Conseil d'État, Juge des référés, 7 décembre 2021, 458329, Inédit au recueil Lebon

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Chronologie de l’affaire

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Vulpi Avocats - Chronique de jurisprudence · 19 janvier 2022

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Sur la décision

Référence :
CE, juge des réf., 7 déc. 2021, n° 458329
Juridiction : Conseil d'État
Numéro : 458329
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Conseil d'État, 11 juillet 2013, N° 344522
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 21 avril 2022
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044468722
Identifiant européen : ECLI:FR:CEORD:2021:458329.20211207

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 22 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Défense des milieux aquatiques demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative de suspendre l’exécution, en tant qu’ils fixent un quota global excessif et un quota de repeuplement en eau douce non nul :

1°) de l’arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l’encadrement de la pêche de l’anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022 ;

2°) de l’arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d’anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022 ;

Elle soutient que :

— la condition d’urgence est satisfaite dès lors que, d’une part, les arrêtés contestés portent atteinte de manière grave et immédiate à l’objectif d’intérêt public de restauration de l’anguille européenne, qui est une espèce en danger d’extinction, ainsi qu’aux intérêts de protection et de conservation de l’anguille et des milieux humides qu’elle défend et, d’autre part, ces arrêtés méconnaissent le règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes ainsi que le plan de gestion de l’anguille adopté par la France sur son fondement ;

— il existe un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés contestés ;

— les arrêtés contestés méconnaissent l’article 2 du règlement (CE) n° 1100/2007 dès lors que, d’une part, ils ajoutent un quota pour repeuplement qui fait obstacle au respect de l’objectif de réduction de 60 % de la mortalité par pêche fixé par le plan de gestion de l’anguille et, d’autre part, le quota de repeuplement en milieu fluvial devrait être nul, au regard du risque de propagation du parasite Anguillicola crassus ;

— les arrêtés contestés portent atteinte au principe de précaution dès lors que, en premier lieu, il existe de nombreux éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de disparition de l’anguille, en deuxième lieu, si le plan national de gestion de l’anguille, pris en application du règlement n° 1100/2007, prévoit de réduire de 60 pour cent les causes de mortalité liées à la pêche, la surmortalité et les risques environnementaux liés au repeuplement comme la majoration des quotas de pêche, que les pêcheurs n’arrivent d’ailleurs pas à utiliser dans leur totalité, menacent la restauration des anguilles ;

— la consultation publique à laquelle ont été soumis les arrêtés contestés a été effectuée en méconnaissance de l’article L. 120-1 du code de l’environnement dès lors que le public n’a pas été en mesure d’accéder aux informations pertinentes permettant sa participation effective, en ce que, d’une part, la note de présentation de la consultation produite par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation établissait une présentation erronée de la proposition de quota faite par le conseil scientifique et, d’autre part, elle ne permettait ni de prendre connaissance de l’avis du comité scientifique, ni ne présentait de bilan de la mise en œuvre du plan de gestion de l’anguille depuis 2010.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2021, la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer concluent au rejet de la requête. Elles soutiennent que la condition d’urgence n’est pas satisfaite, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 novembre 2021, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation s’associe aux conclusions et moyens présentés par la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer.

Par un mémoire après audience, enregistré le 26 novembre 2021, la ministre de la transition écologique et la ministre de la mer soutiennent, en premier lieu, que les arrêtés contestés sont conformes au règlement (CE) n° 1100/2007, qui est d’application directe en France, en deuxième lieu, que le plan de gestion de l’anguille, auquel les arrêtés contestés sont en tout état de cause conformes, n’est pas juridiquement opposable et, en dernier lieu, que ces arrêtés ne méconnaissent pas le principe de précaution.

