Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 7 septembre 2021, n° 19/04073

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 13, 7 sept. 2021, n° 19/04073
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/04073
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 19 février 2019, N° 18/03944
Dispositif : Statue à nouveau en déboutant le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

Anciennement Pôle 2 – Chambre 1

ARRÊT DU 7 SEPTEMBRE 2021

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/04073 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7L5X

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 février 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 18/03944

APPELANT

Monsieur B Y

Né le […] au Kremlin-Bicètre

[…]

[…]

[…]

Représenté par Me Frédéric X de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

INTIMÉE

Maître F G-H

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me Annabel BOCCARA de l’ASSOCIATION K130 AVOCATS, avocate au barreau de PARIS, toque : K0130

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 18 mai 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre et Madame Estelle MOREAU, Conseillère, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Sarah-Lisa GILBERT

ARRÊT :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Séphora LOUIS-FERDINAND, Greffière présente à la mise à disposition.

* * * * *

Faits et procédure :

Le 11 décembre 2009, M. B Y a été embauché en qualité de directeur général chargé de la direction commerciale de la société Centthor, spécialisée dans le montage, la réalisation et

l’installation de stands dans le domaine des salons et expositions, et dirigée par M. D A.

Le même jour, M. B Y, en sa qualité de gérant de la société Key Biscane Asset Management, et M. D A ont signé un pacte d’associés, aux termes duquel ladite société a acquis une participation de 15% dans le capital de la société holding Antthik, société mère détenant notamment 100% du capital de la société Centthor, jusque là détenue par M. D A.

M. B Y a été convoqué une première fois à un entretien préalable à son licenciement pour insuffisance professionnelle le 4 mars 2014, puis, l’employeur ayant ajourné sa décision, une seconde fois le 18 février 2015, son licenciement pour cause réelle et sérieuse lui ayant été notifié par courrier du 21 février 2015.

M. B Y a engagé une procédure en contestation de son licenciement, mais a été débouté de l’intégralité de ses prétentions suivant décision du conseil de prud’hommes de Longjumeau du 29 juin 2017.

L’appel contre cette décision qu’il a interjeté le 24 juillet 2017 a été déclaré caduc par ordonnance du juge de la mise en état du10 avril 2018 rendue à l’issue d’une audience d’incident du 19 février 2018 à laquelle les parties ont été convoquées le 12 janvier 2018, aux motifs de l’absence de conclusions déposées par l’appelant dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel en application de l’article 908 du code de procédure civile.

C’est dans ce contexte que, par acte du 29 mars 2018, M. B Y a fait assigner Mme F G-H – son avocate l’ayant assisté dans ces procédures jusqu’en novembre 2017, date de son dessaisissement-, devant le tribunal de grande instance de Paris en responsabilité civile professionnelle.

Par jugement du 20 février 2019, ledit tribunal, déboutant les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, a :

— condamné Mme F G-H à payer à M. B Y la somme de 6.165 euros à titre de dommages et intérêts,

— débouté M. B Y du surplus de ses demandes indemnitaires,

— condamné Mme F G-H aux dépens,

— condamné Mme F G-H à payer à M. B Y la somme de 3.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 21 février 2019, M. E Y a interjeté appel de cette décision.

Prétentions des parties :

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 14 octobre 2019, M. E Y demande à la cour de :

— le déclarer recevable et bien fondé en ses demandes,

— débouter Mme F G-H de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

— infirmer le jugement rendu le 20 février 2019 par le tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions

et, statuant à nouveau,

d’une part :

— dire et juger que Mme F G-H a commis une faute en ne régularisant pas des conclusions d’appel dans le délai de 3 mois imparti à compter de la déclaration d’appel du 24 juillet 2017,

— juger que la caducité de l’appel prononcée par le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Paris résulte directement et exclusivement d’une faute exclusivement imputable à Mme F G-H résultant d’un manquement à son devoir de compétence dans la tardiveté de la signification de ses conclusions en cause d’appel,

— juger que la faute de Mme F G-H lui a fait perdre la chance d’obtenir gain de cause en appel et l’infirmation du jugement rendu le 29 juin 2017 par le conseil des prud’hommes de Longjumeau,

— constater qu’il justifie d’un lien de causalité entre les préjudices allégués et les fautes commises par Mme F G-H,

