Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 28 juillet 2020, n° 20/06675

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 2, 28 juill. 2020, n° 20/06675
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/06675
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 25 mai 2020, N° 2020016519
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 2

ARRÊT DU 28 JUILLET 2020

(n° 215 , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06675 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBZDD

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 26 Mai 2020 -Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2020016519

APPELANTE

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée et assistée par Me Michel GUÉNAIRE de l’AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

INTIMÉES

SAS GAZEL ENERGIE GENERATION agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège.

[…]

[…]

Représentée par Me Marie-Catherine VIGNES de la SCP SCP GALLAND VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

Assistée par Me Gilles GASSENBOCH, Me Fabrice CASSIN et Me Guillaume RICHARD

Association FRANCAISE INDEPENDANTE DE L’ ELECTRICITE ET DU GAZ Prise en la personne de son reprèsentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée par Me Emmanuel GLASER du Cabinet Veil Jourde, avocat au barreau de PARIS, toque :

T06

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 02 Juillet 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Véronique DELLELIS, Présidente

Mme Hélène GUILLOU, Présidente

M. Thomas RONDEAU, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Mme Véronique DELLELIS, Présidente dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Lauranne VOLPI

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Thomas RONDEAU, Conseiller, pour Véronique DELLELIS, Présidente, empêchée et par Lauranne VOLPI, Greffière,

Exposé du litige

La SAS Gazel Energie Generation (la société X) est un fournisseur d’énergie, dit 'alternatif', à destination des grands consommateurs et des sites industriels.

Dans le cadre du dispositif d’ 'accès régulé à l’électricité nucléaire historique’ (l’ARENH) créé par la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (la loi Nome), aujourd’hui codifiée aux articles L 336-1 et suivants du code de l’énergie, un accord- cadre conforme à l’accord type adopté par arrêté du ministre en charge de l’énergie après avis de la CRE, a été conclu le 20 mai 2011 entre la société Electricité de France (EDF) et la Société nationale d’électricité et de thermique qui s’est substituée la société Uniper France puis la société X, dans lequel cette dernière s’engage à acheter à EDF à un prix fixé par arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie, actuellement de 42 euros le Mwh, un volume d’énergie déterminé en fonction des prévisions de consommation de ses clients.

L’ARENH prévoit que le fournisseur intéressé par ce dispositif, qui est optionnel, indique le volume prévisible de ses achats à la commission de régulation de l’énergie (la CRE) qui, selon l’article L. 336-9 du code de l’énergie a pour mission de proposer les prix, calculer les droits, contrôler l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, surveiller notamment les transactions effectuées par ces fournisseurs, s’assurer de la cohérence entre les volumes d’électricité nucléaire historique bénéficiant de l’accès régulé et la consommation des consommateurs finals desservis sur le territoire métropolitain continental.

La CRE ne communique pas les volumes achetés à EDF et ce pour des raisons de confidentialité, EDF étant en concurrence avec ces fournisseurs alternatifs.

La société X indique cependant faire appel à ce dispositif pour environ 60% de ses

approvisionnements et revendre l’électricité ainsi achetée dans le cadre d’une formule de 'fourniture complète’ dans laquelle le client paie un prix déterminé à l’avance laissant au fournisseur les risques de variation de consommation et de prix.

D’autres entités interviennent également:

— la Caisse des dépôts et des consignations pour 'l’intermédiation des paiements’ qui conclut des contrats au nom et pour le compte d’EDF,

— RTE, en tant que gestionnaire du réseau de transport, qui se charge de la gestion des flux physiques, conformément à l’article 5.1 de l’Accord-cadre conclu entre EDF et les fournisseurs. Il procède notamment au transfert au fournisseur des volumes d’électricité acheté au titre de l’ARENH, selon les informations notifiées par la CRE.

L’objectif de ce dispositif légal, prévu pour prendre fin en 2025, est de mettre en 'uvre le processus d’ouverture des marchés de fourniture d’électricité à la concurrence et d’étendre le bénéfice de l’exploitation du parc nucléaire français historique à tous les fournisseurs d’électricité qui en font la demande.

Pour éviter les effets d’aubaine permettant d’acquérir de l’électricité à un prix régulé puis de le revendre sur le marché de gros de l’électricité à un prix supérieur, il comporte un mécanisme dit de 'complément de prix', au titre des articles L. 336-5, et R. 336-33 et suivants du code de l’énergie, consistant à faire payer un prix supplémentaire, calculé par la CRE, aux fournisseurs qui auraient acheté des volumes d’électricité supérieurs aux besoins de leurs clients.

En vertu de l’article R 336-10 du code de l’énergie 'la transmission d’un dossier de demande d’ARENH à la CRE vaut engagement ferme de la part du fournisseur d’acheter les quantités totales de produit qui lui seront cédées au cours de la période de livraison à venir' soit pour une année.

Cet accord cadre comporte un article 13.1 prévoyant sa suspension ou sa résiliation dans 4 cas dont notamment, au point 3, 'en cas de survenance d’un événement de force majeure', celle-ci étant définie par l’article 10 comme 'un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables'.

