Cour d'appel de Rouen, Chambre de la proximité, 7 janvier 2021, n° 18/04539

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Rouen, ch. de la proximité, 7 janv. 2021, n° 18/04539
Juridiction : Cour d'appel de Rouen
Numéro(s) : 18/04539
Décision précédente : Tribunal paritaire des baux ruraux de Le Havre, 9 octobre 2018
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

N° RG 18/04539 – N° Portalis DBV2-V-B7C-IAAS

COUR D’APPEL DE ROUEN

CHAMBRE DE LA PROXIMITÉ

Section PARITAIRE

ARRET DU 07 JANVIER 2021

DÉCISION DÉFÉRÉE :

Jugement du TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX DU HAVRE du 10 Octobre 2018

APPELANTS :

Monsieur L S T A B

né le […] à […]

[…]

[…]

Non comparant représenté par Me Béatrice OTTAVIANI, avocat au barreau de ROUEN

Madame M N O P épouse A B

née le […] à […]

[…]

[…]

Non comparante représentée par Me Béatrice OTTAVIANI, avocat au barreau de ROUEN

INTIMEE :

Madame Q-R H épouse Y DE Z

née le […] à […]

[…]

[…]

Non comparante représentée par Me Yves GUERARD de la SCP GUERARD BERQUER, avocat au barreau du HAVRE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 19 Octobre 2020 sans opposition des parties devant Monsieur MELLET, Conseiller, en présence de Madame LABAYE, Conseillère et Madame GERMAIN, Conseillère

magistrate chargée d’instruire l’affaire.

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur MELLET, Conseiller faisant fonction de président de chambre

Madame LABAYE, Conseillère

Madame GERMAIN, Conseillère

GREFFIER LORS DES DEBATS :

Madame X,

DEBATS :

A l’audience publique du 19 Octobre 2020, où l’affaire a été mise en délibéré au 07 Janvier 2021

ARRET :

Contradictoire

Prononcé publiquement le 07 Janvier 2021, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

Signé par Monsieur MELLET, Conseiller faisant fonction de Président et par Madame X, Greffière.

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par actes notariés en date du 30 novembre 1994 et du 20 janvier 1998, Mme H a donné à bail aux époux A B diverses parcelles de terres agricoles situés sur la commune d’Epretot.

Mme H ayant informé les époux A B, de ce que le bail du 30 novembre 1994 se terminerait le 28 septembre 2016 du fait de la retraite du preneur, les époux A B l’ont fait convoquer devant le tribunal paritaire des baux ruraux du Havre, afin de contester le congé donné par la propriétaire et se voir autoriser à céder à leur fils M. I A B les diverses parcelles qui leur avaient été données en location.

Aucune conciliation n’ayant eu lieu à l’audience du 09 janvier 2017 à laquelle les parties ont comparu, l’affaire a été renvoyée en audience de jugement et par jugement contradictoire en date du 10 octobre 2018, le tribunal paritaire des baux ruraux du Havre a :

— déclaré recevable l’ensemble des demandes additionnelles et reconventionnelles formées par les parties,

— débouté les époux A B de leur demande relative au bail rural du 30 novembre 1997 et dit qu’il s’agissait d’un bail de carrière,

— constaté que ce bail du 30 novembre 1994 avait pris fin le 28 septembre 2016 en raison de l’âge de la retraite atteinte par les preneurs,

— débouté Mme H de sa demande de résiliation du bail en date du 20 janvier 1998, portant sur la parcelle sise à Epretot, cadastrée section ZK n°24 pour une superficie de 3 hectares 81 ares et […],

— autorisé la cession du dit bail par les époux A B à M. I A B, leur fils,

— laissé aux parties la charge de leurs frais irrépétibles respectifs,

— condamné les parties aux dépens chacune pour moitié.

Pour statuer ainsi, le tribunal a considéré :

— que la demande de requalification du bail de carrière en bail ordinaire, même si elle n’était pas expressément formulée dans la requête en contestation du bail, était précisément développée dans les moyens et que ce point concernant la nature de ce bail avait donc bien été évoqué dès la saisine de la juridiction et donc lors de la conciliation,

— qu’en ce qui concerne les demandes reconventionnelles de Mme E, elles se rattachaient aux prétentions originaires par un lien suffisant et ne nécessitaient pas d’être évoquées en conciliation,

