Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 22 mars 2022, n° 20/04716

  • Testament·
  • De cujus·
  • Olographe·
  • Mesure de protection·
  • Pièces·
  • Faculté·
  • Tribunal judiciaire·
  • Décès·
  • Dévolution successorale·
  • Altération

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 22 mars 2022, n° 20/04716
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 20/04716
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Pontoise, 30 août 2020, N° 20/00349
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°


PAR DEFAUT


Code nac : 28Z


DU 22 MARS 2022


N° RG 20/04716


N° Portalis DBV3-V-B7E-UCMX


AFFAIRE :

Z, X, J Y


C/

Consorts Y


Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Août 2020 par le Tribunal Judiciaire de PONTOISE


N° Chambre :


N° Section :


N° RG : 20/00349


Expéditions exécutoires


Expéditions


Copies

délivrées le :

à :


-Me Caroline CHARRON- DUCELLIER,


-Me Marion DESPLANCHE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX MARS DEUX MILLE VINGT DEUX,


La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur Z, X, J Y

né le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

représenté par Me Caroline CHARRON-DUCELLIER, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 526


Me Nicolas MONNOT substituant Me Marie TORTEL, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : C2538

APPELANT

****************

Monsieur A, B, K Y

né le […] à […]

de nationalité Française

46 ter, avenue Victor-Hugo

[…]

et

Monsieur C, L Y

né le […] à […]

de nationalité Française

38 rue Roger-Salengro

[…]

représentés par Me Marion DESPLANCHE, avocat postulant – barreau de VAL D’OISE, vestiaire : 98 – N° du dossier 20-055


JANET ASSOCIES, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : G0249

Monsieur M Y […]

[…]

et

Madame G D épouse Y

prise en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure O Y née le […] à SURESNES

[…]

[…]

Défaillants

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :


En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 20 Janvier 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

Madame Sixtine DU CREST, Conseiller,


Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

FAITS ET PROCÉDURE


F Y est décédé le […] à […]), à l’âge de 53 ans. Célibataire et sans enfant, il laisse pour héritiers ses deux frères, MM. A et C Y.


Le 13 décembre 2017, F Y a établi un testament olographe déposé au rang des minutes pour en assurer la conservation auprès de son notaire, instituant légataires universels ses neveux et/ou nièces vivants ou déjà conçus au jour de son décès.


Au moment de son décès, F Y avait pour neveux MM. Z et M Y, fils de M. A Y, et pour nièce Mme O Y, fille mineure de M. C Y.


Le 19 octobre 2019, le notaire chargé de la succession a annexé le testament olographe à l’ouverture de la succession.


MM. A et C Y, invoquant l’insanité d’esprit de leur frère avant son décès, ont formé le 8 novembre 2019 une opposition à l’exercice des droits des légataires universels institués par le testament olographe du 13 décembre 2017.


Par actes d’huissier de justice des 28 et 29 janvier 2020, MM. A et C Y ont fait assigner devant le tribunal judiciaire de Pontoise, MM. Z et M Y ainsi que Mme O Y. Aucun des défendeurs n’a constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire rendu le 31 août 2020, le tribunal judiciaire de Pontoise a :


- annulé le testament olographe de F Y du 12 décembre 2017 ;


- dit que la dévolution successorale de F Y s’effectuera par l’effet de la loi ;


- dit que sont désignés héritiers ab intestat de F Y MM. A et C Y, et que la dévolution successorale s’effectuera par tête entre eux ;


- condamné MM. A et C Y aux entiers dépens.

M. Z Y a interjeté appel de ce jugement le 30 septembre 2020 à l’encontre de MM. A et C Y, M. M Y, Melle O Y, mineure, représentée par Mme D épouse Y et Mme D épouse Y, prise en sa qualité de représentante légale de Melle O Y, mineure, née en 2018.

M. Z Y a fait signifier la déclaration d’appel à :

* M. M Y par acte d’huissier de justice délivré le 17 novembre 2020 selon les modalités de l’article 656 du code de procédure civile (en l’étude) ;

* Mme D épouse Y par acte d’huissier de justice délivré le 17 novembre 2020 selon les modalités de l’article 658 du code de procédure civile (à domicile).


L’appelant a en outre fait signifier ses conclusions à :

* Mme D épouse Y par acte d’huissier de justice délivré le 15 janvier 2021 selon les modalités de l’article 656 du code de procédure civile (en l’étude) ;

* M. M Y par acte d’huissier de justice délivré le 22 janvier 2021 selon les modalités de l’article 656 du code de procédure civile (en l’étude).

