Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 4, 23 février 2021, n° 18/04570

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 4, 23 févr. 2021, n° 18/04570
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 18/04570
Décision précédente : Tribunal d'instance de Paris, 22 janvier 2018, N° 11-17-000238
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 4

ARRÊT DU 23 FÉVRIER 2021

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/04570 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5FRV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Janvier 2018 -Tribunal d’Instance de PARIS17ème – RG n° 11-17-000238

APPELANTE

SARL D. DEGUELDRE GESTION Agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

[…]

représentée par Me Vincent RIBAUT de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

ayant pour avocat plaidant Me Pierre BIBONNE, avocat au barreau de Paris, toque : B1129

INTIMES

Madame A Y

Née le […] à […]

[…]

[…]

Monsieur C X

Né le […] à […]

[…]

[…]

représentés et ayant pour avocat plaidant Me Patrick BROGNIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C0999

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 janvier 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant M. Michel CHALACHIN, Président de chambre et Mme Marie MONGIN, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Michel CHALACHIN, président de chambre

Mme Marie MONGIN, conseillère

Mme Alexandra PÉLIER-TÉTREAU, conseillère

qui en ont délibéré.

Le rapport ayant été fait par M. Michel CHALACHIN, président de chambre, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Cynthia GESTY

ARRÊT : contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par M. Michel CHALACHIN, Président de chambre et par Mme Cynthia GESTY, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 2 octobre 2014 à effet du 3 octobre 2014, la société D. Degueldre gestion a donné à bail à M. C X et Mme A Y un logement situé […].

Depuis leur entrée dans les lieux, les locataires ont dénoncé des nuisances dues aux importants travaux entrepris dans les immeubles appartenant à la bailleresse.

Par acte d’huissier du 7 avril 2017, les locataires ont fait assigner la bailleresse devant le tribunal d’instance de Paris 17e afin de voir juger illicites et non écrites les clauses du bail visant à exonérer la société D. Degueldre de ses responsabilités et être indemnisés de leurs préjudices.

Par jugement du 23 janvier 2018, le tribunal a :

— dit que la clause exonératoire de responsabilité au bail en cas de travaux (pages 7 et 8) était illicite,

— dit que la clause exonératoire de responsabilité au bail en cas de demande de réduction de loyer pour troubles ou nuisances (page 4) était illicite,

— condamné la société D. Degueldre à payer aux locataires la somme de 6 063,63 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement, au titre du trouble de jouissance subi entre octobre 2014 et décembre 2015, puis de mai 2016 à avril 2017, et celle de 1 122,89 euros, avec intérêts au taux légal

à compter du jugement, au titre du trouble de jouissance subi entre janvier 2016 et avril 2016,

— dit que les intérêts seraient capitalisés sur une année entière à compter du 7 avril 2017,

— débouté les locataires de leur demande de réduction de loyer pour l’avenir jusqu’à ce que cessent les travaux, nuisances et troubles anormaux,

— débouté les locataires de leur demande au titre du préjudice pour souffrances endurées,

— débouté les locataires de leur demande en indemnisation des frais d’acte de rédaction de bail,

— condamné la bailleresse au paiement de la somme de 1 500 euros de dommages-intérêts pour stipulation de clauses manifestement illicites au bail de nature à induire en erreur le preneur sur la nature de ses droits,

— débouté la bailleresse de sa demande indemnitaire en l’absence de procédure abusive,

— débouté les parties du surplus de leurs demandes,

— condamné la bailleresse à payer la somme de 1 700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la bailleresse aux dépens,

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.

Par déclaration reçue au greffe de la cour le 28 février 2018, la société D. Degueldre gestion a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions notifiées le 23 octobre 2018, l’appelante demande à la cour de :

— à titre principal, dire et juger que les travaux invoqués par les locataires ne sont pas des travaux dans les locaux pris à bail et qu’ils ne sont pas des travaux d’amélioration des locaux au sens de l’article 7 e) de la loi du 6 juillet 1989,

— en conséquence, confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que les dispositions de l’article 7 e) de la loi du 6 juillet 1989 et de l’article 1724 du code civil ne trouvaient pas à s’appliquer au présent litige, a débouté les locataires de leurs demandes complémentaires sur la base de prétendues souffrances endurées, de leur demande d’indemnisation pour les frais de rédaction d’acte et de leur demande de réduction de loyer pour l’avenir,

— infirmer le jugement entrepris pour le surplus et débouter les locataires de leurs demandes,

— à titre subsidiaire, dire et juger valide et opposable aux locataires la clause insérée dans le bail de nature à exonérer la bailleresse de toute responsabilité dans la jouissance du local loué, en conséquence infirmer le jugement entrepris et débouter les locataires de leurs demandes,

— à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que les locataires succombent dans la preuve de la matérialité et la durée des travaux allégués et qu’ils succombent dans la preuve du lien de causalité entre les travaux et les préjudices allégués, en conséquence infirmer le jugement, dire que les locataires succombent dans la preuve d’éléments de nature à démontrer les prétendus préjudices qu’ils allèguent sur le fondement de l’article 1719 du code civil et des articles 6 b) et suivants de la loi du 6 juillet 1989 et les débouter de toutes leurs demandes,

— à titre très infiniment subsidiaire, infirmer le jugement et ramener à de plus justes proportions l’indemnisation des locataires,

— en tout état de cause, infirmer le jugement s’agissant de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens, condamner les locataires au paiement de la somme de 2 500 euros pour procédure abusive et dilatoire et les condamner au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.

