Cour d'appel de Versailles, 9e chambre, 17 septembre 2003

  • Brevets et modèles·
  • Abus de confiance·
  • Action civile·
  • Action pénale·
  • Escroquerie·
  • Complicité·
  • Tentative·
  • Brevet·
  • Sociétés·
  • Partie civile

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 9e ch., 17 sept. 2003
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Décision(s) liée(s) :
  • Cour d'appel de Paris, 1 février 2001
  • Cour d'appel de Paris, 6 mai 2002
  • Tribunal correctionnel, 20 avril 2000
  • Tribunal de grande instance de Paris, 11 juillet 2003
  • 2000/13907
Domaine propriété intellectuelle : BREVET;DESSIN ET MODELE
Référence INPI : B20030154
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Texte intégral

FAITS ET PROCEDURE Par ordonnance en date du 14 décembre 1998, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris :

- Monsieur G pour avoir à Paris, entre le 17 juillet 1991 et 1993, frauduleusement soustrait les supports matériels (documents, écrits, schémas, tableaux descriptifs de toutes sortes), des connaissances, informations, études, savoir, recherches faites chez L’OREAL dans le cadre de ses fonctions salariales ayant abouti aux dépôts de brevets (concernant une capsule distributeur, un système de bouchage service à bec verseur, un habillage à écrou…). et ce au préjudice de la société L’OREAL (8 brevets déposés du 05 septembre 1991 au 30 mai 1992) ;

- Madame M, épouse G pour, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, s’être rendue complice, par aide ou assistance, en fournissant son nom (MOREL) ou la structure d’une société SCEE ou SCOPIC pour déposer les brevets, des délits de vol reprochés à Monsieur G ;

- Mademoiselle G pour, dans les mêmes circonstances de temps et de lieu, s’être rendue complice, par aide ou assistance, en fournissant la structure d’une société SCEE ou SCOPIC pour déposer les brevets, des délits de vol reprochés à Monsieur G ; Faits prévus et punis par les articles 379, 401, 59, 60 de l’ancien Code pénal ; 311-1 et suivants, 121-6 et 121-7 du Code pénal ; Par acte en date du 21 décembre 1999, la société L’OREAL a en outre fait citer M. G, Mme M, épouse G, et Mlle G devant le tribunal correctionnel de Paris pour les délits de vol, prévu et réprimé par l’article 311-1 du code pénal et l’article 379 de l’ancien code pénal, pour violation de secrets de fabrique, prévu et réprimé par l’article L. 152-7 du code du travail et l’article 418 de l’ancien code pénal, pour corruption, prévu et réprimé par l’article 152-6 du code du travail et les articles 177 et 179 de l’ancien code pénal, pour escroquerie, prévu et réprimé par l’article 313-1 du code pénal et l’article 405 de l’ancien code pénal et pour tentative de ces délits, ces faits concernant 54 brevets d’invention et 36 modèles. La société SCE, anciennement SCEE, a été citée en qualité de civilement responsable de son gérant Mlle Agnès G ; La société L’OREAL demandait qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle se réservait de réclamer réparation du préjudice causé, dans le cadre de la procédure civile, pendante devant la 3e chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris ; elle sollicitait une somme de 200 000 francs, en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale ; Par jugement contradictoire en date du 20 avril 2000, le tribunal correctionnel de Paris :