— qu’en application de l’article L.416-5 du code rural, le bail du 30 novembre 1994 ne porte pas sur une exploitation agricole constituant une unité économique, ni sur un lot de terres d’une superficie supérieure à la surface minimum d’installation ; que cependant ce contrat ne laisse place à aucun doute concernant la volonté des parties, et qu’ il s’agit bien d’un bail de carrière ayant pris fin compte-tenu de l’âge des preneurs, et incessible à un descendant,

— que Mme H a été informée le 05 mai 2003 de la mise à disposition des terres relatives au bail du 20 janvier 1998, et n’a jamais contesté la régularité de cette opération et qu’en application de l’article 2224 du code civil, son action en résiliation du bail est donc prescrite depuis 2008,

— qu’en application des articles L.411-35 et L.411-59 du code rural, la cession du bail du 20 janvier 1998 peut être autorisée, M. I A B répondant aux exigences des articles susvisés quant à l’exploitation du bien repris.

Les époux A B ont relevé appel partiel de la décision relative au bail du 30 novembre 1994 (RG n°18/04539), suivant déclaration du 5 novembre 2018 et Mme H a relevé appel partiel de la décision relative au bail du 20 janvier 1998 (RG 18/04681) suivant déclaration du 13 novembre 2018.

Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 14 juin 2019, auxquelles les parties se sont référées à l’audience, les époux A B demandent à la cour :

— de réformer le jugement entrepris ;

— de dire et juger recevables et bien fondées leurs demandes ;

— de dire et juger que le bail en date du 30 novembre 1994 portant sur diverses parcelles de terres agricoles commune d’Epretot cadastrées :

[…], 1 ha 95 a 81 ca,

[…], 5 ha 58 a 50 ca,

• section ZK n°23, 1 ha 42 a 22 ca,

• section ZK n°14, 8 ha 89 a 00 ca,

soit au total 17 ha 85 a 53 ca, est un bail à long terme ordinaire soumis aux dispositions de l’article L.416-1 du code rural et de la pêche maritime ;

— de constater que le bail du 30 janvier 1994 s’est renouvelé à défaut de congé.

Vu l’article L.411- 35 du code rural et de la pêche maritime :

— d’autoriser la cession du bail du 30 novembre 1994 portant sur ces parcelles au profit de M. I A B ;

— confirmer le jugement en ce qu’il a autorisé la cession du bail du 20 janvier 1998 portant sur une parcelle de terre cadastrée commune d’Epretot section ZK n°24 pour une superficie de 3 ha 81 a 24 ca au profit de M. I A B ;

— condamner Mme H au paiement de la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— la condamner en tous les dépens.

Au soutien de leurs prétentions, ils font valoir essentiellement que :

— en se référant aux termes de la requête introductive d’instance, il est possible de constater que le sujet de la requalification du bail du 30 novembre 1994 a été soumis à conciliation.

— le bail à long terme qui leur a été consenti, ne peut être qualifié de bail de carrière puisqu’il ne porte pas sur une unité économique ni sur une superficie supérieure au seuil défini par l’article L.312-1 du code rural par référence à L.331-2 du code rural et au schéma directeur régional des exploitations agricoles de Normandie, soit 70 ha,

— les dispositions du statut du fermage sont d’ordre public, et les parties ne peuvent y déroger par un accord amiable ; il s’agit donc d’un bail à long terme ordinaire qui obéit aux dispositions de l’article L.416-1 du code rural et de la pêche maritime ;

— l’absence de clause de renouvellement dans le bail du 30 novembre 1994 ne permet pas d’en conclure qu’il s’agit d’un bail de carrière dès lors qu’il n’est pas le seul type de bail à ne pas contenir une telle clause ;

— le bail du 30 novembre 1994 ayant pris fin le 28 septembre 2016, en l’absence de congé régulier, les deux baux se sont renouvelés par tacite reconduction et sont donc cessibles ;

— il n’est fait aucun reproche sur la bonne exploitation du fonds par les preneurs ; il n’y a donc aucune raison de ne pas autoriser la cession des baux prévus par l’article L.411-35 au bénéfice du preneur de bonne foi, M. I A B.

