Cour d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 11 décembre 2019, n° 18/01484

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Toulouse, 2e ch., 11 déc. 2019, n° 18/01484
Juridiction : Cour d'appel de Toulouse
Numéro(s) : 18/01484
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Toulouse, 6 décembre 2017, N° 13/01869
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

.

11/12/2019

ARRÊT N°478

N° RG 18/01484

- N° Portalis DBVI-V-B7C-MGOB

ST/DF

Décision déférée du 07 Décembre 2017 – Tribunal de Grande Instance de TOULOUSE – 13/01869

M. X

SNC SNC A ET FILS

C/

COMMUNE DE TOULOUSE

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

2e chambre

***

ARRÊT DU ONZE DECEMBRE DEUX MILLE DIX NEUF

***

APPELANTE

SNC A ET FILS

prise en la personne de son représentant légal domicililé en

cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Frederic SIMONIN de la SCP CABINET MERCIE – SCP D’AVOCATS, avocat au barreau de TOULOUSE

Assistée de Me David PINET de la SCP LEBRAY ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

COMMUNE DE TOULOUSE

[…]

[…]

Représenté par Me Pierre MARBOT de la SELARL LEXAVOUE PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de TOULOUSE

Assisté de Me Yvon GOUTAL de la SCP GOUTAL ALIBERT et Associés, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Septembre 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant F.PENAVAYRE, président, et S. TRUCHE, conseiller, chargés du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

F. PENAVAYRE, président

S. TRUCHE, conseiller

M. SONNEVILLE, conseiller

Greffier, lors des débats : J. BARBANCE- DURAND

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par F. PENAVAYRE, président, et par J. BARBANCE- DURAND, greffier de chambre.

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 26 juillet 1984, les consorts Y ont renouvelé, au profit des époux Z, le bail commercial d’un immeuble situé […] à Toulouse, dont la destination était l’exploitation d’un commerce de librairie, papeterie, journaux.

Par acte du 3 janvier 1997, les époux Z ont vendu leur fonds de commerce de librairie, papeterie, bimbeloterie, presse avec gérance de débit de tabac annexée aux époux A.

Par acte du 22 juin 2009, la commune de Toulouse a acquis les locaux donnés à bail.

Le bail a été renouvelé juqu’au 31 mai 2011, le loyer s’élevant alors à 560€HT par mois, soit 6720€HT par mois.

Le 13 mai 2011, la SNC A ET FILS venant aux droits des époux A, a notifié une demande de renouvellement du bail.

Le 14 juin 2011, la commune de Toulouse a signifié son refus de renouvellement de bail et proposé une indemnité d’éviction en application de l’article L145-14 du code de commerce.

Après négociations avec la Confédération des buralistes, mandatée par la société A, la commune de Toulouse a par courrier du 17 avril 2013 proposé à la société A une indemnité d’éviction de 503.569,85 €, soit:

— indemnité principale :

*indemnité représentant la valeur du fonds : 448 328,80€,

* indemnité pour trouble commercial : 1 189,25€,

— indemnités accessoires :

* indemnité de licenciement : 8 103,16€,

*indemnité pour perte de stock : 25 729,10€,

*indemnité pour rupture de contrats: 19 219,54€.

Par acte extra-judiciaire du 6 mai 2013, la SNC A ET FILS a assigné le ville de Toulouse aux fins de fixation de l’indemnité d’éviction.

Le 27 janvier 2014, la société A a délaissé les lieux et restitué les clefs du local.

Par une ordonnance du 22 mai 2014, le juge de la mise en état a condamné la commune à payer à la société A une provision de 300.000 €.

Par un jugement avant dire droit du 16 mars 2015, le tribunal de grande instance de Toulouse a ordonné une expertise confiée à Monsieur B puis à Madame C afin de déterminer le montant de l’indemnité d’éviction susceptible d’être versée par la commune de Toulouse.

Madame C a déposé le 17 novembre 2015 un rapport dont les conclusions sont les suivantes :

— pour un fonds transférable, 21 940€, soit :

*12 660€ d’indemnité principale, 680€ de frais de déménagement, 2000€ d’indemnité de remploi, 4600€ d’indemnité pour trouble commercial, 2000€ de frais administratifs,

— pour un fonds non transférable, 481 062€, soit :

* 423 900€ d’indemnité principale, 680€ de frais de déménagement, 42 390€ d’indemnité de remploi, 6 590€ d’indemnité de licenciement, 2 000€ de frais administratifs, 5 502€ de pertes sur stocks,

étant précisé que l’indemnité principale pour les seules activités de librairie, papeterie, journaux est estimée à 26 400€ (fonds non transférable) avec dans cette hypothèse une indemnité de remploi proposée de 3 000€.

Par un jugement du 7 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Toulouse a :

— condamné la commune de Toulouse à verser à la société A une indemnité principale d’éviction de 509.358 € et une indemnité accessoire totale de 100.923,01€,

— dit n’y avoir pas lieu à réactualiser les sommes,

— condamné la commune de Toulouse aux dépens et au paiement de la somme de 7.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— ordonné l’exécution provisoire à concurrence de 550 000€.

Par déclaration électronique du 28 mars 2018, la SNC A ET FILS a interjeté appel de cette décision.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 décembre 2018 auxquelles il est expressément référé pour le détail de l’argumentation, la SNC A demande à la cour sur le fondement des articles 410 du code de procédure civile, L145-14, L145-28, L145-58 du code de commerce à la cour :

in limine litis,

— de dire et juger que la commune de Toulouse a acquiescé à la décision entreprise

— en conséquence de déclarer la commune de Toulouse irrecevable en son appel incident ;

— de la dire recevable et bien fondée en son appel, et en conséquence, de débouter la Commune de Toulouse de sa fin de non-recevoir ;

à titre principal,

— d’infirmer la décision déférée et de condamner la ville de Toulouse à lui payer une indemnité principale d’éviction par référence à la seule méthode du « barème sur chiffre d’affaires TTC » soit la somme en principal de 940.371 € se décomposant comme suit :

*Activité Tabac : 388.216€

*Jeux de hasard : 69.845 €

*Tabletterie : 439.209 €

* Presse : 43.101 €;

Subsidiairement, si par extraordinaire la Cour venait à estimer devoir croiser les méthodes dites du « barème sur chiffre d’affaires » et « de l’EBE»,