— a ordonné la jonction des deux procédures référencées sous les numéros 9421320013 et 9936402778 issues de l’ordonnance de renvoi du 14 décembre 1998 et de la citation directe du 21 décembre 1999, statuant par un seul et même jugement,
- a relaxé M. G, Mlle G et Mme M, épouse G, des faits qualifiés de vol,
-a constaté l’extinction de l’action publique par autorité de la chose jugée à l’encontre des mêmes prévenus des chefs de violation de secrets de fabrique, corruption et escroquerie,
- a débouté la partie civile de toutes ses demandes,
- a mis hors de cause la SARL SCE. Le 28 avril 2000, la société L’OREAL a seule interjeté appel des dispositions civiles du jugement. Par arrêt en date du 1er février 2001, la Cour d’appel de Paris a confirmé en toutes ses dispositions civiles le jugement du tribunal de grande instance. Par acte en date du 07 février 2001, la partie civile a formé un pourvoi contre l’arrêt de la Cour d’appel de Paris. Par arrêt en date du 06 mai 2002, la Cour de Cassation a cassé et annulé partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en ses seules dispositions relatives aux délits de vol, d’abus de confiance, d’escroquerie, de tentative et de complicité de ces délits et a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles. I – SUR LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ DE L’ACTION DE L’OREAL Le 15 mai 1962, M. G a été embauché par L’OREAL en qualité d’ingénieur salarié ; il était chargé de la coordination des services usine pour le lancement de nouveaux produits. A partir du 27 février 1989, il a occupé le poste de Directeur de la Créativité Avancée Packaging qui avait en charge le développement des composants packaging permettant de réaliser de nouveaux emballages dans le domaine des cosmétiques. Au cours de ces différentes fonctions, M. G a réalisé de très nombreuses inventions pour lesquelles la société L’OREAL a déposé des brevets, le mentionnant comme inventeur. Courant juin 1994, la société L’OREAL a eu connaissance qu’entre 1984 et 1992, 54 brevets dans le domaine du conditionnement de produits cosmétiques avaient été déposés avec pour inventeurs et demandeurs :

- Mme Simone M, épouse G,
- Mlle Agnès G, fille de M. G
- Mme Marthe L, épouse M, secrétaire de M. G au sein de la société L’OREAL

— M. Patrick S, neveu de M. G
- Mme Catherine C, belle-fille de Mme L
- M. Pascal L, neveu de M. G
- une SA, la SCEE dont le Président -directeur général est Mlle G ; Les sociétés EATON Service, PLASTIGAM et SCOPIC concédaient des licences, des brevets et des modèles à des industriels fournisseurs d’emballage, lesquels traitaient avec L’OREAL ; Les produits ainsi brevetés seraient, selon L’OREAL, la description fidèle des projets sur lesquels M. G travaillait au sein de la société L’OREAL. Le 19 juillet 1994, L’OREAL a déposé plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de M. G des chefs de violation de secrets de fabrique, d’abus de confiance portant sur 55 brevets et 33 modèles et contre X pour complicité de ces infractions ; le 21 décembre 1999, elle a fait citer M. G, Mme M, épouse G, et Mlle G devant le tribunal correctionnel de Paris pour des faits qualifiés de vol, de violation de secrets de fabrique, de corruption, d’escroquerie et tentative de complicité de ces infractions, portant sur 54 brevets d’invention et 36 modèles. Devant la Cour, les prévenus ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité de l’action civile et des demandes de la société L’OREAL :

- ils invoquent l’exception d’irrecevabilité de l’action civile tirée de l’extinction de l’action publique en faisant valoir que si la Cour était compétente pour juger des conséquences dommageables d’une faute non intentionnelle pour laquelle une décision de relaxe a été prononcée, elle ne pouvait, en l’espèce, apprécier les faits reprochés aux prévenus qui résulteraient d’une faute intentionnelle ;

- ils font valoir en outre que la société L’OREAL devait respecter le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil et qu’ainsi, la relaxe au pénal des prévenus pour des délits intentionnels interdisait de rechercher la responsabilité civile des prévenus ; la demande de la partie civile serait donc irrecevable ;

- les prévenus soutiennent encore qu’ils ne connaissent pas le fondement de droit des demandes de la société L’OREAL, ce qui méconnaîtrait les dispositions de l’article 15 du nouveau code de procédure civile, applicable en l’espèce, puisque l’action publique n’est plus en cause ; l’action de la partie civile serait donc irrecevable ;

- la demande de la partie civile à l’encontre de la société SCE, citée en qualité de civilement responsable serait également irrecevable dès lors que ses dirigeants (M. … et Mme C) n’ont pas été personnellement mis en cause dans la procédure et que Mlle G, responsable de la société depuis 1992, n’a pas été mise en examen en qualité de dirigeant de cette société, mais à titre personnel ;

— enfin, la demande de la partie civile serait irrecevable, sur le fondement de l’article L.511-1 du code du travail au motif que seul le Conseil des prud’hommes serait compétent pour juger le conflit opposant M. G, salarié, à son ancien employeur, la société L’OREAL ; Or, il a été jugé par le Conseil des prud’hommes, le 20 mars 2003, que le licenciement de M. G pour faute avait été prononcé à tort et la société L’OREAL n’avait alors formé aucune demande reconventionnelle ; La partie civile a conclu au rejet de ces exceptions.

