Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 7, 20 avril 2023, n° 21/00422

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 6 ch. 7, 20 avr. 2023, n° 21/00422
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/00422
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Créteil, 26 novembre 2020, N° 19/00665
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 25 avril 2023
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Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00422 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC6P4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Novembre 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRÉTEIL – RG n° 19/00665

APPELANT

Monsieur [T], [A] [E]

[Adresse 1]

[Adresse 1] (ISRAËL)

Représenté par Me Marlone ZARD, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

Société TELELANGUE

— RCS de Paris sous le numéro 414 872 655

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Alexandre BENSOUSSAN, avocat au barreau de PARIS, toque : J036

Société WORLD WIDE SPEAKING, dénommée aujourd’hui NETWORKEEN

— RCS de Créteil sous le numéro 453 399 370

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Julia LAUNAY, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre

Madame Guillemette MEUNIER, présidente de chambre

Monsieur Laurent ROULAUD, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Marie-Charlotte BEHR

ARRET :

— CONTRADICTOIRE,

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame Bérénice HUMBOURG, présidente de chambre, et par Marie-Charlotte BEHR, Greffière à laquelle la minute a été remise pas le magistrat signataire.

FAITS, PROC''DURE ET PR''TENTIONS DES PARTIES

La SARL à associé unique Telelangue est une société française immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Créteil depuis le 20 mai 2002 ayant pour gérant M. [G] [R]. Son siège social est situé [Adresse 2] et elle exerce selon l’extrait K-bis produit une activité d’ 'enseignement, formation sous toutes ses formes ainsi que toutes activités de conseil, recherche, communication et prestation de services aux entreprises'.

La société Telelangue est la société mère de deux filiales :

— la SaRL à associé unique Networkeen (anciennement dénommée World Wide Speaking France),

— la société World Wide Speaking Limited (ci-après désignée la société W).

La société Networkeen est une société française immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Créteil depuis le 10 mai 2004 ayant pour gérant M. [G] [R]. Son siège social est situé [Adresse 2] et elle exerce selon l’extrait K-bis produit une 'activité de formation’ sans autre précision, sous le nom commercial 'Telelangue'.

La société W est une société étrangère non immatriculée au registre du commerce et des sociétés français dont le siège social est situé sur l’Île Maurice.

M. [T] [A] [E], domicilié en Israël, a signé en qualité de travailleur indépendant un contrat d’enseignant du 6 juillet 2005 ayant pour seul cocontractant la société W.

M. [E] a signé un nouveau contrat d’enseignant indépendant le 1er janvier 2010, annulant le précédent contrat et l’engageant toujours à l’égard de la seule société W.

Ces deux contrats stipulent que M. [E], d’une part, s’engage à fournir, en tant que travailleur indépendant, des cours d’anglais par téléphone et par internet et, d’autre part, est rémunéré en adressant à la société W une facture mensuelle pour la totalité des heures de cours données pendant le mois, celle-ci s’engageant alors à lui payer cette facture par virement bancaire.

Sollicitant la requalification des contrats d’enseignant indépendant en contrat de travail à l’égard de la société mère française Telelangue et de sa filiale française alors dénommée World Wide Speaking France, M. [E] a saisi le conseil de prud’hommes de Créteil aux fins d’obtenir la condamnation de ces deux sociétés à diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement du 26 novembre 2020, le conseil de prud’hommes :

— s’est déclaré incompétent et a renvoyé M. [E] à mieux se pourvoir au motif qu’il n’existe aucune relation de travail entre lui-même et la société Telelangue,

— a déclaré irrecevable l’intervention forcée de la société World Wide Speaking France et l’a mise hors de cause dans cette affaire,

— condamné M. [E] à verser à la société Telelangue et à la société World Wide Speaking France chacune la somme de 150 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné M. [E] à verser à la société World Wide Speaking France la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour mise en cause abusive,

— mis les entiers dépens, y compris les éventuels frais d’huissiers, à la charge de M. [E].