En raison de l’épidémie de coronavirus, des mesures de confinement ont été décrétées le 17 mars 2020, entraînant une diminution de la consommation d’énergie de d’électricité en France, particulièrement sur le segment industriel, ce qui a entraîné une baisse des prix de l’électricité sur les marchés de gros.

Faisant valoir l’impossibilité pour elle d’exécuter ses obligations dans des conditions économiques raisonnables la société X a, par lettre recommandée du 20 mars 2020, notifié à EDF l’application de la clause de la force majeure de l’accord-cadre et demandé la suspension de ses obligations 'à compter du 21mars 2020« et 'pour une durée indéterminée », déclarant n’être pas en mesure de fournir une estimation de l’étendue ou de la durée de cet événement.

Par lettre du 21 mars 2020 EDF a refusé cette suspension, considérant que les critères de la force majeure n’étaient pas remplis puisque le fournisseur n’était pas dans l’impossibilité totale d’exécuter son obligation contractuelle soit le paiement des volumes notifiés par la CRE et contestant que la force majeure puisse être invoquée par le débiteur pour s’exonérer d’une obligation pécuniaire.

Elle a également fait valoir que l’accord cadre et le dispositif ARENH ne permettaient pas l’interruption ou la réduction des volumes notifiés par la CRE en cas de baisse de consommation, même soudaine des clients des fournisseurs.

La société X a maintenu sa demande par courrier du 23 mars 2020, faisant état de son impossibilité de prendre livraison de la totalité des produits cédés et estimant à plus de 30% la baisse de son activité de fourniture de l’électricité.

Le 2 avril 2020, EDF a envoyé à tous les titulaires d’un accord cadre ARENH un courrier proposant des délais de paiement en se référant à une délibération du 26 mars 2020 de la commission de régulation de l’énergie (la CRE) qui, saisie par l’AFIEG et l’ANODE, associations de fournisseurs d’énergie, a adopté une délibération:

— constatant le désaccord des parties sur l’activation de la clause de force majeure prévue à l’accord cadre ARENH,

— considérant que néanmoins la force majeure ne trouverait à s’appliquer que si l’acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l’exécution de l’obligation de paiement de l’ARENH, alors qu’en l’espèce les conséquences d’une suspension totale des contrats ARENH en raison de l’activation des clauses de force majeure seraient disproportionnées et créeraient un effet d’aubaine pour les fournisseurs au détriment d’EDF, qui irait à l’encontre des principes de fonctionnement du dispositif qui repose sur un engagement ferme des parties sur une période d’un an,

— décidant en conséquence de ne pas transmettre à RTE une évolution des volumes ARENH livrés par EDF aux fournisseurs concernés liée à une activation de la clause de force majeure,

— proposant néanmoins diverses mesures telles que la suppression des pénalités, de délais de paiement des factures ARENH, et de la recherche au cas par cas de délais de paiement supplémentaires entre EDF et les fournisseurs.

Par ordonnance du 17 avril 2020 le Conseil d’Etat a rejeté en référé la demande de suspension de cette délibération.

Les tentatives de règlement amiable du conflit ont échoué.

Par acte d’huissier en date du 24 avril 2020, la société X a assigné EDF en référé d’heure à heure devant tribunal de commerce de Paris pour voir déclarer acquise la clause de suspension stipulée à l’article 10 de l’accord cadre conclu le 20 mai 2011, ordonner la suspension du contrat et l’interruption de la fourniture d’électricité et de certificats de capacité ainsi que l’obligation de paiement du prix à compter du 21 mars 2021.

Subsidiairement elle a formé à titre conservatoire, sur le fondement du trouble manifestement illicite de l’article 873 du code de procédure civile que serait le refus d’EDF de déclencher la clause de force majeure et du dommage imminent en résultant, la suspension de l’accord cadre à compter du prononcé de la décision à intervenir et pendant la durée, en ce compris toute prorogation éventuelle, de l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi du 23 mars 2020.

La société X a également demandé au premier juge:

— qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle s’engage à restituer à EDF la différence entre le prix ARENH et le prix de marché pour tous les Mwh ARENH effectivement consommés par ses clients pendant la période de suspension du contrat,

— la désignation d’un expert afin de déterminer à l’issue de la période de suspension la somme revenant à EDF correspondant à la différence entre le prix d’achat ARENH et les prix du marché pour tous les Mwh ARENH effectivement consommés par ses clients et de dire que pour l’exécution de sa mission l’expert pourra se faire communiquer tout document dont il jugera utile de prendre

connaissance pour l’accomplir tout en respectant la règle du secret des affaires,

— condamner EDF à s’acquitter de l’intégralité des dépens de l’instance et à lui payer la somme de 50 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

L’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (l’AFIEG), qui regroupe des fournisseurs alternatifs d’électricité et de gaz naturel et a pour objet la défense des intérêts collectifs de ses membres, est intervenue volontairement au soutien des demandes de la société X et demande la condamnation d’EDF à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 26 mai 2020, le président du tribunal de commerce de Paris a :

— dit l’AFIEG recevable en son intervention volontaire,

— ordonné à EDF de faire tout ce qu’il y a lieu en vue de parvenir à la suspension de l’accord cadre liant les parties et notamment l’interruption de la cession annuelle visée au paragraphe relatif au point 3 de l’article 13-1 de l’accord cadre susvisé,

— condamné EDF à payer à la société X la somme de 25 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et à l’AFIEG la somme de 2 500 euros,

— débouté les parties de leurs autres demandes,

— condamné EDF aux dépens.