M. M Y et Mme D épouse Y prise en sa qualité de représentante légale de Melle O Y, n’ont pas constitué avocat de sorte que, compte tenu des modalités de signification des actes ci-dessus énoncés, le présent arrêt sera rendu par défaut.

Par ses dernières conclusions notifiées le 5 janvier 2022, M. Z Y

demande à la cour, au visa de l’article 901du code civil, de :


- infirmer la décision entreprise en ce qu’elle a annulé le testament olographe de F Y du 12 décembre 2017, dit que la dévolution successorale de F Y s’effectuera par l’effet de la loi, dit que sont désignés héritiers ab intestat de F Y, MM. A et C Y, et que la dévolution successorale s’effectuera par tête entre eux ;


Statuant à nouveau :
- débouter MM. A et C Y de leur demande visant à l’annulation du testament de F Y ;


- ordonner que la succession de F Y soit réglée selon les dispositions testamentaires rédigées le 13 décembre 2017 et déposées en l’office de Me Chardon, Tarrade, Le Pleux, notaires à Paris 8ème ;


- débouter MM. A et C Y de leurs demandes plus amples et contraires ;


- condamner MM. A et C Y à verser à M. Z Y la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;


- condamner solidairement MM. A et C Y aux entiers dépens par application de l’article 696 du code de procédure civile, dont le montant sera recouvré, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Par leurs dernières notifiées le 3 janvier 2022, MM. A et C Y demandent à la cour, au visa des articles 414-1, 734, 744, 901 du code civil, de :


- débouter M. Z Y de toutes ses demandes, fins et conclusions ;


- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise en date du 31 août 2020, sauf en ce qu’il les a condamnés aux entiers dépens ;


- condamner M. Z Y à leur verser la somme de 12 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, soit la somme de 6 000 euros à chacun d’entre eux ;


- condamner M. Z Y en tous les dépens, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction a été prononcée le 6 janvier 2022.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de l’appel et à titre liminaire,


Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat en cause d’appel se présente dans les mêmes termes qu’en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges.


Il sera rappelé que, conformément aux dispositions de l’article 954 du code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions récapitulées au dispositif des dernières conclusions et n’est tenue de répondre qu’aux moyens qui viennent au soutien de pareilles prétentions.


En l’espèce, force est de constater que les développements de l’appelant relatifs à la violation des dispositions des articles 387-1 et 383 du code civil, aux droits de l’enfant mineur O Y et à la nullité de la procédure sont inopérants faute de faire l’objet d’une demande expressément formulée de ce chef et récapitulée au dispositif de ses dernières conclusions. La cour ne les examinera donc pas.

Sur la nullité du testament pour insanité d’esprit du testateur

' Moyens des parties
Se fondant sur les dispositions de l’article 901 du code civil et la jurisprudence de la Cour de cassation, M. Z Y poursuit l’infirmation du jugement déféré et soutient que les premiers juges ont commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant que le testateur, qui souffrait d’insanité d’esprit entre 2013 et 2019, n’aurait pas été capable d’un moment de lucidité lors de la rédaction du testament olographe du 12 décembre 2017.


Il rappelle que la charge de la preuve de l’insanité d’esprit du testateur pèse sur celui qui se prévaut de la nullité du testament, et que ce dernier doit établir le défaut de lucidité et de volonté à l’occasion de la rédaction du testament. Il ajoute que la jurisprudence pose une présomption simple d’insanité d’esprit lorsqu’il est justifié d’un état habituel de démence du testateur dans le temps qui a immédiatement précédé et suivi la rédaction du testament.


Selon lui, les éléments intrinsèques au testament ne confirment pas l’insanité d’esprit du de cujus. Il souligne ainsi que le testament est écrit à la main, d’une écriture lisible, qu’il contient toutes les mentions nécessaires et qu’il révoque les dispositions testamentaires antérieures de son auteur (pièce 1). Il estime donc que le testament a été rédigé après un entretien de son auteur avec un notaire ou, à tout le moins, un professionnel du droit.


En outre, il constate que le testament a été déposé chez un notaire, ce qui tend selon lui à démontrer que F Y avait parfaitement conscience qu’un tel dépôt garantissait l’efficacité de l’acte.


L’appelant en conclut que la preuve de l’insanité d’esprit du testateur lors de la rédaction du testament olographe n’est pas rapportée.