— prendre acte que Mme F G-H reconnait avoir conclu tardivement,

— juger qu’aucune faute ne peut être imputée à son assistante ou à ses confrères successeurs,

d’autre part :

— juger que Mme F G-H a manqué à son devoir d’information, de loyauté contractuelle et de bonne foi envers lui en n’avertissant pas délibérément son successeur d’une

audience sur incident au risque de lui faire perdre le droit de se défendre,

— juger que Mme F G-H l’a exposé au risque de ne pas être représenté en justice à l’audience sur incident du 19 février 2018,

— juger que les fautes commises envers lui par Mme F G-H lui ont causé un préjudice distinct en raison des conséquences dans le cadre du conflit entre associés de la société Centthor,

— juger qu’il justifie de la perte d’une chance d’obtenir l’infirmation du jugement rendu par le conseil des prud’hommes de Longjumeau du 29 juin 2017,

— juger que la perte de chance de gagner en cause d’appel devra être estimée à 75% du préjudice financier réclamé par lui,

— juger que les fautes commises par Mme F G-H ont un lien de causalité direct avec les différents préjudices subis par lui,

et, en conséquence,

— condamner Mme F G-H à lui payer :

• une somme de 208.625 euros en réparation du préjudice pour la perte de chance de ne pas avoir pu exercer son droit d’appel,

• une somme de 2.165 euros en remboursement des frais et honoraires d’appel,

• une somme de 25.000 euros en réparation du préjudice moral et psychologique,

• une somme de 25.000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de crédibilité contre son associé de la société Centthor,

enfin,

— condamner Mme F G-H à lui payer une somme de 5.000 euros en application de l’article 699 du code de procédure civile (sic),

— condamner Mme F G-H aux entiers dépens de première instance et d’appel, dont le recouvrement sera effectué par la Selarl BDL avocats en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 22 juillet 2019, Mme F G-H demande à la cour de :

à titre principal :

— infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu qu’elle a commis une faute,

— infirmer en conséquence le jugement en ce qu’il l’a condamnée à payer à M. B Y la somme de 6.165 euros de dommages-intérêts et celle de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M. B Y de sa demande de dommages-intérêts pour la perte de chance d’obtenir l’infirmation de la décision de première instance devant la cour d’appel de Paris et de sa demande fondée sur la perte de crédibilité à l’égard de son associé,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel confirmait le jugement en retenant sa faute:

— juger que le montant des condamnations prononcées ne saurait être supérieur à 67.824 euros, au titre de la perte de chance d’obtenir gain de cause devant la cour d’appel,

— débouter M. B Y de ses autres demandes indemnitaires,

en tout état de cause :

— condamner M. B Y à la somme de 6.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner M. B Y aux dépens de l’article 699 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur la responsabilité de l’avocat

Sur la faute

Le tribunal a retenu que Mme G-H, encore chargée de la défense de M. B Y devant la cour d’appel de Paris dans le cadre de la procédure prud’homale litigieuse, avait commis une faute en omettant de conclure dans les trois mois de la déclaration d’appel conformément aux dispositions combinées des articles 908 et 910-3 du code de procédure civile.

M. E Y sollicite la confirmation du jugement sur ce point en soulignant que Mme G-H étant responsable du respect des délais de procédure en sa qualité d’avocat postulant, ne saurait être exonérée de sa responsabilité en faisant valoir une difficulté d’agenda ainsi que son dessaisissement ultérieurement à l’expiration du délai préfix de trois mois. Outre cette faute, il soutient que son avocate a également manqué à son obligation d’information et à son devoir de loyauté, en n’informant ni son client ni ses successeurs du vice de procédure affectant l’appel dont elle a eu connaissance au plus tard le 12 décembre 2017, date de notification des conclusions de l’intimé ayant soulevé un incident de procédure, ni de la convocation à l’audience d’incident de mise en état du 19 février 2018 qu’elle a reçue le 12 janvier 2018, M. X, son nouvel avocat, ayant été convoqué par le greffe le 13 février 2018, enfin en tardant à transmettre son dossier à ses successeurs.

Mme G-H conteste toute faute en ce que :

— elle n’a pas été en mesure de conclure dans le délai imparti expirant au 24 octobre 2017 au plus tard en raison d’une mauvaise retranscription dans son agenda électronique de la bonne date de dépôt des conclusions par son assistante, et a notifié ses conclusions d’appel le 30 octobre 2017,

— M. Y l’a dessaisie au profit de M. Z dès le 9 novembre 2017, auquel elle a transmis son dossier le 22 novembre suivant et qui était donc à même de conclure au fond, et M. X s’est constitué tardivement, de sorte que seule la négligence de ses successeurs est à l’origine de leur méconnaissance, jusqu’au 13 février 2018, de l’incident de procédure soulevé.

