CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE QUINN c. FRANCE, 22 mars 1995, 18580/91

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Chronologie de l’affaire

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DEUXIÈME SECTION AFFAIRE PIROZZI c. BELGIQUE (Requête no 21055/11) ARRÊT STRASBOURG 17 avril 2018 DÉFINITIF 17/07/2018 Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme. En l'affaire Pirozzi c. Belgique, La Cour européenne des droits de l'homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de : Robert Spano, président, Paul Lemmens, Ledi Bianku, Nebojša Vučinić, Valeriu Griţco, Jon Fridrik Kjølbro, Stéphanie Mourou-Vikström, juges, et de Stanley Naismith, greffier de …

 

Pauline Gervier · Revue Jade

Les mesures de prévention praeter delictum sont de retour devant la Cour européenne des droits de l'homme. A la suite d'une série d'arrêts portant sur des dispositifs mis en œuvre en Italie pour lutter contre la mafia[1], la Cour se prononce de nouveau sur la conventionalité de mesures restrictives de libertés visant à parer au danger d'infractions futures. En l'espèce, le requérant a été soumis à une mesure de surveillance spéciale de police, assortie d'une assignation à résidence, pendant 221 jours. Celle-ci incluait de nombreuses obligations : se présenter une fois par semaine à …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 22 mars 1995, n° 18580/91
Numéro(s) : 18580/91
Publication : A311
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique du 18 juin 1971, série A no 12, p. 39, par. 71
Arrêt Van der Leer c. Pays-Bas du 21 février 1990, série A no 170-A, p. 12, par. 22
Arrêt Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, série A no 185-A, p. 11, par. 24
Références à des textes internationaux :
Convention européenne d'extradition (Paris, 13.12.1957), Articles 1, 7, 8, 16, 18, 19
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 5-1 ; Non-violation de l'art. 5-3 (détention provisoire) ; Non-lieu à examiner l'art. 18 ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement frais et dépens - procédure nationale ; Remboursement frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-62475
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1995:0322JUD001858091
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Sur les parties

Texte intégral

COUR (CHAMBRE)

AFFAIRE QUINN c. FRANCE

(Requête no18580/91)

ARRÊT

STRASBOURG

22 mars 1995



En l’affaire Quinn c. France[1],

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A[2], en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Ryssdal, président,

Thór Vilhjálmsson,

L.-E. Pettiti,

R. Macdonald,

S.K. Martens,

R. Pekkanen,

A.B. Baka,

L. Wildhaber,

B. Repik,

ainsi que de M. H. Petzold, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 22 septembre 1994, 24 janvier et 25 février 1995,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

PROCEDURE

1.   L’affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l’Homme ("la Commission") le 9 décembre 1993, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son origine se trouve une requête (no 18580/91) dirigée contre la République française et dont un ressortissant américain, M. Thomas Quinn, avait saisi la Commission le 17 juillet 1991 en vertu de l’article 25 (art. 25).

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu’à la déclaration française reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 5 paras. 1 et 3 de la Convention (art. 5-1, art. 5-3).

2.   En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 par. 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et a désigné son conseil (article 30).

3.   La chambre à constituer comprenait de plein droit M. L.-E. Pettiti, juge élu de nationalité française (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21 par. 3 b) du règlement A). Le 28 janvier 1994, celui-ci a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir MM. Thór Vilhjálmsson, R. Macdonald, N. Valticos, S.K. Martens, A.B. Baka, L. Wildhaber et B. Repik, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A) (art. 43). Ultérieurement, M. I. Foighel, suppléant, a remplacé M. Valticos, empêché; à son tour, M. R. Pekkanen, suppléant, a remplacé M. Foighel, également empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement A).

4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5 du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l’intermédiaire du greffier, l’agent du gouvernement français ("le Gouvernement"), l’avocat du requérant et le délégué de la Commission au sujet de l’organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l’ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le mémoire du requérant le 25 mai 1994 et celui du Gouvernement le 31 mai. Le 7 juin, le secrétaire de la Commission l’a informé que le délégué s’exprimerait oralement.

Le 13 juin 1994, la Commission a produit les pièces de la procédure suivie devant elle; le greffier l’y avait invitée sur les instructions du président.

5.   Constatant l’absence de l’agent du Gouvernement et du délégué de la Commission le 19 septembre 1994, jour fixé pour l’audience, le président a décidé de reporter les débats au lendemain. Ceux-ci se sont déroulés en public le 20 septembre 1994, au Palais des Droits de l’Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

MM. P. Titiun, magistrat détaché

à la direction des affaires juridiques du ministère des

Affaires étrangères, agent, 

G. Bitti, chargé de mission

au service des affaires européennes et internationales du              

ministère de la Justice, conseil;

- pour la Commission

Mme G.H. Thune, déléguée;

- pour le requérant

Me N. Maryan Green, avocat

à la cour d’appel de Paris et Barrister-at-Law à Londres,              

conseil.