S’agissant des divers éléments extrinsèques au testament litigieux, il faut valoir que ceux-ci confirment encore le fait que F Y a testé dans un moment de lucidité. Il indique ainsi que le de cujus vivait seul dans un appartement lui appartenant ; qu’il gérait seul ses comptes et menait une vie sociale incompatible avec un état habituel de démence.


C’est ainsi qu’il souligne d’abord que l’épisode ayant mené à l’hospitalisation d’office de F Y en mai 2013 a été causé par un suivi défectueux de son traitement (pièces 6 et 7). Il relève que l’examen mené par le psychiatre de l’hôpital dans lequel a été hospitalisé le de cujus en mai 2013 a conclu à la nécessité de mettre en place une mesure de curatelle renforcée, mesure qui, contrairement à une mesure de tutelle, permet au majeur protégé de tester. Il précise que le médecin a souligné, d’une part, que F Y pouvait être associé à la gestion de ses biens et, d’autre part, qu’il était souhaitable que la curatelle renforcée soit exercée par une personne extérieure à l’entourage familial. Il en déduit que, même en 2013, F Y était parfaitement capable d’exprimer sa volonté, mais qu’il entretenait des relations difficiles avec ses frères (pièce 8).

M. Z Y ajoute ensuite que le de cujus avait fait seul l’acquisition en toute propriété, en décembre 2015, d’un appartement et d’une place de parking à Bezons, appartement dans lequel il a vécu jusqu’à sa mort sans aide régulière (pièces 9 et 20). Il rappelle également que F Y a acquis seul deux voitures en décembre 2016 et mars 2018, ainsi qu’un scooter en décembre 2017 (pièces 2, 44, 48). Il constate qu’aucune de ces ventes, qui ont été réalisées dans un temps proche de la rédaction du testament, n’a été remise en cause. Il affirme que F Y n’avait aucune difficulté à gérer son patrimoine, précisant que l’actif net de sa succession s’élevait à 760 000 euros plus de six après le décès de son père, dans la succession duquel il avait reçu environ 597 000 euros, et alors qu’il ne travaillait plus (pièces 2 et 5).

M. Z Y soutient que le de cujus était présent lors des événements familiaux importants (pièces 10 et 11, pièce 12) et qu’il entretenait des relations régulières avec les membres de sa famille. Il estime que F Y avait conscience de son état de santé et des difficultés y afférentes, mais également du fait qu’à son décès, son patrimoine devait normalement se partager entre MM. A et C Y (pièces 16, 17, 19 et 58). Il en déduit que ce dernier a choisi sciemment de tester pour léguer son patrimoine à ses neveux et nièces. Et il considère que si la maladie de F Y a évolué en 2019, cette évolution ne remet pas en cause la lucidité du de cujus lors de la rédaction du testament, a fortiori lorsque aucun membre de la famille de F Y, ni le psychologue qui le suivait, n’a saisi le juge des tutelles ou le procureur de la République avant son décès pour mettre en 'uvre une mesure de protection des majeures.


S’agissant des conclusions de la graphologue (pièce 20) à laquelle a fait appel MM. A et C Y, M. Z Y souligne que cette dernière est en réalité une experte en ressources humaines, comme l’atteste la première page de son étude graphologique. Il en conclut qu’elle n’est pas compétente pour se prononcer sur l’état psychologique d’une personne et sur sa capacité à tester.


En définitive, il prétend que les appelants ne parviennent pas à établir l’insanité d’esprit de F Y lors de la rédaction du testament litigieux et sollicite l’infirmation du jugement dont appel.

MM. A et C Y objectent que le de cujus souffrait depuis plusieurs années de troubles mentaux diagnostiqués par plusieurs médecins et, notamment, d’une schizophrénie. Ils prétendent que F Y était dans un état habituel de démence entre 2013 et 2019, de sorte qu’il n’était pas sain d’esprit lors de la rédaction du testament olographe litigieux. Ils produisent à cette fin un examen psychiatrique de 2013 et un suivi psychologique datant de 2019.


Les intimés rappellent que le défunt avait incendié volontairement plusieurs véhicules le 3 mai 2013, infraction pour laquelle il avait été déclaré pénalement irresponsable en raison de l’abolition de son discernement au moment des faits, et qui a conduit à son hospitalisation psychiatrique sans son consentement dès le 6 mai 2013 sur demande du préfet des Hauts-de-Seine.


