Cour de cassation, Chambre criminelle, 9 septembre 2020, 19-80.090, Inédit

  • Banque·
  • Établissement de crédit·
  • Exercice illégal·
  • Profession·
  • Service bancaire·
  • Monétaire et financier·
  • Partie civile·
  • Fond·
  • Établissement·
  • Retrait

Chronologie de l’affaire

Commentaires2

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Stéphane Detraz · Gazette du Palais · 17 novembre 2020
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
Cass. crim., 9 sept. 2020, n° 19-80.090
Juridiction : Cour de cassation
Numéro(s) de pourvoi : 19-80.090
Importance : Inédit
Décision précédente : Cour d'appel de Chambéry, 6 novembre 2018
Textes appliqués :
Articles 593 du code de procédure pénale et 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Articles L. 311-1 , L. 312-2 et L. 511-5 du code monétaire et financier.

Dispositif : Cassation
Date de dernière mise à jour : 14 décembre 2021
Identifiant Légifrance : JURITEXT000042348649
Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2020:CR01123
Lire la décision sur le site de la juridiction

Texte intégral

N° X 19-80.090 F-D

N° 1123

EB2

9 SEPTEMBRE 2020

CASSATION

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 9 SEPTEMBRE 2020

Mme C… J…, prévenue, et M. P… D… et Mme X… V…, parties civiles, ont formé des pourvois contre l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 7 novembre 2018, qui pour exercice illégal de la profession d’avocat, opérations de banque effectuées à titre habituel par personne autre qu’un établissement de crédit et travail dissimulé, a condamné la première à huit mois d’emprisonnement dont quatre mois avec sursis et mise à l’épreuve, devenu sursis probatoire, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Pauthe, conseiller, les observations de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de Mme C… J… , et de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de Mme X… V…, M. P… D… , parties civiles, et les conclusions de Mme Moracchini, avocat général, après débats en l’audience publique du 27 mai 2020 où étaient présents M. Soulard, président, M. Pauthe, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. En 2008, M P… D… et sa compagne, Mme X… V…, se sont adressés à Mme C… J… afin de réaliser la vente de leur bien immobilier, de désintéresser les créanciers hypothécaires et de régler des litiges les concernant, parmi lesquels celui opposant M. D… à son ancien employeur, le règlement d’une succession au Portugal, diverses dettes afférentes au logement du couple, le licenciement abusif de Mme V…, ainsi que plusieurs dettes propres à cette dernière.

3. Mme J… a mené jusqu’à son terme la vente de l’immeuble.

4. Le 19 janvier 2009, une somme de 90 000 euros correspondant aux fonds restant de la vente du bien de M. D… après désintéressement des créanciers hypothécaires, a fait l’objet d’un virement depuis le compte du notaire sur le compte bancaire ouvert en Suisse à la banque BCGE au nom de la société DVG Conseils gérée par Mme J….

5. Une partie de cette somme a été restituée à M. D… dans la limite de 47 190 euros sous la forme de remises successives en main propre de numéraire après retraits effectués sur le compte de DVG Conseils, le solde ayant été conservé par Mme J… à titre d’honoraires.

6. Au terme de l’enquête, Mme J… a été renvoyée devant le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains, en qualité de dirigeant de fait de l’EURL Groupe Archamps développement et exerçant une activité indépendante en nom individuel intitulée DVG Conseils, pour opération de banque par personne autre qu’un établissement de crédit, exercice illégal de la profession d’avocat et travail dissimulé par défaut de déclaration de salariés.

7. Par jugement du 5 décembre 2017, le tribunal correctionnel a relaxé Mme J… du chef d’opérations de banque effectuées à titre habituel par personne autre qu’un établissement de crédit et du chef de travail dissimulé concernant l’emploi de Mme Q… U…, l’a déclarée coupable pour le surplus et condamnée à la peine de huit mois d’emprisonnement dont quatre mois avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans.

8. Sur l’action civile, le tribunal a notamment déclaré recevable la constitution de partie civile de M. D… et de Mme V…, déclaré Mme J… responsable des préjudices subis et l’a condamnée à payer à M. D… les sommes de 43 767,20 euros en réparation du préjudice matériel et 3 000 euros en réparation du préjudice moral, et à Mme V… la somme de 1 500 euros en réparation du préjudice moral.

9. Il a été interjeté appel de ce jugement par Mme J…, par le procureur de la République ainsi que par M. D… et Mme V….

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen proposé pour Mme J…

10. Il n’est pas de nature à permettre l’admission du pourvoi au sens de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le premier moyen proposé pour Mme J…

Enoncé du moyen

11. Le moyen est pris de la violation des articles L. 311-2, L. 314-1, L. 511-5 et L. 573-1 du code monétaire et financier, 591 et 593 du code de procédure pénale.

12. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce qu’il a déclaré Mme J… coupable d’opération de banque effectuée à titre habituel par personne autre qu’un établissement de crédit, alors :

« 1°/ que le délit d’opération de banque effectuée à titre habituel par personne autre qu’un établissement de crédit suppose des opérations de banque effectuées à titre habituel et ouvertes au public ; qu’en déclarant l’exposante coupable de ce chef, lorsqu’un seul dépôt de 90.000 euros est établi, la cour d’appel n’a pas caractérisé la réception de fonds publics, éléments dont chacun est constitutif de l’infraction ;

2°/ que l’existence d’un dépôt réalisé par une seule personne, ne permet pas de caractériser une ouverture à un «public » au sens de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier ;

3°/ que les opérations connexes aux opérations de banque mentionnées à l’article L. 311-2 du code monétaire et financier ne relèvent pas du monopole bancaire ; qu’il en est ainsi des retraits d’espèce et des prélèvements sur un compte ; qu’en relevant que l’unique opération de remise des fonds a été suivie d’autres opérations consistant à fournir des services bancaires de paiement, lorsqu’il résulte des mentions mêmes de sa décision qu’il ne s’agissait que de retraits de compte en espèce, la cour d’appel a méconnu les articles L. 511-5, L. 311-2 et L. 314-1 du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 311-1 , L. 312-2 et L. 511-5 du code monétaire et financier :

13. Selon le premier de ces textes, la réception de fonds remboursables du public et les services bancaires de paiement constituent des opérations de banque.

14. Il résulte du deuxième texte que les fonds reçus du public doivent s’entendre comme les fonds qu’une personne recueille d’un tiers, notamment sous forme de dépôts, avec le droit d’en disposer pour son propre compte, mais à charge pour elle de les restituer.

15. Aux termes du troisième, il est interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public et de fournir des services bancaires de paiement.

16. Pour dire établi le délit d’opération de banque par personne autre qu’un établissement de crédit, l’arrêt attaqué énonce notamment que Mme J… a réceptionné des fonds, à savoir la somme de 90 000 euros appartenant aux parties civiles, directement en provenance du notaire et a pu en disposer comme elle l’entendait, sur un compte sur lequel elle était la seule à pouvoir intervenir et constate qu’elle a conservé par devers elle, à titre de soi-disant honoraires, près de la moitié de la somme reçue.

17. Les juges ajoutent que Mme J… a par la suite procédé, en toute connaissance de cause, de manière habituelle, constituée à partir de plus de deux opérations intervenues en la matière, à des mises à disposition des parties civiles, au moins à trois reprises selon ces dernières, et plus selon la prévenue et deux témoins, jusqu’à épuisement de la somme restante de 47 190 euros, à des retraits du compte en Suisse de sommes en espèces, puis à leur remise en France aux parties civiles.

18. Ils en déduisent que la prévenue, dépositaire des fonds qui lui avaient été confiés par les parties civiles, pouvait en disposer pour son propre compte, faute de les avoir déposés sur un compte séquestre, et ce, à charge pour elle de les restituer, que la prévenue ne disposait d’aucun agrément lui permettant d’accomplir des actes relevant du monopole bancaire, que ce service a été rendu à titre onéreux, moyennant une commission, que cette opération consiste en une remise de fonds provenant du public, c’est à dire un tiers, suivie d’autres opérations consistant à fournir des services bancaires de paiement.

19. En l’état de ces énonciations la cour d’appel a méconnu les textes visés au moyen.

20. En effet, des opérations successives de retrait suivies de remise de fonds à une seule personne, réalisées à la suite d’une remise unique de fonds remboursable par ce tiers ne suffisent pas à démontrer le caractère habituel des opérations de banque au sens de l’article L. 511-5 du code monétaire et financier.

21.La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le troisième moyen proposé pour Mme J…

Enoncé du moyen

22. Le moyen est pris de la violation des articles 4 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, 72 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 433-17 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale.

23. Le moyen critique l’arrêt en ce qu’il a déclaré Mme J… coupable d’exercice illégal de la profession d’avocat, alors :

« 1°/ que les actes de représentation et d’assistance que l’article 4 de la loi n° 71-1139 du 31 décembre 1971 réserve aux avocats devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit impliquent une prestation intellectuelle syllogistique consistant à analyser la situation de fait qui lui est personnelle pour y appliquer ensuite la règle ; qu’en relevant, pour déclarer Mme J… coupable d’exercice illégal de la profession d’avocat, les mentions portées sur sa carte de visite indiquant « Ingénierie financière et juridique » qui permettent de constater qu’elle n’hésitait pas à faire état de son intervention dans le domaine juridique, susceptible, en conséquence, de faire concurrence à la profession d’avocat, sans établir précisément les circonstances dans lesquelles l’exposante aurait usé des titres de conseil juridique et d’avocat et aurait effectivement exercé cette dernière profession au sens des articles 4 et 72 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

