Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 27 mai 2020, n° 18/09884

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 3, 27 mai 2020, n° 18/09884
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/09884
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 2 avril 2018, N° 15/01082
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRÊT DU 27 MAI 2020

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/09884 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5WQZ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Avril 2018 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 15/01082

APPELANTE

Madame D A veuve X

née le […] à […]

[…]

[…]

représentée par Me Florence REBUT DELANOE de l’ASSOCIATION L & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : J060

INTIMÉE

SARL AUX DELICES DE MIMI agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 794 141 440

[…]

[…]

représentée par Me Géraldine RASTOILE de la SELAS HCR AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0492 substitué par Me Sandrine JEAND’HEUR de la SELARL JMB ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : A0694,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Février 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre, chargée du rapport et Madame Elisabeth GOURY, conseillère.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre

Madame Elisabeth GOURY, conseillère

Madame Clarisse GRILLON, conseillère

qui en ont délibéré

Greffière, lors des débats : Madame D-Gabrielle de La REYNERIE

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile le prononcé de l’arrêt, (initialement fixé au 1er avril 2020) ayant été renvoyé en raison de l’état d’urgence sanitaire.

— signé par Madame Agnès THAUNAT, présidente de chambre et par Madame D-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

*****

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé du 20 avril 1984, Mme E F, veuve Y et M. G Y aux droits desquels se trouve aujourd’hui Mme D A veuve X, ont donné à bail à M. et Mme H I aux droits desquels se trouve aujourd’hui la société AUX DELICES DE MIMI, divers locaux à usage commercial dépendant d’un immeuble situé […] à Paris 7e, pour une durée de 9 ans à compter du 1er octobre 1983 pour expirer le 30 septembre 1992. Ce bail a été renouvelé pour la dernière fois par acte sous seing privé du 28 février 2005, pour une duré de 9 ans à compter du 1er janvier 2005 pour expirer le 31 décembre 2013.

Par acte d’huissier de justice du 11 février 2014, la société AUX DÉLICES DE MIMI a fait signifier à Mme D A une demande de renouvellement à effet du 1er avril 2014.

Par acte d’huissier de justice du 4 avril 2014, Mme D A veuve X, a fait signifier à la société AUX DÉLICES DE MIMI un congé pour le 31 décembre 2014 portant refus de renouvellement et offre d’une indemnité d’éviction.

Par acte d’huissier de justice du 7 janvier 2015, Mme D A veuve X, a fait assigner la société AUX DÉLICES DE MIMI aux fins de voir désigner un expert ayant pour mission d’évaluer l’indemnité d’éviction et l’indemnité d’occupation due par la société AUX DELICES DE MIMI à compter du 1er janvier 2015.

Par jugement du 30 juin 2015, M. Z a été désigné en qualité d’expert ayant la mission notamment de rechercher les éléments permettant de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation due par la locataire.

L’expert a déposé son rapport le 20 octobre 2016 et a conclu à une indemnité d’éviction de 586.322 euros et à une indemnité d’occupation de 39 510 euros par an.

Par jugement en date du 3 avril 2018, le tribunal de grande instance de Paris a:

Vu le jugement du 30 juin 2015,

— Fixé à la somme de 599 551 euros le montant de l’indemnité d’éviction toutes causes confondues due par Mme D A veuve X à la société AUX DÉLICES DE MIMI, outre les frais de licenciements dans la limite de 12 426 euros payés sur justificatifs,

— Fixé le montant de l’indemnité d’occupation due par la société AUX DÉLICES DE MIMI à compter du 1er janvier 2015 à la somme annuelle de 39 510 euros en principal,

— Dit que la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation s’opérera de plein droit,

— Condamné Mme D A veuve X à payer à la société AUX DELICES DE MIMI la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— Dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire,

— Rejeté les autres demandes,

— Condamné Mme D A veuve X aux entiers dépens, en ce compris les frais d’expertise et dit qu’ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration en date du 22 mai 2018, Mme D A veuve X a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 20 janvier 2020, Mme D A veuve X, demande à la Cour de :

— INFIRMER les chefs du jugement critiqués ;

Dès lors,

— DIRE que le fonds de commerce de la société LES DÉLICES DE MIMI est transférable et que Mme X devra dès lors lui verser une indemnité d’éviction de 19.000 €,

Subsidiairement,

— FIXER l’indemnité d’éviction à verser par Mme X à la somme de 434.470€,

En tout état de cause,

— FIXER l’indemnité d’occupation annuelle due par la société LES DÉLICES DE MIMI à 59.199€ hors [sic] et hors charges,

— CONDAMNER la société LES DÉLICES DE MIMI au paiement d’une somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise.