Le 18 décembre 2020, M. [E] a interjeté appel du jugement.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 10 janvier 2023, M. [E] demande à la cour de :

Réformer le jugement en toutes ses dispositions,

En conséquence et statuant de nouveau :

Constater qu’il existe une confusion d’intérêts, d’activité et de direction entre les sociétés Telelangue et World Wide Speaking et qu’il était recevable dans sa demande d’intervention forcée de la société Networkeen,

Constater qu’il existe une relation de travail entre M. [E] et les sociétés Telelangue et Networkeen,

Dire et juger que sa relation de travail doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée et exiger la remise d’un contrat de travail à son profit avec une reprise d’ancienneté au 6 juillet 2005,

Condamner in solidum les sociétés Telelangue et Networkeen à lui payer une somme de 48.825,07 euros au titre des rappels de salaire relatifs à l’application des minimas conventionnels,

Condamner in solidum les sociétés Telelangue et Networkeen à lui payer une somme de 45.682,24 euros au titre des rappels de salaire relatifs aux temps de préparation des cours,

Condamner in solidum les sociétés Telelangue et Networkeen à lui payer une somme de 29.213,82 euros au titre des congés payés,

Condamner in solidum les sociétés Telelangue et Networkeen à lui payer une somme de 19.302,76 euros (6 mois de salaire) au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

Condamner in solidum les sociétés Telelangue et Networkeen à lui payer une somme de 30.000 euros au titre du harcèlement moral,

Condamner in solidum les sociétés Telelangue et Networkeen à lui payer une somme de 100.000 euros au titre du préjudice subi s’agissant de l’acquisition de ses droits retraite, de l’absence de mutuelle, de prévoyance et de tout autre avantage sociaux depuis plus de 15 ans,

Condamner in solidum les sociétés Telelangue et Networkeen à lui payer une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 23 janvier 2023, la société Telelangue demande à la cour de :

Confirmer le jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée partiellement de sa demande de condamnation

au titre de l’article 700 du code de procédure civile en condamnant M. [E] à verser la somme de 150 euros à la société World Wide Speaking France et à elle,

En conséquence,

In limite litis,

Se déclarer incompétente et renvoyer M. [E] à mieux se pourvoir, au motif qu’il n’existe aucune relation de travail entre ce dernier et elle,

En tout état de cause,

Débouter M. [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, aucun des griefs formulés ne pouvant être retenu à l’encontre de la société Telelangue,

Condamner M. [E] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [E] aux entiers dépens.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 24 janvier 2023, la société Networkeen (anciennement dénommée World Wide Speaking France) demande à la cour de:

Confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré irrecevable son intervention forcée et l’a mise hors de cause,

Le réformer en ce qu’il :

— l’a déboutée partiellement de sa demande de condamnation pour mise en cause abusive en condamnant M. [E] à lui verser la somme de 1.500 euros,

— l’a déboutée partiellement de sa demande de condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile en condamnant M. [E] à lui verser la somme de 150 euros,

En conséquence,

In limite litis,

Déclarer irrecevable son intervention forcée et l’appel interjeté à son encontre,

Par conséquent,

Acter sa mise hors de cause;

Condamner M. [E] à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de dommages et intérêts

pour mise en cause abusive,

Condamner M. [E] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700

du code de procédure civile,

Condamner M. [E] aux entiers dépens.

Pour un exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L’instruction a été déclarée close le 25 janvier 2023.

MOTIFS :

Sur l’irrecevabilité :

En premier lieu, dans sa décision attaquée, le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent et a renvoyé M. [E] à mieux se pourvoir au motif qu’il n’existe aucune relation de travail entre lui-même et la société Telelangue.

M. [E] demande l’infirmation du jugement sur ce point. Au contraire, les sociétés intimées sollicitent la confirmation du jugement de ce chef.

Selon l’article L. 1411-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.

En l’espèce, il ressort des termes du jugement entrepris et des conclusions d’appel de M. [E] que celui-ci a demandé au juge prud’homal de première instance et d’appel de reconnaître l’existence d’un contrat de travail entre lui et la société Telelangue, ce qui entre dans la compétence matérielle de ces juridictions.