2°/ qu’en se bornant à relever différentes démarches administratives, comme des interventions effectuées par la prévenue auprès d’huissiers de justice ou des services fiscaux, ainsi que des courriers adressés à des organismes créanciers, sans caractériser des prestations intellectuelles syllogistiques relevant des actes de représentation et d’assistance au sens de l’article 4 de la loi n° 71-1139 du 31 décembre 1971, la cour d’appel n’a pas de plus fort justifié sa décision. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 593 du code de procédure pénale et 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 :

24. Selon le premier de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

25. Aux termes du second texte, nul ne peut, s’il n’est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit.

26. Pour déclarer Mme J… coupable d’exercice illégal de la profession d’avocat, l’arrêt énonce que celle-ci a produit un document en date du 15 juillet 2008 intitulé « pouvoir » aux termes duquel M. D… donnait pouvoir à l’EURL Groupe Archamps développement pour « le représenter dans tous les dossiers confiés à ce jour, assister et représenter et signer toutes les pièces et généralement faire le nécessaire », « recevoir ces sommes ouvrir des comptes à son nom ou à l’entête du pouvoir », « accorder et signer tous arrangements et contrats », « constituer tous avoués, avocats et agréés », celle-ci a reconnu avoir monté un dossier de surendettement pour M. D… et sa compagne et avoir fourni des précisions à cet organisme lors de sa présentation à la Banque de France.

27. Les juges constatent par ailleurs que figure au dossier une carte de visite au nom de la prévenue avec en entête la mention DVG Conseils et les mots « Ingénierie financière et juridique, restructuration des entreprises, artisans et particuliers, financement, rachat de crédits » pour en déduire que celle-ci, intervenant dans le domaine juridique, était susceptible en conséquence de faire concurrence à la profession d’avocat.

28. Les juges relèvent que Mme J… a facturé à M. D… et Mme V… diverses prestations parmi lesquelles l’ouverture d’un dossier concernant des problèmes de succession du père et de la tante de la partie civile, la recherche de documents auprès du Ministère de la justice et du Ministère des affaires étrangères, une consultation avec explications de M. D… , un autre dossier avec consultation, divers travaux sur dossiers, des interventions téléphoniques et par courriers auprès de l’administration des impôts notamment pour éviter une saisie et d’huissiers de créanciers aux fins de demandes de décomptes, un courrier pour désistement d’opposition, une « demande de renvoi devant le TI d’Ebony », de nombreux courriers adressés à des créanciers de Mme V… avec demande de suspension provisoire de poursuites ou demande d’interruption de prélèvement ou d’augmentation de découvert, des courriers adressés à des notaires ou des huissiers, une étude et analyse des pièces communiquées et des réponses faites au nom des clients, des recherches d’avocats sur Annecy, la rédaction d’une convention alimentaire amiable, diverses recherches et vérifications, des travaux dans le cadre d’un dossier de surendettement, l’ouverture du dossier de la succession du père et de la grand-mère de la partie civile, la consultation et la réception du client pour explication, la communication du dossier, diverses analyses, études de dossier, recherches de documentation, interventions auprès des impôts ou de la Banque de France, en vue d’une saisine du Juge de l’exécution, des courriers à des organismes créanciers rédaction de courriers pour le compte de la partie civile notamment « auprès du tribunal de la famille de Barreiro au Portugal », une intervention pour le compte de Mme V… dans le cadre d’un dossier Cofinance Immobilier, avec réception du client et envoi du courrier, la lecture et l’analyse de divers mails sur l’ensemble de ces dossiers.

29. Les juges considèrent que lesdites prestations rentrent bien dans le cadre de la notion d’assistance ou de représentation des parties et démontrent qu’elles relevaient bien de l’activité de conseil juridique, monopole de la profession d’avocat, alors même que la prévenue est totalement dépourvue de tout diplôme ou de toute formation suffisante en droit lui permettant d’exercer cette profession.

30. Ils en déduisent qu’est rapportée la preuve suffisante des éléments matériels constitutifs de l’infraction.

31. En statuant ainsi, sans mentionner de prestations entrant dans le champ des activités visées par l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ou sans préciser en quoi les prestations citées constitueraient des actes de représentation ou d’assistance devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, qui seuls sont réservés par le texte précité aux avocats, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision.

32. Par conséquent la cassation est encourue

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le moyen proposé par M. D… et Mme V…, la Cour :

CASSE et ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Chambéry en date du 7 novembre 2018, mais en ses seules dispositions ayant déclaré Mme J… coupable d’opération de banque par personne autre qu’un établissement de crédit et d’exercice illégal de la profession d’avocat, sur la peine et l’ensemble de ses dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu’il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Lyon à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf septembre deux mille vingt.

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour de cassation, Chambre criminelle, 9 septembre 2020, 19-80.090, Inédit