DECISION I – SUR LES EXCEPTIONS D’IRRECEVABILITÉ SOULEVÉES PAR LES PRÉVENUS Il résulte des pièces de procédure que M. Antonin G a été mis en examen par le juge d’instruction, saisi à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile, déposée par la société L’OREAL, pour violation de secrets de fabrique et abus de confiance ; que son épouse Mme Simone M épouse G et sa fille Mlle Agnès G et son ancienne secrétaire, Mme Marthe L, ont été mises en examen pour complicité de ces délits ; à l’issue de l’information, après avoir prononcé une ordonnance de non lieu à l’égard de Mme L, le juge d’instruction, après avoir requalifié les faits d’abus de confiance, a renvoyé M., Mme, Mlle G devant le tribunal correctionnel des chefs de vol et de complicité de vol mais a omis de se prononcer sur les faits poursuivis sous la qualification de violation de secrets de fabrique et complicité qui leur étaient reprochés ; La société L’OREAL a en outre fait citer les trois prévenus des chefs de vol, violation de secrets de fabrique, corruption passive par salarié, escroquerie, tentative et complicité de ces délits ; Il a été définitivement jugé par la Cour de Cassation, dans son arrêt du 06 mai 2002, que la responsabilité des prévenus du chef de violation de secret de fabrique et complicité de ce délit ne pouvait plus être recherchée ; de même, selon la Cour de Cassation, la Cour d’appel de Paris a souverainement apprécié que la preuve des faits de corruption passive à l’encontre de M. Antonin G, corruption active à la charge de Mlle Agnès G et complicité de ce délit à la charge de Mme Simone G n’était pas rapportée ; Il appartient dès lors à la Cour de Versailles, Cour de renvoi après cassation de l’arrêt de la Cour de Paris, dès lors que la décision de relaxe prononcée par le tribunal de Paris est définitive en raison de l’absence d’appel du Parquet de rechercher si les éléments constitutifs des délits de vol, d’abus de confiance, d’escroquerie, tentative et complicité,

sont réunis au vu des faits reprochés aux prévenus dans l’ordonnance de renvoi et dans la citation directe, alors même que la partie civile ne formule aucune demande de dommages-intérêts à l’encontre des prévenus ; En effet, s’il est vrai que l’action publique ne saurait être mise en cause par la société L’OREAL, seule appelante, et que la Cour ne peut prononcer aucune peine à l’encontre des prévenus, la Cour d’appel doit néanmoins rechercher, à la demande de la partie civile, en faisant application des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale si les faits qui lui sont déférés, tant par ordonnance de renvoi que par la citation directe, constituent ou non une infraction pénale, même intentionnelle, donner aux faits leur véritable qualification et décider sur l’action civile, notamment du bien-fondé de la constitution de partie civile de la société L’OREAL ; Les exceptions d’irrecevabilité soulevées par la défense, tirées de l’autorité de la chose jugée, de l’application du nouveau code de procédure civile et du code du travail seront dès lors rejetées ; II – SUR L’EXCEPTION D’IRRECEVABILITÉ SOULEVÉE PAR LA SOCIÉTÉ SCE, CITÉE EN QUALITÉ DE CIVILEMENT RESPONSABLE DE SON GÉRANT, MLLE AGNÈS G Dans son arrêt du 06 mai 2002, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, statuant sur le pourvoi de la société L’OREAL, a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, en date du 1er février 2001, « en ses seules dispositions relatives aux délits de vol, abus de confiance, escroquerie, tentative et complicité, toutes autres dispositions étant expressément maintenues » ; Il en résulte que la cassation ainsi prononcée ne s’étend pas aux dispositions de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris ayant confirmé la mise hors de cause de la SARL SCEE, devenue SCE, prononcée par le tribunal, aucun moyen du pourvoi produit par la société L’OREAL ne concernant au demeurant la société SCEE, initialement citée en qualité de civilement responsable de Mlle Agnès G ; Il y a lieu dès lors de considérer que la Cour de renvoi n’est plus saisie d’une quelconque demande à l’encontre de la société SCE (anciennement SCEE), définitivement déclarée hors de cause ; la demande de la société L’OREAL à son encontre sera déclarée irrecevable ; III – AU FOND L’ordonnance de renvoi a déféré au tribunal des faits de vol de supports matériels (documents écrits, schémas, tableaux descriptifs), de connaissances, d’informations, d’études, de savoir, de recherches faites dans le cadre des fonctions salariales de M. Antonin G commis à l’occasion de 8 brevets d’invention, demandés après le 17 juillet 1991, date retenue pour la prescription de l’action publique ;

