Cour d'appel de Paris, Pôle 5 chambre 8, 28 décembre 2022, n° 21/01796

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Chronologie de l’affaire

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Bulletin Joly Sociétés · 1er février 2023
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 ch. 8, 28 déc. 2022, n° 21/01796
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/01796
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de commerce de Sens, 11 janvier 2021, N° 2020L00338
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 4 janvier 2023
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Texte intégral

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 8

ARRÊT DU 28 DÉCEMBRE 2022

(n° / 2022 , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01796 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDAEN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Janvier 2021 -Tribunal de Commerce de Sens – RG n° 2020L00338

APPELANT

Monsieur [T] [O]

Né le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 6] (92)

De nationalité française

Demeurant [Adresse 3]

[Adresse 4]

Représenté par Me Felicia MALINBAUM, avocate au barreau de PARIS, toque : A0298,

INTIMÉE

S.E.L.A.R.L. [V] [R], prise en la personne de Me [V] [R], en qualité de liquidateur judiciaire de l’EURL LE MONDE AU BOUT DES DOIGTS, désignée par jugement du 19 décembre 2017 du Tribunal de commerce de Sens,

Immatriculée au registre du commerce et des sociétés de SENS sous le numéro 484 605 753,

Ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Luc MOREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : A0353,

Assistée de Me Virginie TEICHMANN, avocate au barreau de PARIS, toque : G0353,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Avril 2022, en audience publique, devant la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre,

Madame Anne-Sophie TEXIER, conseillère,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame Anne-Sophie TEXIER dans le respect des conditions prévues à l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Liselotte FENOUIL

MINISTÈRE PUBLIC : L’affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par Monsieur François VAISSETTE, avocat général, qui a fait connaître son avis écrit le 4 février 2022.

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT, Présidente de chambre et par Liselotte FENOUIL, greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

FAITS ET PROCÉDURE:

L’EURL Le monde au bout des doigts, constituée le 27 février 2015 et ayant pour gérant et unique associé M. [O], exerçait une activité d’exportation et de commercialisation de matériel informatique à destination de la Côte d’Ivoire.

Sur déclaration de la cessation des paiements du 13 décembre 2017 et par jugement du 19 décembre 2017, elle a été mise en liquidation judiciaire, la date de la cessation des paiements étant fixée au 18 juin 2016 et la SELARL [V] [R] désignée liquidateur.

Le 5 novembre 2020, le liquidateur a assigné M. [O] en responsabilité pour insuffisance d’actif à l’effet de le voir condamner au paiement d’une somme de 703 981,74 euros et à une sanction personnelle

Par jugement réputé contradictoire du 12 janvier 2021, assorti de l’exécution provisoire, le tribunal de commerce de Sens a condamné M. [O] à « supporter le passif » à hauteur de 703 981,74 euros, prononcé à son encontre une mesure de faillite personnelle d’une durée de 15 ans et l’a condamné aux dépens.

M. [O] a interjeté appel de ce jugement selon déclaration du 26 janvier 2021.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 19 avril 2021, M. [O] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné à supporter le passif à hauteur de 703 981,74 euros et prononcé à son encontre une faillite personnelle d’une durée de 15 ans.

Suivant conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 10 février 2022, la SELARL [V] [R], en qualité de liquidateur de la société Le monde au bout des doigts, demande à la cour de confirmer le jugement, de rejeter les demandes de M. [O] et de condamner ce dernier à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens dont distraction au profit de Me Luc Moreau conformément à l’article 699 du même code.

Par avis déposé au greffe et notifié par voie électronique le 4 février 2022, le ministère public invite la cour à infirmer le jugement et, statuant à nouveau, à condamner

M. [O] au paiement d’une somme de 481 831,74 euros au titre du comblement de l’insuffisance d’actif et à une mesure d’interdiction de gérer d’une durée de 15 ans.

Ainsi qu’il y avait été invité, le liquidateur a, par note en délibéré transmise le 13 avril 2022, apporté des précisions sur les fautes de gestion et faits passibles de sanction personnelle imputés à M. [O] et produit le jugement du tribunal correctionnel de Sens du 18 mars 2021 (étant précisé que celui-ci figurait en réalité déjà parmi les pièces versées aux débats par l’appelant).