— de retenir un coefficient de valorisation de 8 qui tienne compte des réalités économiques aboutissant à une valorisation du fonds par la méthode de l’EBE de 105.000€ x 8 = 881.960€ ;

— en conséquence, de condamner la ville de Toulouse à payer à la SNC A une indemnité principale d’éviction correspondant à la moyenne des deux méthodes de valorisation, soit 911.165 € ;

— en tout état de cause, de condamner la ville de Toulouse à payer à la SNC A la somme consolidée de 239.541 € au titre des indemnités accessoires se décomposant comme suit :

* indemnité de remploi : 94.037,00 €

* trouble commercial : 16.900,00 €

* frais de déménagement : 1.358,01 €

* frais de réinstallation : 69.600,00 €

* frais de licenciement : 8.326,86 €

* VNC des immobilisations non amorties : 2.092,39 €

* pertes sur stock : 18.423,82 €

* rupture de contrats : 17.803,27€

* frais divers et administratifs : 11.000,00 €

en tout état de cause :

— de débouter la Commune de Toulouse de l’ensemble de ses demandes, fins et prétention ;

— de condamner la Commune de Toulouse à lui payer la somme de 25.000€ au titre de l’article 700 du CPC, outre les entiers dépens, en ce compris les honoraires de l’expert judiciaire.

A l’appui de ses prétentions, la SNC A fait essentiellement valoir que:

— la commune de Toulouse s’est exécutée à hauteur de 624.2650,33€ alors que le jugement du 7 décembre 2017 n’avait pas encore été signifiéet a donc acquiescé au jugement par application de l’article 410 du code de procédure civile, de sorte que son appel incident est irrecevable, en revanche, il ne peut lui être opposé un acquiescement pour avoir encaissé les sommes versées par la commune,

— qu’elle a toujours manifesté la volonté de se réinstaller, que le baillleur ne justifie pas lui avoir proposé des locaux de substitution, que l’activité de buraliste est autorisée par le bail et doit être prise en compte pour valoriser le fonds de commerce, qu’elle est en droit de prétendre à la valeur de remplacement,

— que la valeur du fonds de commerce doit être calculée en utilisant exclusivement la méthode du « barème sur chiffre d’affaires » conformément aux usages constant dans ce secteur d’activité , que certains des coefficients de valorisation ayant été retenus par les premiers juges dans le cadre de la méthode dite du « barème sur chiffre d’affaires » sont largement insuffisants; que l’application d’un coefficient généralisé d’abattement n’est aucunement justifié, ni dans son principe, ni dans son quantum,

— subsidiairement, si par extraordinaire la cour venait à juger bien-fondé le croisement des méthodes de valorisation dites du « barème sur chiffre d’affaires » et de « de l’EBE », que le coefficient multiplicateur ayant été retenu par les premiers juges dans le cadre de la mise en oeuvre de la méthode « de l’EBE » est en tout état de cause incohérent,

— que les postes d’indemnités accessoires n’ont pas été correctement appréciés par les premiers juges.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 septembre 2018 auxquelles il est expressément référé pour le détail de l’argumentation, la commune de Toulouse sur le fondement des articles L145-14, L145-28, L145-56 du code de commerce, 1289 et suivants du code civil et 695 et suivants, 700 et 408 du code de procédure civile demande à la cour :

A titre principal,

— de déclarer irrecevable l’appel de la SNC A,

A titre subsidiaire,

— de débouter la SNC A de sa fin de non recevoir ;

— de débouter la SNC A de l’ensemble de ses demandes ;

— de déclarer recevable son appel incident,

— en conséquence, de réformer le jugement entrepris en ce qu’il a considéré que la SNC A avait droit à une indemnité d’éviction et en conséquence, de condamner la SNC A à lui rembourser l’intégralité des sommes versées en exécution du jugement du 7 décembre 2017 soit 624.260,33 €,

A titre plus subsidiaire,

— de réformer le jugement en ce qu’il a considéré que le montant de l’indemnité d’éviction devait être une indemnité de « remplacement » ;

— de dire que le montant de l’indemnité principale d’éviction correspond à la valeur du droit au bail évaluée à la somme de 6.570 € ;

— en conséquence, de limiter les indemnités accessoires aux seuls frais de déménagement, arrêtés à la somme de 680 euros ;

— de rejeter le surplus des demandes indemnitaires adverses ;

— de constater qu’elle a versé à la SNC A la somme de 624.260,33€ et autoriser la compensation du montant ainsi versé avec le montant de l’indemnité d’éviction due par la commune de TOULOUSE à la SNC A et ce jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives ; et en conséquence, de condamner la SNC A à verser à la commune de TOULOUSE le solde lui restant dû en application de la compensation,

A titre infiniment subsidiaire,

— de réformer le jugement en ce qu’il a considéré que la valeur du fonds de commerce devait être valorisée en fonction de l’intégralité des produits commercialisés par la SNC A, en ce compris le produit des ventes de « bimbeloterie, tabac et jeux de hasard » ;

— de dire la valeur du fonds de commerce sera calculée sur la base du chiffre d’affaires hors taxe (HT) et au vu des seules activités autorisées par le bail;

— de limiter le montant de l’indemnité principale d’éviction à la valeur de remplacement du fonds de commerce évaluée à la somme de 26.400 euros; et le montant des indemnités accessoires aux seuls frais de déménagement, indemnités de licenciement et perte sur stock, évalués à la somme de 12.772,84€ ;

— de rejeter le surplus des demandes adverses ;

— de constater qu’elle a versé à la SNC A la somme de 624.260,33€ et autoriser la compensation du montant ainsi versé avec le montant de l’indemnité d’éviction due par la commune de TOULOUSE à la SNC A et ce jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives ; et en conséquence, de condamner la SNC A à verser à la commune de TOULOUSE le solde lui restant dû en application de la compensation,

A titre très infiniment subsidiaire,

— de réformer le jugement en ce qu’il a:

* appliqué un coefficient de 3 aux commissions presse,

* appliqué un abattement de seulement 10% sur le chiffre d’affaires retenu,

* appliqué un coefficient de 3,5 à la valeur de l’EBE retenue,

* appliqué un taux de 10% de remploi,

* octroyé une indemnité à la société au titre du trouble commercial, des agencements et travaux non amortis, des pertes sur stocks, des indemnités pour rupture de contrats, ainsi que des frais administratifs ainsi que des frais de licenciement manifestement surévalués,

— en conséquence, de limiter le montant de l’indemnité d’éviction chiffré par l’expert judiciaire à la somme totale de 481.062 euros ;

— de rejeter le surplus des demandes adverses ;

— de constater qu’elle a versé à la SNC A la somme de 624.260,33€ et autoriser la compensation du montant ainsi versé avec le montant de l’indemnité d’éviction due par la commune de TOULOUSE à la SNC A et ce jusqu’à concurrence de leurs quotités respectives ; et en conséquence, de condamner la SNC A à verser à la commune de TOULOUSE le solde lui restant dû en application de la compensation,

En tout état de cause,

— de condamner la SNC A payer à la commune de TOULOUSE la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, frais et honoraires d’expertise.

