Cour d'appel de Versailles, 5e chambre, 3 juin 2021, n° 19/04754

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 5e ch., 3 juin 2021, n° 19/04754
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 19/04754
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Pontoise, 26 novembre 2019, N° 18/04820
Dispositif : Autre décision avant dire droit

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 89B

5e chambre sociale

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 03 JUIN 2021

N° RG 19/04754

N° Portalis

DBV3-V-B7D-TUVD

AFFAIRE :

A X

C/

SA STORES ORANGE

CPAM DU VAL D’OISE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 novembre 2019 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Pontoise

N° RG : 18/04820

Copies exécutoires délivrées à :

la AARPI RUEFF & LACEUK

la SELAFA B.R.L. Avocats

Me Mylène BARRERE

Copies certifiées conformes délivrées à :

A X

SA STORES ORANGE

CPAM DU VAL D’OISE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant fixé au 20 mai 2021 puis prorogé au 03 juin 2021 les parties en ayant été avisées dans l’affaire entre :

Monsieur A X

[…]

[…]

représenté par Me Sophie Laceuk de l’AARPI Rueff & Laceuk, avocat au barreau de Paris

APPELANT

****************

SA STORES ORANGE

[…]

[…]

représentée par Me Thomas Humbert de la SELAFA B.R.L. Avocats, avocat au barreau de Paris, vestiaire : L0305, substitué par Me Mathieu Sousson, avocat au barreau de Paris.

INTIMEE

****************

CPAM DU VAL D’OISE

[…]

[…]

représentée par Me Mylène Barrere, avocat au barreau de Paris, vestiaire : D2104

PARTIE INTERVENANTE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 mars 2021, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame F-G H, Conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Olivier FOURMY, Président,

Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,

Madame F-G H, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Dévi Pouniandy,

EXPOSE DU LITIGE

La société Stores Orange assure la fourniture et la pose de volets roulants manuels ou motorisés, de stores d’intérieur ou d’extérieur. Elle propose également la pose de fenêtres, de porte fenêtres, de baies coulissantes et de portes de garage. Le 7 février 2000, elle a embauché M. C X en qualité de poseur de stores et de toutes fermetures de bâtiment.

Le 7 septembre 2013, M. X a souscrit une déclaration de maladie professionnelle auprès de la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise (ci-après, la 'Caisse') faisant état d’une 'rupture du tendon supra supinatus de l’épaule gauche'.

Par courrier en date du 6 janvier 2014, la Caisse a notifié à la Société la prise en charge de la maladie déclarée par M. X au titre du tableau n°57 des maladies professionnelles 'Coiffe des rotateurs : rupture partielle ou transfixante objectivée par IRM gauche '.

L’état de santé de M. X a été consolidé à la date du 25 février 2016 et un taux d’incapacité permanente de 10% lui a été attribué à compter du 26 février 2016.

L’employeur n’ayant pu procéder au reclassement de M. X, celui-ci a été licencié pour inaptitude définitive le 2 mai 2016.

Le 21 janvier 2017, M. X a sollicité de la Caisse la mise en oeuvre de la conciliation de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par courrier en date du 28 février 2017, la Caisse a notifié à M. X le refus de concilier de la Société.

Le 14 avril 2017, M. X a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val d’Oise (ci-après, le 'TASS') afin de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 27 novembre 2019, le pôle social du tribunal de grande instance de Pontoise (ci-après, le 'TGI') (RG n°18/04820) a :

— dit le recours de M. X recevable mais mal fondé ;

— dit que la maladie professionnelle déclarée par M. X le 9 septembre 2013, n’est pas due à la faute inexcusable de son employeur ;

— débouté M. X de l’ensemble de ses demandes ;

— débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

— dit que chaque partie conserve la charge de ses dépens ;

Par déclaration reçue le 18 décembre 2019, M. X a interjeté appel et les parties ont été convoquées à l’audience du 15 mars 2021, date à laquelle l’affaire a été plaidée.