La citation directe délivrée par L’OREAL fait grief à M. G d’avoir, avec son épouse, M Simone MOREL G et sa fille Agnès imaginé un véritable système destiné à détourner à leur profit des informations et le fruit des recherches de la société L’OREAL dans le domaine du conditionnement des produits cosmétiques, d’avoir fait déposer des brevets d’invention et des modèles au nom de ses proches ou de sociétés écrans pour des inventions ou des créations appartenant à la société L’OREAL puisqu’elles avaient été réalisées par M. G dans ses fonctions de salarié de la société L’OREAL, d’avoir concédé des licences, des brevets ou des modèles à des tiers industriels fournisseurs d’emballage et d’avoir fait acquérir ou tenté de faire acquérir ces produits par la société L’OREAL auprès des fabricants licenciés, lesquels payaient des redevances aux sociétés écrans ou aux proches de M. G ; La partie civile relève que M. G a utilisé des prête-noms et des sociétés écrans pour déposer des brevets et modèles et concéder des licences et éviter l’attention des services de veille technologique de la société L’OREAL ; il se serait ainsi servi de son épouse sous son nom de jeune fille MOREL. de sa belle-soeur, de son neveu Patrick S, de sa fille Agnès, du fiancé de sa fille Pascal L, de sa secrétaire Mme M, de la belle-fille de Mme M CHARLES, Mme Catherine C, des sociétés écrans, la société SCEE, dirigée par M CHARLES puis par Mlle Agnès G et des sociétés EATON SERVICE, PLASTIGAM, SCOPIC ; M. G aurait joué un rôle déterminant dans ce système puisqu’il savait parfaitement que les brevets déposés par ses prête-noms correspondaient à des innovations répondant aux attentes des services de marketing de la société L’OREAL ; il aurait incité les services de la société à s’approvisionner en produits licenciés et aurait assuré aux industriels que les produits licenciés seraient achetés par L’OREAL. La partie civile a souligné à l’occasion de plusieurs exemples la simultanéité et l’identité des plans établis au sein du service de la société L’OREAL dirigé par M. G et de ceux utilisés lors du dépôt du brevet d’invention par un proche de ce dernier. Elle a considéré que ces faits qui portent sur 55 brevets et 36 modèles doivent être qualifiés d’abus de confiance, d’escroquerie et de tentative d’escroquerie et ne sont pas prescrits ; La partie civile sollicite que les trois prévenus soient déclarés coupables de ces délits, qu’il lui soit donné acte de ce qu’elle se réserve de demander réparation de son préjudice dans le cadre de la procédure civile pendante devant le tribunal de grande instance de Paris ; Elle a sollicité la condamnation des prévenus au paiement d’une somme de 100 000 euros, en application de l’article 475-1 du code de procédure pénale ; La défense rappelle que la société L’OREAL a été condamnée à plusieurs reprises dans cette affaire, dans des procédures l’opposant à M. G, notamment pour non paiement de l’indemnité compensatrice de non-concurrence, pour non paiement de la rémunération supplémentaire en qualité d’inventeur-salarié ; elle a en outre assigné la société SCE en revendication de brevets dans le but d’inscrire auprès de l’INPI, sous chaque brevet revendiqué, l’existence d’une procédure pendante, afin de décourager tout tiers d’accepter de contracter avec la société SCE ; enfin, l’absence de faute commise par M. G dans