Le juge a dit recevable l’intervention de l’AFIEG compte tenu de la portée générale de ce litige qui repose sur un accord cadre s’imposant à tous les fournisseurs clients de l’ARENH.

Il a retenu que l’accord cadre a été élaboré par la CRE qui a pris l’avis des opérateurs, que ce contrat s’impose à tout acteur de l’ARENH et traduit la volonté commune des parties qui y adhèrent, que l’interprétation de la force majeure définie à l’article 10 du contrat liant les parties inclut l’exécution des obligations dans des conditions économiques raisonnables dont il a constaté qu’il ne faisait l’objet d’aucune définition, mais a considéré que 'son lien avec la force majeure permet de supposer un bouleversement des conditions économiques antérieures qui se traduit par la survenance de pertes significatives nées de l’exécution du contrat'

Il a relevé que la solidité intrinsèque du contractant qui appartient à un groupe réputé puissant n’est pas évoquée pas plus que la durée de l’épisode, l’impossibilité de stocker l’électricité qui conduit le fournisseur à devoir vendre à un prix inférieur au coût d’acquisition qui lui ne varie pas, d’où des pertes significatives immédiates et définitives sur une durée dont elle n’a pas la maîtrise, ce dont il a conclu que les conditions de la force majeure étaient remplies.

Mais prenant acte de l’engagement de la société X de rembourser à EDF la différence entre le prix de l’ARENH et de prix de marché pour tous les Mwh consommés par ses clients pendant la période de suspension du contrat, il a estimé prématuré la désignation d’un expert.

S’agissant des conséquences de cette force majeure, il a constaté que les dispositions de l’accord cadre étaient assez claires pour relever des pouvoirs du juge des référés et que l’automaticité de la clause n’autorisait pas à ce stade de discussion sur les circonstances alléguées par la partie qui demande l’application de la clause de force majeure.

Par lettre du 27 mai 2020, EDF a notifié à la CRE son absence d’opposition à l’interruption de la cession annuelle d’électricité souscrite par la société X, précisant toutefois le faire en exécution de

l’ordonnance et sans acquiescement à la décision.

Par déclaration en date du 29 mai 2020, EDF a fait appel de cette décision, critiquant l’ordonnance en chacune de ses dispositions, sauf celle relative à l’intervention de l’AFIEG. Puis EDF a sollicité l’autorisation d’assigner à jour fixe la société X, laquelle lui a été consentie le 9 juin 2020.

Par lettre du 2 juin 2020, en application de l’article 13.2.1 de l’accord cadre qui stipule que la suspension de l’accord pendant plus de deux mois emporte droit à résiliation anticipée du contrat, et constatant que la suspension de l’accord avait duré plus de deux mois, EDF a notifié à X la résiliation du contrat-cadre les liant.

Le 10 juin 2020, la société X a notifié la fin de l’événement de force majeure et de la suspension de l’Accord-cadre, avec effet au 11 juin à minuit.

Aux termes de ses conclusions remises au greffe par la voie électronique le 1er juillet 2020, EDF demande à la cour de :

— juger que le premier juge a excédé ses pouvoirs de juge des référés,

— réformer l’ordonnance entreprise, et, statuant à nouveau,

— juger que les conditions de la force majeure ne sont pas réunies,

— débouter X et l’AFIEG de leurs demandes dirigées contre elle,

— débouter l’AFIEG de ses demandes formulées dans le cadre de son intervention volontaire,

Et en tout état de cause :

— dire n’y avoir lieu à référé sur les demandes de X,

— condamner X et l’AFIEG à lui payer respectivement les sommes de 50 000 et 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner X et l’AFIEG aux entiers dépens de la présente instance.

EDF expose en substance les éléments suivants :

— Le dispositif, très réglementé s’impose à elle dans toutes ses dispositions, alors qu’il est optionnel pour les fournisseurs alternatifs qui peuvent choisir d’y souscrire ou non et ce chaque année, et lorsqu’ils y souscrivent EDF est obligée de livrer les volumes notifiés par la CRE dont elle n’a pas connaissance, pas plus qu’elle ne contrôle les défauts de paiement ou le montant des compléments de prix devant être payés par le fournisseur alternatif en cas de volumes excédentaires pour neutraliser les gains liés à la revente des volumes ARENH sur les marchés de gros. C’est l’article R 336-10 du code de l’énergie qui dispose que 'la transmission d’un dossier de demande d’ARENH à la CRE vaut engagement ferme de la part du fournisseur d’acheter les quantités totales de produit qui lui seront cédées au cours de la période de livraison à venir' soit pour une année.

La mise en oeuvre de l’accord cadre et spécialement de la clause litigieuse doit être appréciée dans ce contexte (contrat réglementé, caractère optionnel de l’engagement, mais engagement ferme d’un an),

— prenant en compte la situation des fournisseurs en raison de la loi d’urgence, la CRE s’est prononcée en faveur de l’octroi de délais de paiement aux fournisseurs, mais a exclu la réduction des volumes

de livraison et n’a transmis aucune modification des volumes à RTE pour la période couverte par l’engagement ferme.