Par un mémoire après audience, enregistré le 29 novembre 2021, l’association Défense des milieux aquatiques soutient, en premier lieu, que le règlement (CE) n° 1100/ 2007 et ses objectifs ont un caractère contraignant, en deuxième lieu, que le plan de gestion de l’anguille est directement applicable depuis son approbation par la Commission européenne, en troisième lieu, que le respect du principe de précaution n’est pas satisfait en ce que, d’une part, le dommage est irréversible et, d’autre part, les mesures prises par l’administration ne sont pas suffisantes pour parer au risque de disparition des anguilles et, en dernier lieu, que les arrêtés méconnaissent le plan de gestion dès lors qu’ils attribuent un quota de repeuplement aux pêcheurs en eau douce.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— la Constitution, notamment son Préambule ;

— le traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne ;

— le règlement européen (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ;

— le code de l’agriculture ;

— le code de l’environnement ;

— la décision du 15 février 2010 de la Commission européenne portant approbation du plan de gestion de l’anguille présenté par la France ;

— le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, l’association Défense des milieux aquatiques, et d’autre part, la ministre de la transition écologique, la ministre de la mer et le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ;

Ont été entendus lors de l’audience publique du 23 novembre 2021, à 16 heures :

— Me Ricard, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’association Défense des milieux aquatiques ;

— les représentants de l’association Défense des milieux aquatiques ;

— les représentants de la ministre de la transition écologique ;

— les représentants de la ministre de la mer ;

à l’issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l’instruction au 29 novembre 2021 à 18 heures ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

2. Le règlement (CE) du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes établit un cadre pour la protection et l’exploitation durable du stock d’anguilles européennes de l’espèce Anguilla anguilla. Aux termes de l’article 2 de ce règlement : « () 3. Les États membres élaborent un plan de gestion de l’anguille pour chaque bassin hydrographique tel que défini au paragraphe 1. / 4. L’objectif de chaque plan de gestion est de réduire la mortalité anthropique afin d’assurer avec une grande probabilité un taux d’échappement vers la mer d’au moins 40 % de la biomasse d’anguilles argentées correspondant à la meilleure estimation possible du taux d’échappement qui aurait été observé si le stock n’avait subi aucune influence anthropique. Le plan de gestion des anguilles est établi dans le but de réaliser cet objectif à long terme. / () 9. Chaque plan de gestion de l’anguille contient le calendrier prévu pour atteindre l’objectif en matière de taux d’échappement fixé au paragraphe 4, selon une approche progressive et en fonction du taux de recrutement envisagé, et comprend les mesures qui seront appliquées à partir de la première année de mise en œuvre du plan de gestion (). » Aux termes de l’article 5 du même règlement : « 1. Sur la base d’une évaluation technique et scientifique effectuée par le comité scientifique, technique et économique de la pêche ou par un autre organisme scientifique approprié, le plan de gestion de l’anguille est approuvé par la Commission conformément à la procédure visée à l’article 30, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2371/2002. / 2. Les États membres mettent en œuvre les plans de gestion de l’anguille approuvés par la Commission, conformément au paragraphe 1, à partir du 1er juillet 2009, ou le plus tôt possible avant cette date. / () ». Enfin, aux termes de l’article 7 du même règlement : « 1. Si un État membre autorise la pêche d’anguilles d’une longueur inférieure à 12 cm, () il réserve au moins 60 % de toutes les anguilles d’une longueur inférieure à 12 cm pêchées dans ses eaux chaque année destinées à la commercialisation en vue de servir au repeuplement dans les bassins hydrographiques de l’anguille (). » Sur le fondement de ces dispositions, la Commission européenne a approuvé le 15 février 2010 le plan de gestion de l’anguille présenté par la France, qui prévoit notamment une réduction de 60 % de la mortalité par pêche par rapport à une période de référence, et ce pour chaque stade de développement de l’anguille (anguille de moins de 12 centimètres, anguille jaune, anguille argentée). Les articles R. 436-65-3 du code de l’environnement et R. 922-48 du code rural et de la pêche maritime interdisent la pêche de l’anguille de moins de 12 centimètres (civelle) respectivement en eau douce et en mer. Ils autorisent toutefois l’autorité administrative à déroger à cette interdiction en octroyant aux pêcheurs professionnels bénéficiaires d’une autorisation, pour chaque saison de pêche et pour certaines zones, des quotas de capture des anguilles de moins de 12 centimètres. Par une décision n° 344522 du 12 juillet 2013, l’Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat a notamment jugé que ces dernières dispositions ne méconnaissaient pas les articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement et qu’elles ne rendaient pas impossibles, par elles-mêmes, la réalisation de l’objectif de long terme d’échappement vers la mer d’au moins 40 % de la biomasse d’anguilles argentées fixé par le règlement du Conseil précité. La pêche des civelles s’effectue ainsi en estuaires, tant par des entreprises de pêche maritime que fluviale sur les bassins versants qui se jettent en Manche et en Atlantique. Pour l’ensemble des zones concernées, le total des prélèvements autorisés pour la saison de pêche 2021-2022 a été fixé par ces arrêtés à 26 tonnes au titre de la mise à la consommation et 39 tonnes au titre du repeuplement.