Au soutien de ses prétentions, la commune de Toulouse fait essentiellement valoir que :

— l’exécution sans réserve d’un jugement ne vaut acquiescement que s’il s’agit d’un jugement non exécutoire, qu’en l’espèce, le jugement était assorti de l’exécution provisoire, qu’en outre, en application de l’article 409 du code de procédure civile, la partie qui a acquiescé à un jugement retrouve la possibilité de se défendre, qu’à l’inverse, le fait d’encaisser le montant de condamnations contenues dans un jugement vaut acquiescement à ce jugement et rend tout recours irrecevable concernant ces chefs,

— qu’elle a proposé à la SNC A des locaux commerciaux de remplacement, que les exploitants ont toujours affirmé vouloir cesser leur activité commerciale au 30 avril 2013, que l’exploitation a été volontairement interrompue par le preneur, qu’aucune réinstallation n’est d’ailleurs démontrée,

— que seule l’activité autorisée par le bail en dehors de toute tolérance du bailleur doit être prise en compte, ce qui exclut l’activité de buraliste,

— qu’il est usuel pour les débits de tabac-presse-bimbeloterie, de procéder à la moyenne arithmétique de la méthode du chiffre d’affaires (qui doit être pris hors taxe) et de celle de la rentabilité, que les coefficients utilisés par les premiers juges pour la valorisation du fonds étaient adaptées à la situation de celui-ci, que cette situation justifie l’abbattement de 10% qu’ils ont opéré, comme l’application d’un coefficient de 3,5 à la valeur du fonds déterminée selon la méthode de l’EBE,

— que le montant des indemnités accessoires a été surévalué.

La Cour pour plus ample exposé des faits , de la procédure, des demandes et moyens des parties, se réfère expressément à la décision entreprise et aux dernières conclusions des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’acquiescement à la décision déférée

Aux termes de l’article 409 du code de procédure civile, l’acquiescement au jugement emporte soumission aux chefs de celui-ci et renonciation aux voies de recours sauf si, postérieurement, une

autre partie forme régulièrement un recours.

Aux termes de l’article 410 du code de procédure civile:

— l’acquiescement peut être exprès ou implicite,

— l’exécution sans réserve d’un jugement non exécutoire vaut acquiescement, hors les cas où celui-ci n’est pas permis.

L’acquiescement est tacite, lorsque l’acceptation d’un fait ou d’un acte traduit sans équivoque possible l’intention d’acquiescer de la part de son auteur.

Par un courrier officiel du 5 janvier 2018, la commune de TOULOUSE par l’intermédiaire de son conseil a indiqué vouloir exécuter spontanément le jugement rendu le 7 décembre 2017 par le tribunal de grande instance de Toulouse, et a sollicité de la SNC A le décompte des dépens de l’instance ainsi que les coordonnées du compte bancaire sur lequel le versement devait intervenir.

Suite à un rappel par mail du 19 janvier 2019, la SNC A a par courrier de son conseil du même jour, adressé le décompte demandé totalisant 324.260,32€ compte tenu du versement de la provision de 300.000€, en ce compris les dépens pour 6 979,31€ et ses justificatifs, ajoutant que 'dans la mesure où vous avez fait état de la volonté de la commune de Toulouse d’exécuter spontanément le jugement précité, je vous remercie de bien vouloir me faire parvenir un chèque de ce montant libéllé à l’ordre de la CARPA'.

Le RIB du compte CARPA du conseil de la SNC A a été communiqué le 23 janvier 2018 et le paiement a été comptabilisé le 8 mars 2018.

La ville de Toulouse a signifié la décision le 12 mars 2018 et la SNC A a interjeté appel le 28 mars 2018.

En l’espèce, en versant une somme de 624.260,33€ la commune de Toulouse a exécuté l’intégralité de la condamnation sans faire de réserves, alors que l’excécution provisoire n’était ordonnée qu’à hauteur de 550 000€ sur un total du, hors dépens et article 700 du code de procédure civile, de 610 281,01€. Il est dès lors exact que la commune de TOULOUSE a manifesté sans équivoque sa volonté d’acquiescer à la décision.

En revanche, l’acceptation par une partie de l’offre de l’adversaire d’exécuter les condamnations mises à sa charge n’entraîne pas à elle seule acquiescement aux dispositions lui faisant grief. En l’absence d’éléments complémentaires permettant d’établir l’intention initiale de la SNC A de ne pas relever appel, après paiement, afin d’obtenir des sommes plus importantes, l’appel de la SNC A sera déclaré recevable.

En conséquence, en application des dispositions de l’article 409 du code de procédure civile l’appel incident de la commune de TOULOUSE sera également déclaré recevable.

Sur l’indemnité d’éviction

Aux termes de l’article L145-14 du code de commerce:

' le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

L’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.'

Sur l’indemnité principale

— Sur le droit à la valeur de remplacement du fonds

Au regard du texte précité, il appartient à la commune de TOULOUSE d’établir que la SNC A subi du fait de l’éviction une perte moindre que celle de la valeur du fonds.

La commune de TOULOUSE soutient que dans le cadre de l’opération de réamenagement du quartier des Izards, elle a proposé à la SNC A ET FILS, comme à l’ensemble des commerçants concernés, des locaux commerciaux de remplacement disponibles situés à proximité immédiate des locaux pris à bail.

La Cour constate qu’une telle proposition ne figure pas dans l’acte de refus de renouvellement du 14 juin 2011, ni d’ailleurs dans aucune pièce du dossier qui lui est soumis par la commune de Toulouse.