l’exécution de son contrat de travail a été reconnue le 20 mars 2003 par le Conseil des Prud’hommes de Paris ; M. G soutient qu’il n’a jamais eu de mission de veille technologique et que l’article 6 de son contrat de travail relatif à la non-divulgation des formules et des projets de fabrication de la société L’OREAL ne concernait en rien l’activité packaging ; En outre, il n’a jamais eu de quelconque pouvoir décisionnel dans les achats et approvisionnements de L’OREAL, cette mission étant confiée à la direction générale des achats, totalement distincte de la direction générale technique dans laquelle travaillait M. G ; Les prévenus invoquent en outre la prescription de tous les faits antérieurs au 17 juillet 1991 ; ils ajoutent que l’expertise diligentée par M. G à la demande du magistrat instructeur a démontré que la société SCE détenait des antériorités incontestables sur les produits revendiqués par la société L’OREAL, ou que le dispositif était tombé dans le domaine public et accessible à tous. Ils évoquent l’analyse faite par l’expert, brevet par brevet, démontrant soit l’antériorité des travaux de la société SCE, soit l’existence de techniques tombées dans le domaine public, soit enfin la mise au point de techniques opposées ; ils sollicitent le débouté de la partie civile et la condamnation de la société L’OREAL à lui verser la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ; la société SCE sollicite la somme de 7000 euros sur le même fondement ; MOTIFS DE LA COUR Le comportement reproché à M. G par la partie civile, à savoir, l’appréhension de documents, plans, informations concernant des produits faisant l’objet d’études ou d’inventions au sein de la société L’OREAL, le dépôt par des prête-noms et par des sociétés écrans de brevets à l’insu de la société L’OREAL portant sur des inventions réalisées par M. G dans l’exécution de son contrat de travail est constitutif du seul abus de confiance commis par un salarié. IV – SUR LA PRESCRIPTION
- En ce qui concerne le délit d’abus de confiance, -qualification écartée par l’ordonnance de renvoi mais dont la partie civile avait sollicité l’application en soutenant qu’il appartenait au juge du fond d’examiner les faits sous toutes leurs qualifications – le point de départ de la prescription se situe au moment où le détournement est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ; En l’espèce, il résulte des éléments du dossier que la société L’OREAL ne pouvait avoir connaissance des détournements des informations, des plans et documents, commis par M. G, son salarié, lors du dépôt des brevets à l’INPI concernant les différents objets visés par la prévention (capsule, bouchon, mélangeur…), dès lors que les brevets mentionnaient

pour demandeur et pour inventeur des sociétés ou des individus qui, en apparence, n’avaient aucun lien avec M. G et qu’une telle dissimulation, à la supposer établie, avait précisément pour but d’empêcher la société L’OREAL de faire tout rapprochement avec son salarié ; il ya lieu dès lors de considérer qu’à la date du dépôt de la plainte de la société L’OREAL, le 19 juillet 1994, notamment pour abus de confiance, faits pour lesquels M. G, Mme Simone M épouse G et Mlle Agnès G ont été respectivement mis en examen, du chef d’abus de confiance pour le premier et de complicité d’abus de confiance pour les autres, l’ensemble des faits qui leur sont reprochés sous ces qualifications n’étaient pas prescrits ;

- En ce qui concerne les délits d’escroquerie ou tentative d’escroquerie qui, selon la citation directe délivrée par la société L’OREAL, résultaient de ce qu’après avoir fait déposer des brevets d’invention ou modèles par des prête-noms, Mme G et Mlle G, ou des société écrans, M. G aurait déterminé ou tenté de déterminer la société L’OREAL à s’approvisionner en produits couverts par ces brevets ou modèles auprès de tiers indépendants auxquels ces prête-noms et sociétés écrans avaient concédé des licences d’exploitation, il convient de relever que le point de départ du délit d’escroquerie se situe au jour de la remise des fonds, conséquences des manoeuvres frauduleuses, et que lorsque les remises sont la conséquence d’une opération délictueuse unique, l’ensemble des faits ne se prescrit qu’à compter de la date de la dernière remise ; En l’espèce, la partie civile soutient qu’elle continue à payer postérieurement au 17 juillet 1991 des :

