Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 8 octobre 2020, n° 18/04407

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 11e ch., 8 oct. 2020, n° 18/04407
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 18/04407
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Nanterre, 25 septembre 2018, N° 17/00661
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 OCTOBRE 2020

N° RG 18/04407 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SXHV

AFFAIRE :

Z X

C/

SAS EVANCIA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Septembre 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 17/00661

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Camille POULAIN

la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame Z X

née le […] à […]

de nationalité Française

Lanneven

[…]

Représentant : Me Camille POULAIN, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

SAS EVANCIA

N° SIRET : 447 818 600

[…]

[…]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 – N° du dossier 1860589 – Représentant : Me Jean-Jacques FOURNIER de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 727 substitué par Me Lucie QUEROL, avocat au barreau de LYON

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 04 Septembre 2020 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

Le 20 août 2012, Mme Z X était embauchée par la SA Evancia en qualité de directrice de crèche par contrat à durée indéterminée.

A partir du 21 décembre 2015, Mme X faisait l’objet d’un arrêt maladie.

Par avis du 23 février 2016, la salariée était déclarée inapte à son poste et à tout poste dans l’entreprise à l’issue d’une seule visite, en raison d’une situation de danger immédiat.

Le 6 avril 2016, l’employeur la convoquait à un entretien préalable en vue de son licenciement. L’entretien avait lieu le 15 avril 2016. Le 20 avril 2016, il lui notifiait son licenciement pour inaptitude.

Le 17 mars 2017, Mme Z X saisissait le conseil de prud’hommes de Nanterre en contestation de son licenciement.

Vu le jugement du 26 septembre 2018 rendu en formation paritaire par le conseil de prud’hommes de Nanterre qui a :

— dit que le licenciement de Mme Z X repose sur une cause réelle et sérieuse ;

— débouté Mme Z X de l’ensemble de ses demandes ;

— débouté la société Evancia de sa demande reconventionnelle ;

— condamné Mme Z X aux dépens.

Vu la notification de ce jugement le 9 octobre 2018.

Vu l’appel régulièrement interjeté par Mme Z X le 22 octobre 2018.

Vu les conclusions de l’appelante, Mme Z X, notifiées le 26 juin 2020, soutenues à l’audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de :

— infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté Mme Z X de l’ensemble de ses demandes ;

— infirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a condamné Mme Z X aux dépens ;

— confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a débouté la société Evancia de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant de nouveau ;

— juger le licenciement de Mme Z X est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

— condamner la société Evancia à payer à Mme X les sommes suivantes :

—  38 000 euros net à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

—  11 392,80 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

—  1 139, 28 euros de congés payés afférents ;

A titre subsidiaire sur ce point :

—  11 392,80 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

—  1 139, 28 euros de congés payés afférents ;

En tout état de cause,

— juger que la société Evancia a manqué à son obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de Mme Z X ;

— juger que la convention de forfait jours à laquelle était soumise Mme Z X est nulle ;

— juger que la convention de forfait jours de Mme Z X est privée d’effets ;

En conséquence,

— condamner la société Evancia au versement des sommes suivantes :

—  15 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat ;

—  36 920 euros brut de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées et non réglées ;

—  3 692 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de congés payés sur heures supplémentaires ;

—  11 900 euros à titre d’indemnité en raison de l’absence de contrepartie obligatoire en repos des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent légal de 220 heures ;

—  22 785,60 euros net à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé (L. 8221-5 du code du travail) ;

—  3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la société Evancia à verser à Mme Z X les intérêts au taux légal avec capitalisation à compter de la réception de la convocation en bureau de conciliation par la société intimée ;

— condamner la société Evancia au paiement des entiers dépens.

Vu les écritures de l’intimée, la société Evancia, notifiées le 30 juin 2020, soutenues à l’audience par son avocat, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé et par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de :

Sur le bien-fondé du licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement de Madame Mme Z X:

A titre principal,

— constater que Mme Z X n’apporte pas la preuve des manquements qu’elle invoque à l’encontre de la société Evancia,

— constater que la société Evancia a effectué des recherches loyales et sérieuses de reclassement, en proposant à Mme Z X les postes compatibles avec son état de santé,

— constater que la salariée souhaitait en réalité sortir des effectifs de l’entreprise pour se consacrer à son projet personnel.