— DÉBOUTER la société LES DELICES DE MIMI de toutes ses autres demandes, fins et conclusions.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 22 janvier 2020, la société AUX DÉLICES DE MIMI, demande à la cour de :

L’article L.145-14 du Code de Commerce

Vu le rapport d’expertise de M. Z en date du 20 octobre 2016

Vu les pièces versées aux débats

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

' Dit que le fonds de commerce exploité par la Société AUX DÉLICES DE MIMI n’était pas transférable

' Fixer le taux de l’indemnité de remploi à 10 °/o du montant de l’indemnité principale

' Fixer la perte du stock à 3.000 €

' Fixer le montant de l’indemnité d’occupation à la somme annuelle en principale de 39.510 € due par la Société AUX DÉLICES DE MIMI à compter du 1er janvier 2015.

' Dit que la compensation entre le montant de l’indemnité d’éviction et l’indemnité d’occupation s’opérera de plein droit

' Condamner Mme X à payer à la Société AUX DÉLICES DE MIMI la somme de 8.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile

' Condamner Mme X aux entiers dépens de l’instance, en ce compris les frais d’expertise

— Infirmer le jugement dont appel pour le surplus, et statuant à nouveau :

' Fixer l’indemnité d’éviction due par Mme X à la Société AUX DÉLICES DE MIMI à la somme de :

653.426 € sur la base d’une valorisation H.T du fonds de commerce

ou 686.426 € sur la base d’une valorisation T.T.C du fonds de commerce

' Fixer le montant provisionnel de l’indemnité de licenciement à la somme de 20.468,48€

— Condamner Mme X à verser à la Société AUX DÉLICES DE MIMI la somme de 5.000€ en application de l’article 700 du Code de procédure civile au titre des frais exposés par elle pour sa défense en cause d’appel.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 23 janvier 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la possibilité d’un transfert du fonds de commerce

Mme A, veuve X affirme que le commerce pourrait très bien être déplacé dans une autre rue à proximité, même moins commerçante, un commerce de boulangerie attirant toujours les habitants alentour et surtout ses clients fidèles, et ce même s’il n’est pas exactement sur l’axe commerçant principal. Elle soutient que, les locaux visés dans les offres de location produites

pourraient manifestement accueillir le fonds de commerce de la société LES DELICES DE MIMI, puisqu’ils se situent tous à proximité et sont tous d’une surface sensiblement équivalente à la boutique actuelle. Elle observe en outre, que la société LES DELICES DE MIMI a elle-même sollicité le 13 juin 2016, une indemnité pour frais accessoires au titre des 'frais de publicité inhérents au transfert de l’entreprise, incluant le mailing à la clientèle'.

Pour la société AUX DÉLICES DE MIMI, deux conditions doivent être réunies pour considérer que le fonds de commerce peut être transféré: le nouveau local commercial doit se situer à proximité de celui que le locataire doit quitter et le nouveau local commercial doit permettre au commerçant d’exercer normalement son activité. Or, les offres de location communiquées par Mme X ne répondent pas aux besoins précis de la société AUX DELICES DE MIMI qui exploite une activité de boulangerie-pâtisserie imposant de disposer dans les locaux d’un fournil mais également une extraction d’air. Par ailleurs, les offres de location ne sont pas situées dans le même secteur géographique, ni à proximité immédiate des locaux actuellement occupés.

Selon le bail liant les parties, les locaux loués sont destinés exclusivement au commerce de boulangerie-pâtisserie avec droit de fabrication dans le four du fournil, confiserie, glaces, plats cuisinés et boissons à emporter à l’exclusion de tous autres. Les locaux se composent de la manière suivante :

au rez-de -chaussée : une boutique sur rue, une arrière-boutique, un fournil, un laboratoire et un WC sur cour ;

au sous-sol : une cave ;

au premier étage : quatre pièces et une salle de bains.