Par dernières conclusions notifiées le 22 décembre 2018, M. X et Mme Y demandent à la cour de :

— prononcer l’irrecevabilité de la demande de l’appelante pour 'procédure abusive et dilatoire’ alors qu’elle reconnaît par ailleurs expressément le principe de sa responsabilité civile, ce qui revient à se contredire au préjudice des intimés,

— enjoindre à la bailleresse de produire les justificatifs de la diminution consentie de loyer en vertu de ce qui est promis en page 4 du contrat de bail pour apprécier sa sincérité,

— confirmer le jugement, sauf en ce qu’il les a déboutés de leur demande en réparation pour les frais de rédaction d’acte et pour la réparation de leur préjudice distinct résultant des souffrances personnelles endurées objectivement à cause du bruit et des odeurs sur plusieurs années, qui ne se confond pas avec la privation de jouissance du bien loué,

— infirmer le jugement sur ces deux points et condamner l’appelante à leur payer la somme de 1 846,41 euros de dommages-intérêts au titre du remboursement des frais de rédaction du bail en raison des clauses illicites et à réparer distinctement les souffrances endurées sur trois années au titre de sa responsabilité civile contractuelle, notamment au regard de leur situation personnelle et professionnelle particulière, et à leur payer la somme de 6 000 euros de dommages-intérêts,

— débouter l’appelante de toutes ses demandes,

— la condamner au paiement d’une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens d’appel.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d’autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 juin 2020.

MOTIFS

Sur la demande relative aux justificatifs de la diminution de loyer

Les intimés demandent à la cour d’enjoindre à la société Degueldre de produire les justificatifs de la diminution de loyer annoncée dans le bail qu’ils ont signé.

Mais, dans la mesure où ils ne tirent aucune conséquence particulière de l’éventuel défaut de production de tels justificatifs, si ce n’est 'd’apprécier la sincérité du bailleur', cette demande qui ne présente aucun intérêt quant à la solution du litige et qui n’avait pas été formulée devant le premier juge doit être rejetée.

Sur la licéité des clauses contractuelles

Aux termes de l’article 4 m) de la loi du 6 juillet 1989, est réputée non écrite toute clause qui interdit

au locataire de rechercher la responsabilité du bailleur ou qui exonère celui-ci de toute responsabilité.

Plusieurs clauses du bail litigieux interdisaient aux locataires de rechercher la responsabilité de la société D. Delgueldre.

Il en était ainsi de la clause figurant en page 4 et rédigée ainsi : 'Le bailleur informe le preneur qu’il est de son usage de réaliser des travaux d’amélioration des biens loués à chaque sortie de locataire. En conséquence, il est possible que, durant la location, des travaux soient réalisés dans l’immeuble dont dépend le local objet des présentes ; c’est ainsi que le bailleur a d’ores et déjà consenti au preneur un loyer réduit à ce qu’il devrait être, afin de prendre en considération tous troubles ou nuisances éventuelles que le locataire pourrait subir. De son côté, le locataire déclare être parfaitement informé de l’ensemble des travaux envisagés et s’engage dès à présent à ne solliciter à aucun titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit aucune remise de loyer ou autre indemnisation. Cette stipulation est essentielle et déterminante de l’engagement du bailleur à s’engager avec le locataire' ; cette clause visait très clairement à empêcher les locataires d’engager une action en responsabilité à l’encontre de la bailleresse en cas de nuisances dues aux travaux entrepris dans l’immeuble.

C’est également le cas de la clause suivante, insérée en pages 7 et 8 : 'Le preneur sera tenu de souffrir, sans indemnité, tous travaux ou réparations, bouchements de jours de souffrances, reconstruction de murs mitoyens que le bailleur ferait exécuter, quels qu’en soient les inconvénients et la durée, sous réserve de l’application de l’article 1724 du code civil, et de laisser traverser ses locaux par toutes canalisations nécessaires' ; là encore cette clause visait à interdire aux preneurs de réclamer une indemnité à la bailleresse en cas de travaux, et ce quels qu’en soient les inconvénients et la durée, c’est-à-dire dans tous les cas.

C’est à bon droit que le tribunal a considéré que ces deux clauses étaient illicites.

Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.

Sur le trouble de jouissance

Le tribunal a à juste titre retenu que les dispositions des articles 7 e) de la loi du 6 juillet 1989 et 1724 du code civil ne trouvaient pas à s’appliquer en l’espèce, les travaux litigieux n’ayant pas été effectués dans les locaux loués aux intimés mais dans l’immeuble abritant ces locaux, voire dans des immeubles voisins.