En conséquence :

— confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Nanterre du 26 septembre 2018, en ce qu’il a :

— jugé que la société Evancia a respecté son obligation de sécurité de résultat,

— jugé qu’il n’y a pas lieu à l’octroi d’une indemnité compensatrice de préavis en cas de licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle,

— débouté Mme Z X de l’ensemble de ses demandes.

— condamné Mme Z X au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire,

Si par impossible votre cour considérait que le licenciement de Mme Z X devait s’analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il devra alors réduire le quantum des demandes excessives sollicitées par cette dernière au titre de la rupture de son contrat de travail.

— constater que Mme Z X n’apporte pas la preuve de son préjudice,

En conséquence :

— réduire le montant des dommages-intérêts alloués au minimum légal, soit à la somme de 22 785,60 euros (6 mois de salaire),

— débouter Mme Z X de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat, ou à tout le moins,

— réduire, à de plus juste proportion, le montant sollicité par la salariée.

— débouter Mme Z X de sa demande de versement de l’indemnité compensatrice de préavis en cas de licenciement pour inaptitude d’origine non professionnelle,

— débouter Mme Z X de sa demande de fixation du point de départ des intérêts légaux à compter de la réception de la convocation en bureau de conciliation, pour les demande indemnitaire.

Sur les demandes infondées de rappel de salaire, de contrepartie obligatoire en repos et de travail dissimulé formulées par Mme Z X:

A titre principal,

— constater l’opposabilité de la convention de forfait en jours conclu avec Mme Z X

— constater le caractère infondé de la demande indemnitaire forfaitaire pour travail dissimulé formulée par Mme Z X,

En conséquence :

— débouter la salariée de sa demande de rappel d’heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire en repos.

— débouter la salariée de sa demande indemnitaire pour travail dissimulé,

A titre subsidiaire,

— constater l’absence d’éléments de preuve permettant d’apprécier la réalité des heures supplémentaires prétendument réalisées par Mme Z X,

En conséquence :

— débouter la salariée de sa demande de rappel d’heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire en repos.

— débouter la salariée de sa demande indemnitaire pour travail dissimulé,

En tout état de cause,

— débouter Mme Z X de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Vu l’ordonnance de clôture du 6 juillet 2020.

SUR CE,

Sur l’exécution du contrat de travail

— Sur la nullité de la convention de forfait en jours

Mme X fait valoir que la convention de forfait en jours à laquelle elle a été soumise est nulle, dès lors que l’accord sur l’organisation du temps de travail du 14 novembre 2006 auquel son contrat

de travail se réfère ne prévoit aucune disposition relative aux modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés, de l’amplitude de leur journée d’activité et de la charge de travail qui en résulte. Elle ajoute que les garanties de l’accord du 13 décembre 2013 n’ont pas été respectées, dès lors notamment qu’aucun suivi de son temps de travail n’a été réalisé et qu’aucun entretien annuel relatif à sa charge de travail n’a été organisé.

La SAS Evancia répond que la convention de forfait en jours à laquelle Mme X a été soumise est bien prévue par un accord collectif d’entreprise, les accord sur l’organisation et l’aménagement du temps de travail des 14 novembre 2006 et 13 décembre 2013, qui contiennent des stipulations assurant la garantie du respect des durées raisonnables de travail, ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. L’employeur expose qu’une partie de l’entretien annuel d’appréciation est consacrée au bilan sur la charge de travail, l’organisation du travail et l’articulation entre vie personnelle et familiale et la rémunération. Il souligne qu’au cours de l’entretien annuel du 27 novembre 2015, Mme X a reconnu bénéficier des repos journaliers et hebdomadaires légaux. Il ajoute qu’en tout état de cause, Mme X était libre dans l’organisation de son temps de travail et qu’elle ne l’a jamais alerté sur la surcharge alléguée.