-1) sticks ovales à bouton de verrouillage Vichy déposé le 30 novembre 1990 sous le n° de brevet 9015039, au nom de Mme Marthe L, par l’intermédiaire de la société LAPAC, à laquelle la société SCEE a concédé la licence d’exploitation du brevet ; la société L’OREAL aurait acheté à la société LAPAC environ 7 400 000 unités, le montant de la redevance payée par LAPAC à M LUCAS s’élevant à 0, 25 francs par stick ;

-2) sur un stick liquide à dôme poreux présenté en juin 1992 par M. G à la société L’OREAL comme provenant de la société AMS / KERPLAS, le brevet appartenant à Mme Simone M épouse G qui en a concédé la licence à la société SCEE ; le projet aurait échoué pour des raisons indépendantes de la volonté de M. G ; il s’agirait donc d’une tentative d’escroquerie ; ces faits sont postérieurs au 17 juillet 1991 et doivent être déclarés non prescrits ;

-3) sur le mélangeur de coloration, la société KERPLAS aurait proposé à la société L’OREAL, en 1992, un type de conditionnement « tout en un » pour les produits de coloration alors que des recherches sur ce sujet étaient en cours à la société L’OREAL depuis 1985 et qu’une dizaine de brevets avaient été déposés par la société jusqu’en 1991 ; or, le produit proposé par la société KERPLAS était couvert par deux demandes de brevets déposés le 31 mars 1992 par la société SCEE et par un brevet de la société SCOPIC ; le lancement du produit KERPLAS n’avait pas été effectué, la société L’OREAL s’étant rendue compte de la tentative d’escroquerie dont elle faisait l’objet ; ces faits sont postérieurs au 17 juillet 1991 ;

-4) sur le stick pour lèvres à curseur, la prévention fait état d’une lettre de M. G du 15 juillet 1992 destinée à promouvoir ce stick dont le brevet d’invention avait été déposé par M LUCAS le 17 mai 1991 qui avait concédé une licence de ces brevets à la société PLASTIGAM, laquelle a elle-même conclu un contrat de licence exclusive de certains de ses brevets avec la société CONCEPT 3, qui aurait permis le paiement de redevances de la société PLASTIGAM, filiale à 100% de la société SCEE, M. G aurait commis une tentative d’escroquerie ; ces fait sont postérieurs au 19 juillet 1991 et donc pas couverts par la prescription ;

-5) sur le bec verseur, la partie civile fait état d’un brevet qui aurait été déposé le 29 juin 1987 par la société SCEE avec pour inventeur désigné M. Patrick S, alors que M. O, lui- même porteur de parts de la société SCEE, aurait proposé ce produit à la société L’OREAL. En l’espèce, la partie civile ne rapporte nullement la preuve que des actes ou remises de fonds relatifs à ce produit aient été commis postérieurement au 19 juillet 1991, il convient dès lors de constater l’extinction de l’action publique en ce qui concerne ces faits de tentative d’escroquerie ;

-6) sur la capsule service dite « eaton », la partie civile soutient que l’escroquerie s’est poursuivie jusqu’en 1998, la société L’OREAL achetant à la société EATON SERVICE INTERNATIONAL.dont la SCEE détient 50%, des capsules couvertes par des brevets déposés sous le nom de l’épouse de M. G, Mme M, qui n’était qu’un prête-nom ; des remises d’argent étant intervenues postérieurement au 19 juillet 1991, ces faits ne sont donc pas prescrits ;