— EDF a donc accordé des facilités de paiement pour plus de 16 millions au seul mois d’avril et donc fait tout ce qui relevait de sa compétence et dans le respect des délibérations de la CRE.

Sur l’application de l’article 872 du code de procédure civile:

EDF soutient en premier lieu que le juge des référés a excédé ses pouvoirs en interprétant la notion de 'conditions économiques raisonnables' de l’article 10 du contrat-cadre, suffisamment discutée pour constituer une contestation sérieuse ; constatant qu’aucune définition des 'conditions économiques raisonnables’ ne figurait au contrat, et que les parties à l’instance proposaient chacun une définition de cette notion, démontrant le manque d’évidence de celle-ci, il aurait dû décliner sa compétence et ne pas donner sa propre définition ; en outre le juge des référés qui est pourtant le juge du provisoire n’a pas limité dans le temps la suspension de l’accord cadre, excédant encore ses pouvoirs.

EDF soutient en second lieu que l’urgence nécessaire à l’application de l’article 872 du code de procédure civile n’était pas justifiée par le préjudice allégué par la société X, contestable, et devant s’apprécier au regard du dispositif de l’ARENH, ce qu’a fait la CRE mais aussi le Conseil d’Etat, saisi par l’AFIEF et l’ANODE, qui a rappelé que ces pertes ne pouvaient s’apprécier sur quelques mois compte tenu du dispositif en cause. Elle soutient que l’attitude de certains fournisseurs est peu conforme au dispositif réglementaire et que le ministre en charge de l’énergie l’a dénoncé, rappelant qu’on ne peut vouloir un jour bénéficier de prix inférieurs à ceux du marché et s’en délier quand le marché se retourne, que la baisse de consommation d’électricité avait finalement été limitée et n’était finalement au 11 mai 2020 inférieure que de 9% à celle observée les années précédentes et qu’en conséquence le préjudice allégué n’existait déjà plus lorsque l’ordonnance a été rendue ; que l’urgence n’est pas davantage démontrée par le recours à la procédure de fixation prioritaire qui est conditionnée non par l’urgence, mais par la démonstration par la partie qui la réclame que ses droits sont en péril.

EDF soutient ensuite l’existence d’une contestation sérieuse s’opposant à la mesure prise en référé et fait valoir que l’interprétation que le juge a donnée de la force majeure est erronée, l’article 10 ne pouvant s’appliquer à l’obligation de paiement des volumes livrés au titre de l’ARENH, et n’ayant pas pour objet de traiter des situations de simple renchérissement temporaire et limité des conséquences du confinement sur les débouchés de la société X. Elle fait valoir que la force majeure ne peut être assimilée à l’imprévision, et qu’ayant choisi de souscrire à l’ARENH en raison de son caractère attractif en novembre 2019, la société X ne peut s’en délier par recours à la force majeure, alors même que pour EDF les coûts de production et d’exploitation n’ont pas baissé pendant la crise et qu’elle-même en subit les conséquences, qu’en outre, il n’est pas économiquement déraisonnable de se fournir en électricité d’origine nucléaire au prix fixe de l’ARENH, qui est de 42 euros par MWh, prix régulé qui est jugé par la Cour des Comptes bien en deçà des coûts réels de production du nucléaire et qui n’a jamais été réévalué depuis 2012, pas même pour prendre en compte l’inflation, qu’entre EDF et la société X l’évolution du prix du marché de gros ne relève pas du champ contractuel, qu’EDF a par exemple dû racheter de l’électricité à des prix supérieurs à 42 euros pour faire face à ses obligations de livraison d’électricité au titre de l’ARENH. Aucune impossibilité d’exécution du contrat n’étant caractérisée, la clause de force majeure ne pouvait être mise en oeuvre.

Enfin elle fait valoir que dire que l’article 13-1 prévoit que la force majeure entraîne la suspension immédiate dès la survenance de l’événement et 'de plein droit', ne signifie pas qu’il puisse être mis en oeuvre de façon unilatérale et discrétionnaire, que d’ailleurs la CRE aux termes de sa délibération du 26 mars 2020 a refusé de notifier à RTE l’interruption des livraisons.