Madame C, expert intervenu en 2015, relève que le commerce s’adresse à une clientèle de proximité, et qu’il n’a pas été justifié à la date des opération d’expertise de l’existence de locaux disponibles à proximité. En réponse à un dire, elle ajoute qu’avait été proposé un local de remplacement à 500 mètres dans le futur projet de la place MICOULEAU, sans précisions sur les dispositions de ces futurs locaux.

Il ne peut dans ces conditions être considéré pour faire échec au droit à l’indemnité de remplacement qu’un local de remplacement a valablement été proposé.

La commune de TOULOUSE fait par ailleurs valoir que les gérants de la société affichaient de longue date leur intention de cesser leur activité commerciale et ont de leur propre chef libéré les locaux en janvier 2014, cessant toute activité commerciale.

Toutefois c’est à la date du refus de renouvellement qu’il convient de se placer pour rechercher si le locataire remplit ou non les conditions légales pour avoir droit à l’indemnité d’éviction.

Dès lors, l’intention de cesser l’activité que l’intimée pense pouvoir déduire de l’arrêt des comptes de l’expert comptable au 30 avril 2013 , la libération des locaux au 27 janvier 2014, et la cessation totale d’activité mentionnée au registre du commerce et des sociétés au 6 février 2014 sont sans emport.

La SNC A a sollicité le renouvellement du bail, et aucun élément du dossier ne permet de considérer qu’elle envisageait de cesser son activité avant le refus de renouvellement que la commune lui a opposé. Les causes de son départ sont parfaitement explicitées par ses écritures et justifiée par les pièces produites, soit une succession de fusillades dans le quartier des Izards courant 2013, et l’inutilité d’investir à fonds perdus dans un système de sécurité performant compte tenu du non renouvellement du bail.

Si le preneur a, en vertu de l’article L145-28 du code de commerce, la possibilité de se maintenir dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, il n’en n’a pas l’obligation.

C’est en outre de manière pertinente que les preneurs observent, suivis sur ce point par les premiers juges, qu’une réinstallation est plus aisée une fois perçue définitivement l’intégralité des sommes dues, de sorte qu’il ne peut être reproché à la SNC A de ne pas justifier de sa réinstallation.

La SNC A a donc droit à la valeur de remplacement du fonds, qui doit être évaluée à la date à laquelle elle a libéré les locaux, soit en janvier 2014.

Sur la valeur du fonds de commerce

* sur la destination prévue au bail

En premier lieu, les parties s’opposent sur la prise en compte de l’activité de buraliste, non prévue dans l’acte de renouvellement du bail de 1984, les parties ne produisant pas les actes de renouvellement ultérieurs bien qu’il soit acquis aux débats que le bail a été renouvelé pour 2 périodes successives, à compter du premier juin 1993 puis à compter du premier juin 2002.

Aux termes de l’acte des 3 et 6 janvier 1997 portant cession du fonds de commerce par les époux Z aux époux A, aux droits desquels se trouve la SNC A :

— il est indiqué qu’est annexée au fonds une activité de gérance de débit de tabac exploitée dans les mêmes lieux en vertu d’un contrat d’agrément des services fiscaux signé le 13 janvier 1993 au profit de Monsieur Z, les époux Z ayant acquis le fonds de gérance de débit de tabac par acte du 12 février 1993,

— il est rappelé que le bail initial stipulait que les locaux devaient être exclusivement consacrés à l’exploitation du commerce du preneur, soit librairie papeterie journaux, et à son habitation personnelle, et que le loyer annuel était de 14'400 francs,

— sont retranscrites 'littéralement' certaines dispositions de l’acte de renouvellement du bail à compter du 1er juin 1993 fixant le loyer à 2500 francs par mois soit :

'les époux Z abandonneront la mise en habitation et le jardin.

Ils vendront le garage en préfabriqué au bailleur….

Ils conserveront le magasin et l’arrière magasin pour leur exploitation commerciale :librairie, papeterie, bimbeloterie, presse, tabac, loto .

les preneurs s’engagent à enlever toutes les publicités fixer sur les murs de la maison … les bailleurs maintiennent la tolérance sur la toiture de la maison d’habitation des 3 enseignes lumineuses dépêche, loto, tabac',

— le vendeur déclare qu’il a toujours respecté la destination du bail commercial prévue au contrat.

Cet acte de cession mentionne au paragraphe 'signification de la cession' que le bailleur a été dûment appelé en vue de donner son agrément et qu’il est représenté par une personne à laquelle a été donné procuration de déclarer avoir pris connaissance du contrat de vente et d’accepter les époux A en qualité de nouveaux locataires.

C’est à juste titre que les premiers juges ont considéré qu’il résultait de cet acte de cession que l’adjonction de l’activité de buraliste avait été autorisée par le bailleur, étant observé que la notion de tolérance n’est évoquée dans l’acte de renouvellement qu’en ce qui concerne les enseignes lumineuses, et que lors de la cession les déclarations selon lesquelles le vendeur déclare avoir respecté la destination du bail commercial n’ont pas été contredites par le bailleur représenté à l’acte.

Il convient donc de déterminer la valeur du fonds de librairie, papeterie, bimbeloterie, presse, tabac, loto à la date du départ de la SNC A soit au 27 janvier 2014.

* Sur la méthode d’évaluation

Madame C, expert nommé par le tribunal de grande instance, a évalué la valeur du fonds à la somme de 423 900€, en faisant une moyenne entre le montant obtenu d’après le chiffre d’affaires réalisé TTC, soit 480.300€, et le montant obtenu d’après sa rentabilité (excédent brut d’exploitation-EBE), soit 367 500€.

La commune de Toulouse approuve l’utilisation pondérée des 2 méthodes mais prétend que seul le chiffre d’affaire hors taxes doit être pris en compte, alors que la SNC A soutient à l’inverse que seule doit être utilisée la méthode du chiffre d’affaires toutes taxes comprises.

La détermination de la valeur marchande du fonds de commerce doit s’effectuer selon les usages et modalités retenus dans la profession ou le secteur d’activité concerné.

Le fait qu’une indemnité réparatrice ne soit pas soumise à la TVA ne fait pas obstacle à la prise en compte, pour sa fixation, d’éléments comptables arrêtés TTC.

Madame C indique au titre de la base de calcul selon la méthode du chiffre d’affaires, que selon les usages de la profession, le fonds de commerce de la société sera évalué au moyen de la méthode qui retient comme paramètre le chiffre d’affaire réalisé TTC.