3. L’association Défense des milieux aquatiques demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l’exécution, en tant qu’ils fixent un quota global excessif et un quota de repeuplement en eau douce non nul, d’une part, de l’arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l’encadrement de la pêche de l’anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022 et, d’autre part, de l’arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d’anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche en mer 2021-2022.

4. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence s’apprécie objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

5. Pour justifier de l’urgence à suspendre les deux arrêtés, l’association Défense des milieux aquatiques fait d’abord état de nombreux travaux du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), organisation internationale, qui alertent sur le risque d’extinction de l’espèce, et notamment son avis du 4 novembre 2021, dans lequel il invite à suspendre toute forme de pêche à l’anguille, estimant probable que la biomasse actuelle soit déjà inférieure au seuil nécessaire pour la perpétuation de l’espèce. L’association soutient en outre que les ministres n’ont pas respecté l’avis du comité scientifique du 13 juillet 2021, qu’ils avaient sollicité, en autorisant la pêche de 65 tonnes de civelles, alors que l’avis recommandait un maximum de 26 tonnes. Elle souligne enfin que la France est au nombre des pays pour lesquels la réalisation de l’objectif européen de 40 % d’échappement n’est pas clairement établie.

6. Il résulte de l’instruction que le comité scientifique a recommandé pour la saison de pêche 2021-2022 un total de captures de 26 tonnes, avec une probabilité de 75 % d’atteindre ainsi l’objectif d’une réduction de 60% de la mortalité par rapport à une période de référence. Les arrêtés dont la suspension est demandée ont fixé à 26 tonnes le quota destiné à la consommation et 39 tonnes celui consacré au repeuplement. Si certaines des anguilles prélevées lors des opérations françaises de repeuplement n’y survivent pas, il ne résulte pas de l’instruction que la biomasse ainsi reversée dans d’autres bassins hydrographiques de l’anguille serait significativement inférieure au prélèvement effectué au titre du repeuplement, d’ailleurs toujours inférieur, depuis 2013, au quota autorisé. Il s’en déduit que le risque irréversible, allégué par l’association requérante, n’est pas établi. En outre, il n’est pas plus possible de faire la part, au sein des causes de mortalité de l’anguille européenne, de ce qui relève de la pêche autorisée par le Gouvernement français des autres causes de mortalité anthropique, comme la dégradation des habitats, l’impact d’espèces invasives, le braconnage ou encore les prélèvements effectués dans les autres pays européens. Il résulte en revanche de l’instruction que la réduction demandée des quotas de pêche à l’anguille comme l’interdiction de toute pêche en eau douce serait de nature à porter gravement atteinte à l’équilibre économique des 505 entreprises de pêche professionnelle concernées, la pêche à la civelle représentant 30% à 60% de leur chiffres d’affaires annuel. Enfin, le nombre de droits de pêche professionnels « civelle » pour les entreprises de la façade Atlantique a été divisé par deux depuis l’approbation par la Commission européenne en 2010 du plan de gestion de l’anguille présenté par la France.

7. Il résulte de tout ce qui précède que les effets des arrêtés litigieux ne sont pas de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, leur exécution soit suspendue. Il y a lieu, par suite, de rejeter la requête, y compris ses conclusions présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

— -----------------

Article 1er : La requête de l’association Défense des milieux aquatiques est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association Défense des milieux aquatiques, à la ministre de la transition écologique, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation et à la ministre de la mer.

Fait à Paris, le 7 décembre 2021

Signé : Thomas Andrieu458329

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Conseil d'État, Juge des référés, 7 décembre 2021, 458329, Inédit au recueil Lebon