Ils ajoutent que dès 2013, les médecins ont diagnostiqué une évolution chronique de l’altération des facultés mentales de F Y et recommandé une mesure de protection des majeurs. Ils précisent que X Y, père du de cujus, avait entamé en 2013 une procédure aux fins de protection des majeurs, mais qu’il est décédé le 16 novembre 2013, en cours de procédure. Ils indiquent qu’ils n’ont pas repris la procédure aux fins de protection, mais qu’ils ont veillé à apporter à leur frère leur assistance, notamment s’agissant des aspects patrimoniaux de sa vie. Ils considèrent donc que la présomption d’insanité d’esprit du testateur lors de la rédaction du testament trouve à s’appliquer.


MM. A et C Y estiment que l’appelant ne démontre pas que le de cujus a testé dans un moment de lucidité. Ils prétendent qu’il est aisé de trouver des modèles de testament olographe sur internet, permettant de rédiger un acte simple et clair. Ils ajoutent également que F Y avait déjà rédigé un testament clair en 2010, lequel, par son contenu, démontre que son auteur souffrait déjà d’un trouble mental.


Ils en déduisent que le testament olographe du 12 décembre 2017 ne permet pas, par lui-même, d’établir que son auteur a testé dans un état de lucidité.


MM. A et C Y répliquent encore aux conclusions de leur adversaire que M. Z Y vivait au Canada et était trop jeune lors du décès de son oncle pour avoir pu constater que l’aide régulière qu’ils apportaient à leur frère lui était indispensable tant dans la gestion de ses comptes que dans les acquisitions effectuées. Ils soulignent que le conseiller financier de M. C Y, qui était aussi celui de F Y, atteste que le de cujus ne pouvait pas prendre de décisions rationnelles et que les opérations pour lesquels il l’assistait étaient validées par la famille de F Y. Ils énoncent à ce titre que les acquisitions de véhicules par F Y ont été réalisées avec l’accord et le concours de sa famille. Ils prétendent encore que le scooter n’a pas été acheté en décembre 2017 mais le 31 juillet 2018, la date du 25 décembre 2017 correspondant à son immatriculation par l’ancien propriétaire. Ils ajoutent que le de cujus avait acheté une quinzaine de montres, pour près de 37 000 euros, entre octobre et décembre 2018 ; qu’ainsi F Y achetait des objets de façon compulsive, lorsqu’il se sentait mal ce que confirmait le psychothérapeute l’ayant suivi en 2018.


Ils en concluent que le défunt ne pouvait pas gérer seul son patrimoine en raison de l’altération de ses facultés mentales.


Ils objectent encore que le défunt supportait mal les réunions familiales, auxquelles il ne venait plus. Ils constatent que l’appelant ne trouve trace de sa présence qu’à deux réunions, en 2002 et en 2005. Ils précisent que F Y ne supportait plus les réunions de groupe en raison de son état de santé. Ils produisent également une analyse graphologique et comparée des deux testaments, par laquelle le graphologue conclut que le testateur ne disposait pas de l’ensemble de ses facultés mentales lors de la rédaction du testament litigieux.


Ils estiment donc que les premiers juges ont fait une juste appréciation des faits du litige et sollicitent la confirmation de la décision entreprise.

' Appréciation de la cour


Selon l’article 414-1 du code civil, 'Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte.'


L’article 901, dans sa rédaction applicable jusqu’au 1er janvier 2007, indique que 'Pour faire une donation entre vifs ou un testament, il faut être sain d’esprit.'


L’insanité d’esprit peut être définie comme toute affection mentale par l’effet de laquelle l’intelligence du disposant a été obnubilée ou sa faculté de discernement déréglée. Le testateur est ainsi incapable de manifester une volonté lucide ce qui est assurément le cas lorsque le disposant souffre d’une affection mentale obnubilant son intelligence ou sa faculté de discernement.


Cette notion ne doit pas être confondue avec celle d’altération des facultés mentales, cause d’ouverture d’une mesure de protection, même si, dans certaines circonstances, l’existence d’une mesure de protection peut constituer un indice de l’insanité d’esprit.


L’insanité d’esprit doit également être distinguée des vices du consentement qui affectent ce dernier, mais ne l’annihile pas.


Il revient à celui qui invoque l’insanité d’esprit du testateur de le prouver et cette preuve est libre puisqu’il s’agit d’établir l’existence d’un état de fait.