Monsieur D, expert mandaté par la SNC A, s’est dans son rapport daté du 30 octobre 2013, fondé sur le chiffre d’affaires hors taxes, mais précise que c’est pour se conformer à la juriprudence de la Cour de cassation.

Ce choix ne se réfère donc pas à un usage, mais à une jurisprudence sur laquelle la Cour de cassation est revenue par un arrêt du 5 février 2014, admettant la possibilité de prendre en compte les montants TTC si tel est l’usage.

Les barêmes produits par les preneurs mentionnent des pourcentages de chiffre d’affaire toutes taxes comprises.

Pour sa part, la commune de Toulouse ne verse aux débats aucune pièce permettant de considérer que pour le type de commerce en cause, l’usage de la profession serait de retenir un montant hors taxes.

En conséquence, c’est bien un montant toutes taxes comprises qui sera retenu.

En revanche, Madame C, expert nommé par le tribunal, comme Monsieur D, expert mandaté par la SNC A, ont croisé les méthodes par le chiffre d’affaire et par l’excédent brut d’exploitation.

La documentation produite par la SNC A n’établit nullement que l’usage en matière d’évaluation d’un fonds semblable au sien serait de ne retenir que la méthode basée sur chiffre d’affaire. Dans les extraits du dossier pratique E F relatif à l’évaluation des fonds de commerce, il est seulement indiqué que la méthode dite des barêmes professionnels se réfère généralement au chiffre d’affaire et que les pourcentages de chiffre d’affaire TTC sont normalement plus significatifs que les pourcentages de bénéfices car ceux-ci peuvent varier considérablement en fonction des priorités professionnelles de l’exploitant.

Est également produit un extrait du magazine des buralistes de décembre 2012, et plus particulièrement la rubrique 'évaluer son fonds de commerce', qui au titre des critères d’évaluation, mentionne dans tous les cas, les horaires d’ouverture, l’emplacement du commerce, son agencement, les conditions du bail, la nature de la clientèle,la possibilité de logement, la rentabilité du fonds compte tenu de l’endettement, puis propose des coefficients basés sur les commissions ou sur le chiffre d’affaires, ajoutant qu''une autre méthode d’évaluation consiste à multiplier l’excédent brut d’exploitation (EBE), par une valeur comprise entre 2 et 4 selon les critères précités dans tous les cas, cette dernière méthode pouvant s’avérer plus réaliste'.

Cette pièce a été communiquée à Madame C par les preneurs qui revendiquaient la prise en compte du coefficient maximum de 4.

Les extraits du 'Dalloz Action’ et du 'Lamy fiscal’ mentionnent que la méthode la plus couramment utilisée pour l’évaluation d’un fonds de commerce de détail est établie à partir du chiffre d’affaire, le SNDP (syndicat national des débiteurs de presse) expliquant qu’il existe différentes méthodes pour évaluer un fonds de commerce, l’évaluation par comparaison, l’évaluation par les bénéfices, plus délicate, et l’évaluation par le chiffre d’affaires, la plus souvent utilisée notamment par les tribunaux et l’administration, mais nécessitant des corrections en fonction des caractéristiques particulières de l’affaire.

Les deux méthodes sont en conséquence utilisées par la profession, et s’agissant de parvenir à l’estimation la plus juste du fonds de commerce, il n’est pas contraire aux usages de la profession de faire la moyenne des 2 méthodes.

* sur les coefficients de valorisation

Madame C précise que les taux varient de manière inversement proportionnelle au chiffre d’affaire et que celui de la SNC A est de bon niveau, et que ces barêmes correspondent à des mutations correspondant à des mutations de fonds situés à PARIS, de sorte qu’ils sont plus élevés, ce qui l’a conduite à retenir les coefficients les plus bas des fourchettes proposées.

La SNC A ne conteste pas l’environnement défavorable dans lequel se situe le fonds de commerce, s’agissant d’un quartier sensible et populaire, à la clientèle impécunieuse, et souffrant d’une absence d’attractivité.

Elle fait toutefois valoir que la consommation de tabac et de produits dérivés et la vente de jeux de hasard prospère auprès d’une clientèle dense et captive de foyers impécunieux.

Il ressort de la documentation qu’elle produit sur le sujet, émanant en particulier de l’observatoire français des drogues et des toxicomanies, et du comité national contre le tabagisme, d’une part, que plus la fréquence de jeu augmente, plus la part de personne ayant un niveau d’étude supérieur au baccalauréat diminue, et que plus d’un joueur excessif sur 3 ne possède aucun diplôme, d’autre part, que les plus gros fumeurs sont les plus pauvres, et que les moins diplomés sont en moyenne 45% à fumer, alors que cette proportion est limitée à 26% pour les personnes ayant un diplôme universitaire.

Cette analyse trouve toutefois ses limites dans le pouvoir d’achat de la population concernée. Monsieur D, expert privé mandaté par le preneur, mentionne d’ailleurs que la dégradation de la conjoncture économique depuis le 4e trimestre 2008 s’est accentuée au 3e trimestre 2012.

En outre la proximité de la frontière offre la possibilité d’un marché parallèle.

En ce qui concerne la tabletterie, Madame C a proposé un coefficient de 80%, ce qui correspond à la fourchette basse du barême publié par les Editions F, lequel donnait en 2012 une fourchette de 80 à 120%, et en 2015, une fourchette de 80 à 130%.

La SNC A fait valoir que le coefficient médian appliqué pour un commerce de qualité moyenne est de 100%, et soulignant le chiffre d’affaires très important et le taux de marge très élevé réalisé sur ce segment d’activité, ainsi que ses charges fixes très mesurées, prétend à l’application d’un coefficient de 110%.

La commune de Toulouse pour sa part considère que l’évaluation de l’expert, retenue par le tribunal, pourrait être revue à la baisse.

Il convient d’observer que le chiffre d’affaire regroupé sous le vocable 'tabletterie’ pour un montant total de 399 281€, au demeurant en baisse les dernières années, n’inclut pas que les seuls produits accessoires à la vente de tabac tel que le papier à cigarettes, mais également divers produits tels que carterie, confiserie et boissons qui ne bénéficie pas nécessairement de l’addiction d’une clientèle captive de foyers impécunieux.

C’est en raison d’une erreur manifeste de Monsieur D, expert privé, sur le chiffre d’affaire tabletterie qu’il semble avoir entendu de manière très stricte, retenant en revanche un montant très élevé de vente de télécartes, que les premiers juges ont de manière d’ailleurs favorable à l’appelante, écrit que les ventes de ces différents produits s’intégraient dans un ensemble, et qu’il ne s’agissait pas d’évaluer un commerce de vente de télécartes, pour lequel la valorisation serait de 30%.