Sur l’application de l’article 873 du code de procédure civile:

— EDF soutient qu’en l’espèce, le trouble manifestement illicite résulterait du fait que la société X serait obligée d’exécuter le contrat dans des 'conditions économiques déraisonnables',

— l’existence du trouble dépend donc de l’interprétation de l’article 10 de l’accord-cadre, qui fait, comme développé précédemment, l’objet d’une contestation sérieuse, privant le juge des référés du pouvoir de statuer

— le dommage imminent n’est pas plus établi, la gravité des conséquences temporaires de la crise sanitaire sur la société X, société robuste, n’étant pas établie et EDF n’ayant pas à supporter les conséquences des pertes subies à l’occasion de contrats de type ' fourniture complète’ dans lesquels le fournisseur supporte les risques de variation de consommation et de prix, étant au surplus précisé que ces contrats ne constituent pas l’essentiel du portefeuille de la société X,

— la démonstration sérieuse de l’existence et l’ampleur de la perte alléguée supposerait une analyse globale de ses conditions d’approvisionnement et capacités de production et des caractéristiques de son portefeuille clients, rendue impossible par le manque d’information et de preuves offertes par X,

— le rapport établi par Eleneo pour l’établir est hautement critiquable voire erroné et surestime les pertes alléguées en étendant à l’année des constatations faites sur quelques jours alors que le prix de l’ARENH est fixe et que le prix du marché varie, et les cotations retenues par la société X ne sont pas pertinentes, la société X amplifiant son dommage dont elle n’établit pas la réalité. Le dommage imminent n’est donc pas établi, pas plus que le trouble manifestement illicite, la seule règle dont la méconnaissance serait invoquée par la société X devant le juge des référés étant la suspension de l’Accord-cadre et l’interruption de plein droit de la cession annuelle d’électricité et de garantie de capacité stipulée à l’article 13.1 (Point 3) de ce contrat, dont il a été démontré qu’elle était contestable.

Par conclusions remises au greffe le 2 juillet 2020, auxquelles la cour fait expressément référence pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions, la société X demande à la cour, au visa des articles 872 et 873 du code de procédure civile, de :

— débouter la société EDF de son appel,

— confirmer dans son intégralité l’ordonnance rendue du 26 mai 2020,

— condamner la société EDF à lui verser 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir en substance que:

— le juge des référés n’a pas excédé ses pouvoirs puisqu’il a constaté que la clause de force majeure était suffisamment claire pour ne nécessiter aucune interprétation par le juge des référés, qu’il en a été de même pour la caractérisation des 'conditions économiques déraisonnables', manifestement établies compte tenu des pertes journalières d’environ 40 000 euros, sur les trois jours consécutifs précédant le 27 mai, soit plus de 75% de la marge brute moyenne journalière attendue sur 2020, pertes définitives, sans commune mesure au demeurant avec les pertes liées aux seules vicissitudes du marché et devant être subie sur une durée non maîtrisée, qu’enfin constatant l’effet de plein droit de cette clause, le juge des référés a enjoint à EDF de mettre en oeuvre le droit de la société X de suspendre le contrat,

— s’agissant de l’article 872 du code de procédure civile, la constatation de l’urgence ne suppose pas nécessairement un péril certain et actuel, mais ressort suffisamment de l’accumulation des pertes

d’exploitations significatives auxquelles elle s’est trouvée exposée depuis le 17 mars 2020 en raison notamment du refus d’EDF d’envisager des mesures concertées de réduction des livraisons devenues très supérieures au besoin de sa clientèle industrielle et l’absence de prévision quant au retour à la normale ; le premier juge a constaté qu’il n’était pas contestable que l’apparition du COVID-19 et les mesures gouvernementales constituaient un événement extérieur, imprévisible et irrésistible, cet événement de force majeure ne permettant pas à l’évidence de poursuivre l’exécution du contrat à des conditions économiques raisonnables ; les critères de l’article 10 de l’accord-cadre étant manifestement remplis le juge a constaté l’absence de contestation sérieuse et ordonné l’application de la clause litigieuse qui prévoit dans ce cas des effets ' de plein droit’ et sur déclaration unilatérale de l’une des parties, le contrôle du juge n’intervenant qu’a posteriori,

— s’agissant de l’article 873 du code de procédure civile, le trouble manifestement illicite peut être caractérisé même en présence d’une contestation sérieuse, en l’espèce lorsque, sans y avoir été autorisée par décision de justice, EDF fait obstruction à un droit unilatéral de suspension reconnu par le contrat en en subordonnant les effets à sa propre appréciation de la force majeure, et le dommage imminent résulte suffisamment de la constatation que si le contrat n’avait pas été suspendu, la société X aurait dû continuer à revendre le surplus d’électricité qu’elle achetait à EDF à un prix de plus de 50% inférieur à son prix d’achat, générant ainsi des pertes qui restaient très importantes à cette date comme l’établit le cabinet Eleneo dans sa note du 25 juin 2020.

Par conclusions remises au greffe le 25 juin 2020, auxquelles la cour fait expressément référence pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions, l’association Française indépendante de l’électricité et du gaz (l’AFIEG) demande à la cour de:

— débouter la société EDF de son appel,

— confirmer dans son intégralité l’ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Paris le 26 mai 2020,

— condamner la société EDF à lui verser 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’AFIEG, après avoir rappelé la genèse et le fonctionnement du dispositif ARENH destiné à bénéficier exclusivement aux consommateurs et non aux fournisseurs alternatifs et à garantir une ouverture effective du marché à la concurrence pour éviter le risque d’un abus de position dominante par l’opérateur historique, soutient en substance que:

— la clause de force majeure doit s’appliquer à la lettre sans que l’on cherche à en réduire la portée sous prétexte que l’ARENH serait réglementé, et sans faire de l’engagement annuel des fournisseurs une situation d’immuabilité faisant obstacle à la mise en 'uvre d’une clause de force majeure,