Par conclusions reçues le 2 février 2021 et reprises oralement, M. X demande à la cour de :

— déclarer recevable et bien fondé son appel ;

— infirmer le jugement rendu le 27 novembre 2019 par le TGI de Pontoise ;

— dire et juger que la maldie professionnelle du 7 septembre 2013 est dûe à la faute inexcusable de la Société ;

En conséquence,

— fixer au maximum la majoration de la rente prévue par la loi de telle sorte que la rente servie par l’organisme de sécurité sociale à la victime ne subisse aucun abattement forfaitaire ;

— ordonner une expertise médicale, afin de pouvoir évaluer les préjudices qui lui ont été causés tels qu’énoncés au Livre IV du code de la sécurité sociale d’une part, et ceux admis par la jurisprudence en vigueur, d’autre part ;

— lui allouer d’ores et déjà une provision de 10 000 euros à valoir sur le montant de l’indemnité qui lui sera attribuée en réparation de ses préjudices ;

— dire que la Caisse sera tenue de faire l’avance de ladite provision, à charge pour elle de les récupérer auprès de l’employeur ;

— condamner la Société à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner la Société aux éventuels dépens d’exécution ;

— assortir les condamnations de l’intérêt au taux légal à compter du 28 février 2017, date du procès-verbal de non-conciliation établi par la Caisse.

Par conclusions reçues le 9 mars 2021, la Société demande à la cour de :

à titre principal,

— constater que M. X ne démontre pas l’existence de la faute inexcusable qu’il invoque ;

— constater que la Société n’a commis aucune faute inexcusable ;

En conséquence,

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le TJ de Pontoise le 27 novembre 2019 ;

— débouter M. X de son recours en reconnaissance de faute inexcusable ;

A titre subsidiaire,

— surseoir à statuer sur la liquidation des préjudices évenutellement subis par M. X ;

— ordonner une expertise médicale afin d’évaluer les préjudices indemnisables de M. X sur une échelle de 0 à 7 ;

— ramener la provision réclamée à de plus justes proportions et, en toute hypothèse, à une somme maximum de 2 000 euros ;

En tout état de cause,

— condamner M. X à verser à la Société la somme de 2 000 euros au titre de l’artilce 700 du code de procédure civile.

Par conclusions reçues le 3 mars 2021, la Caisse demande à la cour de :

Sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur,

— lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable de la Société à l’origine de l’accident déclaré par M. X le 9 septembre 2013 ;

Si la cour d’appel reconnaissait la faute inexcusable de l’employeur,

— lui donner acte de ce qu’elle ne s’oppose pas à la mise en oeuvre d’une expertise médicale judiciaire ;

— lui donner acte qu’elle s’en rapporte à justice sur le montant de la majoration de la rente devant être fixé dans les limites de l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale ;

— lui donner acte qu’elle sollicitera le rejet des demandes de préjudices déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale ;

— lui donner acte qu’elle s’en rapporte à justice sur le principe de la réparation des préjudices prévus par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, dont les montants devront être fixés dans les limites des sommes habituellement allouées par les juridictions ;

— dire qu’elle pourra récupérer l’ensemble des sommes dont elle sera tenue de faire l’avance à M. X auprès de la Société ou de son assureur, la compagnie SMABTP, conformément aux articles L 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale ;

— déclarer l’arrêt à intervenir commun et opposable à la compagnie SMABTP, en qualité d’assureur de la Société ;

En tout état de cause,

— infirmer le jugement en ce qu’il a dit que chaque partie devait conserver la charge de ses dépens et ainsi condamner la partie succombante aux dépens et notamment à lui régler la somme de 350,48 euros au titre des frais et dépens d’instance correspondant aux frais de citation de la compagnie d’assurance SMABTP.