Il y a lieu, comme le propose l’expert, d’appliquer un pourcentage de 80% au chiffre d’affaires tabletterie.

En ce qui concerne l’activité de tabac, Madame C calcule un montant de commissions comme suit: 97 054€X2= 291160€, le résultat étant celui d’une multiplication par 3, étant ainsi démontré qu’elle a fait application du coefficient uniforme de 3 proposé par la dernière édition F parue en 2015.

La SNC A, citant différents barêmes mentionnant des coefficients situés dans une fourchette

de 3 à 4, et de 3 à 5, prétend à l’application d’un coefficient de 4, alors que la commune de Toulouse considère que le coefficient de 2 retenu par l’expert (en réalité 3) est un coefficient maximum.

Monsieur D, expert privé, applique également un coefficient de 3 aux commissions tabac. Il convient de retenir ce montant, qui correspond au coefficient unique proposé par la dernière édition F, de sorte qu’il ne s’agit pas d’un coefficient minimisé.

En ce qui concerne l’activité presse, Madame C a retenu un coefficient de 40% (le barême F mentionnant une fourchette de 40 à 70%), qu’elle a appliqué au montant des commissions presse, alors que ce pourcentage était destiné à s’appliquer au chiffre d’affaire.

La SNC A, citant différents barêmes mentionnant des coefficients situés dans une fourchette de 1,5 à 4 (confédération des buralistes), et de 3 (Lamy fiscal), prétend à l’application d’un coefficient de 4, alors que la commune de Toulouse après avoir revendiqué l’application d’un pourcentage de 25% sur les commissions, estime que le coefficient multiplicateur le plus bas, soit 1,5, doit être appliqué.

Contrairement au tabac et au jeu, il ne peut être considéré que les ventes presse ne sont pas affectées par l’environnement socio-économique défavorable du fonds ligieux.

Il sera fait application du coefficient de 1,5 aux commissions presse (14.367€X1,5).

En ce qui concerne les commissions jeux-loterie, l’expert a appliqué un coefficient de 1 ce qui n’est pas discuté.

Sur l’abbattement

Il résulte du dossier que peu de temps avant la date à laquelle le fonds a été délaissé, le quartier avait été le théâtre de scénes de violences récurrentes, ainsi un article de presse de décembre 2013 fait état de 3 fusillades en quelques jours.

La destination du bail est spécifique, ce qui est un facteur de moins value comme le souligne Madame C.

C’est en outre de manière pertinente que les premiers juges ont souligné que la rentabilité du commece était liée à un loyer faible et à une grande amplitude de travail de la famille A, qui laissait peu d’espèrance d’amélioration des performances du fonds à d’éventuels acheteurs à la date du délaissement.

C’est également à juste titre que les premiers juges ont limité à 10% le montant de l’abattement pratiqué par Madame C, l’environnement socio-économique défavorable du fonds ayant déjà justifié l’application de coefficients bas.

Sur la valeur du fonds par la méthode du chiffre d’affaires

Le calcul s’établit comme suit:

—  399 281x80%= 319 400€,

— commissions tabacs et annexes: 97 054€x3= 291160€,

— commissions presse; 14 367€x1,5=21 550,50€,

— commissions loterie: 69 845€,

soit un total de 701 955,50€ dont à déduire 10%, et une valeur du fonds s’établissant à 631 759,95€.

Sur la pondération du chiffre d’affaire par l’EBE

Cette méthode consiste à appliquer un coefficient multiplicateur à l’excédent brut d’exploitation moyen réalisé sur les 3 derniers exercices comptables.

L’extrait du magazine des buralistes de décembre 2012 évoquait cette méthode, en expliquant qu’elle consistait à multiplier l’excédent brut d’exploitation (EBE), par une valeur comprise entre 2 et 4 selon les critères précités, soit les horaires d’ouverture, l’emplacement du commerce, son agencement, les conditions du bail, la nature de la clientèle, la possibilité de logement, la rentabilité du fonds compte tenu de l’endettement.

C’est donc de manière tout à fait pertinente que Madame C mentionne pour sa part une fourchette allant de 2 à 4,5 pour ce type d’activité.

Si la rentabilité du fonds est dans la moyenne supérieure de la profession, si la vente de tabac relève effectivement d’un monopole, et s’il est exact que la très légère baisse du chiffre d’affaire constatée n’est pas significative, le défaut d’attractivité du quartier d’implantation déja évoqué, du fait d’une clientèle impécunieuse et de l’insécurité, ne permet pas de retenir le coefficient maximum.

Comme l’ont expliqué les premiers juges, le coefficient retenu ne correspond pas au nombre d’années d’amortissement, puisqu’il ne tient pas compte de la rémunération des dirigeants qui est retraitée dans l’EBE, ni de l’amortissement.

Ils doivent donc être approuvés en ce que, retenant la proposition del’expert, ils retiennent un coefficient de 3,5.

En revanche ce coefficient a été appliqué à un EBE moyen de 105 000€, alors que la moyenne des 3 dernières années était de 110 245€, au motif que le magasin n’a été fermé le dimanche qu’à partir de février 2012.

Il n’y a pas lieu d’appliquer cet abattement, puisque le résultat d’exploitation retraité des salaires des dirigeants et des dotations aux amortissements est précisément plus élevé durant le dernier exercice.

Ainsi, par la méthode de l’EBE, la valeur du fonds s’établit à :

110 245€ x 3,5= 385 847,50€.

Le différentiel entre les deux méthodes d’évaluation ne démontre nullement l’incohérence du second coefficient, chacune des méthodes ayant ses avantages et ses inconvénients, ce qui légitime le recours à plusieurs méthodes.

Sur le montant de l’indemnité principale

La moyenne des résultats est de 508 808,72€, montant auquel sera fixée l’indemnité principale évaluée au jour du délaissement, sans qu’il y ait lieu à revalorisation.

Sur les indemnités accessoires

* sur l’indemnité de remploi

Le montant retenu par les premiers juges n’est pas contesté par la SNC A, en revanche, la commune de Toulouse prétend qu’en l’absence de projet de réinstallation, cette indemnité n’est pas due.