Subsidiairement, l’employeur indique ne jamais avoir demandé à la salariée d’effectuer des heures supplémentaires et que Mme X ne justifie d’aucun élément probant permettant d’apprécier la réalité des heures supplémentaires prétendument accomplies.

Il ressort du contrat de travail conclu par les parties le 26 juillet 2012 que Mme X a été soumise à une convention de forfait de 218 jours, le contrat faisant référence à « l’accord sur l’organisation et l’aménagement du temps de travail signé le 14 novembre 2006 ».

Cet accord a été appliqué à Mme X du 26 juillet 2013 jusqu’au 13 décembre 2013, date du nouvel accord sur le temps de travail qui s’est substitué à celui du 14 novembre 2006.

Or, les dispositions de cet accord, qui se bornent à prévoir, outre un décompte des jours travaillés par auto déclaration, que le salarié doit bénéficier d’un temps de repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives, d’un temps de repos hebdomadaire de 35 heures, dans le cadre d’un travail hebdomadaire de 6 jours maximum, ne sont pas de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé, dès lors qu’elles ne permettent pas à l’employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable.

Au surplus, la cour constate que nonobstant les stipulations de l’accord du 13 décembre 2013 qui prévoient, à l’article 4.2.1 l’organisation annuel d’un entretien du salarié avec son supérieur au cours duquel sont évoqués l’organisation, la charge de travail et l’amplitude des journées de travail, la SA Evancia ne justifie pas avoir permis à Mme X de bénéficier de ces entretiens. En effet, seuls deux comptes rendus d’entretien de développement et d’appréciation 2014/2015 et 2015 sont versés aux débats. Le premier du 2 avril 2015 ne comporte aucune partie relative au rythme et à la charge de travail, tandis que le second, du 27 novembre 2015, comporte une seule ligne de questions en lien avec cette thématique : « Avez-vous 11 h de repos journalier et 35 h de repos hebdomadaire ' Prenez-vous vos congés payés et vos jours de repos cadre ' », ce à quoi la salariée s’est contentée de répondre « oui ». Ces questions sont clairement insuffisantes à garantir un véritable contrôle de la charge de travail et de l’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle de la salariée. Le

recensement des jours travaillés sur les bulletins de paie n’est pas de nature à pallier cette carence.

Dans ces conditions, la convention de forfait en jours à laquelle Mme X a été soumise doit être déclarée nulle et donc inopposable à la salariée.

— Sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires

Mme X sollicite le paiement d’heures supplémentaires en indiquant avoir travaillé chaque jour, a minima, de 8 heures à 18 heures avec une pause déjeuner de 1 heure, soit 9 heures de travail quotidien. Elle réclame un rappel de salaire d’un montant de 36 920 euros au titre des heures supplémentaires, outre les congés payés, soit 3 692 euros.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif a’ l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarie’ de pre’senter, a’ l’appui de sa demande, des e’le’ments suffisamment pre’cis quant aux heures non re’mune’re’es qu’il pre’tend avoir accomplies afin de permettre a’ l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectue’es, d’y re’pondre utilement en produisant ses propres e’le’ments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Mme X explique avoir, à tout le moins, travaillé de 8 heures à 18 heures quotidiennement. Ainsi, la salariée présente des e’le’ments suffisamment pre’cis quant aux heures non re’mune’re’es qu’elle pre’tend avoir accomplies, permettant a’ l’employeur d’y re’pondre utilement.

S’il n’est effectivement pas établi que la SA Evancia a demandé à la salariée de réaliser des heures supplémentaires, cet élément est sans conséquence, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une condition légale ou contractuelle de paiement du rappel de salaire. Par ailleurs, la lecture de l’attestation de M. Y établit qu’il n’a pas visé l’amplitude horaire de 6h45 à 15h, mais celle de 6h45 à 19h, corroborant ainsi les dires de Mme X.