Les locaux sont situés […], selon l’expert Z, dans la partie de cette voie comprise entre l’avenue de la Tour Maubourg et l’avenue Bosquet, à proximité immédiate de la rue Clerc, c’est-à-dire dans un secteur résidentiel et d’excellente valeur commerciale en raison de l’implantation dans la partie piétonne de cette rue d’un grand nombre de commerces d’alimentation. L’expert judiciaire rappelle à juste titre que la rue Cler est une des rues de la capitale spécialisée dans le commerce de l’alimentation. L’expert amiable B, qui a expertisé les locaux à la demande de la bailleresse, confirme la bonne situation de la boutique à proximité de la rue Cler et de la partie commerçante de la rue de Grenelle, et précise que le tronçon de la rue de Grenelle recherché par les enseignes (données Codata) commence au 180 de la rue et se poursuit sur la gauche de la boutique.

La cour rappelle que c’est au bailleur d’apporter la preuve que des locaux correspondant aux besoins du locataire, permettant sa réinstallation sans perte significative de clientèle, sont disponibles dans un secteur proche des locaux dont le locataire est évincé.

En pièce 12, les bailleurs communiquent des offres de location pour des boutiques situées dans le 7e arrondissement. Cependant, aucune de ces offres ne correspond à un local de boulangerie, avec les spécificités qu’il doit comporter ; les deux seules offres comportant à la fois une boutique et un appartement, particulièrement appréciable pour un fonds de boulangerie, compte tenu des horaires décalés, correspondent l’une à un local situé sans autre précision dans le 7e arrondissement, pour 'tous commerces chics, à thèmes caves à vins, vente de thés/cafés, et galerie d’arts', l’autre situé rue Saint Dominique à un commerce de 'cosmétiques, esthétique', ne pouvant correspondre à l’activité du locataire évincé. Dans ces conditions, la bailleresse ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que le transfert du fonds sans perte de clientèle est possible.

En conséquence, l’indemnité d’éviction doit compenser la perte du fonds sans pouvoir cependant être inférieure à la valeur du droit au bail.

Sur l’indemnité d’éviction

L’appelante soutient que l’examen des comptes révèle que sur les exercices 2013/2014 puis 2014/2015, le fonds de commerce n’a pas été rentable, le résultat d’exploitation étant négatif et que l’analyse des comptes pour les années 2017/2018 et 2019 montre que l’exploitation est encore très fragile ; que le chiffre d’affaires ne pouvant être la seule référence, il est dans ce cas d’usage de procéder à une évaluation du fonds de commerce en examinant sa profitabilité et son excédent brut d’exploitation. En application de cette méthode qui conduit à ne retenir finalement que la valeur du droit au bail, le rapport B estime que le fonds peut être évalué à 380.000 euros.

Dans l’hypothèse où l’indemnité d’éviction ne serait déterminée qu’en fonction du chiffre d’affaires de la locataire, Mme A, veuve X estime que le montant de l’indemnité d’éviction totale doit être de 434.470 euros. En effet, le coefficient appliqué par M. Z (125%) résulte d’une étude réalisée par la Compagnie des Experts en juillet 2010, soit avant l’aggravation de la conjoncture. Elle indique que les coefficients de 2019 sont bien plus bas que ceux de 2010 et précise que selon des recherches effectuées sur internet en décembre 2016, les fonds de commerce de boulangerie sont évalués entre 60% et 110% de leurs chiffres d’affaires HT.

Pour la société AUX DELICES DE MIMI, le montant de l’indemnité principale, composante de l’indemnité d’éviction, tel que fixé par l’expert judiciaire, apparaît en deçà de ce qui doit être retenu pour un fonds de commerce de cette nature. Elle soutient que compte tenu de l’emplacement commercial du local au sein duquel elle exploite son fonds, de l’existence d’un local à usage d’habitation rattaché au bail commercial et des usages de la profession en matière de valorisation d’un fonds de commerce de cette nature, il convient de retenir un pourcentage de 135%, appliqué au chiffre d’affaires TTC ou au chiffre d’affaires HT. Elle indique en outre, que cette valorisation apparaît d’autant plus justifiée que le preneur a entrepris à ses frais d’importants travaux au sein du local commercial, et ce afin que les locaux puissent répondre au mieux aux normes d’hygiène, de sécurité et de salubrité. Ainsi, les installations garnissant les locaux sont en bon état de fonctionnement ce qui permet de retenir une meilleure valorisation du fonds de commerce supérieure à celle proposée par l’expert judiciaire. Elle demande d’écarter l’autre méthode de valorisation invoquée par Mme X, fondée sur la base de l’excédent brut d’exploitation rapportée à la valeur du droit au bail, celle-ci n’étant pas celle usuellement utilisée dans des cas similaires, ni celle retenue par l’expert judiciaire, ni celle retenue par les juges en première instance.