L’avocat engage sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l’article 1147 du code civil, dans sa version applicable aux faits, à charge pour celui qui l’invoque de démontrer une faute, un lien de causalité et un préjudice.

L’appelant étant tenu de déposer des conclusions dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel sous peine de caducité de celle-ci en application de l’article 908 du code de

procédure civile, et Mme G-H assurant alors la défense des intérêts de M. Y, a manqué à son obligation de diligence en ne déposant pas les conclusions dans l’intérêt de ce dernier dans les délais impartis expirant au 24 octobre 2017, peu important les erreurs d’agenda alléguées.

En revanche, M. Y ayant déchargé Mme G-H de la défense de ses intérêts par courrier du 9 novembre 2017, laquelle a transmis son dossier à son successeur le 22 novembre 2017 sans qu’aucune remarque sur le caractère incomplet d’une telle transmission lui soit alors adressée, il n’est justifié d’aucun manquement de l’intimée au titre d’un défaut de restitution du dossier ou encore d’un défaut d’information de son ancien client et de son successeur de la procédure d’incident initiée par la partie adverse et de la convocation à l’audience d’incident de mise en état devant la cour d’appel du 12 janvier 2018 pour le 10 avril 2018, l’intimée n’étant pas tenue de suivre une procédure dont elle a été dessaisie, ni responsable des conséquences du défaut de constitution de son successeur en ses lieu et place aucunement justifié par la prétendue transmission incomplète de son dossier.

Sur le lien de causalité et le préjudice

Le tribunal retient que :

— rien ne permettait d’échapper à la caducité de la déclaration d’appel, constatée par ordonnance du 10 avril 2018, si ce n’est un cas de force majeure qui n’est ni allégué, ni démontré au cas particulier, en sorte que M. E Y est fondé à rechercher la responsabilité de Mme G-H au titre de la perte de son droit de voir examiner son affaire au fond par la cour d’appel,

— cependant, la perte de chance d’obtenir l’infirmation de la décision de première instance n’est pas démontrée, dans la mesure où :

• le grief lié au renversement, par la décision critiquée, de la charge de la preuve sur les motifs du licenciement, qui est exprimé de manière générale et lapidaire, n’est pas fondé dès lors que le conseil de prud’hommes s’est attaché à vérifier la réalité des motifs énoncés dans la lettre de licenciement par référence aux pièces versées aux débats,

• le grief lié à la dissimulation du contexte de l’embauche et du statut de M. B Y au sein de la société Centthor n’est pas davantage fondé puisque cette particularité a été portée à la connaissance du conseil de prud’hommes qui l’a tenue pour acquise, et que le moyen selon lequel le motif réel du licenciement serait à rechercher dans la mésentente entre associés a été présenté en première instance, mais écarté, sans que M. Y n’explique en quoi la cour d’appel aurait pu avoir, sur cette question, une appréciation différente,

• le grief tenant à l’absence de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement n’est pas sérieux,

• le grief tiré de l’absence de pertinence du motif de licenciement relatif au non respect des objectifs n’est pas suffisamment établi, dans la mesure où si aucun objectif chiffré n’avait effectivement été imparti à M. B Y, ce dernier était tenu de faire progresser le chiffre d’affaires, comme cela est mentionné dans le pacte d’associé, ce à quoi il a échoué comme l’a précisément énoncé le conseil de prud’hommes,

— si le surplus des griefs (portant sur la valeur probante de trois attestations versées aux débats par l’employeur, et l’ancienneté de certains reproches mentionnés dans la lettre de licenciement) paraît davantage fondé, il n’est pas démontré que cela aurait suffit à faire juger en appel que le licenciement était dénué de cause réelle et sérieuse, alors que l’essentiel de la motivation de la décision de première instance – particulièrement précise et développée, sur plus de cinq pages – n’est pas sérieusement discuté,

— le fait que l’employeur ait provisionné l’équivalent d’un an de salaire ne constitue qu’une simple précaution et n’avait aucune chance d’entraîner la conviction de la cour d’appel,