Par suite, le conseil de prud’hommes ne pouvait se déclarer incompétent et la cour est compétente pour apprécier le litige qui lui est ainsi soumis.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

En second lieu, dans sa décision attaquée, le conseil de prud’hommes a déclaré irrecevable l’intervention forcée de la société Networkeen (anciennement dénommée World Wide Speaking France) et l’a mise hors de cause dans cette affaire.

M. [E] demande l’infirmation du jugement sur ce point. Au contraire, les sociétés intimées sollicitent la confirmation du jugement de ce chef.

Selon l’article 331 du code de procédure civile, un tiers peut être mis en cause dans le cadre d’une intervention forcée aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d’agir contre lui à titre principal.

En l’espèce, il résulte des termes du jugement entrepris et des conclusions d’appel de M. [E] que celui-ci a demandé au juge prud’homal de première instance et d’appel de reconnaître l’existence d’un contrat de travail entre lui et la société Networkeen, ce qui entre dans la compétence matérielle de ces juridictions.

Par suite, il ressort de la combinaison des articles L. 1411-1 du code du travail et 331 du code de procédure civile que M. [E] pouvait agir en l’espèce contre la société Networkeen dans le cadre d’une intervention forcée.

Dès lors, le conseil de prud’hommes ne pouvait ni déclarer irrecevable l’intervention forcée de la société Networkeen ni la mettre hors de cause du fait de cette irrecevabilité. Il en est de même de la cour dans le cadre du présent litige.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point.

Sur l’existence d’un contrat de travail avec la société Telelangue :

La relation de travail suppose l’existence d’un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur.

C’est en principe à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence. Toutefois, en présence d’un contrat apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve.

La preuve du contrat de travail ou du caractère fictif du contrat apparent peut être rapportée par tous moyens.

Si l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’août 1539 ne vise que les actes de procédure, le juge, sans violer l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est fondé, dans l’exercice de son pouvoir souverain, à écarter comme élément de preuve un document écrit en langue étrangère, faute de production d’une traduction en langue française.

***

M. [E] soutient qu’il a été recruté par la société Telelangue, qu’il accomplissait des prestations au profit de cette dernière, qu’il était rémunéré par elle et que cette société lui donnait des instructions et avait un pouvoir disciplinaire à son égard.

Les intimées soutiennent au contraire que M. [E] a signé en tant que travailleur indépendant deux contrats de prestation de service avec la société W et qu’il n’était donc pas juridiquement lié avec la société Telelangue, qui n’est dès lors pas son employeur.

***

En l’espèce, il n’est versé aux débats aucune pièce pouvant être qualifiée de contrat apparent entre la société Telelangue et M. [E]. Il appartient donc à ce dernier qui se prévaut d’un contrat de travail avec la société Telelangue d’en établir l’existence.

***

Si les parties s’accordent sur le fait que M. [E] a réalisé des prestations de cours d’anglais en ligne ou par téléphone, elles divergent :

— d’une part, sur la personne morale pour le compte de laquelle ces prestations ont été réalisées : la société W selon les intimées, la société Telelangue selon l’appelant,

— d’autre part, sur l’existence d’un lien de subordination entre la société Telelangue et M. [E].

Comme il a été dit précédemment, il est versé aux débats deux contrats de prestation de service des 6 juillet 2005 et 1er janvier 2010 signés uniquement de M. [E] et par lesquels ce dernier, d’une part, s’est engagé à l’égard uniquement de la société W à fournir à cette dernière, en tant que travailleur indépendant, des cours d’anglais par téléphone et par internet et, d’autre part, était rémunéré en adressant à la société W une facture mensuelle pour la totalité des heures de cours données pendant le mois, celle-ci s’engageant alors à lui payer cette facture par virement bancaire.