La cour relève que l’expert Z dans une réponse à un dire a précisé qu’il se référait à une étude de la compagnie des experts publiée à la Gazette du Palais et de son actualisation telle qu’elle figure dans le numéro de mars 2013, si bien que le reproche formulé par la bailleresse sur le caractère ancien de l’étude qui daterait de 2010 n’est pas pertinent. Selon cette étude, publiée en 2013, la valeur d’un fonds de commerce de boulangerie -pâtisserie varie entre 95% et 130% du CA HT. L’expert B, dans son rapport amiable produit par la bailleresse, indique pour sa part que les fonds de boulangerie-pâtisserie se vendent suivant les traités de la façon suivante : DELMAS entre 40 et 130% du CA TTC annuel, BLATTER entre 70 et 120% du CA annuel, LEFEBVRE entre 60 et 110 % du CA TTC annuel et propose de retenir un taux de 110%du chiffre d’affaires hors

taxes. La société locataire demande de retenir à minima un taux de 135% du chiffre d’affaires hors taxes et produit à l’appui de ses dires une attestation du cabinet J K, en date du 20 janvier 2016, indiquant que les fonds de boulangerie-pâtisserie de la région parisienne, fermés le samedi et dimanche ainsi que pendant cinq semaines de congés annuels, se valorisent et se cèdent aux environs de 140% du CA HT, puis appliquant ce taux à un chiffre d’affaires moyen annuel TTC de 427.275 euros, elle demande de voir fixer à la somme de 580.000 euros, son indemnité principale ou à tout le moins à la somme de 550.000 euros, si le pourcentage de 135% était appliqué au chiffre d’affaires HT.

Si les traités font apparaître une valorisation des fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie

incluant la taxe à la valeur ajoutée dans le montant du chiffre d’affaires, il résulte tant de l’attestation versée aux débats par la société locataire, que des éléments produits par la bailleresse recueillis sur internet, que l’usage de la profession n’est plus actuellement d’inclure la taxe à la valeur ajoutée dans le montant du chiffre d’affaires. En conséquence, il convient de retenir comme base de calcul le chiffre d’affaires hors taxes.

La cour relève que le taux de 125% du CA HT retenu par l’expert Z et les premiers juges doit être retenu, compte tenu de l’excellente qualité de l’emplacement commercial, à proximité de la rue Cler en raison de l’implantation dans la partie piétonne de cette rue d’un très grand nombre de commerces d’alimentation, du logement rattaché à la location, et de ses conditions d’exploitation s’agissant d’un fonds fermé le week end ainsi que cinq semaines par an. Ce taux n’est pas utilement remis en cause, ni par les recherches sur internet de la bailleresse, ni par l’attestation produite par la locataire, ces éléments étant trop généraux et ne prenant pas en compte les caractéristiques du fonds, étant au besoin précisé que les travaux réalisés dans le fonds en 2012 sont trop anciens pour conduire à augmenter le taux proposé par l’expert judiciaire, lequel prenait déjà en compte l’état du fonds de commerce. La faiblesse de la rentabilité retenue par M. B en 2015 qui l’a notamment conduit à proposer un taux de 110% du CA HT, n’est pas démontrée pour les années postérieures, au vu des liasses fiscales produites.

L’indemnité d’éviction doit être appréciée à la date la plus proche où celle-ci se produit. Il convient donc de prendre en compte les chiffres d’affaires des trois derniers exercices connus.

Selon les liasses fiscales produites aux débats, la société locataire a réalisé les chiffres d’affaires suivants :

en 2017 : 345.116 euros HT (résultat d’exploitation 20.557 euros)

en 2018 : 346.186 euros HT (résultat d’exploitation 12.617 euros )

en 2019 : 346.242 euros HT (résultat d’exploitation 23.817 euros)

La moyenne des chiffres d’affaires de ces trois exercices est de 345.848 euros HT.

Dans ces conditions, la valeur du fonds de commerce déterminé selon les usages de la profession s’établit à la somme de 432.310 euros (345.848x125%).