SUR CE,

A titre liminaire, il convient de relever que, par jugement du tribunal correctionnel de Sens du 18 mars 2021 prononcé contradictoirement à l’égard des prévenus et de la partie civile, M. [O] a été condamné pour escroquerie à une peine d’emprisonnement assortie partiellement d’un sursis probatoire, à une interdiction de gérer d’une durée de 10 ans et à une inéligibilité d’une durée de 5 ans pour avoir :

— commis une escroquerie entre le 1er mars 2015 et le 31 août 2016 en fournissant de fausses factures de fournisseurs pour le compte de la société Le monde au bout des doigts et en faisant de fausses déclarations de TVA afin de déterminer le service des impôts des entreprises de [Localité 7] à procéder à des remboursements de TVA pour un montant de 222 000 euros ;

— commis une tentative d’escroquerie en septembre 2016 en fournissant une fausse facture de fournisseur pour le compte de la société Le monde au bout des doigts et en faisant de fausses déclarations de TVA afin de tenter de déterminer le service des impôts des entreprises de [Localité 7] à procéder à des remboursements de TVA pour un montant de 20 000 euros ;

— commis l’infraction de blanchiment entre le 1er mars 2015 et le 31 août 2016 en apportant son concours à une opération de dissimulation ou conversion du produit d’un délit de fraude à la TVA en ayant transféré la somme de 182 342,86 euros des comptes de la société Le monde du bout des doigts sur des comptes personnels puis en les investissant dans le financement de travaux ou des achats divers à titre personnel.

Il a également été condamné par le même jugement, statuant sur l’action civile, à payer à l’Etat français la somme de 222 000 euros de dommages et intérêts et celle de 3 000 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Au soutien de sa demande d’infirmation du jugement, M. [O] présente un unique moyen dont le fondement juridique n’est pas précisé soutenant qu'« il est bien fondé à solliciter que les sommes mises à sa charge par le tribunal de commerce soient réformées » au motif qu’il a été condamné à une peine pour escroquerie ainsi qu’à payer à l’Etat français une somme de 222 000 euros et 3 000 euros en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

La cour en déduit que M. [O] prétend uniquement qu’il n’y a pas lieu de mettre à sa charge le comblement de l’insuffisance d’actif du fait des condamnations prononcées à son encontre par le jugement du tribunal correctionnel de Sens.

— Sur la responsabilité pour insuffisance d’actif

L’article L. 651-2, alinéa 1, du code de commerce dispose :

« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée. »

L’action fondée sur les dispositions précitées, qui tend à engager la responsabilité civile du dirigeant d’une personne morale en liquidation judiciaire, n’est pas soumise au principe non bis in idem, lequel, au demeurant, n’est pas invoqué en tant que tel par M. [O].

La responsabilité pour insuffisance d’actif suppose une insuffisance d’actif et une faute de gestion ne relevant pas d’une simple négligence ayant contribué à cette insuffisance.

— L’insuffisance d’actif

Le liquidateur justifie par la production d’un état des créances déclarées arrêté au 26 octobre 2020 que le passif définitivement admis s’élève à 703 981,74 euros et que l’actif réalisé ou réalisable est inexistant.

L’insuffisance d’actif ressort donc à 703 981,74 euros, montant qui n’est au demeurant pas contesté.

— Les fautes de gestion reprochées et leur contribution à l’insuffisance d’actif

Les conclusions du liquidateur ne permettant pas d’identifier et de dénombrer avec certitude les fautes de gestion reprochées à M. [O], ce dernier a été invité à en produire une liste récapitulative par note en délibéré.

Selon cette note, les fautes de gestion imputées sont :

1) l’absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours ;

2) l’usage des biens et du crédit de la société Le monde au bout des doigts contraire à l’intérêt de cette dernière à des fins personnelles ;

3) la poursuite abusive dans un intérêt personnel d’une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements ;

4) la tenue incomplète, irrégulière et fictive de la comptabilité.

Cette liste étant compatible avec les conclusions déposées par le liquidateur, les fautes précitées seront successivement examinées ci-après.

— L’absence de déclaration de la cessation des paiements dans le délai de 45 jours

La date de la cessation des paiements a été fixée par le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire au 18 juin 2016, de sorte que M. [O] disposait, en application de l’article L. 653-8 du code de commerce, d’un délai expirant le 2 août 2016 pour demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

C’est donc avec 16 mois et 11 jours de retard qu’il a formé cette demande, le 13 décembre 2017.

M. [O] a lui-même indiqué à la rubrique « Date de cessation des paiements » du formulaire de demande d’ouverture d’une liquidation judiciaire qu’il a déposé au greffe « 1 an 1/2 », étant précisé qu’une note de bas de page précisait que cette date était celle «  à partir de laquelle il a été impossible de faire face au passif exigible avec l’actif disponible, c’est-à-dire la date à laquelle vous n’avez plus été en mesure de régler vos dettes ».