En premier lieu, si le salarié soutient qu’il n’était pas contractuellement lié avec la société W puisque les exemplaires des contrats versés aux débats ne contiennent que sa seule signature et non celle de la société W, force est de constater que l’appelant produit en pièce 14 les factures qu’il a adressées de mai 2016 à octobre 2022 non pas à la société Telelangue ou à sa filiale française mais à la société 'World Wide Speaking’ domiciliée à l’Île Maurice. Ce faisant, M. [E] a agi conformément aux stipulations des deux contrats de prestation de service produits lui imposant d’adresser ses factures à la société W aux fins de recevoir la rémunération de ses prestations. De même, les ordres de virement versés aux débats comportent l’entête de la société W et non celle de la société Telelangue (pièces 15, 16 et 31) même si, il est vrai, l’adresse apposée sur ces ordres est celle de la société mère et non celle de la filiale mauricienne. Néanmoins, il ressort de ces éléments que M. [E] a bien agi dans le cadre d’une relation contractuelle acceptée par lui avec la seule société étrangère W, qui n’est pas dans la cause.

En deuxième lieu,il ressort des attestations de M. [X], président de l’association [3] de 2003 à 2013 et de Mme [N], chargée de recrutement de l’association [3] de 2004 à 2009 que l’association a mis en relation M. [E] et la société Telelangue et que Mme [O], responsable des ressources humaines de la société Telelangue a 'procédé personnellement à son embauche'. M. [E] déduit de ces éléments qu’il a contracté en réalité avec la société Telelangue et non avec la société W puisque c’est cette première entreprise qui a géré son recrutement.

Néanmoins, il ne peut se déduire de ces seules attestations qu’un contrat de travail a été conclu entre la société Telelangue et M. [E] puisque, d’une part, les salariés de l’association [3] n’ont pas personnellement constaté la conclusion d’un tel contrat, s’étant bornés à mettre en relation les deux parties et, d’autre part, il est constant que, suite à l’intervention de l’association [3], Mme [Y], salariée de la société Telelangue a adressé en 2005 par courriel à M. [E], non pas un contrat de travail mais le premier contrat de prestation de service susmentionné devant être conclu entre l’appelant et la société W.

Si l’appelant affirme n’avoir pas remarqué que son cocontractant était la société W, force est de constater qu’il a signé un exemplaire de ce contrat mentionnant expressément comme cocontractant la société W et non la société Telelangue et qu’il a signé à nouveau en 2010 un contrat annulant celui de 2005 et mentionnant également comme seul cocontractant la société W. En outre, comme il a été rappelé précédemment, les factures étaient adressées à la société W, peu important le fait qu’elles transitaient via un portail télélangue commun au groupe.

De même, il ressort de l’avenant du 1er janvier 2017 conclu entre la société W et la société Telelangue que, d’une part, la première 'recrute des professeurs à travers le monde et propose de fournir des cours par téléphone clé en main’ et facture ces prestations aux différentes entités de la société Telelangue et, d’autre part, que la société Telelangue assure au profit de la société W un certain nombre de prestations techniques qu’elle facture à cette dernière (marketing, informatique, recrutement et encadrement des professeurs…). A titre d’exemple, la société Telelangue produit une facture par laquelle la société W lui demande le paiement de cours par téléphone réalisés à son profit.

En tout état de cause, il se déduit des stipulations de cet avenant que la société Telelangue a agi dans ce cadre contractuel comme prestataire de la société W aux fins de selectionner M. [E] en tant que futur titulaire d’un contrat de prestation de service devant être conclu avec sa filiale mauricienne. Or, comme le rappelle la société Telelangue, il est de jurisprudence constante que ne confère pas la qualité d’employeur le fait pour une société juridiquement distincte d’une seconde d’intervenir lors de la conclusion d’un contrat au titre de l’assistance technique auprès de cette seconde société.

En troisième lieu, si M. [E] soutient que la société W n’avait aucune existence légale au moment de la signature du premier contrat de prestation de service, soit le 6 juillet 2005, il n’entend en justifier qu’en produisant un extrait du site 'société.com’ mentionnant une date de création postérieure à savoir le 20 avril 2007. Toutefois, la société Telelangue expose que la société W existait bien à l’époque du premier contrat de prestation et entend en justifier en produisant l’avenant précité (pièce 1) stipulant expressément qu’il modifiait le contrat initial conclu le 20 juin 2005 entre la société Telelangue et sa filiale mauricienne (la société W). Les seules mentions du site commercial 'societé.com’ sont insuffisantes à elles-seules pour contester les stipulations de cet avenant se rapportant à une société étrangère non immatriculée au registre du commerce et des sociétés français. Par suite, M. [E] n’établit pas par la seule production de l’extrait 'société.com’ qu’à la date de la signature du premier contrat de prestation de service, soit le 6 juillet 2005, la société W n’existait pas et ne pouvait dès lors être son cocontractant.