Il n’y a pas lieu d’envisager la valorisation du fonds selon la deuxième approche proposée par M B, par décomposition de l’EBE en fonction de son origine : le bail ou l’exploitation, qui ne correspond pas aux méthodes de valorisation habituellement retenues et dont le résultat n’est pas actualisé par la bailleresse.

Les parties ne contestent pas le fait que la valeur du droit au bail est en toute hypothèse inférieure à la valeur du fonds, l’expert judiciaire, dont les conclusions doivent être approuvées, l’évaluant à la somme de 288.000 euros.

Sur les indemnités accessoires

La bailleresse qui conclut à l’infirmation du jugement entrepris, admet au titre des indemnités accessoires, une indemnité pour frais de remploi correspondant à 10% de l’indemnité principale soit 38.000 euros, une indemnité pour trouble commercial correspondant à 3 mois d’EBE soit 1.544 euros, demande de ne retenir les frais de licenciement que pour la somme de 12.426 euros retenue par l’expert judiciaire, et de limiter les frais de déménagement à la somme de 2.500 euros, estimant excessif le montant

des devis produits. Elle demande d’écarter les 'coûts indirects de réinstallation (ou déménagement) : 10.000 euros’ le fonds étant totalement indemnisé et les frais n’étant pas justifiés, ainsi que la perte de rémunération des deux associés pendant 6 mois, de même que la perte sur stock de denrées périssables.

La société AUX DÉLICES DE MIMI estime, sur le fondement de l’article L.145-14 du code de commerce, que des indemnités accessoires lui sont dues. Elle demande notamment une indemnité pour trouble commercial d’un montant de 18. 000 euros, afin de prendre en compte la perte de rémunérations des co-gérants, pendant la période allant de l’éviction à la réinstallation éventuelle. Concernant les indemnités de licenciement, elle indique que les règles de calcul de l’indemnité légale de licenciement ayant changé depuis le 27 septembre 2017 (1/4 de mois de salaire par année d’ancienneté jusqu’a 10 ans puis 1/3 de mois de salaire par année d’ancienneté à partir de 10 ans), et les salariés qu’elle emploie ayant acquis de l’ancienneté depuis le dépôt du rapport qui date de plus de trois années, le montant de l’indemnité de licenciement a par corrélation augmenté et s’élève aujourd’hui à 20.468,48 euros. Elle sollicite une somme de 10.000 euros au titre des coûts indirects de réinstallation (ou déménagement) tels que frais de correspondance, de téléphonie, de déplacements, de nouveaux loyers que l’expert a évalué à 5000 euros.

Sur les frais de remploi

Leur indemnisation sera selon l’usage fixée à 10% de l’indemnité principale soit 43.231 euros arrondie à 43.300 euros.

Sur le trouble commercial

Le trouble causé par le temps nécessaire à une nouvelle installation justifie l’attribution d’une indemnité spécifique.

C’est à la bailleresse qui soutient que la locataire ne se réinstallera pas d’en apporter la preuve, ce qu’en l’espèce elle ne fait pas.

En l’espèce l’expert judiciaire a proposé d’indemniser ce trouble par l’octroi d’une somme de 5.896 euros correspondant à 15 jours de la masse salariale.

La société locataire demande que cette somme soit portée au montant des salaires des cogérants pendant six mois, ce qui parait excessif. La bailleresse demande de limiter cette indemnisation à trois mois d’EBE soit 1.544 euros.

L’indemnisation de ce chef de préjudice sera calculée selon les préconisations de l’expert judiciaire, qui permettent une appréciation correcte du préjudice ainsi subi. Après actualisation au vu du compte de résultat arrêté au 30 septembre 2019, l’indemnité pour trouble de jouissance s’élève à la somme de 7177,87 euros (148.515+23.745=172.260/24) arrondie à 7.200 euros.

Les frais de déménagement

A ce titre la société locataire peut prétendre à obtenir une indemnité correspondant à ses frais de déménagement des effets personnels contenus dans le logement. L’expert judiciaire auquel la société locataire a présenté deux devis l’un pour Créteil, l’autre pour la Bretagne a retenu une somme correspondant à la moyenne des deux devis. La bailleresse trouve les devis d’un montant excessif et s’oppose à l’indemnisation d’un déménagement en Bretagne.