Par conclusions reçues le 9 mars 2021, la Société demande à la cour de :

à titre principal,

— constater que M. X ne démontre pas l’existence de la faute inexcusable qu’il invoque ;

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et aux pièces déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS

Sur la faute inexcusable

M. X fait valoir que la Société avait connaissance du danger auquel il était exposé et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver en ce qu’elle s’est abstenue de mettre en oeuvre les mesures d’organisation de travail appropriées permettant de prémunir ses salariés des risques liés à la manutention de charges lourdes et aux postures de travail contraignantes inhérentes à leurs fonctions. M. X précise que son activité consistait en la pose de portails, de portes de garage, de fenêtres, vitrages, stores, bannes et volets roulants, à une fréquence d’environ deux ou trois poses par jour. Son activité impliquait donc le port fréquent de charges lourdes et peu maniables. Il indique à ce titre que souvent il devait monter à la corde les matériaux chez les clients et soutient que les mesures et préconisations de la fiche ROME dédiée au métier de poseur de stores, n’ont pas été respectées par l’employeur.

Il expose notamment qu’il appartenait à l’employeur de mettre en place les moyens de travail adaptés afin de préserver sa santé. Il verse à ce titre trois attestations émanant d’anciens collègues.

M. X observe aussi qu’il a été fait de nombreuses demandes auprès du conseil de la Société pour obtenir communication des factures d’acquisition du matériel mis à dispositions et que le conseil de la Société n’a produit en première instance que la facture d’un élévateur électrique portable acquis le 29 février 2008 soit huit ans après son embauche. M. X considère ainsi qu’en s’abstenant de mettre à sa disposition des équipements de travail et un poste de travail permettant d’exécuter les travaux dans des conditions ergonomiques, la Société l’a exposé sciemment à des risques graves musculo-squelettiques. Il précise qu’il existe de nombreux moyens techniques d’aide à la manutention comme les échafaudages, le matériel de treuillage, les chariots et plates-formes élévatrices, les robots de vitrage manuels, les élévateurs électriques de façade.

M. X indique par ailleurs qu’il appartient à l’employeur d’évaluer les risques encourus et que tel n’a pas été le cas en l’espèce, que de même aucune formation aux mesures de prévention n’a été assurée.

En réponse, la Société soutient que c’est à M. X de rapporter la preuve de la faute inexcusable qu’il invoque c’est à dire qu’il doit démontrer que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel le salarié était exposé et que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. La Société fait ainsi valoir que la seule inscription de l’affection au tableau des maladies professionnelles ne peut suffire à caractériser la conscience du danger, que la seule finalité des tableaux des maladies professionnelles est de permettre l’application d’une présomption d’imputabilité au travail d’une affection. Elle observe que le salarié a toujours été déclaré apte à son poste par la médecine du travail, que M. X ne l’a jamais alerté sur d’éventuelles difficultés dans le cadre de l’exécution de son activité professionnelle. De même, celui-ci n’a jamais alerté ni les représentants du personnel ni ses collègues de travail.

La Société ajoute que le matériel adéquat d’ aide à la manutention est bien mis à la disposition des salariés tels un élévateur électrique, un lève-charge et des supports-roulant d’angle, des diables, des gazelles ou escabeaux. Dés lors, la Société ne pouvait pas avoir conscience d’un risque encouru par M. X à son poste de travail.

Elle fait aussi valoir que des équipements de protection étaient également mis à disposition des salariés : gants de portage, chaussures de sécurité, lunettes de sécurité, genouillères, vestes et pantalons. Elle ajoute que le personnel reçoit tant lors de l’embauche qu’au cours de l’exécution du contrat de travail une formation aux manutentions manuelles, que cette formation est dispensée au visa d’un support qui reste à disposition des salariés dans les bureaux de la Société.

M. X a par ailleurs reçu les formations suivantes : 'Les installations électriques’ '10 minutes pour la vie’et 'Prévention routière'. Elle signale enfin qu’elle a bien procédé à une évaluation des risques qui a permis la rédaction d’un document unique d’évaluation des risques. Elle considère ainsi avoir mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires à la préservation de la sécurité de son personnel et en particulier de M. X .