En quatrième et dernier lieu, M. [E] soutient que la société Telelangue était son employeur car elle gérait sa rémunération et lui donnait des consignes, voire des avertissements.

A l’appui de ses allégations, l’appelant produit :

— des documents rédigés en langue anglaise et non traduits (pièces 4, 6, 7, 11, 18, 19, 20, 21, 23, 27, 29, 30) qui n’ont dès lors pas de valeur probatoire,

— trois virements de la société W au profit de M. [E] en paiement de ses factures, ces documents mentionnant une domiciliation de la société W '[Adresse 2]' (pièces 15 et 16) et Mme [D] directrice de Telelangue comme donneur d’ordre,

— un tableau intitulé 'facturation télélangue de mai 2016 à Aujourd’hui',

— un courriel du 29 juin 2007 par lequel une personne dénommée '[M] [H]' et ayant pour messagerie '[Courriel 4]' a écrit à M. [E] : 'J’ai enfin pu parler avec [L] [D] aujourd’hui. Nous avons fait le point par rapport à ton travail chez nous et [L] accepte d’augmenter son taux horaire de 12 dollars le mois de juin. Envoie ta facture de juin avec le nouveau taux. Je suis ravie pour toi',

— un échange de courriels du 5 décembre 2012 entre Mme [P] de la société World Wide Speaking sans autre précision et M. [E] concernant un problème de virement bancaire,

— un courriel du 26 juillet 2018 par lequel Mme [F], directrice générale de la société Telelangue a adressé un avertissement à M. [E] en raison de nombreuses annulations de cours, de retards dans les cours et d’un manque de dynamisme,

— un courrier du 1er août 2018 par lequel M. [B] [K] dirigeant de la société W a prononcé un avertissement à l’encontre de M. [E] suite au mail précité du 26 juillet 2018 de Mme [F]

— un courriel du 23 décembre 2022 par lequel la directrice générale de la société W a écrit à M. [E] que, dans le cadre de la prestation accomplie par la société W au profit de la société Telelangue, celle-ci avait constaté plusieurs non-conformités au cahier des charges concernant la prestation de M. [E] et qu’en raison de ces manquements, elle prononçait la résiliation du contrat de prestation de service conclu entre ce dernier et la société W,

— une attestation par laquelle M. [Z] a indiqué qu’il avait été enseignant d’anglais pour la société Telelangue de 2006 à 2011, que M. [C] [V] avait géré ses augmentations de taux horaire et qu’il n’avait eu de contact qu’avec la société Telelangue pendant toute la durée de son contrat bien qu’il ait signé un contrat avec 'World Wide Speaking’ sans autre précision (pièce 13).

S’il ressort de ces éléments que la société Telelangue a participé avec la société W à la gestion de la rémunération de M. [E], cette seule circonstance ne peut, en l’absence de tout lien de subordination caractérisé par le pouvoir de l’employeur de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, révéler l’existence d’un contrat de travail.

De même, s’il est vrai que l’appelant produit un courriel du 26 juillet 2018 par lequel la société Telelangue a adressé un avertissement à M. [E] en raison d’une mauvaise exécution de ses prestations, force est de constater que cet avertissement concernait une prestation facturée par la société W et a dû être repris par le dirigeant de la société W dans son courriel du 1er août 2018 versé aux débats. D’ailleurs, c’est cette dernière entreprise et non la société Telelangue qui, dans un courriel du 23 décembre 2022 a prononcé la résiliation du contrat de prestation de service en raison des manquements de l’appelant. Par suite, le seul pouvoir de sanction révélé par les éléments produits se rapporte non pas à la société Telelangue mais à la société mauricienne W, cocontractante de M. [E] et qui n’est pas dans la cause.

