qui seront supportés par moitié par chacune des parties.

PAR CES MOTIFS

Par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement entrepris sur le montant de la valeur locative du bail renouvelé au 1er juillet 2013 ;

Le confirme en ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant

Rejette la demande de mesure d’instruction présentée par la société THEATRE DE LA GAITE MONTPARNASSE ;

Fixe à la somme annuelle de 109.230 euros, en principal, hors taxes et hors charges, le loyer du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2013 entre la société CARAO et la société THEATRE DE LA GAITE MONTPARNASSE pour les locaux situés […] , toutes autres clauses et conditions du bail expiré demeurant inchangées ;

Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Fait masse des dépens et dit qu’ils seront supportés par moitié par chacune des parties.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 3, 14 octobre 2020, n° 18/22316