Bien que les demandes de la société locataire soient un peu confuses, il apparaît qu’elle demande également de ce chef l’indemnisation des frais divers (correspondance, téléphonie) ainsi que des frais de double loyer et porte sa demande à la somme de 10.000 euros.

Si les frais de double loyer ne sont pas dus s’agissant d’une perte de fonds, la société locataire est bien fondée demander le remboursement de son déménagement augmenté des frais divers. Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement entrepris qui a fixé cette indemnisation à la somme de 5000 euros, la preuve d’un coût inférieur n’étant pas rapportée et a débouté la société locataire du surplus de sa demande.

Sur la perte sur stock

S’agissant de denrées périssables, la société locataire est en droit de percevoir une indemnisation de ce chef, compte tenu de l’impossibilité de conserver ce stock lors de l’éviction. Compte tenu des comptes annuels de l’exercice 2018-2019, la cour est en mesure de fixer à la somme de 1.700 euros, ce poste d’indemnisation.

Sur les indemnités de licenciement

La perte du fonds entraînera des licenciements. Les parties s’opposent sur le coût de ces licenciements, la somme réclamée à ce titre par la locataire en cause d’appel ayant augmenté par rapport aux demandes présentées en première instance.

La cour rappelle que cette indemnisation doit correspondre aux frais réellement engagés lors des licenciements conséquences de l’éviction. Le montant des indemnités légales de licenciement dépendant de la durée de la présence des salariés dans l’entreprise, il est prématuré de statuer sur les sommes dues à ce titre, le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a fixé les frais de licenciement dans la limite de 12.426 euros et il sera confirmé en ce qu’il a dit qu’ils seront payés sur justificatifs.

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que l’indemnité d’éviction totale due à la société AUX DELICES DE MIMI s’élève à la somme de :

indemnité principale : 432.310 euros

indemnité de remploi :43.300 euros

trouble commercial :7.200 euros

frais de déménagement et frais divers : 5000 euros

perte sur stock : 1700 euros

Total :489.510 euros

outre les frais de licenciement payables sur justificatifs.

Sur l’indemnité d’occupation

Aux termes de l’article L145-28 du code du commerce, « Aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation ».

En ce qui concerne la partie commerciale et le calcul des surfaces correspondantes, Mme A, veuve X affirme qu’il est d’usage d’appliquer une pondération en fonction de la configuration des lieux et non en fonction de leur affectation comme l’a fait l’expert judiciaire. Ainsi,

en appliquant les coefficients usuellement appliqués en fonction de la configuration des lieux, le Cabinet B propose une surface pondérée totale de la partie commerciale de 60,17 m² au lieu des 53 m² retenus par M. Z.

De ce fait, le calcul de l’indemnité d’occupation est modifié et doit correspondre à la valeur locative telle que retenue par l’expert Z en page 16 de son rapport (650x60,17 soit 39.199 euros), somme à laquelle il convient de rajouter l’indemnité pour l’appartement (24. 000 euros/ an calculée sur une base de 2000 euros par mois).

La société AUX DÉLICES DE MIMI conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qui concerne la fixation de l’indemnité d’occupation.

Les lieux loués sont situés au rez-de-chaussée, au premier étage et au sous-sol d’un immeuble édifié à la fin du XIX e siècle, en maçonnerie enduite, élevé sur caves d’un rez-de-chaussée de six étages droits et d’un septième étage lambrissé, sis à […], dans la partie de cette voie comprise entre l’avenue de la Tour Maubourg et l’avenue Bosquet, à proximité immédiate de la rue Cler. Après visite l’expert judiciaire les décrit de la façon suivante : une boutique de 22,22m² éclairée par deux vitrines (linéaire de vitrine de 5,10m) ; une arrière-boutique avec rangement, sans ouverture directe sur

l’extérieur, un vaste laboratoire avec fournil, également accessible par une porte ouvrant sur la cour de l’immeuble, un wc ; au sous-sol une cave non reliée ; au premier étage, relié intérieurement et accessible par les parties communes de l’immeuble, un appartement à usage d’habitation, d’une surface utile de 73,63m² comprenant une entrée prolongée par un couloir de dégagement qui distribue : deux pièces sur rue, aérées et éclairées par des fenêtres ouvrant sur la rue de Grenelle ; une salle de séjour ( salle à manger/cuisine) aérée et éclairée par une fenêtre sur cour de l’immeuble ; une salle de bains aménagée dans cette pièce après cloisonnement ; à la suite, un large dégagement qui dessert : un cabinet de toilette et une quatrième pièce utilisée à usage de chambre à coucher, aérée et éclairée par une fenêtre sur cour.