-7) sur la bague operculée NIOB, la partie civile fait état d’un brevet qui aurait été déposé le 28 mars 1989 par M. Patrick S, neveu de M. G, mais ne rapporte nullement la preuve de ce que des actes ou remises de fonds relatifs à ce produit aient été commis postérieurement au 19 juillet 1991 ; il convient dès lors de constater l’extinction de l’action publique en ce qui concerne ces faits ; Il résulte de l’ensemble de ces éléments que les faits d’abus de confiance et de complicité d’abus de confiance reprochés aux prévenus ne sont pas prescrits, qu’il en va de même pour les cinq produits pour lesquels il est démontré par la partie civile qu’elle continue à verser des redevances aux proches de M. G ; V – SUR LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DES DÉLITS D’ABUS DE CONFIANCE ET DE COMPLICITÉ D’ABUS DE CONFIANCE REPROCHÉS AUX PRÉVENUS M. Antonin G était salarié de la société L’OREAL depuis 1962 en vertu d’un contrat de travail qui stipulait expressément en son article 6 que « la divulgation… en général de toutes les opérations ou études de L’OREAL serait de nature à causer à celle-ci un préjudice considérable » et en son article 7 que celui-ci "s’engageait à ne faire aucune révélation sur ce qu’il aura vu ou appris pendant son séjour à L’OREAL touchant les fabrications ou procédés qui y auraient été employés ou étudiés, … à n’emporter aucune note, document ou copie concernant les opérations de L’OREAL… toutes les lettres, p a

preis, carnets etc… sur lesquels de tels renseignements seraient portés deviendraient immédiatement et resteraient la propriété de la société." Or, il résulte des éléments du dossier, notamment de l’absence de compétence des inventeurs dans le domaine du conditionnement de produits cosmétiques et d’hygiène, mentionnés sous cette qualité lors du dépôt des 54 brevets déposés entre 1984 et 1992, des liens qu’ils avaient tous avec M. G, des propres déclarations de ceux-ci, de la simultanéité des recherches effectuées par les services de la société L’OREAL à la même époque et dans le même domaine et du dépôt des brevets au nom de sociétés écrans, que ce dernier a détourné les plans, documents, dessins, informations dont il avait connaissance dans le cadre de son travail de salarié, à des fins étrangères à l’intérêt de la société L’OREAL, contrairement à ses obligations, en permettant le dépôt à l’INPI de 54 brevets au profit de société écrans ; En effet, Mme Simone M, épouse de M. G, était titulaire d’un brevet élémentaire et avait bénéficié d’un apprentissage de couture ; Mme Marthe L épouse M, secrétaire de M. G chez L’OREAL, avait une formation de sténodactylo ; M. Patrick S, neveu de M. G, était technicien et avait été employé dans une imprimerie ; M. D, qui avait une formation de technicien, a admis avoir été employé au sein de la société SCEE grâce à M. G et avoir assumé la gérance des sociétés PLASTIGAM et SCE de façon fictive ; M. M, mécanicien, a admis ne rien connaître aux procédures de brevets ; M. Pascal L, concubin de Mlle G, avait une formation de photographe ; Il convient enfin de relever que M. G, qui connaissait parfaitement les obligations qui résultaient de son contrat de travail, lesquelles lui interdisaient d’utiliser les informations dont il disposait à des fins étrangères à l’intérêt de la société L’OREAL, a pris soin de ne jamais faire apparaître le nom de son épouse ou de sa fille comme inventeur pour éviter d’attirer les soupçons de la société L’OREAL sur son comportement frauduleux ; Les éléments constitutifs du délit d’abus de confiance concernant les cinq brevets déposés par différentes sociétés-écrans entre 1984 et 1992 visés par la plainte avec constitution de partie civile de la société L’OREAL sont donc réunis à rencontre de M. G ; En acceptant d’être gérant de la société SCE qui constituait une simple société-écran, Mlle G a aidé son père à commettre l’abus de confiance qui lui est reproché ; De même, en acceptant de figurer sous son nom de jeune fille comme inventeur lors du dépôt des brevets, Mme M épouse G a participé à la réalisation de l’infraction commise par son époux ;