Par conclusions signifiées le 14 février 2019,auxquelles les parties se sont référées à l’audience au titre du dossier enrôlé sous le n° 18/4681, Mme H demande à la cour :

— de joindre la présente procédure avec celle enrôlée sous le n° 18/4539,

— de réformer le jugement dont appel en ce qu’il a autorisé la cession par M et Mme A B à leur fils du bail en date du 20 janvier 1998, portant sur la parcelle Zkn°24,

— de débouter les époux A B de leur demande d’autorisation de cession dudit bail à leur fils,

— de les condamner au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Elle soutient que si le bail du 20 janvier 1998 n’interdit pas la cession au bénéfice du descendant des époux A B, mais que toutefois les critères d’une telle cession ne sont pas établis et notamment la capacité financière de leur fils; que de plus même si M. I A A B dispose d’un diplôme, il ne justifie d’aucune expérience professionnelle de gestion d’une entreprise agricole et que le fait d’être ouvrier agricole à mi-temps ne peut constituer l’expérience professionnelle nécessaire à la reprise d’une entreprise agricole.

Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 24 avril 2019 et cette fois au titre du dossier enrôlé sous le n° 18/4539, Mme H demande à la cour :

— d’ordonner la jonction de cette procédure avec celle enrôlée sous le n° 18/4681,

— de déclarer recevable mais mal fondé l’appel des époux A B à l’encontre du jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux le 10 octobre 2018,

— de dire et juger que la demande des époux A B s’analyse au premier chef en une demande de nullité des dispositions du bail du 30 Novembre 1994, qu’ils considèrent contraires aux statuts des baux ruraux et dire cette demande irrecevable tout à la fois pour ne pas avoir été soumise à la conciliation et comme étant prescrite,

En tout état de cause :

— de confirmer ledit jugement sur les postes critiqués par les appelants et dès lors, les débouter de leurs demandes relatives au bail rural du 30 novembre 1994,

— de les condamner au paiement d’une somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— de les condamner aux entiers dépens .

Au soutien de ses prétentions, l’intimée fait valoir essentiellement que :

— la demande de requalification du bail à carrière constitue une demande différente à celle initialement présentée et se trouverait donc irrecevable comme n’ayant pas été soumise à la conciliation ;

— les parties sont convenues à l’origine d’un bail à carrière qui n’a pas vocation à contenir une clause de renouvellement ;

— le cessionnaire ne pouvant avoir plus de droit que le cédant, le contrat tel que les parties l’ont souhaité, ne pourra en tout état de cause perdurer au-delà du terme convenu qui est aujourd’hui atteint ; la transmission du bail à carrière n’est donc aucunement possible ;

— la demande de requalification, s’analysant en une demande de nullité des clauses du bail que les époux A B considèrent comme contraire au statut du fermage, se trouve prescrite, cette demande de nullité étant soumise à la prescription quinquennale qui se trouve expirée depuis le 30 novembre 1999 ou subsidiairement depuis le 17 juin 2013.

A l’audience, M et Mme A B ont précisé qu’ils n’avaient jamais sollicité la nullité des clauses

du bail du 30 novembre 1994, mais sa requalification de bail de carrière en bail à long terme de 25 ans, de sorte que leur demande n’encourt pas la prescription.

L’audience du 16 mars 2020 ayant été supprimée du fait de la mise en oeuvre du plan de continuation d’activité dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus Covid 19 et les parties ayant souhaité plaider le dossier, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 19 octobre 2020 et mise en délibéré au 7 janvier 2020.

MOTIFS

Sur la jonction des procédures

Il est de l’intérêt d’une bonne justice de joindre les procédures enrôlées sous les n°18/4539 et 18/4681, et de dire qu’elles se poursuivront sous le seul n°18/4539.

*****

Il convient à titre liminaire de constater que Mme Y de Z née H, ne sollicite plus en cause d’appel, la résiliation du bail du 20 janvier 1998 pour manquement des preneurs à leurs obligations. En conséquence, les dispositions du jugement ayant rejeté cette demande sont définitives.

Sur la recevabilité de la demande de requalification du bail de carrière en bail ordinaire

Mme Y de Z née H prétend que M. et Mme A B n’ont pas invoqué dans leur saisine, une quelconque requalification du bail du 30 novembre 1994 en bail à carrière, de sorte que cette demande présentée devant le tribunal paritaire des baux ruraux, postérieurement à la conciliation, constituerait une demande différente de celle initialement présentée et serait en conséquence irrecevable comme n’ayant pas été soumise à la conciliation ; qu’en tout état de cause cette demande consistant à considérer que les dispositions d’ordre public du statut du fermage n’auraient pas été respectées, s’analyse en une demande de nullité des clauses dudit bail et comme telle, soumise à la prescription quinquennale expirée depuis le 30 novembre 1999 ou subsidiairement depuis le 17 juin 2013.