Sur ce

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié et des dispositions du code du travail, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat. Le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été la cause déterminante de l’accident survenu au salarié. Il suffit qu’elle soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes auraient concourus à la survenance de l’accident du travail.

La faute inexcusable ne se présume pas et il appartient à la victime ou ses ayants droits d’en apporter la preuve. L’appréciation de la conscience du danger relève de l’examen des circonstances de fait, notamment de la nature de l’activité du salarié ou du non-respect des règles de sécurité.

Selon les articles L. 4121-1 , L. 4121-3 et L. 4141-2 du code du travail, l’employeur est tenu d’une obligation d’évaluation des risques ainsi qu’à une obligation d’information et de formation de ses salariés quant aux risques identifiés.

L’ article L. 4121-1 dispose en effet :

L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels,y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3°La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adapatation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes'.

L’article L.4121-3 ajoute :

L’employeur compte tenu de la nature des activités de l’établissement , évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail / …. / A la suite de cette évaluation, l’employeur met en oeuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

L’article L .4141-2 précise :

L’employeur organise une formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice des travailleurs qui changent de poste de travail ou de technique .

Il n’est pas contesté en l’espèce que l’activité de M. X au sein de la Société consistait en la pose de portails, portes de garages, fenêtres, stores et volets roulants et ce à raison de 2 à 3 poses par jour.

Il n’est pas contesté non plus que ce travail impliquait le port de charges lourdes et peu maniables, des postures de travail contraignantes et du travail en hauteur.

C’est à juste titre que M. X considère que la Société a manqué à son obligation de sécurité et de formation. Il fait notamment valoir que la Société n’a pas mis à sa disposition le matériel adéquat d’aide à la manutention. Les attestations qu’ils versent aux débats établies par des salariés qui ont travaillé avec lui corroborent ce qu’il soutient.

M. Y témoigne ainsi : ' Lorsque j’ai travaillé à Stores Orange, les conditions de travail n’étaient pas à la hauteur des normes à respecter :

- travail sur une échelle toute la journée,

- monter sur les stores extérieurs ou les volets roulants ou menuiseries à la corde afin de les poser dans les logements,

- pose de volets sans harnais de sécurité,

- non équipement de travail (combinaison, casque, chaussures de sécurité).

- non respect des salariés (insultes et harcélement).

M. Z atteste quant à lui ' Pour ma part, ce que je peux dire c’est qu’en effet, toutes les charges étaient montées à la corde (jusque à 8 étages) et les installations de stores, des bannes, des persiennes, des chassis de fenêtres étaient faites à l’escabeau'.

M. Guérin enfin précise : 'J’ai travaillé avec M. X en qualité de poseur en fermetures chez Stores Orange. J’atteste de la pénibilité du travail de poseur :

- pose de fenêtres , stores et volets roulants,

- montage du matériel à la corde (aucun passage dans les ascenseurs ou escaliers),

- travail en arbalette avec échelle dans le vide et bras en l’air,

Après 25 ans à exercer ce métier, j’ai été obligé d’en changer, mon dos et mes épaules sont usés par ce travail. Les médecins et kinésithérapeutes me l’ont conseillé afin de ne pas finir dans une chaise roulante'.

Ces attestations établies dans la forme de l’article 202 du code de procédure civile confirment le recours fréquent à la manutention manuelle, notamment à la corde, sans aucune aide mécanique alors que les articles R. 4541-4 et R. 4541-5 2° du code du travail imposent à l’employeur quand la manutention manuelle ne peut être évitée de 'prendre les mesures d’organisation appropriées ou de mettre à la disposition des travailleurs les moyens adaptés, si nécessaire en combinant leurs effets de façon à limiter l’effort physique et à réduire le risque encouru lors de cette opération ' et d’ 'organiser les postes de travail de façon à éviter ou à réduire les risques, notamment dorso-lombaires, en mettant en particulier à la disposition des travailleurs des aides mécaniques ou à défaut de pouvoir les mettre en oeuvre, les accessoires de préhension propres à rendre leur tâche plus sure et moins pénible'.