Par ailleurs, les seules opérations portées au crédit du compte bancaire de la société Le monde au bout des doigts à compter du 28 février 2017, date à partir de laquelle le solde est demeuré constamment débiteur, correspondent à des prélèvements impayés, mettant en exergue une situation de trésorerie manifestement obérée.

Il en résulte que M. [O] a commis une faute de gestion ne relevant pas d’une simple négligence en tardant à déclarer la cessation des paiements.

Le solde débiteur du compte de la société Le monde au bout des doigts a continuellement augmenté à compter du 28 février 2017, évoluant de – 323,09 euros à cette dernière date pour atteindre 10 047,77 euros, correspondant au montant déclaré par l’établissement teneur de compte et admis.

En outre, diverses charges nées en 2017 et restées impayées (cotisations d’assurance, CFE, CVAE, impôt sur les sociétés) ont donné lieu à une admission au passif.

Il s’ensuit que la faute de gestion considérée a contribué à l’insuffisance d’actif.

— L’usage des biens et du crédit de la société Le monde au bout des doigts contraire à l’intérêt de cette dernière à des fins personnelles

Le liquidateur invoque, d’abord, la souscription de deux contrats de crédit-bail en se bornant à indiquer : « alors que la réalité de l’activité et de ses besoins n’éta[ie]nt pas établis, M. [T] [O] a souscrit en janvier 2016 deux contrats de crédit-bail coûteux pour deux véhicules, dont il est dès lors permis de dire qu’ils étaient tous deux destinés à un usage strictement personnel ».

En l’état de telles affirmations, l’usage personnel des deux véhicules en cause n’est pas établi.

Le liquidateur excipe également de la prise en charge, par la société Le monde au bout des doigts, de dépenses personnelles par le biais de virements d’un montant total de 158 865 euros effectués au profit de M. [O] ainsi que de divers frais personnels (loyers, assurance, dépenses de carte bleue).

Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont une autorité absolue au civil relativement à ce qui a nécessairement été jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé et cette autorité s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

Le jugement du tribunal correctionnel de Sens retient, au titre des éléments constitutifs de l’infraction de blanchiment, que le produit de la fraude à la TVA a été transféré par M. [O] à hauteur de 182 342,86 euros du compte de la société Le monde au bout des doigts vers son compte personnel ou celui de sa compagne pour financer des dépenses de la vie courante du couple et l’achat de matériaux pour rénover le logement loué.

Il s’ensuit que les transferts en cause doivent être regardés comme établis.

De tels transferts, exclusifs d’une simple négligence compte tenu de leur objet et de leur importance, caractérisent la faute de gestion reprochée.

Cette faute, qui a diminué l’actif disponible de la société Le monde au bout des doigts sans contrepartie, a contribué à l’insuffisance d’actif.

— La poursuite abusive dans un intérêt personnel d’une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements

Le liquidateur, qui se borne à affirmer que la société Le monde au bout des doigts a été « mainten[ue] » dans un intérêt personnel alors qu’elle n’avait selon M. [O] plus eu d’activité à compter d’août 2016, ne caractérise pas en quoi l’activité était déficitaire.

La faute reprochée ne sera donc pas retenue.

— La tenue incomplète, irrégulière et fictive de la comptabilité

Le jugement du tribunal correctionnel de Sens retient, au titre des éléments constitutifs de l’escroquerie et de la tentative d’escroquerie, que M. [O] a transmis à l’administration fiscale des copies falsifiées de factures mentionnant la TVA déductible et énumère ces factures (17 s’échelonnant entre le 4 mai 2015 et le 20 septembre 2016 et représentant un montant total de 1 386 058,80 euros TTC concernant l’escroquerie et 1 dont la date n’est pas mentionnée s’agissant de la tentative d’escroquerie).

Compte tenu de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, dans les conditions précédemment rappelées, la falsification des copies de factures transmises à l’administration fiscale doit être regardée comme établie.

Il résulte de la proposition de rectification adressée par l’administration fiscale à la société Le monde au bout des doigts le 14 février 2017 que les factures en cause ont été enregistrées dans la comptabilité de cette dernière.

Dès lors, la comptabilité afférente à la période de mai 2015 à septembre 2016, qui intégrait des factures ne correspondant à aucune prestation pour des montants importants, apparaît fictive.

