CAA de PARIS, 4ème chambre, 12 janvier 2024, 22PA04287

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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

La réintroduction du contrôle aux frontières intérieures en vertu de l’article 25 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 (« code frontière Schengen ») n’a pas pour effet d’imposer à un transporteur qui a amené un ressortissant d’un Etat tiers à la frontière intérieure d’un Etat membre depuis un autre Etat membre une quelconque obligation de réacheminement, laquelle s’applique exclusivement au transporteur qui a fait franchir à un étranger la frontière extérieure et implique nécessairement le transport de l’étranger vers un Etat tiers…….Par suite, illégalité de l’amende, infligée sur le fondement de l’article L. 821-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, sanctionnant un défaut de réacheminement d’un étranger en provenance d’un Etat membre vers cet Etat.

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Sur la décision

Référence :
CAA Paris, 4e ch., 12 janv. 2024, n° 22PA04287
Juridiction : Cour administrative d'appel de Paris
Numéro : 22PA04287
Importance : Intérêt jurisprudentiel signalé
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Paris, 2 juin 2022
Identifiant Légifrance : CETATEXT000048939671

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ryanair a demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler les trois décisions du 19 janvier 2021 par lesquelles le ministre de l’intérieur lui a infligé trois amendes de 10 000 euros chacune en application de l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Par un jugement du 3 juin 2022 n° 2005174-2005178-2005180-2022418, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 septembre 2022 et 10 avril 2023, la société Ryanair, représentée par Me Bernard, demande à la Cour :

1°) d’annuler le jugement du tribunal administratif de Paris ;

2°) d’annuler les décisions du ministre de l’intérieur du 19 janvier 2021 ;

3°) subsidiairement, de renvoyer à la Cour de Justice de l’Union européenne l’examen des questions préjudicielles suivantes :

 – l’article 32 du règlement (UE) 2016/399 doit-il être interprété en ce sens que lorsqu’un

Etat membre de l’Union rétablit les contrôles aux frontières intérieures conformément aux articles 25, 26 et 27 de ce règlement, un transporteur aérien pourrait être sanctionné sur le fondement d’un droit national pour n’avoir pas repris en charge et réacheminé un étranger non-ressortissant d’un Etat de l’Union européenne, ayant fait l’objet d’un refus d’entrée dans cet Etat lors de son débarquement en provenance d’un autre Etat membre de l’Union auquel s’applique l’acquis de Schengen '

 – l’article 32 du règlement (UE) 2016/399 doit-il être interprété en ce sens que lorsqu’un

Etat membre de l’Union rétablit les contrôles aux frontières intérieures conformément aux articles 25, 26 et 27 de ce règlement pour contrer une menace terroriste, cet Etat membre de l’Union pourrait refuser l’entrée sur son territoire d’un étranger non ressortissant d’un Etat de l’Union européenne au seul motif qu’il est démuni des documents de voyage requis par cet Etat membre ayant réintroduit les contrôles aux frontières intérieures '

 – l’article 14 et l’annexe V partie A du règlement (UE) 2016/399 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’une compagnie aérienne peut engager sa responsabilité pour n’avoir pas réacheminé « sans tarder » un étranger à la suite d’un contrôle opéré en dehors du cadre légal autorisé par les dispositions du règlement dans le cadre du rétablissement du contrôle aux frontières '

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

 – l’article L. 213-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, devenu l’article L. 333-3 de ce code, n’est pas applicable à l’intérieur de l’espace Schengen, même en cas de réintroduction du contrôle aux frontières intérieures ;

 – l’Etat ne peut pas, sous prétexte de réintroduire le contrôle aux frontières, contrôler et refuser l’entrée sur son territoire à des personnes pour des motifs autres que le risque d’attentat terroriste ;

 – à supposer que l’obligation de réacheminement s’applique, elle ne pouvait se voir imposer un unique vol sans aucun délai pour la satisfaire.

Par un mémoire enregistré le 13 février 2023, le ministre de l’intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 – la convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985, signée le 19 juin 1990 ;

 – la directive 2001/51/CE du Conseil du 28 juin 2001 ;

 – la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;

 – le règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 ;

 – le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 – le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Saint-Macary,

 – les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique ;

 – et les observations de Me Bernard, représentant la société Ryanair.

Considérant ce qui suit :

1. Par trois décisions du 19 janvier 2021, le ministre de l’intérieur a infligé à la société Ryanair trois amendes de 10 000 euros chacune en application de l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour le non-réacheminement de trois ressortissants albanais à Thessalonique, en Grèce. La société relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’annulation de ces trois décisions.

2. Le 1 de l’article L. 625-7 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile alors applicable, devenu l’article L. 821-10, prévoit qu’est punie d’une amende d’un montant maximal de 30 000 euros « L’entreprise de transport aérien ou maritime qui ne respecte pas les obligations fixées aux articles L. 213-4 à L. 213-6 ». L’article L. 213-4 du même code, devenu l’article L. 333-3, dispose : « Lorsque l’entrée en France est refusée à un étranger non ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne, l’entreprise de transport aérien ou maritime qui l’a acheminé est tenue de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, cet étranger au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d’impossibilité, dans l’Etat qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis ». Cet article se borne à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de la directive du 28 juin 2001, ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 octobre 2021, n° 2021-940 QPC.