— dès lors qu’EDF module sa production, elle doit, par symétrie, moduler l’ARENH qui en fait partie intégrante, ce qu’elle a pu faire en l’espèce, bénéficiant ainsi d’un effet d’aubaine puisqu’elle a pu réduire sa production à la mesure de la baisse de la consommation et s’approvisionner à moindre prix sur le marché de gros, alors qu’au contraire la situation s’est avérée extrêmement grave pour les fournisseurs d’électricité alimentant les sites industriels et tertiaires qui ont subi une baisse de leur chiffre d’affaires du fait de la baisse de la consommation ayant atteint en moyenne entre 25 % et 30 % depuis le début des mesures de confinement, avec des baisses atteignant 57 % sur le secteur du transport ferroviaire et qui ont dû dans le même temps accorder des délais de paiement à certains de leurs clients, ce qui les a placés dans une impasse, les quantités d’électricité ayant été commandées au titre de l’accord-cadre ARENH, à un prix défini à l’avance, et les a contraints à demander l’application de la clause contractuelle de force majeure,

— après s’être opposée à l’interruption demandée au motif d’une prétendue difficulté d’interprétation, EDF a persisté dans sa pratique d’obstruction et résilié les accords-cadres conclus avec les fournisseurs en invoquant une disposition du contrat nécessitant une suspension de plus de deux mois, résiliation qu’il a fallu contester en saisissant à nouveau le juge des référés,

— les clauses dont l’application ont été demandées ne souffrent aucune interprétation et l’accord cadre ne distingue pas selon les obligations s’imposant aux fournisseurs, et en renvoyant au juge judiciaire, statuant en référé, et en motivant exclusivement sa décision par la capacité de ce dernier à statuer dans des délais brefs, le Conseil d’Etat a clairement jugé que l’arrêté fixant le modèle d’accord-cadre ne soulevait aucun problème d’interprétation,

— la position soutenue par EDF tendant à dénier la compétence du juge des référés aboutirait à un déni de justice puisqu’elle considère qu’aucun juge des référés ne serait compétent pour statuer sur l’existence d’une situation de force majeure : ni le Conseil d’Etat dès lors que les différends de l’article 10 relèvent du juge judiciaire, ni le juge judiciaire statuant en référé puisque celui-ci devrait renvoyer au juge du fond,

— la seule constatation que l’accord-cadre impose que le litige soit tranché dans un contexte où son exécution doit être déjà suspendue interdit de considérer que le juge des référés n’avait pas compétence pour prononcer sur cette suspension,

— en retenant que si l’acheteur s’engage à prendre livraison de la totalité des produits cédés, objets de la notification, l’article 13 prévoit toutefois que l’exécution de l’accord-cadre pourra être suspendue, notamment, en cas de survenance d’un événement de force majeure, le Conseil d’Etat a invalidé la thèse soutenue par EDF quant au caractère ferme et immuable de l’engagement annuel,

— l’article R. 336-35 du code de l’énergie, qui définit la manière dont doit être calculé le complément de prix, exclut les variations de demandes d’ARENH liées à la survenance d’événements de force majeure en disposant que le calcul des pénalités tient également compte des cas de force majeure, ce qui démontre bien que la force majeure est invocable par les fournisseurs et que le caractère ferme des engagements souscrits par ces derniers au moment des demandes d’ARENH ne fait pas obstacle à sa mise en 'uvre,

— la force majeure est clairement constituée puisque l’accord cadre reconnaît par ailleurs aux fournisseurs une faculté de résiliation en cas de variation du prix de l’ARENH de plus de 2 %, alors que l’événement de force majeure invoqué ici a eu une incidence bien plus importante sur les prix, la vente à perte n’étant pas économiquement raisonnable, et le fournisseur ne prenant que les risques relevant des aléas normaux de son activité, tels que prévisibles lorsque les fournisseurs se sont engagés en novembre 2019,

— alors qu’aucune contestation sérieuse ne s’y opposait, le trouble manifestement illicite résulte du dévoiement par EDF de l’accord-cadre dans le seul but de faire échec aux droits des fournisseurs,

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens respectifs.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il sera au préalable relevé que la disposition de la décision déclarant recevable l’intervention volontaire de l’AFIEG n’a pas l’objet d’un appel et est donc définitive.

Le litige porte en l’espèce sur l’application de deux dispositions de l’accord-cadre signé le 20 mai 2011, d’une part l’article 13.1 qui permet de suspendre l’exécution de l’accord cadre dans 4 cas, et notamment, au point 3, 'en cas de survenance d’un événement de force majeure' et d’autre part

l’article 10 qui définit contractuellement cette force majeure.

Deux fondements sont invoqués, l’un à titre principal, l’autre à titre subsidiaire, pour justifier ou s’opposer à l’application de ces dispositions, d’une part l’article 872 du code de procédure civile qui dispose que 'dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend' et d’autre part l’article 873 du même code qui permet au président dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, de 'prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite' et lui permet 'dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, d’accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire'.

La mesure demandée par la société X sur l’un et l’autre de ces fondements est la suspension du contrat et donc l’interruption totale de la fourniture d’électricité et de certificats de capacités ainsi que l’obligation subséquente de paiement du prix à compter du 21 mars 2020.