En outre, il convient de relever :

— que le liquidateur affirme qu’il ne lui a été remis aucun élément comptable ;

— que le jugement du tribunal correctionnel de Sens mentionne que l’expert-comptable en charge de la tenue de la comptabilité a déclaré avoir résilié sa lettre de mission à la suite de la vérification de comptabilité (diligentée entre le 15 novembre 2016 et le 13 février 2017);

— que M. [O] a indiqué dans sa demande d’ouverture d’une liquidation judiciaire que les comptes annuels du dernier exercice (dont la clôture devait intervenir le 31 mars 2017) n’étaient pas joints et qu’il ne produit aucun élément comptable devant la cour.

Il est ainsi établi que la comptabilité n’a pas été tenue à compter du mois de mars 2017.

La tenue d’une comptabilité fictive suivie de l’absence de tenue d’une comptabilité caractérise une faute de gestion ne relevant pas d’une simple négligence.

Cette faute a contribué à l’insuffisance d’actif en ce qu’elle a privé M. [O] d’un outil de pilotage de l’entreprise fiable et s’inscrivait dans le cadre d’une escroquerie à la TVA ayant entraîné, pour la société Le monde au bout des droits, des pénalités de 224 477 euros.

— Sur le comblement de l’insuffisance d’actif

L’insuffisance d’actif créée en moins de trois ans par la société Le monde au bout des doigts, quasi-exclusivement imputable à des dettes fiscales (684 239 euros sur 703 981,74 euros), est très importante.

Ce résultat ne s’explique pas par une conjoncture économique défavorable ou les risques inhérents à l’exploitation d’une entreprise mais par la gestion de M. [O], dont les trois fautes retenues à son encontre révèlent qu’elle était guidée par son intérêt personnel sans égard à celui de la société dirigée et aux obligations légales applicables.

Il est à noter, également, que M. [O] ne fournit aucune indication sur ses revenus et son patrimoine.

Le liquidateur soutient que la somme de 122 000 euros de dommages et intérêts allouée à l’Etat français par le tribunal correctionnel de Sens ne peut s’imputer sur la contribution de M. [O] à l’insuffisance d’actif dès lors que le produit de cette contribution est réparti au marc le franc entre tous les créanciers.

S’il est exact que, conformément à l’article L. 651-2 du code de commerce, tous les créanciers de la liquidation judiciaire, et pas seulement l’Etat français, ont vocation à percevoir le produit de la contribution au comblement de l’insuffisance d’actif et ce, au prorata de leurs créances, il reste que les dommages et intérêts alloués par le tribunal correctionnel de Sens correspondent au montant de la TVA remboursée indûment (122 000 euros), lequel est inclus dans l’insuffisance d’actif de 703 981,74 euros.

Il convient donc de tenir compte de la condamnation de 122 000 euros prononcée au profit de l’Etat français pour déterminer la contribution à mettre à la charge de M. [O].

En considération de ces éléments, cette contribution sera fixée à 580 000 euros.

— Sur la sanction personnelle

Le liquidateur impute à M. [O] 6 faits passibles d’une faillite personnelle et/ou d’une interdiction de gérer qui seront examinés ci-après.

— L’abstention de déclarer la cessation des paiements dans le délai légal

L’article L. 653-8, alinéa 3, du code de commerce dispose que l’interdiction de gérer peut être prononcée « à l’encontre de toute personne mentionnée à l’article L. 653-1 qui a omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation ».

Il résulte des motifs retenus pour caractériser la faute de gestion correspondante que l’élément matériel du grief est établi, de même que son élément moral, qui ressort de l’importance du retard dans la déclaration de la cessation des paiements (16 mois et 11 jours), de la reconnaissance par M. [O] lui-même, dans le formulaire de demande d’ouverture d’une liquidation judiciaire déposé au greffe, d’une impossibilité de payer les dettes depuis 1 an et demi et du caractère manifeste de l’impasse de trésorerie dans laquelle s’est trouvée la société Le monde au bout des doigts au regard des mouvements apparaissant sur son compte bancaire.

— L’usage des biens ou du crédit de la personne morale contraire à l’intérêt social à des fins personnelles

L’article L. 653-4, 3°, du code de commerce prévoit qu’une faillite personnelle peut être prononcée à l’encontre d’un dirigeant d’une personne morale qui a « fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l’intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ».

Il résulte des motifs retenus pour caractériser la faute de gestion correspondante que le grief est établi.