Toutefois, il résulte de la requête déposée devant le tribunal paritaire des baux ruraux en date du 1er décembre 2016 par M. et Mme A B, que ceux-ci ont, au soutien de leur demande visant à faire juger que le bail du 30 novembre 2014 s’était renouvelé pour 9 ans depuis le 15 décembre 2015, invoqué le fait que ce bail était en réalité un bail à long terme ordinaire relevant de l’article L416-1 du code rural, de sorte que comme l’a indiqué le premier juge, ce point concernant la nature du bail a bien été évoqué dès la saisine de la juridiction et donc lors de la conciliation.

En outre et contrairement à ce que prétend Mme Y de Z née H, le fait de solliciter la requalification de ce bail de carrière en bail ordinaire, ne s’apparente pas en une demande de nullité des clauses du bail ou du bail lui-même, mais a pour objet de donner au bail litigieux, son exacte dénomination au regard des dispositions d’ordre public relatives au statut du fermage en application de l’article L.415-12 du code rural. Aucune prescription ne peut donc être opposée à cette demande qui sera donc déclarée recevable.

Sur la nature du bail du 30 novembre 1994

Aux termes de l’article L415-12 du code rural, 'toute disposition des baux, restrictive des droits stipulés par le présent titre, est réputée non écrite'.

Il résulte de ces dispositions que si une clause contractuelle est insérée dans un contrat de bail rural,

au mépris des règles d’ordre public du statut du fermage, et qu’elle a pour effet de restreindre les droits des parties, le contrat de bail n’encourt pas la nullité en entier, seule cette clause est réputée non écrite.

En l’espèce, suivant acte authentique du 30 novembre 1994 qualifié de ' bail de carrière', le bailleur a conféré au preneur la jouissance des terres situées à Etretot, cadastrées […] et ZK 14 pour une superficie de 17 ha 85 a 53 ca, pour une durée égale à celle de la carrière professionnelle du preneur, la durée du bail étant 'évaluée’ à 25 années.

Le bail stipule que 'conformément à l’article L416-5 du code rural, le preneur ne bénéficie d’aucun droit au renouvellement. Sans qu’il soit besoin à l’une ou l’autre des parties de délivrer congé, le bail prendra automatiquement fin à l’expiration de l’année culturale au cours de laquelle le locataire atteindra l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse agricole'.

Selon l’article L 416-5 du code rural, 'le bail à long terme prend la dénomination de bail de carrière lorsqu’il porte sur une exploitation agricole constituant une unité économique ou sur un lot de terres d’une superficie supérieure au seuil mentionné à l’article L312-1, qu’il est conclu pour une durée qui ne peut être inférieure à vingt cinq ans et qu’il prend fin à l’expiration de l’année culturale pendant laquelle le preneur atteint l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse agricole'.

Pour confirmer que le bail du 30 novembre 1994 était bien un bail de carrière tel que stipulé à l’acte, le premier juge après avoir constaté que le bail ne portait pas sur une exploitation agricole constituant une unité économique, ni sur un lot de terres d’une superficie supérieure à la surface minimum d’installation, dont le seuil fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles de Normandie est de 70 hectares, a cependant considéré qu’en application de l’article 1188 du code civil, le contrat devait s’interpréter d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes et qu’en l’espèce le contrat du 30 novembre 1994, ne laissait place à aucun doute concernant la volonté des parties.

Toutefois le statut du fermage énoncé aux articles L411-1 à L417-15 et R411-1 à R417-3 du code rural, ensemble de règles qui couvre la conclusion du bail, sa durée, les droits et obligations des parties, la rupture du contrat et ses conséquences est d’ordre public, de sorte qu’il ne peut être écarté par les parties.

Il s’ensuit que la seule volonté des parties ne peut déroger aux dispositions d’ordre public telles qu’elles résultent du statut du fermage, s’il en résulte une restriction des droits de l’une des parties.

Or, si le bail du 30 novembre 1994 indique que sa durée est évaluée à 25 années, durée minimum d’un bail à carrière tel qu’il résulte de l’article L416-5 précité, les dispositions suivantes précisant que 'le bail prendra automatiquement fin à l’expiration de l’année culturale au cours de laquelle le locataire atteindra l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse agricole', ont pour effet de restreindre les droits du preneur.