Les éléments constitutifs des délits de complicité d’abus de confiance concernant 54 brevets au préjudice de la société L’OREAL sont donc réunis à ('encontre de ces deux prévenues ; VI – SUR LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DES DÉLITS D’ESCROQUERIE, TENTATIVE ET COMPLICITÉ REPROCHÉS AUX PRÉVENUS En ce qui concerne les faits d’escroquerie, tentative d’escroquerie et complicité expressément visés par la citation directe et non prescrits, il est établi par les éléments du dossier relevés que M. G, lors de l’analyse des éléments constitutifs de l’abus de confiance, a eu recours à des proches sans compétence en la matière et à des sociétés- écrans telles que les sociétés SCEE, SCOPIC, PLASTIGAM pour déposer des brevets à l’INPI alors que ces brevets correspondaient à des recherches, inventions et créations appartenant à la société L’OREAL qu’il était amené à connaître ou à réaliser dans le cadre de ses fonctions salariées ; il résulte en outre des documents émanant de M. G et des notes produites par la partie civile que celui-ci, lorsque les brevets avaient été déposés, encourageait les services de la société L’OREAL à acheter les produits auprès des sociétés exploitant les brevets, ce qui permettait, lorsque ses conseils étaient suivis par le service des achats, aux sociétés SCEE, SCOPIC, PLASTIGAM, dans lesquelles il avait des intérêts, par l’intermédiaire de ses proches, de percevoir des redevances ; Un tel comportement caractérise les manoeuvres frauduleuses commises par le prévenu ayant déterminé la société L’OREAL à acquérir les produits brevetés et permettant pour le prévenu et ses proches la perception de redevances ; Les éléments constitutifs du délit d’escroquerie sont réunis à l’encontre de M. G ; lorsque ces manoeuvres ont échoué pour des raisons indépendantes de la volonté du prévenu et que la société L’OREAL n’a pas acheté les produits, les faits doivent être qualifiés de tentative d’escroquerie ; En aidant M. G à mettre au point ce système, en lui permettant d’utiliser son nom comme inventeur de nombreux brevets, Mme M épouse G s’est rendue coupable de complicité d’escroquerie et de tentative d’escroquerie en acceptant de diriger la société SCEE, société-écran qui déposait en son nom des brevets provenant d’informations et d’inventions appartenant à la société L’OREAL, et en touchant les redevances des brevets dont la société SCEE concédait l’exploitation à des tiers, Mlle Agnès G s’est rendue coupable de complicité d’escroquerie. PAR CES MOTIFS : LA COUR, Statuant publiquement, et contradictoirement, Vu l’arrêt de la Cour de Cassation en date du 06 mai 2002, DECLARE recevable en la forme l’appel de la partie civile,

REJETTE les exceptions d’irrecevabilité de l’action civile de la société L’OREAL, soulevées par les prévenus, DIT que la société SCE, anciennement SCEE, citée en qualité de civilement responsable de Mlle Agnès G, a été définitivement déclarée hors de cause, DECLARE irrecevables les demandes présentées à son encontre par la société L’OREAL, DIT que l’ensemble des faits reprochés aux prévenus sous les qualifications de vol et complicité de vols et abus de confiance et de complicité d’abus de confiance doivent être analysés sous la seule qualification d’abus de confiance, REJETTE l’exception de prescription concernant ces faits, REJETTE l’exception de prescription relative aux faits poursuivis sous la qualification d’escroquerie, de tentative d’escroquerie et complicité d’escroquerie, à l’exception de ceux concernant le bec verseur faisant l’objet d’un brevet déposé le 29 juin 1987 et de ceux concernant la bague operculée NIOB faisant l’objet d’un brevet déposé le 28 mars 1989, DIT que les éléments constitutifs des délits d’abus de confiance, d’escroquerie et tentative d’escroquerie au préjudice de la société L’OREAL sont réunis à rencontre de M. G, DIT que les éléments constitutifs des délits de complicité d’abus de confiance, d’escroquerie et de tentative d’escroquerie au préjudice de la société L’OREAL sont réunis à rencontre de Mme Simone M épouse G, DIT que les éléments constitutifs des délits de complicité d’abus de confiance, d’escroquerie et tentative d’escroquerie, au préjudice de la société L’OREAL, sont réunis à l’encontre de Mlle Agnès G, DONNE ACTE à la partie civile de ce qu’elle se réserve de demander réparation du préjudice causé dans le cadre de la procédure civile, CONDAMNE chacun des prévenus à payer à la partie civile la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Versailles, 9e chambre, 17 septembre 2003