Ces déclarations sont aussi confirmées par les pièces produites aux débats par la Société qui révèlent que celle-ci a seulement acquis en février 2008 un élévateur électrique pour store. Par ailleurs, les autres factures produites se limitent à justifier de l’acquisition d’un diable en juin 2006, de divers outils et équipements de protection (perceuse, vis, etc, gants et chaussures). Aucune facture relative à

l’acquisition d’échafaudage ou d’élévateur électrique de façade n’est n’est ainsi produite.

Force est donc de constater en l’espèce que la Société n’a pas mis à la disposition de son salarié un matériel approprié de nature à protéger sa santé. M. X fait en effet observer à bon droit en se référant à la notice technique de l’élévateur acquis que cet engin ne concerne que les stores et ne peut servir à l’installation des fenêtres ou volets roulants lesquels étaient ainsi montés à la main ou à l’aide d’une corde.

Il ne résulte pas plus des documents versés aux débats que la Société a en temps voulu élaboré un document d’évaluation des risques. Le document produit qui mentionne expressément 'le risque d’atteinte musculaire et articulaire' en lien avec la manutention de matériels et matériels d’utilisation de machines portatives ou guidées à la main (telles que des perceuses ou visseuses) n’a été élaboré que le 12 novembre 2012 et mis à jour le 10 janvier 2013.

De même, aucune formation adéquate quant aux comportements, méthodes de travail à adopter afin d’éviter la survenue d’un accident ou d’atteinte musculaire ou articulaire n’a été mise en place ou dispensée. M. X justifie seulement avoir suivi courant 2007 un stage de prévention routière, en 2008 un stage dispensé par le Croix Rouge relatifs aux premiers secours et en 2011 un stage intitulé 'Les installations électriques'. Ces stages ne sont pas en lien avec les gestes et comportements à adopter pour assurer la sécurité des salariés. Ainsi, la Société n’a pas respecté les dispositions du décret n°79-228 du 20 mars 1979 qui rend obligatoire la formation du personnel à la sécurité sur les risques auxquels ceux-ci sont exposés. La note de service du 15 janvier 2013 dont la Société excipe selon laquelle le manuel de manutention est consultable au bureau de l’entreprise ne dédouane pas la Société de son obligation et ce d’autant qu’elle remonte à 2013 alors que M. X a été embauché en 2000 et que la Société ne produit que le sommaire et qu’il n’est donc pas possible d’en connaître le contenu. L’information doit en principe être précise et individuelle, ces caractères font manifestement défaut en l’espèce.

Enfin, les risques professionnels liés aux mouvement répétés de l’épaule sont connus au moins depuis l’année 1991, date d’inscription des pathologies liées à de telles activités dans le tableau n° 57 des maladies professionnelles. M. X fait d’ailleurs valoir à juste titre en s’appuyant sur une étude de l’INRS que les troubles musculo-squelettiques sont prédominants dans le secteur du BTP. La Société ne peut donc pas raisonnablement soutenir qu’elle ignorait le risque de danger encouru par son salarié,peu important que celui-ci ait été visité régulièrement par le médecin du travail et que ce dernier ne l’a pas alertée sur les risques encourus par son salarié.

Au vu de ces éléments, il apparait que l’employeur a manqué à ses obligations légales et réglementaires et a ainsi sciemment exposé son salarié à des risques graves pour sa santé.

La faute inexcusable de l’employeur doit donc être retenue et le jugement déféré, infirmé de ce chef.

Sur la demande de majoration de la rente

M. X sollicite la majoration de la rente à son taux maximum tel que prévu par l’article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, précisant qu’il ne peut être retenu à son encontre une quelconque faute ayant concouru à la réalisation du risque.

La Caisse s’en rapporte à l’appréciation de la cour.

La Société quant à elle n’a pas conclu sur ce point.