— la prétendue perte de crédibilité de M. Y face à M. A dans le cadre de la négociation menée en parallèle entre eux sur la question des parts sociales, n’est pas fondée puisqu’elle repose sur le fait – non démontré – que M. Y aurait dû obtenir gain de cause en appel dans le cadre de l’instance prud’homale,

— en revanche, les frais liés à la procédure d’appel, pour un montant global justifié de 2.165 euros, doivent être mis à la charge de Mme G-H, dès lors qu’ils ont été exposés en pure perte par sa faute,

— M. B Y a nécessairement subi un préjudice moral du fait de l’impossibilité de voir examiner son affaire par la cour d’appel, devant être réparé par l’octroi d’une somme de 4.000 euros.

M. Y fait valoir que la faute de son avocat, à l’origine de la caducité de l’appel, lui a causé divers préjudices soit :

— la perte de chance d’obtenir gain de cause en appel, correspondant à 75% des condamnations réclamées (271.500 euros), soit 203.625 euros majorés de 5.000 euros d’article 700 du code de procédure civile, dépens compris, en ce que :

• les premiers juges ne pouvaient à la fois retenir une faute de son avocat et rejeter sa demande d’indemnité alors que la perte du droit d’agir en justice, quelle qu’en soit l’issue, engendre un préjudice financier, ne serait ce que symbolique,

• son licenciement était sans cause réelle ou sérieuse, dans la mesure où :

• le grief tiré de l’insuffisance dans le développement du chiffre d’affaires et de l’absence de tentatives véritables pour favoriser sa progression n’est pas fondé puisque son rôle était indéfini, qu’il n’avait pas pour fonction d’effectuer des appels d’offres et de développer le chiffre d’affaires de la société sur lequel il avait très peu de visibilité, qu’il n’était tenu à aucun objectif chiffré, que la société ne lui a fourni aucun moyen de diriger l’activité commerciale,

• aucun reproche ne lui a été adressé ni au titre du chiffre d’affaires, ni s’agissant d’une difficulté à communiquer ou d’une prétendue posture de dénégation,

• la lettre de licenciement du 21 février 2015 reprend en tous points les griefs de la lettre du 4 avril 2014 qui n’avait donné lieu à aucune sanction,

• il n’a jamais fait courir la rumeur selon laquelle il allait racheter les actions de la société, les attestations de la société Centthor étant de complaisance,

• M. A l’a licencié après avoir recruté un chargé d’affaires destiné à le remplacer et en raison d’une mésentente entre associés parce qu’il a refusé de signer l’avenant au pacte d’associés prévoyant qu’en cas de rupture de son contrat de travail, quelle qu’en soit la cause, il s’engageait irrévocablement à céder à M. A l’ensemble des titres de la société qu’il détenait dans la société Antthik,

• les conditions de son licenciement sont brutales et vexatoires et portent atteinte à sa dignité,

• les chances de succès en appel étaient particulièrement sérieuses, dans la mesure où le conseil de prud’hommes a inversé la charge de la preuve des motifs du licenciement et la lettre de licenciement était dépourvue de motivation précise,

• le président de la société Centthor avait provisionné dans ses comptes la procédure devant le conseil de prud’hommes à hauteur de l’équivalent de douze mois d’indemnité,

— un préjudice au titre des frais de procédure inutilement engagés, justement évalué par le tribunal à la somme de 2.165 euros,

— un préjudice moral et psychologique de 25.000 euros ;

— un préjudice au titre des répercussions directes sur la procédure relative au conflit entre lui et son associé, de 25.000 euros.

Mme G-H souligne l’absence de caractérisation du lien de causalité par l’appelant qui impute l’ensemble des préjudices allégués au contenu de son dossier qu’il qualifie d’incompris par la juridiction prud’homale, et non pas à sa prétendue faute.

Elle conteste également les préjudices allégués en faisant valoir que :

— la perte de chance d’obtenir gain de cause en appel n’est pas établie, dans la mesure où le licenciement de M. Y était justifié dès lors que :

• alors qu’il a été embauché par la société Centthor au regard de son potentiel à développer le chiffre d’affaires et que le pacte d’associé signé par lui mentionnait un plan de développement commercial avec un délai de réalisation de cinq ans, il n’a pas élaboré un tel plan, ni mené aucune action commerciale dynamique et n’a pas fait progresser le chiffre d’affaires,

• son insuffisance professionnelle a été pertinemment constatée par le conseil de prud’hommes,

— le préjudice moral et psychologique allégué n’est pas démontré, pas plus que le préjudice résultant d’une prétendue perte de crédibilité envers son associé,

— la demande au titre des frais de procédure est injustifiée, dès lors que M. Y ne lui a jamais réglé ses honoraires d’appel et que ses successeurs auraient pu rattraper l’erreur d’agenda qu’elle a commise, ce qu’ils n’ont pas fait.