Il a à bon droit fondé sa décision sur les dispositions de l’article 6 b) de la loi du 6 juillet 1989 et de l’article 1719 du code civil qui obligent le bailleur à assurer au locataire la jouissance paisible du logement loué.

Dans une note technique du 6 juin 2014 produite par les intimés, M. Z, architecte acousticien, a rappelé que l’appartement loué se trouvait dans un immeuble en béton des années 60, et que les bruits solidiens passaient bien et rapidement dans une telle structure, ce qui expliquait la bonne audibilité d’une perceuse ou d’un marteau-piqueur d’un point à un autre de la structure.

Les locataires démontrent, par de nombeuses pièces, qu’ils subissent d’importantes nuisances depuis leur entrée dans les lieux du fait de travaux multiples effectués dans l’ensemble immobilier situé 125 à […] appartenant à la société D. Degueldre:

— par lettre adressée à la bailleresse le 5 avril 2017, ils ont dénoncé des travaux réalisés depuis leur arrivée dans les appartements proches du leur et dans les parties communes de l’immeuble ;

— de nombreuses autres plaintes émanant de différents locataires de l’ensemble immobilier viennent

corroborer les propos des intimés ;

— une pétition a été signée par 33 locataires, dont Mme Y, le 1er décembre 2016 pour se plaindre des bruits des travaux incessants du Monoprix, des travaux entrepris dans les parties communes depuis janvier 2016, des poussières pénétrant dans les appartements, des travaux effectués systématiquement dans les appartements à chaque remise en location, des odeurs de peinture, des ordures traînant dans la rue et de l’état général des immeubles depuis septembre 2013 ;

— les 9 décembre 2015, 5 septembre et 1er décembre 2016, un huissier de justice s’est rendu sur place et a constaté l’importance des travaux réalisés dans l’ensemble immobilier et des nuisances sonores causées par ceux-ci ;

— une lettre recommandée adressée par la bailleresse à ses locataires le 23 décembre 2015 révèle la lourdeur des travaux envisagés dans les parties communes de ses immeubles ;

— les nombreuses photographies produites révèlent également à quel point ces travaux ont été importants.

Les documents produits par la bailleresse ne font que confirmer la réalisation de travaux de grande ampleur tant dans les parties communes de son ensemble immobilier que dans de nombreux appartements avant remise en location.

Compte tenu des graves nuisances subies par Mme Y et M. X, le jugement doit être confirmé en ce qu’il leur a alloué une indemnité égale à 12 % du loyer sur 27 mois d’octobre 2014 à décembre 2015, puis de mai 2016 à avril 2017, ce qui représente une somme de 1 871,49 x 12 % x 27 = 6 063,63 euros, ainsi qu’une indemnité égale à 15 % du loyer pendant quatre mois de janvier à avril 2016, période durant laquelle Mme Y était chez elle en congé maternité, ce qui représente une somme de 1 871,49 x 15 % x 4 = 1 122,89 euros.

Sur les souffrances personnelles invoquées par les intimés

Les intimés soutiennent que les nuisances causées par les travaux incessants sont à l’origine de souffrances personnelles liées à des problèmes auditifs, olfactifs et de fatigue nerveuse, ainsi qu’à des difficultés particulières pour Mme Y, qui a dû rester à son domicile durant une partie de sa grossesse, puis pour élever son enfant dans le cadre d’un emploi à temps partiel.

Mais c’est à bon droit que le tribunal a rejeté cette demande, estimant que les intimés ne rapportaient pas la preuve de l’existence d’un préjudice distinct du trouble de jouissance, lequel a été indemnisé en tenant compte des difficultés personnelles de Mme Y.

Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.

Sur la tromperie intentionnelle de la bailleresse et sa réticence dolosive d’information

Les intimés soutiennent que la bailleresse a engagé sa responsabilité précontractuelle en insérant dans le bail des clauses illicites dans l’intention de tromper ses locataires quant aux droits dont ils disposaient en cas de manquement de l’appelante aux dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989.

C’est à bon droit que le tribunal a retenu ce poste de préjudice et a alloué aux intimés la somme de 1 500 euros à titre d’indemnité, en tenant compte de leur ignorance de la législation en la matière.

Le tribunal les a à juste titre déboutés de leur demande en remboursement des frais de rédaction du bail, aucune faute n’étant démontrée dans la tarification de cette prestation de service, et le préjudice

causé par l’insertion de clauses illicites étant indemnisé par ailleurs.

Sur les demandes accessoires

L’appelante, qui succombe en ses demandes principales, doit être condamnée aux dépens de la procédure d’appel et déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire et de celle fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande d’allouer aux intimés la somme supplémentaire de 2 500 euros sur le fondement de ce texte.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

Déboute la société D. Degueldre de toutes ses demandes formées devant la cour,

Condamne la société D. Degueldre à payer à Mme Y et M. X la somme supplémentaire de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme Y et M. X de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société D. Deguledre aux dépens d’appel, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L e greffier, Le président,

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Textes cités dans la décision

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