Il appartient à la commune de Toulouse de démontrer que contrairement à ce que soutient la SNC A, elle a renoncé à tout projet de réinstallation, ce qu’elle ne fait pas.

Madame C comme Monsieur D ont retenu une indemnité forfaitaire de 10% et la commune de Toulouse, qui se borne à citer un traité des baux commerciaux dont elle ne verse pas d’extrait aux débats, ne justifie pas des raisons qui conduiraient à retenir un taux inférieur.

L’indemnité de remploi sera dès lors fixée à la somme de 50 880,87€.

* sur le trouble commercial

Cette indemnité est destinée à compenser l’absence d’activité pendant le temps nécessaire au transfert du fonds, si le fonds est transférable.

La contestation de la commune de Toulouse fondée sur l’absence de réinstallation sera comme la précédente rejetée.

Madame C a proposé une indemnité de 4 600€ sur la base d’une estimation habituellement pratiquée de 3 mois de bénéfices, en se fondant sur la moyenne des résultats des 3 derniers exercices.

La SNC A sollicite une somme de 16 900€, que leur a accordée le premier juge, fondée sur la moyenne de 2 méthodes, soit 3 mois de bénéfices sur la base du résultat d’exploitation, et 15 jours de chiffre d’affaires, sur la base du dernier exercice comptable.

Il y a lieu, comme pour l’évaluation de l’indemnité principale, de croiser les deux méthodes de sorte qu’il sera fait droit à la demande.

* sur les frais de déménagement

L’expert comme les premiers juges ont retenu un montant de 680€ correspondant aux coût d’acquisition de cartons et de ficelle ainsi qu’aux frais de démontage, excluant notamment des factures de location de véhicule et de transport comme postérieures à la restitution des clés intervenue le 27 janvier 2014, et les frais de réexpédition comme relevant des frais administratifs.

La SNC A réitère ses demandes, sans s’expliquer sur les motifs qui ont permis de les écarter.

La facture de location de véhicule concerne une location pour un véhicule pris et restitué le 8 février 2014, aucun lien n’est établi avec le déménagement.

Les frais de réexpédition du courrier ne sont pas réclamés au titre des frais administratifs et seront retenus pour 42€.

En revanche, la facture de transport du 14 février 2014 pour un déménagement ne précise pas la date de la prestation, mais indique une prise un charge à l’adresse correspondant au lieu d’exploitation du fonds, alors qu’aucune des factures retenues ne concerne le transport des éléments démontés, elle sera ajoutée à hauteur de 150€, soit un total de 872€.

* sur les frais de réinstallation

Par frais de réinstallation, on doit entendre ceux que supporte le locataire pour mettre en place, dans son nouveau fonds, des aménagements semblables à ceux qu’il perd.

La SNC A demande à ce titre une somme de 69 900€ correspondant à la réinstallation d’un fonds de même surface, à raison de 87 mètres carrés à 800€ le mètre carrés (étant précisé que le local donné à bail était composé de 57 mètres carrés de surface commerciale et 29,54 mètres carrés de réserves).

Elle se réfère d’une part à un projet de création d’un restaurant brasserie à CAMPSAS, qui chiffre un investissement immobilier (terrain, parking et immeuble) à 428 000€, et des frais d’agencement de l’immeuble et de mobilier à 210 000€, projet de réinstallation totalement différent de l’activité et des conditions d’exercice antérieurs, d’autre part sur un arrêt rendu par défaut par la cour d’appel de VERSAILLES qui dans une affaire d’indemnité d’éviction d’un fonds de bar tabac à BOIS COLOMBES a tenu compte 'des observations de l’expert aux termes desquelles l’aménagement d’un local de 72 mètres carrés représente un coût de l’ordre de 800€/mètre carré', ce que la Cour ne peut reprendre à son compte sans pièces justificatives.

Sont également produits des devis relatifs selon la SNC A à la sécurisation d’un local similaire conformément aux exigences des douanes et du coût du mobilier, pour un montant de 33 920,96€.

Le principe d’une telle indemnité n’a pas été retenu par Madame C, qui en réponse à un dire, a précisé que dans l’hypothèse où les frais de réinstallation, sur la base de 33 920,96€ HT seraient pris en compte par le tribunal, un abattement de 80% devrait être appliqué, cet abattement étant fonction des dates d’installation du preneur dans les lieux, des derniers travaux réalisés, et de l’état d’entretien, soit un montant d’indemnisation de 6 784€ HT.

Ce poste de préjudice a justement été écarté par les premiers juges en raison de l’absence d’éléments concrets et précis sur le local à aménager, et sur la consistance des aménagements qui avaient été réalisés chemin des Izards.

* sur les frais de licenciement du personnel

Une telle indemnité est due en raison de la perte du fonds de commerce.

L’expert judiciaire a retenu une indemnisation de 6 590€, les premiers juges, sur la base d’une évaluation de l’expert comptable de la SNC en date du 8 mars 2013 (soit prés d’un an avant le délaissement des locaux), a retenu la somme de 8 103€.

Il doit être souligné que cette évaluation tenait compte de l’indemnité qui serait à verser à Pôle emploi si le salarié acceptait de bénéficier d’un CSP.

La SNC A sollicite une somme de 8 326,86€ (soit 223,86€ de plus) en visant une pièce 12B qui n’est ni à son dossier ni à son bordereau.

La SNC A devrait pouvoir justifier du montant des indemnités qu’elle a réellement versé à son salarié G A, et la cour ne peut se contenter d’une évaluation antérieure.

Dès lors la cour retiendra le montant proposé par l’expert judiciaire, correspondant au subsidiaire de la commune de TOULOUSE en cas d’admission du principe de ce poste de préjudice.

* sur les agencements et travaux non amortis

C’est à juste titre que les premiers juges ont accordé à la SNC A la somme de 2 092,39€ correspondant à la valeur résiduelle des agencements au bilan comptable, au motif que nonobstant la clause d’accession, la société perdait du fait de l’éviction la possibilité d’amortir cette somme.

* sur les pertes sur stocks

Les premiers juges, suivant le rapport d’expertise, ont retenu sur la base d’une attestation du cabinet comptable de la société, une perte de 5.502,14€.

La SNC A indique que cette somme correspond à une décote sur stock tabletterie, et entend y ajouter une décôte sur tabac restitué à hauteur de 3 017,40€, et une perte sur stocks divers de 9 904,28€.