Il incombe à celui qui entend obtenir réparation d’une perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l’événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable. Pour apprécier les chances de succès de la voie de droit envisagée, le juge du fond doit reconstituer fictivement le procès manqué par la faute de l’avocat. La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.

La faute commise par l’intimé a fait perdre à l’appelant la chance de voir examiner le litige l’opposant à son employeur par la cour d’appel. Il appartient à l’appelant d’établir que les moyens qu’il entendait soulever en cause d’appel étaient pertinents et qu’il a ainsi perdu une chance réelle et sérieuse d’obtenir l’infirmation du jugement rendu par le conseil des prud’hommes de Longjumeau du 29 juin 2017, le caractère hypothétique d’une telle perte de chance excluant toute indemnisation.

Ainsi, contrairement à ce que fait valoir l’appelant, la seule circonstance que sa déclaration d’appel ait été déclarée caduque en raison d’un manquement de son avocat n’ouvre pas droit à indemnisation.

Le conseil des prud’hommes a retenu que le licenciement de M. Y était fondé sur une cause réelle et sérieuse, son insuffisance professionnelle étant démontrée, et ne revêtait aucun caractère brutal et vexatoire.

Les conclusions d’appel régularisées par l’intimée au delà du délai de l’article 908 du code de procédure civile tendaient à l’indemnisation de son client au titre du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais également pour licenciement brutal et vexatoire.

Sur la perte de chance de voir réformer le jugement ayant retenu que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse :

M. Y a été embauché par la société Centthor en qualité de directeur général chargé de la direction commerciale, avec le statut de cadre dirigeant selon la convention collective nationale du bâtiment, moyennant une rémunération annuelle brute de 130.000 euros à laquelle s’ajoute un véhicule de fonction.

Sa lettre de licenciement du 21 février 2015 est fondée sur divers griefs distinctement énumérés et suffisamment développés, et dont M. Y ne fait pas utilement valoir le caractère imprécis.

Ainsi que l’ont relevé pertinemment les premiers juges, le grief lié au renversement, par le conseil des prud’hommes, de la charge de la preuve sur les motifs du licenciement, n’est pas fondé alors que celui-ci s’est attaché à vérifier la réalité de chacun des motifs énoncés dans la lettre de licenciement par référence aux pièces versées aux débats.

Il était ainsi invoqué un premier grief tenant à la réelle insuffisance de M. Y dans le développement du chiffre d’affaires ainsi que l’absence de démarche véritable pour favoriser sa progression, alors que lors de son embauche en 2009 il avait mis en avant son expérience et son carnet d’adresse pour développer rapidement et de manière significative le chiffre d’affaires de la société Centthor, ce manquement ayant donné lieu à une première convocation à un entretien préalable pour licenciement le 5 mars 2014, au cours duquel M. Y a fait valoir différentes démarches commerciales engagées depuis plusieurs mois devant se traduire par des résultats significatifs à court terme, et le chiffre d’affaires réalisé les cinq dernières années étant insuffisant comme limité à 1.060.000 euros soit une moyenne de 200.000 euros pour un chiffre d’affaires global annuel de l’entreprise aux environs de 20.000.000 euros, la société ayant participé durant cette période à un nombre très limité d’appels d’offres. Il lui était corrélativement reproché l’absence d’élaboration d’un projet de développement commercial, en sorte qu’aucun des axes proposés n’a été amélioré un an après le premier entretien préalable aux fins de licenciement, tant en ce qui concerne le développement du chiffre d’affaires que la mise en oeuvre d’actions commerciales significatives.