Au vu des éléments produits de part et d’autre, et sans qu’il soit besoin d’une mesure d’instruction, la cour dispose des éléments au sens du texte précité que Mme X a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées, qu’il convient d’évaluer à la somme de 17 000 euros, outre 1 700 euros au titre des congés payés afférents, que la SA Evancia sera condamnée à payer à la salariée.

Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.

— Sur le repos compensateur

Mme X expose que le contingent d’heures supplémentaires à retenir s’élève à 220 heures à défaut d’accord sur ce point. Elle réclame 11 900 euros de dommages et intérêts au titre des repos compensateurs qui ne lui ont pas été accordés.

Cependant, compte tenu des motifs précités et du volume d’heures supplémentaires ayant donné lieu à rappel de salaire, il apparaît que le contingent annuel de 220 heures n’a pas été dépassé, de sorte que la salariée doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

— Sur le travail dissimulé

Mme X réclame la somme de 22 785,60 euros de dommages et intérêts au titre du travail dissimulé, considérant que l’employeur ne pouvait ignorer les heures supplémentaires qu’elle accomplissait en étant présente de l’ouverture à la fermeture de la crèche.

La SA Evancia répond que le caractère intentionnel du travail dissimulé n’est pas établi.

Dès lors que Mme X était soumise à une convention de forfait en jours, le caractère intentionnel du délit de travail dissimulé n’apparaît pas caractérisé.

Sur la rupture du contrat de travail :

Mme X soutient que l’inaptitude à l’origine de son licenciement est la conséquence directe du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Elle explique avoir subi une surcharge de travail liée à l’absentéisme chronique de personnels au sein de la crèche, à laquelle l’employeur n’a pas remédié par l’embauche de personnels en nombre suffisant, malgré ses alertes répétées.

La salariée estime par ailleurs que l’employeur n’a pas procédé à une recherche de reclassement loyale et sérieuse, dès lors qu’il n’a pas transmis les informations suffisantes concernant les propositions de reclassement pour lui permettre de se prononcer de façon éclairée. Elle ajoute que d’autres postes que ceux qui lui ont été proposés étaient disponibles.

La SAS Evancia conteste tout manquement, indiquant que la salariée disposait d’une délégation de pouvoir pour embaucher du personnel, de sorte qu’il lui appartenait d’adapter le personnel de la crèche à la charge de travail. L’employeur relève que Mme X ne justifie pas l’avoir alerté sur la nécessité de recruter du personnel. Il ajoute qu’elle ne démontre pas l’existence d’un lien de causalité entre les manquements allégués et son état de santé, dès lors que les médecins, comme les parents se contentent de reprendre les dires de Mme X. Il précise que la salariée ne s’est jamais plainte de ses conditions de travail, notamment au cours de ses entretiens de développement et d’appréciation et qu’elle a fait l’objet d’un accompagnement et d’une aide dans l’exécution de ses missions. Il explique qu’en réalité Mme X souhaitait en réalité rompre son contrat de travail et a sollicité une rupture conventionnelle, qui lui a été refusée, pour reprendre un commerce en Bretagne auprès de sa famille.

Concernant l’obligation de reclassement, l’employeur rappelle avoir proposé quatre postes conformes aux préconisations du médecin du travail et permettant à la salariée de conserver ses conditions de

travail antérieures s’agissant notamment de ses fonctions et de sa rémunération. Il souligne que la référente des ressources humaines a demandé à Mme X de préciser les explications qu’elle souhaitait obtenir sans réponse de cette dernière. S’agissant des autres postes disponibles, il rappelle que le médecin du travail avait indiqué que seuls les postes de directrices d’EAJE étaient compatibles avec l’état de santé de la salariée.

Subsidiairement, l’employeur souligne qu’en cas de licenciement pour inaptitude, le salarié ne peut prétendre au préavis qu’il ne peut accomplir.

L’article L 4121-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose que « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. ».

Au soutien de ses dires, Mme X produit neuf attestations de collègues et de parents d’enfants accueillis au sein de la crèche, qui établissent que la salariée a dû faire face à un problème récurrent d’absentéisme qu’elle a été contrainte de pallier.