En effet, Monsieur A B ayant atteint l’âge de la retraite en mars 2014 et Mme A B en décembre 2015, par l’effet de cette clause et ainsi que l’a rappelé le notaire de Mme Y de Z née De E, le bail devait se terminer le 28 septembre 2016, soit au terme d’une durée de 22 années et non d’au moins 25 années, tel que cela résulte de l’article L.416-5

Ainsi, en qualifiant ledit bail de bail à carrière, le bailleur a contourné au détriment des preneurs, les règles d’ordre public du bail à long terme prévu à l’article L.416-1 du code rural, qui stipule dans sa version applicable à la date du bail du 30 novembre 1994 : 'Le bail à long terme est conclu pour une durée d’au moins dix-huit ans et, sous réserve des dispositions de l’article L. 416-5, sans possibilité de reprise triennale pendant son cours.

Ce bail est renouvelable par période de neuf ans dans les conditions prévues à l’article L. 411-46 et sans préjudice, pendant lesdites périodes, de l’application des articles L. 411-6, L. 411-7 et L. 411-8 (alinéa 1er).

Sauf convention contraire, les clauses et conditions du bail renouvelé pour neuf années sont celles du bail précédent ; toutefois, à défaut d’accord amiable entre les parties, le tribunal paritaire fixe le prix et statue sur les clauses et conditions contestées du nouveau bail.

Le bailleur qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur dans les conditions prévues à l’article L. 411-47. Toutefois, lorsque le preneur a atteint l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles, chacune des parties peut, par avis donné au moins dix-huit mois à l’avance, refuser le renouvellement de bail ou mettre fin à celui-ci à l’expiration de chaque période annuelle à partir de laquelle le preneur aura atteint ledit âge, sans être tenu de remplir les conditions énoncées à la section VIII du chapitre Ier du présent'.

En qualifiant le bail du 30 novembre 1994 de bail à carrière, le bailleur s’est réservé le droit de mettre fin au bail au bout de 22 ans et non de 25 ans minimum, compte-tenu de l’âge des preneurs et de celui auquel ils seraient en retraite, soit avant la durée de 25 ans minimum, requise dans le bail à carrière, sans prévoir de clause de renouvellement par tacite reconduction, alors qu’un bail à long terme se renouvelle par période de neuf ans et en s’affranchissant des dispositions d’ordre public prévues à l’article L411-47 qui prévoit que le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement, doit notifier congé au preneur, dix huit mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire.

En effet, en l’espèce, grâce à la qualification donnée au bail, la bailleresse s’est contentée d’un avis en date du 27 juin 2016 précisant que le bail se terminait le 28 septembre 2016, du fait que Mme A B avait atteint l’âge de la retraite en décembre 2015, soit moins de 18 mois avant la date à laquelle le congé doit être délivré en application de l’article L411-47.

En outre et quand bien même l’article L416-1 dispose que lorsque le preneur a atteint l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles, chacune des parties peut refuser le renouvellement de bail ou mettre fin à celui-ci à l’expiration de chaque période annuelle à partir de laquelle le preneur aura atteint ledit âge, sans être tenu de remplir les conditions énoncées à la section VIII du chapitre Ier du présent titre' , il n’en demeure pas moins que le preneur pour mettre fin au bail, devait notifier son avis au moins dix-huit mois à l’avance, à compter de l’expiration de la période annuelle à partir de laquelle Mme A B avait atteint l’âge de la retraite.

En l’espèce Mme A B ayant atteint l’âge de la retraite en décembre 2015, la bailleresse ne pouvait lui notifier un avis de reprise qu’à compter du mois de juin 2017.

En conséquence, à défaut de congé ou d’avis de reprise, donné dans les formes et délais légaux, le bail s’est trouvé renouvelé par tacite reconduction et est donc cessible.

Le jugement sera infirmé en ce qu’il a considéré que le bail avait pris fin le 28 septembre 2016 et qu’il était incessible et il sera précisé que le bail du 30 novembre 1994 est un bail à long terme ordinaire.

Sur la cession des baux du 30 avril 1994 et du 20 janvier 1998

Aux termes de l’article L411-35 du code rural, 'sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l’article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l’agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d’un pacte civil de solidarité du preneur participant à l’exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l’âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d’agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire'.

Pour faire droit à la demande de cession du bail du 20 janvier 1998 au profit de M. I A B, le fils de M et Mme A B, le premier juge a constaté que M. I A B justifiait des conditions matérielles et financières, permettant la cession.

Il est constant que le juge doit apprécier l’autorisation de la cession au profit de descendant du preneur, en fonction de la bonne foi du cédant et de la capacité du cessionnaire à reprendre l’exploitation dans de bonnes conditions et conformément au contrat .