Sur ces points, le conseil des prud’hommes a retenu que :

— M. Y ne justifie pas d’un manque de moyens lui permettant d’accomplir ses fonctions, ne produit pas le plan de développement commercial expressément demandé par son employeur par lettre du 24 avril 2014, ni aucun élément mettant en valeur son activité commerciale propre et sa capacité à susciter et à répondre à des appels d’offre,

— quand bien même la responsabilité d’animer et d’encadrer l’équipe des commerciaux ne lui a pas été confiée, M. Y ne répond pas au reproche de son employeur de manquer de dynamisme commercial, soit de ne pas avoir mis en oeuvre une ou des méthodologies pour approcher de nouveaux clients et susciter des appels d’offres, selon le savoir-faire escompté chez un professionnel de son niveau, et n’apporte aucun élément probant sur les circonstances qui auraient contrarié son activité, en sorte que les griefs d’absence d’élaboration d’un plan de développement commercial, d’absence de progression de chiffre d’affaires et de manque de dynamisme commercial sont démontrés.

M. Y n’apporte devant la cour aucun élément nouveau susceptible de remettre en cause la pertinence de l’appréciation du tribunal ayant jugé vaine la remise en cause du caractère réel et sérieux de ces motifs de licenciement, dans la mesure où si aucun objectif quantitatif ou qualitatif n’a effectivement été imparti à M. B Y dans son contrat de travail et si sa rémunération n’était pas proportionnelle au développement du chiffre d’affaires de la société, la progression de celui-ci relevait bien de ses fonctions. A ce titre, le pacte d’associé qu’il a conclu avec M. A concomitamment à son embauche indique expressément que la double opération consistant en une augmentation de capital de la société Antthik souscrite au profit de la société gérée par M. Y et l’embauche de ce dernier par la société Centthor répond à plusieurs motivations dont celle pour le groupe Antthik 'd’intégrer un responsable commercial dont l’expérience et le réseau professionnel permettront de développer significativement le chiffre d’affaires et de gagner des parts de marché'. M. Y n’aurait donc pas été fondé à faire valoir en cause d’appel qu’il n’avait pas pour rôle de développer le chiffre d’affaires de la société Centthor.

M. Y, qui était embauché en qualité de directeur commercial, ne démontre aucunement que

son employeur ne lui a fourni aucun moyen matériel et humain de développer le chiffre d’affaires de la société et de diriger l’activité commerciale et l’a cantonné à des fonctions subalternes, alors qu’il soutient par ailleurs être intervenu dans de nombreux dossiers importants tant en France qu’à l’étranger, notamment par le biais d’appels d’offres.

Il ne fait pas plus pertinemment valoir n’avoir reçu aucun reproche de son employeur alors que la lettre qui lui a été adressée le 4 avril 2014 à l’issue d’une première convocation préalable à son licenciement pour le 5 mars 2014, fait état de ces manquements. La circonstance que la procédure de licenciement n’ait pas alors été maintenue sur la base des engagements de M. Y, qui devait élaborer un projet de plan de développement commercial avec la fixation d’objectifs à tenir à six mois, est inopérante à démontrer le caractère infondé du licenciement prononcé depuis lors en raison de la persistance de ses manquements, étant à ce titre relevé qu’en sa qualité de directeur commercial, il lui appartenait de fixer et mettre en oeuvre les stratégies commerciales.

Le second motif de licenciement était fondé sur la posture de dénégation de M. Y et sa communication désastreuse, incompatible avec une petite structure gérée de façon familiale, nuisible aux relations développées avec la société Decoral, soeur de la société Centthor. Il était également reproché à M. Y d’avoir fait naître un sentiment de panique au sein de ladite société en raison de la rumeur selon laquelle il allait racheter les actions de celle-ci.

Le conseil des prud’hommes a jugé suffisamment caractérisé le manquement de communication de M. Y qui ne contestait pas l’absence de concertation suffisante et de développement de synergie avec les équipes, d’adaptation au mode de fonctionnement peu administratif d’une PME, ou encore l’intervention nécessaire de M. Bazanan pour empêcher la publication dans un journal professionnel d’une communication de M. Y s’écartant trop du modèle qui lui avait été fourni. Aucun élément produit aux débats ne permet à la cour d’avoir une appréciation différente des premiers juges sur ce point. Ceux-ci n’ont, en revanche, pas retenu le grief tiré d’un sentiment de panique né d’une rumeur de rachats d’actions, en sorte que la contestation de la pertinence de ce grief par M. Y n’est pas utile aux débats.

La circonstance que la société Centthor ait provisionné une somme correspondant à 12 mois de salaire de M. Y au titre du litige engagé avec lui, ne caractérise aucune reconnaissance de l’absence de fondement de son licenciement, en ce qu’elle relève de la seule gestion de ladite société.