Ainsi, Monsieur F G, directeur adjoint de la crèche de septembre 2012 à juillet 2014, expose que :

« Au cours de l’exercice de mes fonctions, j’ai pu constater le professionnalisme et le

dévouement de Mme X face à des situations d’absentéisme assez récurrentes.

En effet, il ne se passait pas une semaine sans qu’il ne manque une ou plusieurs personnes dans l’effectif. Certes, Babilou nous faisait parfois parvenir une remplaçante mais la plupart du temps, nous devions, Mme X et moi-même, aller remplacer dans les sections ou à la cuisine ou aux tâches ménagères.

Ainsi, j’ai vu Mme X faire des horaires de grandes amplitudes (6h45 – 19h) afin d’assurer la sécurité des enfants mais aussi la bonne tenue hygiénique de l’établissement. Elle voulait absolument que ni les enfants ni les parents ne pâtissent des problèmes d’effectifs internes à la crèche, quitte à faire des heures supplémentaires. ».

Mme H I, auxiliaire de puériculture, explique que : « J’atteste avoir travaillé avec Mme Z X au sein de la crèche Babilou, Rueil Malmaison, pendant presque un an. Durant cette période, j’ai constaté que Mme X était régulièrement obligée de faire des heures supplémentaires de part sa charge de travail, le taux d’absentéisme important des professionnels ou encore les problèmes avec le matériel ».

Mme J K, animatrice petite enfance, confirme ces éléments puisqu’elle relate que :

« Très impliquée, elle était à l’écoute. Travailler pour l’établissement qu’elle dirigeait était un plaisir, malgré l’investissement personnel et l’énergie que cela demandait ('). Il lui a fallu faire elle-même le remplacement des postes à pourvoir ou des absences de personnel (vacances, formation, jours de récupération, congé maternité, congé maladie'). Recruter du personnel, cela demande du temps, former de nouvelles recrues aussi. Ainsi, Mme X, en plus de son poste de direction, en plus de la formation des grands débutants, devait assurer les remplacements de terrain en section auprès des enfants mais aussi assurer le travail en lingerie et celui de l’entretien des sols et souvent de cuisine en attendant le recrutement de l’agent collectif. Le manque de personnel en section pour assurer une continuité de soins suivis ne permettant pas le détachement d’une professionnelle ».

Cinq parents d’enfants confortent ces témoignages de manière circonstanciée:

— Mme L M certifie qu’à partir de l’arrivée de Mme X au sein de la crèche : « Nous avons pu constater que pendant une longue période, Mme X n’a pas eu d’assistant de direction, ce qui l’a incitée à être de plus en plus présente physiquement à la crèche afin d’assurer au mieux la sécurité et le bien-être de nos enfants. A l’ouverture et à la fermeture, elle était présente si nécessaire. De même, lors des absences parfois répétées des professionnels des différentes sections, Mme X a toujours fait en sorte d’être présente afin que les enfants ne soient pas perturbés, que nous, parents n’ayons pas d’inquiétude à avoir en partant travailler et que le reste de l’équipe n’en pâtisse pas ».

— Mme N O confirme qu’à partir de l’arrivée de Mme X au sein de la crèche, elle « s’est énormément investie dans son travail ('). Z a toujours été présente en section pour pallier au manque de personnel, ne comptant pas ses heures afin d’assurer la sécurité et l’accueil des enfants. Elle a parfois assuré le poste de directrice et d’adjointe en même temps, étant seule en direction ».

— M. P Q explique, pour la période courant de septembre 2012 à juillet 2015, que : « Mme X était présente à la crèche sur des plages horaires très larges (7h jusqu’à 19h30) très régulièrement afin de couvrir l’ouverture et la fermeture de la crèche. A plusieurs reprises, je l’ai vu faire le ménage alors qu’elle avait une défection de son personnel d’entretien. Mme X devait également être présente (tout au long des trois années que j’ai pu vivre avec cette crèche) très régulièrement en section, suite à des défections des professionnelles, afin d’assurer la sécurité et l’éveil de nos enfants, tout en assurant ses fonctions premières (par exemple, je ne me souviens pas de retard dans la facturation). Je tiens pour finir à insister également sur l’accueil que Mme X a toujours réservé aux enfants et aux parents avec bonne humeur et bienveillance et ce malgré une fatigue évidente due à sa surcharge de travail, elle-même due à l’accumulation de fonctions au sein de la crèche ».