— La poursuite abusive d’une activité déficitaire dans un intérêt personnel

L’article L. 653-4, 4°, du code de commerce prévoit qu’une faillite personnelle peut être prononcée à l’encontre d’un dirigeant d’une personne morale ayant « poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale ».

En se bornant à affirmer que M. [O] a « poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une activité fictive de l’EURL Le monde au bout des doigts, qui par voie de conséquence ne pouvait que conduire à une exploitation déficitaire et à une cessation des paiements », le liquidateur ne caractérise pas en quoi l’exploitation était déficitaire.

Le grief ne sera donc pas retenu.

— Le détournement d’actif et l’augmentation frauduleuse du passif de la personne morale

L’article L. 653-4, 5°, du code de commerce prévoit qu’une faillite personnelle peut être prononcée à l’encontre d’un dirigeant d’une personne morale qui a « détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ».

En se bornant à affirmer que M. [O] a « frauduleusement augmenté son passif », le liquidateur n’établit pas le grief qu’il allègue, ni même ne précise les éléments de fait le constituant.

Cet aspect du grief ne sera donc pas retenu.

Il a été dit que M. [O] avait transféré une somme de 182 342,86 euros du compte de la société Le monde au bout des doigts vers son compte personnel ou celui de sa compagne pour financer des dépenses de la vie courante du couple et l’achat de matériaux pour rénover le logement loué.

Le détournement d’actif est dès lors caractérisé.

— L’absence de tenue de comptabilité ou la tenue d’une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière

L’article L. 653-5, 6°, du code de commerce dispose qu’est passible d’une mesure de faillite personnelle, la personne mentionnée à l’article L. 653-1 du même code qui « [a] fait disparaître des documents comptables, [n’a pas] tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou [a] tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ».

Il résulte des motifs retenus pour caractériser la faute de gestion correspondante que le grief de tenue d’une comptabilité fictive puis d’une absence de tenue d’une comptabilité est caractérisé.

— Sur le prononcé de la sanction

L’escroquerie et la tentative d’escroquerie ayant donné lieu à la condamnation pénale, qui répriment l’obtention ou la tentative d’obtention de remboursements de TVA indus en transmettant à l’administration fiscale des copies falsifiées de factures, ne sanctionnent pas les mêmes faits que les cas passibles de faillite de personnelle et/ou d’interdiction de gérer retenus ci-avant, notamment la tenue d’une comptabilité fictive, qui découle de l’enregistrement en comptabilité desdites factures.

Il en est de même du blanchiment consistant pour M. [O] à avoir dissimulé et converti le produit de l’escroquerie à la TVA en le transférant du compte de la société Le monde au bout des doigts sur d’autres comptes puis en l’utilisant, qui se distingue en particulier du fait d’avoir, en effectuant un tel transfert, et indépendamment de l’origine des fonds, agi au détriment de cette société en utilisant son actif à des fins personnelles.

Il a été retenu quatre griefs à l’encontre de M. [O] mais deux d’entre eux – le détournement d’actif et l’usage des biens contraire à l’intérêt social à des fins personnelles – recouvrent les mêmes faits, de sorte qu’il seront considérés comme n’en constituant qu’un seul pour déterminer la sanction.

Les trois comportements en cause mettent en exergue une direction d’entreprise malhonnête et contraire à l’intérêt social qui s’est de surcroît poursuivie en violation de l’obligation de déclarer la cessation des paiements au détriment des créanciers.

M. [O] ne fournit aucune information sur sa situation personnelle.

En considération de ces éléments, il sera infligé à M. [O] une interdiction de gérer de 8 ans, le jugement étant infirmé en ce qu’il a prononcé une faillite personnelle de 15 ans.

— Sur les dépens et frais irrépétibles

M. [O], qui succombe partiellement, sera tenu aux dépens, le jugement étant confirmé de ce chef, et condamné à payer au liquidateur une somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement, sauf en ce qu’il a condamné M. [T] [O] aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne M. [T] [O] à payer à la SELARL [V] [R], en qualité de liquidateur de la société Le monde au bout des doigts, la somme de 580 000 euros en application de l’article L. 651-2 du code de commerce,

Prononce à l’encontre de M. [T] [O], né le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 6] (92), une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, pour une durée de 8 ans,

Condamne M. [T] [O] à payer à la SELARL [V] [R], en qualité de liquidateur de la société Le monde au bout des doigts, la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [T] [O] aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés par Me Luc Moreau, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La greffière,

Liselotte FENOUIL

La Présidente,

Marie-Christine HÉBERT-PAGEOT

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