Ainsi le candidat cessionnaire doit justifier :

— d’un diplôme, d’un certificat ou d’une expérience professionnelle, sauf s’il justifie d’une autorisation administrative d’exploiter,

— qu’il dispose de garanties financières, pour pouvoir financer les achats et investissements nécessaires à une installation (semences, matériel, cheptel…): octroi d’un prêt (effectif ou par principe, une attestation bancaire suffit) ou ressources financières existantes, propriété de matériel agricole ou engagement de mise à disposition par un tiers,

— qu’il a la volonté réelle d’exploiter étant précisé que la volonté réelle d’exploiter s’apprécie également à travers la domiciliation du candidat cessionnaire,

— qu’il remplit les conditions du contrôle des structures : si le cessionnaire est soumis à ce contrôle, il doit avoir déposé sa demande à la date de la cession envisagée.

En l’espèce, la bonne foi du cédant n’est pas contestée par Mme Y de Z née H, laquelle conteste uniquement la capacité du cessionnaire à reprendre l’exploitation dans de bonnes conditions au regard de ses capacités financières, considérant que le fait de disposer d’avoirs de l’ordre de 70.000 euros est insuffisant pour équiper une exploitation agricole dont le montant des apports est de l’ordre de 290.000 euros et considérant que les compétences de M. I A B qui a obtenu son diplôme en 2002 sans avoir jamais mis en pratique son brevet, sont également insuffisantes pour prendre en charge seul une exploitation agricole.

Des éléments versés aux débats il résulte que M. I A B, qui est né le […], est âgé de 39 ans. Il dispose d’un brevet de technicien supérieur agricole, option : analyse et conduite de systèmes d’exploitation, délivré en octobre 2002. Il est constant que n’est nullement exigé un cumul de diplôme et d’expérience professionnelle, pour se porter candidat à la reprise dans le cadre d’une cession de bail, le candidat ayant en effet à justifier d’un diplôme ou d’une expérience professionnelle.

Par ailleurs M. I A B dispose d’une capacité financière lui permettant de faire l’acquisition du matériel agricole nécessaire à son exploitation. En effet il justifie disposer d’avoirs pour 70. 000 euros et il est versé aux débats le montant du matériel agricole qu’il devra acquérir pour la bonne marche de son exploitation, dont il résulte que les avoirs dont il dispose, seront suffisants à en faire l’acquisition.

S’agissant des autres conditions que le premier juge a relevé, concernant sa domiciliation et le fait que M. A B ne soit pas soumis au contrôle des structures, ils ne sont pas contestés par Mme Y de Z née H.

Il s’ensuit que les conditions permettant l’autorisation de la cession des baux des 30 novembre 1994

et 20 janvier 1998 à M. I A B sont réunies et qu’il y a lieu de l’autoriser, conformément à ce qu’ a décidé le premier juge, la cour autorisant en outre la cession au titre du bail du 30 novembre 1994 écartée par le premier juge.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il est inéquitable de laisser à M. L A B et Mme M A B, la charge de leurs frais irrépétibles. Il leur est alloué la somme de 2000 euros.

Mme Q-R Y de Z née H qui succombe supportera les dépens de la présente instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Ordonne la jonction des procédures n°18/4681et 18/4539, et dit qu’elles se poursuivront sous le seul n°18/4539,

Confirme le jugement du 10 octobre 2018 en toutes ses dispositions dont il a été relevé appel à l’exception de celles ayant débouté M. L A B et Mme M A B de leur demande relative au bail rural du 30 novembre 1994 et ayant dit qu’il s’agissait d’un bail à carrière,

Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant,

Dit que le bail en date du 30 novembre 1994 portant sur les parcelles de terres agricoles sur la commune d’Epretot cadastrées :

[…], 1 ha 95 a 81 ca,

[…], 5 ha 58 a 50 ca,

• section ZK n°23, 1 ha 42 a 22 ca,

• section ZK n°14, 8 ha 89 a 00 ca,

soit au total 17 ha 85 a 53 ca, est un bail à long terme ordinaire soumis aux dispositions de l’article L.416-1 du code rural et de la pêche maritime ;

Constate qu’à défaut de congé régulier, ce bail s’est renouvelé ;

Autorise la cession de ce bail au profit de M. I A B ;

Condamne Mme Q-R Y de Z née H à payer à M. L A B et Mme M A B la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

La condamne aux dépens de la présente instance.

La Greffière Le Conseiller faisant fonction de Président

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
  3. Code rural
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Cour d'appel de Rouen, Chambre de la proximité, 7 janvier 2021, n° 18/04539