— Mme Z R indique dans une attestation du 25 avril 2016 que « Mme Z X est la directrice de l’établissement que fréquente mon fils A depuis 2 ans et demi. Cette dernière était toujours présente et disponible. De nombreuses absences de personnel encadrant des enfants l’obligeaient à être présente sur des plages horaires importantes afin de compenser. ['] Longtemps seule à la Direction de la crèche, sans assistant(e), elle a dû pallier à des soucis administratifs + absences de personnel + cohésion équipe / parents + organisation événementiels (kermesse, déjeuner, journées d’informations, formation). Que de plus en une journée ! ».

— Mme S T U, dont le fils a fréquenté la crèche à partir du mois d’août 2013, atteste que : « Mme X, la directrice, s’est toujours rendue très disponible pour accueillir les familles. J’ai constaté à plusieurs reprises que Mme X était présente à l’ouverture et à la fermeture suite aux nombreuses absences du personnel afin d’assurer la sécurité des enfants dans les sections et respecter le taux d’encadrement réglementaire. De plus, lors de l’année 2014-2015, Mme X a du pallier l’absence d’un directeur adjoint pendant plusieurs mois ».

L’employeur soutient ne pas avoir été informé par Mme X de ces difficultés.

Pourtant, il ressort de l’entretien de développement 2014/2015 du 2 avril 2015 que même si Mme X est restée très positive sur son activité, elle a néanmoins clairement alerté l’employeur sur les problèmes liés à l’absentéisme au sein de la crèche : « l’accueil de Dorette avec l’absentéisme a parfois été difficile à gérer », « nous déplorons l’absence d’B … », « Problématique d’absentéisme sur la crèche. Z serait plus à l’aide pour les entretiens et la finalisation des rapports ».

Cette alerte est renouvelée dans le rapport d’entretien d’appréciation 2015 du 27 novembre 2015 puisque Mme X souligne avoir atteint son objectif essentiel de rédaction du projet d’établissement, malgré un « début d’année difficile, arrêt maladie longue durée des professionnelles. Fin d’année scolaire sans adjointe (') un abandon de poste d’une EJE », « malgré les difficultés des professionnelles et l’absence de directrice adjointe sur la fin de l’année scolaire (mai, juin, juillet), période pourtant intense avec l’accueil des nouveaux parents … ».

Au surplus, la SA Evancia, en tant qu’employeur, ne peut sérieusement prétendre ne pas avoir été informée des arrêts maladie, des congés maternité, que les salariés doivent lui faire parvenir, ou des postes vacants au sein de la crèche de Rueil Malmaison. Elle écrivait d’ailleurs dans ses conclusions de premières instances versées aux débats par la salariée que : « il convient de souligner qu’il existe une véritable pénurie de main d''uvre qualifiée dans le domaine de la petite enfance en région parisienne. Pour autant, la Société Evancia n’a jamais ignoré les demandes de Madame Z X en matière d’effectif, notamment pour pallier aux absences de professionnels ».

Si l’intimée prétend encore que Mme X disposait d’une délégation de pouvoir lui permettant de recruter du personnel, il n’en demeure pas moins qu’elle ne justifie pas avoir réagi face aux alertes exprimées par la salariée concernant les difficultés liées à l’absentéisme au sein de la crèche, ne serait-ce que pour rappeler à Mme X qu’elle disposait du pouvoir d’embaucher du personnel. Aucune réponse n’est adressée à la salariée à la suite des entretiens d’évaluation des 2 avril et 27 novembre 2015.

Le manquement de la SA Evancia à son obligation de sécurité, par l’absence de mise en 'uvre des moyens humains adaptés à l’activité de la crèche, est ainsi caractérisé.