Sur ce,

L’article L.452-2 du code de la sécurité sociale dans sa version applicable dispose :

Lorsqu’une rente a été attribuée à la victime, le montant de la majoration est fixé de telle sorte que la rente majorée allouée à la victime ne puisse excéder, soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d’incapacité totale.

En conséquence, la rente due à M. X, dont il n’est pas établi, ni même soutenu qu’il aurait commis une faute, sera majorée au maximum dans les conditions prévues par la loi.

Sur la demande d’expertise et de provision

M X demande l’organisation d’une mesure d’expertise aux motifs que la juridiction ne dispose pas d’éléments médicaux pour lui permettre d’apprécier les préjudices qu’il subit. Il sollicite la somme de 10 000 euros à valoir sur la liquidation de son préjudice.

La Société entend que la mission d’expertise soit limitée aux postes listés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale et fait offre de la somme de 2 000 euros à titre provisionnel compte tenu du taux de 10 % alloué à M. X.

La Caisse ne s’oppose pas à la mise en oeuvre d’une expertise judiciaire et s’en rapporte sur le principe de la réparation des préjudices prévus par l’article L. 452-3du code de la sécurité sociale. Elle demande de lui donner acte de ce qu’elle sollicitera le rejet des préjudices déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale et dire qu’elle récupérera auprès de la Société ou de son assureur, la SMABTP, le montant de tous les préjudices dont elle sera tenue de faire l’avance, qui seront alloués à M. X conformément aux articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Sur ce,

Selon l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :

Indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

De même, en cas d’accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L.434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n’ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l’employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur.

En l’espèce, une expertise sera ordonnée, dont la mission sera précisée dans le dispositif conforme à l’article L.452-3du code de la sécurité sociale et à son interprétation jurisprudentielle.

Il résulte des pièces médicales figurant à la procédure que M. X âgé de 46 ans au moment de la déclaration de maladie professionnelle, a subi deux interventions chirurgicales le 9 septembre 2013 et le 30 avril 2014 et de nombreux soins. Il a été notamment contraint à de la kinésithérapie intensive en hospitalisation de jour du 24 octobre 2013 au 14 janvier 2014. Il a en outre été arrêté du 7 septembre 2013 au 25 février 2016, avant d’être licencié pour inaptitude, faute de reclassement possible dans l’entreprise.

Compte tenu de ces éléments, il y a lieu d’allouer à M. X une provision de 3 500 euros à valoir

sur l’indemnisation de son préjudice.

La Caisse, tenue de faire cette avance, sera condamnée à payer à M. X cette somme. Il sera alors jugé qu’elle pourra récupérer l’ensemble des sommes dont elle est tenue de faire l’avance auprès de la Société, conformément aux articles L. 452-2 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

Pour ne pas priver les parties du double degré de juridiction ,les parties seront renvoyées devant le premier juge pour qu’il soit statué sur les demandes de M. X en liquidation de son préjudice.

Les dépens et les frais irrépétibles

Succombant à l’instance, la Société doit être condamnée aux dépens.

Il convient aussi en application de l’article 700 du code de procédure civile de la condamner à payer à M. X la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du pôle social du tribunal de grande instance de Pontoise du 27 novembre 2019 (RG n°18/04820) en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Décide que la maladie professionnelle déclarée le 7 septembre 2013 par M. C X est due à la faute inexcusable de la société Stores Orange ;

Fixe au maximum prévu par la loi la majoration de rente allouée à M. C X ;

Avant dire droit sur la réparation des préjudices personnels de M. C X,

Ordonne une expertise médicale judiciaire et désigne pour y procéder :

Monsieur le docteur D E

Centre hospitalier de Pontoise

[…]

tel 01 30 754 42 90

portable 06 23 90 24 72

mail:D.E@ch-pontoise.fr

Donne mission à l’expert de :

— entendre tout sachant et, en tant que de besoin, les médecins ayant suivi la situation médicale de M. C X ;

— convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception ;

— examiner M. X ;

— entendre les parties ;

Dit qu’il appartient à M. X de transmettre sans délai à l’expert ses coordonnées (téléphone, adresse de messagerie, adresse postale) et tous documents utiles à l’expertise, dont le rapport d’évaluation du taux d’IPP fixé par la Caisse ;

Dit qu’il appartient au service médical de la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise de transmettre à l’expert sans délai tous les éléments médicaux ayant conduit à la prise en charge de l’accident, et notamment le rapport d’évaluation du taux d’IPP fixé par la Caisse ;

Dit qu’il appartient au service administratif de la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise de transmettre à l’expert sans délai le dossier administratif et tous documents utiles à son expertise ;

Rappelle que M. X devra répondre aux convocations de l’expert et qu’à défaut de se présenter sans motif légitime et sans en avoir informé l’expert, l’expert est autorisé à dresser un procès verbal de carence et à déposer son rapport après deux convocations restées infructueuses ;

Dit que l’expert devra :

— décrire les lésions occasionnées par la maladie déclarée le 9 septembre 2013 ;

— en tenant compte de la date de consolidation et du taux d’IPP fixés par la caisse, et au regard des lésions imputables à la maladie professionnelle :

fixer les déficits fonctionnels temporaires en résultant, total et partiels ;

les souffrances endurées, en ne différenciant pas dans le quantum les souffrances physiques et morales,

le préjudice esthétique temporaire et permanent,

le préjudice d’agrément existant à la date de consolidation, compris comme l’incapacité d’exercer certaines activités régulières pratiquées avant l’accident,

le préjudice sexuel,

dire si l’assistance d’une tierce personne avant consolidation a été nécessaire et la quantifier,

dire si des frais d’aménagement du véhicule ou du logement ont été rendus nécessaires,

donner toutes informations de nature médicale susceptibles d’éclairer la demande faite au titre de la perte de chance de promotion professionnelle,

fournir tous éléments utiles de nature médicale à la solution du litige.

Dit que l’expert pourra en tant que de besoin être remplacé par simple ordonnance du Président de la 5e chambre civile de la cour d’appel de Versailles ;

Ordonne la consignation avancée par la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise auprès du Régisseur de la cour dans les 30 jours de la notification du présent arrêt de la somme de 800 euros à valoir sur la rémunération de l’expert ;

Dit que l’expert établira un pré-rapport qui devra être communiqué aux parties, lesquelles disposeront d’un délai de trois semaines pour faire connaitre leurs observations ;

Dit que l’expert devra de ses constatations et conclusions rédiger un rapport qu’il adressera au greffe de la cour ainsi qu’aux parties dans les cinq mois après qu’il aura reçu confirmation du dépôt de la consignation ;

Dit que le contrôle de la mesure d’expertise sera assuré par Mme F-G H ;

Alloue à M. C X une indemnité provisionnelle d’un montant de 3 500 euros à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices personnels et moraux ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise devra verser directement à M. C X la majoration de rente allouée ainsi que l’indemnité provisionnelle accordée ;

Dit que la caisse primaired’assurance maladie du Val d’Oise pourra récupérer auprès de la société Stores Orange France le capital représentatif de la majoration de la rente susvisée, l’indemnité provisionnelle, les frais d’expertise ainsi que toutes les sommes dont elle aura dû faire l’avance ;

Condamne la société Stores Orange, à payer à M. C X la somme de 3000 euros en remboursement des frais irrépétibles d’appel exposés ;

Condamne la socité Stores Orange aux dépens, en ce compris ceux de première instance.

Renvoie les parties devant le pôle social du Val d’Oise pour statuer sur les demandes de M. C X en liquidation de son préjudice ;

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Olivier Fourmy, président, et par Madame Dévi Pouniandy, greffier , auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le greffier, Le président,

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Cour d'appel de Versailles, 5e chambre, 3 juin 2021, n° 19/04754