La preuve, qu’il revient au demandeur d’administrer, est celle de l’insanité d’esprit au moment de l’établissement du testament. Aux termes d’une jurisprudence constante (Civ., 4 février 1941, D.A. 1941 I 113 – 1ère Civ., 11 juin 1980, Bull. n° 184), une telle preuve est établie si son auteur était dans un état habituel de démence avant et après la passation de cet acte. La preuve contraire pourra cependant être rapportée par les bénéficiaires, en l’espèce les légataires universels, et, dans ce cas, il leur reviendra d’établir que l’auteur de l’acte avait agi dans un intervalle de lucidité au moment de la rédaction du testament.


En l’espèce, il résulte des productions qu’à la suite de son hospitalisation ordonnée par le Préfet des Hauts-de-Seine en mai 2013 pour des 'troubles du comportement à type de dégradation de biens publics', F Y ayant brûlé neuf voitures à Bailly, son lieu de résidence, alors qu’il était suivi à cette époque en Hôpital de jour à Suresnes, puis en libéral, il a été examiné par le Dr
Sprung-Cazalis de Fondouce, chef de service, psychiatre des hôpitaux en vue de la mise en place d’une mesure de protection juridique sollicitée par le père de F et que ce médecin relevait que :

* à son admission, F Y manifestait 'une incurie, des hallucinations, des pulsions auto-agressives, des idées de référence et un automatisme mental',

* il faisait des dépenses excessives lorsqu’il n’allait pas bien, par exemple, achat de plusieurs appareils photos, achat d’une voiture qu’il a pu annuler,

* l’examen montrait en outre des troubles psychotiques de la personnalité, entraînant une altération de ses facultés mentales, non liée à l’âge, empêchant l’expression d’une volonté,

* cette altération des facultés mentales comportait une évolution chronique,

* il devait être assisté, conseillé et contrôlé dans les actes de sa vie civile, tant patrimoniaux qu’à caractère personnel.


Cette mesure de protection n’a pas été mise en place, le père de F Y étant décédé. Cependant, les intimés démontrent par leurs productions avoir pris le relais de leur père pour assister, conseiller, contrôler leur frère dans les actes de sa vie civile (en particulier, pièce 21, M. C Y s’est chargé de la vente du véhicule de F Y en avril 2013 ; pièce 24 en juin 2016 M. C Y s’est occupé des contrats d’assurance vie de F Y ; pièces 26, 22, 25, 27, 28 Mme H Y a géré les contacts avec le notaire, la banque à l’occasion de l’achat par F Y de l’appartement de Bezons ; lui a permis de récupérer ses identifiants bancaires oubliés en janvier 2018 ; l’a aidé à établir sa déclaration d’impôts en avril 2018 ; les différents SMS entre F Y et son frère C).


Il résulte de ces pièces que les trois frères F, C et A étaient proches et la 'distance entre A’ et F Y relatée dans un des courriels échangés entre F et C apparaît évoquer, comme le soulignent les intimés, la distance physique en raison de l’installation de A en Bretagne ; cette affirmation est du reste corroborée d’abord par la demande d’information faite par F Y auprès de la société Eiffage pour son emménagement à Vannes (pièces 55) ; ensuite, par les messages adressés entre les trois frères, et notamment en 2018 entre A et F qui témoignent de cette proximité et de cet amour fraternel entre eux (pièce 54). Ainsi, F indique 'un grand merci à vous deux' ; 'je trouve que tes choix dans la vie ont toujours été très courageux. Maintenant c’est toi le Grand frère que je n’ai pas su être dans le passé. F qui t’aime' ; réponse de A ' je t’aime aussi. Si tu veux C, G et H viennent prendre le goûter cher nous à Neuilly le 25 novembre. Tu es dispo’ Gros bisous et on se voit bientôt'. Enfin, cette proximité entre les trois frères est attestée par des proches (pièces 48 et 62). Elle résulte encore des messages que s’adressaient la fratrie en décembre 2017, quelques jours seulement avant la rédaction du testament litigieux (pièce 31) où A et F P au sujet de l’organisation de la fête de Noël.

Mme I, psychologue clinicienne et psychothérapeute, qui l’a suivi dans le cadre de consultations de psychologie cliniques en 2018, atteste en octobre 2019 (pièce 11) qu’il tenait des propos troubles, porteurs de sous-entendus magiques et mystérieux, qu’il évoquait ses difficultés de différenciation, disant jouer 'à être une personne’ de son entourage, ou être l’auteur 'd’un livre qu’il lisait', qu’il en était 'déstabilisé’ 'à en devenir dingue'. Le psychothérapeute indique que F Y présentait une composante paranoïaque, qu’il apparaissait être, conformément à ses observations, schizophrène. Elle en concluait que l’intéressé souffrait de déréalisation confondant parfois le réel et son monde imaginaire ce qui était de nature à altérer son jugement du réel.