Sur l’application de l’article 872 du code de procédure civile, invoqué à titre principal:

Cette disposition suppose que soit caractérisée l’urgence et que la mesure demandée ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond. La lecture de la clause litigieuse doit donc être évidente, le juge des référés ne pouvant interpréter une clause ambiguë.

En l’espèce si l’accord cadre signé le 20 mai 2011, dont la violation est alléguée, est, comme le soutient EDF, une convention type réglementée par l’arrêté du 28 avril 2011 pris en application du II de l’article 4-1 de la loi n° 2000-108 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, il n’en a pas moins été signé entre les seules sociétés EDF et X et soumis à la juridiction du tribunal de commerce de Paris.

Cet accord fixe les obligations des parties qui, pour la société EDF, consistent à livrer à l’acheteur, par demi-heure, les quantités déterminées par la CRE et, pour la société X, acheteur, consistent à 's’engager à prendre livraison de la totalité des produits cédés, objets de la notification de cession annuelle d’électricité' (article 4.2.2), à en payer le prix à la CDC agissant au nom et pour le compte d’EDF (article 8.3) et enfin à prendre une garantie couvrant ses défauts de paiement.

L’une des obligations principales de la société X est donc de prendre livraison des quantités cédées.

L’article 10 de l’accord-cadre définit la force majeure comme étant 'un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables'. Dans une telle hypothèse, l’article 13.1 permet de suspendre l’exécution de l’accord précisant que 'la suspension prend effet dès la survenance de l’événement de force majeure et entraîne de plein droit l’interruption de la cession annuelle d’électricité' et prévoyant que la partie invoquant la force majeure doit la notifier à la CRE, à la CDC et à l’autre partie dans les conditions prévues à l’article 10 lequel dispose que 'la partie souhaitant invoquer le bénéfice de la force majeure devra, dès connaissance de la survenance de l’événement de force majeure, informer l’autre partie, la CDC et la CRE, par lettre recommandée avec accusé de réception, de l’apparition de cet événement et, dans la mesure du possible, leur faire part d’une estimation, à titre indicatif, de l’étendue et de la durée probable de cet événement (…) Les obligations des parties sont suspendues pendant la durée de l’événement de force majeure'.

La société X soutient qu’aucune contestation sérieuse ne s’oppose à la mise en oeuvre de la clause qui est claire et précise puisqu’elle dispose expressément que la suspension de l’accord doit être immédiate dès la notification par l’une des parties de la survenance d’un événement de force majeure, de sorte qu’aucun intervention du juge n’est nécessaire et que le co-contractant ne peut s’y opposer, sauf à saisir ensuite le juge du contrat pour faire trancher le point de savoir si l’événement allégué revêtait ou non les caractères de la force majeure telle que définie au contrat.

La société EDF au contraire soutient que cette clause doit être interprétée au regard du caractère réglementé de l’ARENH de l’engagement annuel pris par les fournisseurs, et avoir été bien fondée à s’opposer à la mise en oeuvre de l’article 13.1 de l’accord cadre, l’expression 'de plein droit’ ne signifiant pas que la disposition contractuelle puisse être mise en oeuvre de façon unilatérale et discrétionnaire par le débiteur sans possibilité pour le créancier de faire valoir les conditions contractuelles, le préalable nécessaire étant la survenance d’un événement de force majeure dont elle conteste la réalité.

Elle soutient en outre qu’aucune des dispositions ne prévoit qui doit saisir le juge en cas de désaccord.

Or les dispositions de l’article 13-1 ne font aucune référence à un quelconque accord préalable de la CRE ou de la CDC mais seulement à une notification qui leur est réalisée dans le même temps qu’elle l’est à EDF.

Ce dispositif est clairement, et sans qu’il y ait lieu à une quelconque interprétation, présenté comme ayant un effet automatique. Il ne contient que des affirmations:

— ' la partie souhaitant invoquer le bénéfice de la force majeure devra (…), informer l’autre partie, la CDC et la CRE,

- les obligations des parties sont suspendues pendant la durée de l’événement de force majeure

—  la suspension prend effet,

—  elle entraîne de plein droit'.

Cette temporalité est d’ailleurs adaptée à celle du contrat, d’une durée seulement annuelle, et manifestement en lien avec l’impossibilité matérielle de stocker l’électricité livrée et qui ne pourrait être vendue, de sorte qu’aucun retard n’est envisageable, la saisine préalable d’une instance la privant de son efficacité.

Cette clause est en outre parfaitement et expressément bilatérale et ne réserve ni à l’une ni à l’autre partie la possibilité d’invoquer la force majeure, mais préserve les droits de chacune, puisque la partie qui subit l’interruption et qui en conteste le bien fondé peut, d’une part, saisir le juge des référés pour faire valoir que l’événement invoqué ne relève manifestement pas d’un cas de force majeure, ou encore le juge du fond en réparation de son préjudice éventuel si la clause a été mise en oeuvre à mauvais escient et, d’autre part, mettre fin au contrat au motif de cette interruption lorsque celle-ci a duré deux mois.