Par suite, il ne peut se déduire des seuls éléments produits que la société Telelangue donnait des instructions à M. [E] et sanctionnait les manquements de son subordonné.

***

Il résulte de ce qui précède que M. [E] a réalisé les prestations de service litigieuses dans le cadre d’un contrat de prestation de service conclu avec la société W et non dans celui d’un contrat de travail avec la société Telelangue.

Par suite, M. [E] sera débouté non seulement de sa demande tendant à voir constater l’existence d’un contrat de travail entre lui et la société Telelangue, mais également de l’ensemble de ses demandes pécuniaires à l’égard de cette entreprise, puisque celles-ci sont subordonnées à l’existence d’un contrat de travail entre les deux parties.

Sur l’existence d’un contrat de travail ou d’une situation de coemploi avec la société Networkeen :

Dans ses dernières écritures, M. [E] entend fonder l’existence d’une relation de travail entre lui et la société Networkeen sur une confusion d’intérêts, d’activité et de direction entre cette dernière et la société Telelangue ou sur une situation de coemploi entre ces deux entreprises.

Une société faisant partie d’un groupe est qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre s’il existe un lien de subordination ou s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière

Il ressort des développements précédents que la cour a jugé qu’aucun contrat de travail ne liait M. [E] et la société Telelangue.

Par suite, la société Networkeen ne peut être qualifiée de coemployeur de M. [E] puisque ce dernier n’était pas employé de la société Telelangue.

De même, l’éventuelle existence d’une confusion d’intérêts, d’activité et de direction entre la société Telelangue et la société Networkeen ne peut avoir pour effet de révéler l’existence d’un contrat de travail entre cette dernière et M. [E].

Par suite, M. [E] sera débouté de l’ensemble de ses demandes pécuniaires à l’égard de la société Networkeen, puisque celles-ci sont subordonnées à l’existence d’un contrat de travail entre les deux parties ou à l’existence d’une situation de coemploi avec la société Telelangue.

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Networkeen :

La société Networkeen sollicite de condamner M. [E] à lui verser la somme de 5.000 euros de dommages et intérêts pour mise en cause abusive ;

En application des dispositions des article 1240 du code civil et 32-1 du code de procédure civile, l’exercice d’une action en justice ne dégénère en abus que s’il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s’il s’agit d’une erreur grave équipollente au dol ; l’appréciation inexacte qu’une partie se fait de ses droits n’est pas constitutive en soi d’une faute.

La société Networkeen ne rapporte pas la preuve de ce que l’action de M. [E] aurait dégénéré en abus du droit de former un recours en se bornant à exposer que l’appelant a persisté à l’attraire dans la cause alors qu’aucun contrat de travail n’avait été conclu entre lui et elle. Elle sera ainsi déboutée de sa demande indemnitaire.

Le jugement doit donc être infirmé en ce qu’il a condamné M. [E] à verser à la société Networkeen la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour mise en cause abusive.

Sur les demandes accessoires :

M. [E] qui succombe partiellement dans la présente instance, doit supporter les dépens d’appel et être condamné à payer à la société Telelangue et à la société Networkeen la somme de 500 euros chacune en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel. Il sera en revanche débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement en ce que :

— le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent et a renvoyé M. [T] [A] [E] à mieux se pourvoir au motif qu’il n’existe aucune relation de travail entre lui-même et la société Telelangue,

— a déclaré irrecevable l’intervention forcée de la société World Wide Speaking France et l’a mise hors de cause dans cette affaire,

— condamné M. [T] [A] [E] à verser à la société World Wide Speaking France la somme de 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour mise en cause abusive,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE M. [T] [A] [E] à verser 500 euros à la société Telelangue et 500 euros à la société Networkeen en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d’appel,

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,

CONDAMNE M. [T] [A] [E] aux dépens d’appel.

La greffière, La présidente.

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Cour d'appel de Paris, Pôle 6 chambre 7, 20 avril 2023, n° 21/00422