Les intimés démontrent encore qu’en août 2017, F Y apparaissait désorienté, déstabilisé, confus et appelait sa belle-soeur H à l’aide 'j’un noir sur le capot de ma voiture qui me trifouille la tète avec un pinceau je suis a port maria et je sais même pas su le palais c’est belle île ou autre je téléphone que maintenant et j’ai sillonné tout quiberon dans le mauvais sens help!''


Les intimés produisent encore une attestation d’un ouvrier qui est intervenu dans l’appartement de F Y le 23 octobre 2017 (pièce 13), quelques semaines avant la rédaction du testament litigieux, décrivant le désordre important et l’état de saleté dans l’appartement de F Y, les propos incohérents qu’il tenait au sujet de sa sécurité, le questionnant à plusieurs reprises pour savoir s’il n’avait pas été suivi, lui indiquant l’avoir contacté sur l’avis de son frère A en qui il avait toute confiance. Cet ouvrier précise que F Y 'ne tenait pas en place', tenait des propos 'incohérents', se 'sentait surveillé'.


Il résulte de ces différents éléments que les intimés prouvent que F Y souffrait de manière habituelle et permanente d’un trouble psychique obnubilant son intelligence ou sa faculté de discernement depuis au moins 2013, persistant à l’époque de la rédaction du testament et postérieurement à celle-ci qui ne lui permettait pas de manifester une volonté lucide.


Il revient dès lors à M. Z Y de démontrer que F Y, auteur de l’acte litigieux, avait agi dans un intervalle de lucidité lui permettant le 13 décembre 2017 de manifester une volonté lucide de tester en faveur de 'ses neveux et nièces vivants ou déjà conçus au jour de son décès'.


Force est de constater que l’appelant échoue dans cette démonstration. Si effectivement, l’expert psychiatre préconise une mesure de curatelle renforcée, il convient de rappeler qu’il avait seulement été missionné aux fins d’éclairer le juge des tutelles sur la mesure de protection sollicitée par le père de F Y, la plus appropriée à mettre en oeuvre compte tenu de sa personnalité et de sa pathologie. Or, cet expert a clairement indiqué que l’examen de l’intéressé montrait l’existence de troubles psychotiques de la personnalité, entraînant une altération de ses facultés mentales, non liée à l’âge, et empêchant l’expression d’une volonté. L’avis du psychothérapeute, qui avait suivi F Y en 2018, confirmait la persistance de cet état psychiatrique décrit en 2013 et concluait que l’intéressé souffrait de déréalisation et d’une pathologie de nature à altérer son jugement du réel.


Contrairement à ce que soutient M. Z Y, les productions de ses adversaires démontrent que F Y était aidé par sa famille tant pour l’achat de ses biens meubles et immeubles que pour leur administration ainsi que dans les actes de la vie courante.


Il ressort en outre des productions que F Y a toujours entretenu des rapports fraternels et tendres avec ses deux frères et qu’il n’a pas exprimé le désir de les priver de sa succession dans l’hypothèse de sa mort prématurée.


Il découle de l’ensemble des développements qui précède que c’est exactement que le premier juge a accueilli la demande de MM. A et C Y tendant à obtenir l’annulation du testament olographe rédigé par leur frère F Y le 13 décembre 2017 pour cause d’insanité d’esprit.


Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles


Compte tenu de la nature du litige, c’est exactement que le tribunal a rejeté les demandes des parties fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.


En revanche, c’est à tort qu’il a condamné les demandeurs, parties dont les prétentions ont été accueillies, aux dépens. Le jugement sera dès lors infirmé de ce chef. M. Z Y, partie perdante, supportera dès lors les dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.


L’équité ne commande pas d’accueillir les demandes des parties fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS


La cour statuant par arrêt rendu par défaut et mis à disposition,

INFIRME le jugement en ce qu’il condamne MM. A et C Y aux dépens de première instance ;


Le CONFIRME pour le surplus ;


Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE M. Z Y aux dépens de première instance et d’appel ;

DIT qu’ils seront recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.


- prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,


- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Le Greffier, La Présidente,
Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 22 mars 2022, n° 20/04716