Pour justifier des conséquences de ce manquement sur son état de santé, Mme X produit :

— des avis d’arrêt de travail dressés par le docteur C à compter du 21 décembre 2015 pour des « troubles anxio-dépressifs mineurs », « dépression réactionnelle, inaptitude [au] poste de travail », puis « épisode dépressif », « dépression réactionnelle, inaptitude [au] poste de travail », « insomnies, angoisses »,

— un courrier du médecin du travail du 21 décembre 2015 indiquant que Mme X est victime d’un burn-out nécessitant un soutien psychologique, voire psychiatrique,

— l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail le 23 février 2016, la salariée était déclarée inapte à son poste et à tout poste dans l’entreprise à l’issue d’une seule visite en raison d’une situation de danger immédiat,

— un courrier du 16 février 2016 de Mme D, psychothérapeute, qui certifie suivre Mme X depuis le 5 janvier 2016 pour des troubles anxieux sévères qu’elle lie à une souffrance au travail.

Il ressort de ces éléments que la surcharge de travail à laquelle Mme X a été exposée, en raison de l’absence de mise en 'uvre par l’employeur des moyens adaptés au bon fonctionnement de la crèche, a eu des répercussions sur l’état de santé de la salariée, qui a subi un syndrome dépressif, ayant conduit le médecin du travail à conclure à son inaptitude au poste.

La demande de rupture conventionnelle formulée par Mme X le 19 novembre 2015 n’est pas de nature à remettre sérieusement en cause les éléments probants précités concernant tant le manquement de l’employeur, que les conséquences sur l’état de santé de la salariée. La cour relève, de surcroît, que le projet de la salariée de reprise d’une mercerie, ne s’est concrétisé qu’en avril 2017.

En conséquence, le licenciement de Mme X doit produire les effets d’un licenciement nul, de sorte que le jugement déféré doit être infirmé.

Sur les conséquences financières

Pour les motifs énoncés supra, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité a eu des conséquences préjudiciables à la santé de Mme X. La SA Evancia sera par conséquent condamnée à payer à la salariée la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par ailleurs, le préavis est dû lorsque l’inaptitude ayant motivé le licenciement est la conséquence du manquement de l’employeur à ses obligations, ce qui est le cas en l’espèce. Au regard des pièces produites, notamment des bulletins de paie, et de l’ancienneté de Mme X, la SA Evancia sera condamnée à lui verser la somme de 11 392,80 euros au titre du préavis, outre les congés payés afférents, soit 1 139,28 euros.

Enfin, à la date du licenciement, Mme X percevait une rémunération mensuelle brute de 3 797,60 euros. Elle était âgée de 54 ans et bénéficiait au sein de l’entreprise d’une ancienneté de presque 4 ans. Elle justifie avoir été indemnisée par Pôle emploi au titre de l’aide au retour à l’emploi, puis avoir repris un commerce de mercerie à compte du mois d’avril 2017. En conséquence, il convient de lui allouer une somme de 23 000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement nul.

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation. S’agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées. Ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée du chef des dépens et par application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens d’appel seront mis à la charge de la SA Evancia.

La demande formée par Mme X au titre des frais irrépétibles en cause d’appel sera accueillie, à hauteur de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement entrepris, sauf en celles de ses dispositions relatives au repos compensateur, au travail dissimulé et aux frais irrépétibles ;

Condamne la SA Evancia à payer à Mme Z X la somme de 17 000 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, outre les congés payés afférents, soit 1 700 euros ;

Dit que le licenciement de Mme Z X produit les effets d’un licenciement nul ;

Condamne la SA Evancia à payer à Mme Z X les sommes suivantes :

—  3 000 euros de dommages et intérêts au titre du manquement à l’obligation de sécurité,

—  11 392,80 euros au titre du préavis,

—  1 139,28 euros au titre des congés payés afférents,

—  23 000 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement nul,

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne la SA Evancia aux dépens de première instance et d’appel ;

Condamne la SA Evancia à payer à Mme Z X la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Sophie RIVIÈRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER Le PRESIDENT

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Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 8 octobre 2020, n° 18/04407