En l’espèce la société X a notifié le 20 mars 2020 à EDF, à la CRE et à la CDC un événement de force majeure impliquant la suspension des obligations respectives à compter du 21 mars 2020, en se prévalant de la sous consommation très significative de ses clients que le niveau de prix du marché ne compense en aucune manière, ne lui permettant pas de poursuivre l’exécution du contrat 'dans des

conditions économiquement raisonnables', sans pouvoir en estimer la durée, ni l’étendue, l’impact de la situation sanitaire sur certains de ses clients comme la RATP ou Aéroports de Paris s’annonçant majeur.

Les formes requises par le contrat ont donc bien été respectées, un événement qualifié de force majeure ayant été notifié aux différentes instances prévues par le contrat.

Dès lors il ne peut qu’être constaté que dans un tel cas, l’article 13.1 du même contrat prévoit un effet de plein droit de cette notification, ce qui implique à l’évidence un effet automatique, à charge pour la partie contestant la réalité de la force majeure alléguée de justifier que l’événement invoqué ne constitue manifestement pas un tel cas, et ce avec l’évidence requise en référé, de sorte que la seule solution ultérieure devant les juges du fond ne pourra être que la constatation que cette clause a été mise en oeuvre à tort.

Il en ressort qu’en mars 2020 EDF ne pouvait que prendre acte de la notification d’un cas de force majeure par la société X, interrompre la cession annuelle d’électricité au titre de l’ARENH et, si elle contestait que les conditions de la clause 'de plein droit’ soient remplies, saisir le juge des référés ou le juge du fond pour en contester l’application.

Pour aboutir devant le juge des référés, juge de l’évidence, il appartient alors à EDF d’établir que la force majeure alléguée était manifestement insusceptible d’être caractérisée en l’espèce, toute autre appréciation sur ce point relevant du juge du fond.

Le contrat définit la force majeure comme 'un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l’exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables'.

Cette clause est donc claire en ce que la définition de la force majeure, invocable par l’une ou l’autre des parties, se fait sans considération des obligations leur incombant, qu’elles soient pécuniaires, d’approvisionnement ou de fourniture. Cette définition est d’une acception manifestement plus large que la notion telle qu’elle était retenue en droit civil lors de la conclusion du contrat, puisqu’elle fait référence à l’impossibilité d’exécuter 'dans des conditions économiques raisonnables'.

La société EDF ne peut donc être suivie lorsqu’elle limite cette clause à l’impossibilité matérielle d’exécution de l’obligation de fourniture ou d’approvisionnement.

L’événement de force majeure invoqué est l’épidémie de Covid 19 et les mesures sanitaires et légales drastiques, inhabituelles et soudaines qui ont été prises pour la juguler ont eu une incidence très importante sur la consommation d’électricité et le niveau du prix de celle-ci dès les premiers jours de leur mise en oeuvre et pour une durée qui n’était pas alors déterminée.

S’agissant de la société X, l’impact de la réduction brutale de l’activité dans le secteur industriel est manifeste puisqu’elle indique n’avoir pas de clientèle de particuliers, que 90 % de ses clients exercent leur activité dans le secteur industriel et 10 % dans le secteur tertiaire, et qu’outre cette baisse de consommation, la nécessité de revendre avec une décote d’au moins 50 % en avril et supérieure à 60% au mois de mai l’électricité achetée au prix régulé a entraîné des pertes qu’elle a évaluées à un montant de l’ordre de 300 000 euros par mois.

En conséquence, au regard des éléments de la cause (définition contractuelle de la force majeure, nature de l’événement allégué) et sans préjudice d’un débat devant le juge du fond, il n’apparaît pas que la réalité d’un cas de force majeure au sens du contrat puisse être écartée avec l’évidence requise en référé.

Dès lors en l’absence de contestation sérieuse quant à l’obligation en l’espèce d’EDF de suspendre les

livraisons avant tout débat judiciaire et compte tenu de l’urgence caractérisée par la brutalité de l’événement de force majeure, l’impossibilité de stocker l’électricité et les pertes importantes qui s’annonçaient de ce fait, la société X était bien fondée à saisir le juge des référés en raison du refus d’EDF de suspendre les livraisons en application de la clause de force majeure.

L’ordonnance frappée d’appel doit être confirmée en ce qu’elle a ordonné la suspension de l’accord cadre et l’interruption de la cession annuelle d’électricité, cette suspension devant cependant être limitée à la période du 21 mars au 11 juin 2020.

Cette interruption n’est en revanche plus nécessaire pour l’avenir puisque la société X a notifié à EDF la fin de l’événement de force majeure et que les livraisons d’ARENH ont repris.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance du 26 mai 2020 sauf en ce qui concerne les dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et sauf à préciser qu’il est simplement ordonné à EDF d’interrompre la cession annuelle d’électricité entre le 21 mars et le 11 juin 2020,

Condamne EDF à payer à la société Gazel Energie Generation la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d’appel,

Condamne EDF à payer à l’AFIEG la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance et d’appel,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes sur ce fondement,

Condamne la société Electricité de France aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Le Greffier, Pour la Présidente empêchée,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 28 juillet 2020, n° 20/06675