3. D’une part, en application de l’article 26 de la convention d’application de l’accord de Schengen signée le 19 juin 1990, les États signataires se sont engagés à instaurer l’obligation pour l’entreprise de transport qui a amené un étranger à la frontière extérieure par voie aérienne, maritime ou terrestre de le reprendre en charge sans délai lorsque son entrée sur le territoire d’une des parties contractantes est refusée. Aux termes de l’article 3 de la directive 2001/51/CE du 28 juin 2001 visant à compléter ces stipulations et préciser certaines conditions relatives à leur application : « les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour imposer aux transporteurs qui ne sont pas en mesure d’assurer le retour d’un ressortissant de pays tiers dont l’entrée est refusée l’obligation de trouver immédiatement le moyen de réacheminement et de prendre en charge les frais correspondants, ou, lorsque le réacheminement ne peut être immédiat, de prendre en charge les frais de séjour et de retour du ressortissant de pays tiers en question ». Aux termes du point 6 de l’article 14 du titre II, relatif aux frontières extérieures, du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 (code frontières Schengen) : « Les modalités du refus d’entrée sont décrites à l’annexe V, partie A ». Cette annexe V, partie A prévoit en son point 2 une obligation de réacheminement pour le transporteur : « Si le ressortissant de pays tiers frappé d’une décision de refus d’entrée a été acheminé à la frontière par un transporteur, l’autorité localement responsable : / a) ordonne à ce transporteur de reprendre en charge le ressortissant de pays tiers sans tarder et de l’acheminer soit vers le pays tiers d’où il a été transporté, soit vers le pays tiers qui a délivré le document permettant le franchissement de la frontière, soit vers tout autre pays tiers dans lequel son admission est garantie, ou de trouver un moyen de réacheminement, conformément à l’article 26 de la convention de Schengen et aux dispositions de la directive 2001/51/CE du Conseil ».

4. Il résulte de ce qui précède que l’obligation de réacheminement s’applique au transporteur qui a amené un ressortissant d’un Etat tiers à la frontière extérieure de « l’espace Schengen » depuis un pays tiers et consiste à le réacheminer vers ce pays tiers ou vers un autre pays tiers.

5. D’autre part, l’article 25 du « code frontières Schengen » prévoit la possibilité, pour les Etats membres, de réintroduire temporairement le contrôle à leurs frontières intérieures. Aux termes de l’article 32 du même code : « Lorsque le contrôle aux frontières intérieures est réintroduit, les dispositions pertinentes du titre II s’appliquent mutatis mutandis ».

6. En vertu de l’article 2 du même code, les notions de « frontières intérieures » et de « frontières extérieures » sont exclusives l’une de l’autre. Il en découle qu’une frontière intérieure sur laquelle des contrôles ont été réintroduits par un État membre en vertu de l’article 25 dudit code ne saurait être assimilée à une frontière extérieure au sens du même code.

7. En outre, par son arrêt du 21 septembre 2023 C-143/22, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que si un État membre ayant réintroduit des contrôles à ses frontières intérieures peut appliquer, mutatis mutandis, l’article 14 du code frontières Schengen ainsi que l’annexe V, partie A, point 1, de ce code à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers qui est intercepté, sans titre de séjour régulier, à un point de passage frontalier autorisé où s’exercent de tels contrôles, lorsque ce point de passage frontalier est situé sur le territoire de l’État membre concerné, ce dernier doit toutefois veiller à ce que les conséquences d’une telle application, mutatis mutandis, de ces dispositions n’aboutissent pas à méconnaître les normes et les procédures communes prévues par la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Parmi les dispositions pertinentes de cette directive figure l’article 6, paragraphe 1, qui prévoit que tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre doit, sans préjudice des exceptions prévues aux paragraphes 2 à 5 de cet article et dans le strict respect des exigences fixées à l’article 5 de cette directive, faire l’objet d’une décision de retour, laquelle doit identifier, parmi les pays tiers visés à l’article 3, point 3, de ladite directive, celui vers lequel il doit être éloigné.

8. Il résulte de ce qui précède que les dispositions relatives à l’obligation d’acheminement ne peuvent être regardées comme des « dispositions pertinentes » au sens de l’article 32 du code frontière Schengen. Dès lors, la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures n’a pas pour effet d’imposer, à un transporteur qui a amené un ressortissant d’un Etat tiers à la frontière intérieure d’un Etat membre depuis un autre Etat membre, une quelconque obligation de réacheminement, laquelle s’applique exclusivement au transporteur qui a fait franchir à un étranger la frontière extérieure et implique nécessairement le transport de l’étranger vers un Etat tiers.

9. Dans ces conditions, les décisions contestées du 19 janvier 2021, par lesquelles le ministre de l’intérieur a sanctionné la compagnie Ryanair pour avoir manqué à son obligation de réacheminer vers la Grèce des ressortissants albanais venant de Grèce sont dépourvues de base légale, sans qu’y fasse obstacle la réintroduction par la France d’un contrôle à ses frontières intérieures. Par suite, sans qu’il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, la société Ryanair est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d’annulation de ces décisions.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros à verser à la société Ryanair sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.


D É C I D E :


Article 1er : Le jugement du 3 juin 2022 n° 2005174-2005178-2005180-2022418 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les décisions du ministre de l’intérieur du 19 janvier 2021 sont annulées.


Article 3 : L’Etat versera une somme de 2 000 euros à la société Ryanair en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ryanair et au ministre de l’intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l’audience 24 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Heers, présidente de chambre,
Mme Bruston, présidente-assesseure,
Mme Saint-Macary, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2024.

La rapporteure,

M. SAINT-MACARY

La présidente,

M. HEERS

La greffière,

O. BADOUX-GRARE


La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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N° 22PA04287

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