La surface du logement de 73,63 m² est admise par les parties.

Les parties s’opposent sur la surface pondérée à prendre en compte, en ce qui concerne les locaux commerciaux, la bailleresse soutenant que la pondération doit s’effectuer ainsi que l’a préconisé son expert amiable B, en définissant successivement 4 zones plus ou moins éloignées de la vitrine, la surface pondérée totale étant alors de 60,17m².

La cour relève que l’expert judiciaire Z, en distinguant d’une part la boutique (22,20 coefficient 1), l’arrière boutique (11,48 m² coefficient 0,65), le laboratoire (45,91m²x0,50) et les toilettes (0,93x0,50), n’a fait que respecter les préconisations de la charte des experts en évaluation immobilière 4e édition, qui préconise certes de calculer des zones à partir de la vitrine, mais également distingue, pour les boutiques de centre ville, la zone accessible à la clientèle pour laquelle, il convient de procéder de la sorte, des zones non accessibles à la clientèle pour lesquelles il convient de distinguer chaque espace en l’affectant d’un coefficient distinct de pondération.

Dans ces conditions, la pondération proposée par M. Z, n’est pas utilement critiquée et elle doit être retenue. La surface pondérée des locaux commerciaux est en conséquence de 53,09m²P arrondie à 53m²P.

L’expert Z communique les référence suivantes :

— décision judiciaire 600 euros le m²P […]

— nouvelles locations variant de 533 euros le m²p […] à 1312 euros le m² pour

un restaurant […].

Ainsi qu’il est d’usage il évalue différemment le prix unitaire, selon qu’il s’agit d’une valeur de marché (page 16 de son rapport : 650 euros le m² P pour la partie commerciale et 23 euros le m²/mois pour la partie habitation) ou selon qu’il s’agit de la valeur locative permettant de déterminer l’indemnité d’occupation (page 18 de son rapport 500 euros le m²P pour la partie commerciale et 19,69 euros le m²/mois pour le logement ).

La bailleresse soutient que le prix du logement doit s’apprécier sur une base de 2000 euros mensuelle, compte tenu des prix pratiqués. Elle appuie ses demandes par la production aux débats de captures d’écran du site 'se loger’ effectuées sur internet en octobre 2019, correspondant à des appartements proposés à la location dans le 7e arrondissement.

La cour retient que l’indemnité d’occupation doit être fixée au 1er janvier 2015, dans ces conditions les références produites, qui correspondent au prix du marché constaté quatre ans plus tard, ne peuvent utilement contester l’appréciation faite par les premiers juges de la valeur locative.

Dès lors, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu pour la partie commerciale une somme de 26.500 euros (500x53) et pour le logement 17.400 euros ( 1450 euros par mois).

Il y a lieu par ailleurs de tenir compte de la précarité des conditions d’occupation de la société LES DELICES DE MIMI depuis la date d’effet du congé et des difficultés qui en résultent pour l’exploitation du fonds qui justifie un abattement de 10 %, sans qu’il soit besoin de distinguer entre la partie boutique et la partie logement, la précarité affectant également l’ensemble des locaux.

Le jugement entrepris qui a fixé à la somme annuelle de 39. 510 euros HT et HC l’indemnité d’occupation sera en conséquence confirmé.

Sur les demandes accessoires,

Le jugement entrepris étant confirmé à titre principal, il le sera également en ce qui concerne le sort des dépens de première instance et celui de l’application de l’article 700 du code de procédure civile.

En cause d’appel, il ne sera pas fait application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens seront mis à la charge de la bailleresse.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qui concerne le montant de l’indemnité d’éviction, et la limitation apportée au montant des frais de licenciement,

l’infirme de ce chef

statuant à nouveau et y ajoutant,

Fixe à la somme de 489.510 euros, le montant de l’indemnité d’éviction toutes causes confondues due par Mme D A veuve X à la société AUX DÉLICES DE MIMI, outre les frais de licenciement payés sur justificatifs,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme D A veuve X aux entiers dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Textes cités dans la décision

  1. Code de commerce
  2. Code de procédure civile
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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 27 mai 2020, n° 18/09884