Le prétendu justificatif comptable des pertes sur stocks divers n’est qu’une liste dactylographiée sur des pages blanches, sans date et sans aucune garantie d’authenticité, de surcroît établie postérieurement au pré-rapport d’expertise pourtant établi plus de 18 mois après la cessation d’activité, elle ne constitue qu’une preuve que la SNC A se fait à elle même. Elle fait en outre double emploi avec l’attestation comptable.

Quant aux pertes sur stock de tabac non incluses dans l’attestation comptable, sont produits 2 avoirs suite à reprise établis par la société LOGISTA les 3 et 4 février 2014, la somme réclamée correspondant à la somme des 'total remises’ et 'total quote part'.

Rien ne démontre que le pourcentage de remise correspond à une perte sur stock plutôt qu’à la remise appliquée lors de l’achat. Seule sera retenue la quote part soit 1 689,45€.

Le total alloué au titre de la perte sur stocks s’établit à la somme de 7.191,59€.

* sur les pertes pour rupture de contrats

Comme le relève la commune de TOULOUSE, cette indemnité ne peut être allouée que sur présentation de justificatifs probants, dont Madame C a considéré ne pas disposer.

La SNC A réclame :

— une indemnité de rupture de contrat Strator (caisse) pour 5 318,17€ HT : il est produit un décompte de la BNP PARIBAS LEASE GROUP pour ce montant, dont les premiers juges se sont contentés, toutefois la BNP PARIBAS LEASE GROUP indique qu’à réception du réglement elle adressera la facture acquittée correspondante, hors cette facture n’est pas produite, cette perte n’est en conséquence pas suffisamment justifiée et la décision sera infirmée sur ce point,

— une indemnité de rupture du contrat photocopieur équivallente aux loyers dus de la libération des lieux jusqu’à l’échéance du contrat soit 11 873,70€ HT: c’est à juste titre que les premiers juges ont considéré que l’échéancier produit était insuffisant à justifier du préjudice allégué,

— une indemnité pour résiliation de lignes téléphonique pour 611,40€ HT: il est justifié d’une facture de résiliation Orange Business services du 30 avril 2014 adressée à Madame A, comportant des pénalités de résiliation anticipée et des indemnités de résiliation du service Open pro partagé pour 3 lignes fixes et un Iphone, pour le montant réclamé, s’agissant d’abonnements professionnels la décision ayant admis cette demande sera confirmée sur ce point.

Il sera donc alloué au titre des pertes pour rupture de contrats la somme de 611,40€.

* frais divers et administratifs

L’expert a proposé une indemnité de 2 000€, que les premiers juges ont conformément à la demande de la SNC A portée à 10 781,05€ , montant contesté par la commune de TOULOUSE.

La SNC A qui demande à la cour de lui allouer la somme de 11 000€ fait valoir à juste titre qu’elle est en droit d’obtenir remboursement des frais résultant de l’éviction des locaux, la commune ne pouvant lui opposer sa décision de quitter les lieux qui est la conséquence de l’éviction, en revanche cette indemnité ne peut être allouée que sur présentation de justificatifs probants.

La somme réclamée est composée de :

— frais du crédit relais nécessaire à l’apurement des créances fournisseurs, sociales et fiscales dans l’attente du paiement de l’indemnité provisionnelle: 7 380€ HT,

— honoraires du notaire pour le crédit relais: 2 747,71€,

— honoraires de l’expert comptable pour frais de mise en sommeil: 353,40€HT,

— frais d’huissier pour constat et signification du délaissement : 300€ HT.

L’offre de prêt relais versée aux débats est éditée le 28 février 2014 au profit de la SNC A, pour un montant de 123 000€ sur une durée de 12 mois, l’objet étant la trésorerie dans l’attente de l’indemnité d’éviction, le prêt étant garanti par une hypothèque sur la maison dont Monsieur A est propriétaire à CAMPSAS.

L’indemnité provisionnelle de 300 000€ a été réglée le premier juillet 2014.

Les frais de notaire, d’huissier et d’expert comptable sont justifiés par les factures correspondantes,

en revanche les deux pages de l’offre de prêt versée de manière incomplète aux débats ne permettent pas à la cour de vérifier le bien fondé de la somme de 7 380€ réclamée, qui peut correspondre aux intérêts du prêt au taux de 6% sur un an, alors que le prêt a été formalisé le 3 avril 2014, et que les fonds pouvaient être remboursés 3 mois plus tard.

En conséquence la somme réclamée sera réduite à 1 845€, soit un total de 5 246,11€.

* récapitulation des indemnités accessoires

* indemnité de remploi : 50 888,87 €

* trouble commercial : 16 900€

* frais de déménagement : 872 €

* frais de réinstallation : 0 €

* frais de licenciement : 6 590 €

* VNC des immobilisations non amorties : 2.092,39 €

* pertes sur stock : 7 191,59 €

* rupture de contrats : 611,40€

* frais divers et administratifs : 5 246,11 €,

soit un total de 90 392,36€.

Sur l’article 700 du CPC et les dépens

La commune de Toulouse supportera les dépens de première instance incluant les frais d’expertise, en revanche la SNC A supportera les dépens exposés par les parties en cause d’appel, l’équité justifiant la réduction à 5000€ de la somme qui lui a été allouée au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirmant partiellement la décision déférée, et statuant à nouveau,

Condamne la commune de Toulouse à verser à la SNC A ET FILS une indemnité principale d’éviction de 508 808,72€ et une indemnité accessoire totale de 90 392,36€, ainsi décomposée :

* indemnité de remploi : 50 888,87 €

* trouble commercial : 16 900,00€

* frais de déménagement : 872,00 €

* frais de réinstallation : 0 €

* frais de licenciement : 6 590,00 €

* VNC des immobilisations non amorties : 2 092,39 €

* pertes sur stocks : 7 191,59 €

* rupture de contrats : 611,40€

* frais divers et administratifs : 5 246,11 €,

Dit n’y avoir pas lieu à réactualiser les sommes,

Condamne la commune de Toulouse aux dépens de première instance incluant les frais d’expertise,

Condamne la SNC A ET FILS aux dépens exposés par les parties en cause d’appel,

Condamne la commune de Toulouse à payer à la SNC A ET FILS la somme de 5.000€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président,

J. BARBANCE-DURAND F. PENAVAYRE

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Cour d'appel de Toulouse, 2ème chambre, 11 décembre 2019, n° 18/01484