Les pièces versées par l’appelant ne sont pas de nature à établir que le licenciement, dont les motifs ont été analysés avec soin par le conseil des prud’hommes, était dépourvu de cause réelle et sérieuse et en réalité fondé sur le refus de M. Y de signer un avenant du pacte d’associés prévoyant qu’en cas de rupture de son contrat de travail pour quelle que cause que ce soit, il s’engageait à céder l’ensemble des titres qu’il détenait dans la société Antthik, ou encore sur la mésentente entre associés à la suite de découverte de malversations commises par son associé, la circonstance qu’il ait été autorisé à saisir la comptabilité de la société Centthor, par ordonnance sur requête du 21 novembre 2017, étant à ce titre inopérante.

L’appelant ne justifie ainsi d’aucune perte de chance réelle et sérieuse d’obtenir en cause d’appel l’infirmation du jugement du conseil des prud’hommes ayant retenu que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Sur la perte de chance de voir réformer le jugement ayant exclu le caractère vexatoire du licenciement

S’agissant des circonstances du licenciement, le conseil des prud’hommes a jugé que M. Y échouait à rapporter la preuve des propos ou du comportement brutaux et/ou vexatoires dont il aurait été victime dans les circonstances ayant entouré son licenciement, et ne décrivait pas les désordres ni le préjudice causé par la privation des accès à l’informatique pendant la durée du préavis de six mois

durant lequel il a été rémunéré, alors que pour sa part, son employeur a fait appel aux services d’une médiatrice.

M. Y n’apporte aux débats aucun élément nouveau, autre que les attestations déjà analysées par le conseil des prud’hommes et dont il n’est aucunement démontré que la cour d’appel aurait eu une appréciation différente.

Il n’est donc pas davantage justifié d’une perte de chance réelle et sérieuse d’obtenir l’infirmation du jugement du conseil de prud’homal de ce chef.

Sur le surplus des préjudices allégués

Les premiers juges ont, par des motifs repris par la cour, pertinemment exclu tout préjudice au titre de la prétendue perte de crédibilité de M. Y face à M. A dans le cadre de la négociation menée en parallèle entre eux sur la question des parts sociales, reposant sur le postulat, non démontré, que M. Y aurait dû obtenir gain de cause en appel dans le cadre de l’instance prud’homale.

En revanche, M. Y ne justifie pas par les pièces versées aux débats s’être acquitté auprès de l’intimée d’honoraires au titre de la procédure d’appel s’étant soldée par une caducité de la déclaration d’appel, étant relevé que dans son courrier dessaisissant son avocate, il a contesté sa facture du 6 novembre 2017 intitulée 'honoraires forfaitaires procédure d’appel’ en indiquant saisir le bâtonnier à ce titre, procédure qu’il a effectivement initiée mais dont il ne justifie pas des suites.

De même, si M. B Y a nécessairement subi un préjudice moral du fait de la perte de confiance en son avocate et de l’impossibilité de voir examiner son affaire en cause d’appel, l’ampleur alléguée de ce préjudice n’est justifiée par aucune pièce produite aux débats, M. Y ayant recouvré 'le droit à la parole' qu’il prétend avoir perdu dans le cadre de la présente instance, et ne justifiant aucunement de difficultés psychologiques ni de la situation catastrophique dans laquelle il s’est trouvé du fait de l’absence effectif du recours contre la décision, dont les chances de succès étaient vaines.

Au vu de ces éléments, seul est caractérisé le préjudice moral de M. Y, qui doit être ramené à la somme de 1.500 euros, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile sont confirmées. Les dépens exposés en cause d’appel seront mis à la charge de l’intimée, avec les modalités de recouvrement prévues à l’article 699 du code de procédure civile. Aucune considération d’équité ne justifie que l’intimée soit condamnée au titre de frais de procédure exposés en cause d’appel et les demandes formées au titre de l’article 700 du code de procédure sont rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a condamné Mme G-H à payer à M. Y la somme de 6.165 euros en réparation de son préjudice,

Statuant de nouveau de ce chef,

Condamne Mme G-H à payer à M. Y la somme de 1.500 euros en réparation de son préjudice moral, et le déboute du surplus de ses demandes indemnitaires,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme G-H aux dépens avec les modalités de l’article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 7 septembre 2021, n° 19/04073