Les deux autres conseils du requérant, Mes D. Bouthors et F. Serres, étaient présents à Strasbourg le 19 septembre 1994 mais n’ont pu participer à l’audience du lendemain.

6.   La Cour a entendu en leurs déclarations M. Titiun, Mme Thune et Me Maryan Green.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7.   M. Thomas Quinn, né à New York en 1937, est de nationalité américaine et résidait à Paris. Le 24 septembre 1992, le gouvernement français l’a extradé vers la Suisse.

A. La procédure pénale en France

1. La procédure d’instruction

a) Les poursuites

8.   A la suite du dépôt de quatre-vingt-treize plaintes d’investisseurs français, une instruction fut menée en France dès 1988. Les intéressés avaient été démarchés par des sociétés de courtage établies en Suisse et au Liechtenstein, pour acquérir, à des cours artificiellement gonflés, des actions émises sur le marché américain par des sociétés fictives. Les sommes perçues étaient reversées sur des comptes ouverts en Suisse au nom de sociétés étrangères, mais les plaignants ne purent jamais réaliser leurs titres. Onze personnes, dont le requérant, toutes de nationalité étrangère, furent poursuivies.

9.   Arrêté le 1er août 1988 en possession de deux faux passeports grecs, M. Quinn fut le jour même inculpé du chef d’escroquerie, d’infractions à la législation sur l’émission de titres ainsi que de falsification de documents administratifs. Le 29 novembre suivant, le juge assortit l’inculpation initiale de la circonstance aggravante d’escroquerie par une personne ayant fait appel public à l’épargne.

b) La détention provisoire

10.   Le jour de son arrestation, M. Quinn fut placé sous mandat de dépôt à la maison d’arrêt de la Santé à Paris.

Le magistrat instructeur prolongea par trois fois, les 30 novembre 1988, 23 mars et 20 juillet 1989, et pour quatre mois la détention provisoire. Il considérait en effet celle-ci comme l’unique moyen d’assurer la représentation en justice d’un inculpé de nationalité étrangère, arrêté en possession de faux passeports et disposant hors de France de plusieurs résidences et de nombreux complices.

c) L’arrêt de remise en liberté

11.   M. Quinn interjeta appel devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris de l’ordonnance du 20 juillet 1989 prolongeant sa détention provisoire.

Ayant tenu audience le 2 août 1989, la cour infirma la décision contestée par un arrêt rendu, hors la présence du requérant, le 4 août à 9 heures. Elle ordonna qu’il fût "sur-le-champ remis en liberté s’il n’[était] pas détenu pour autre cause", par les motifs ci-après:

"Considérant qu’au stade actuel de l’information, menée avec diligence, et des présomptions subsistant contre Quinn, la détention n’apparaît plus nécessaire à la manifestation de la vérité;

Que, compte tenu des remboursements effectués ou en cours, elle ne répond plus aux exigences de l’ordre public;

Qu’enfin, les saisies opérées sont de nature à assurer la comparution en justice de l’appelant, qui offre par ailleurs des garanties de domiciliation et de stabilité."

Cette décision immédiatement exécutoire ne fit l’objet d’aucun recours.

12.   Le requérant ne fut pourtant pas remis en liberté: sa libération effective était subordonnée à la notification de la décision d’élargissement par le procureur général chargé de son exécution et à l’accomplissement des formalités de levée d’écrou.

2. La procédure de jugement

13.   Le requérant comparut détenu sous écrou extraditionnel (paragraphes 16 et 17 ci-dessous) devant le tribunal correctionnel de Paris qui, le 10 juillet 1991, le déclara coupable d’escroquerie au préjudice de quatre-vingt-treize personnes et d’organisation de démarchage en vue d’opérations sur des valeurs mobilières étrangères en France, sans autorisation préalable. Condamné à quatre ans d’emprisonnement et 300 000 francs français (FRF) d’amende, il fut placé sous mandat de dépôt (paragraphe 30 ci-dessous).

14.   Le ministère public et M. Quinn saisirent la cour d’appel de Paris. Par un arrêt du 23 avril 1992, celle-ci écarta la circonstance aggravante d’appel public à l’épargne. Elle infligea à l’intéressé une peine de quatre ans d’emprisonnement dont un an avec sursis et ordonna son maintien en détention (paragraphe 30 ci-dessous).

15.   Le requérant, qui s’était trouvé en détention provisoire du 1er août 1988 au 4 août 1989, puis pendant la procédure de jugement - soit environ un an et dix mois -, fut extradé vers la Suisse le 24 septembre 1992 après avoir purgé sa peine.

B. La procédure d’extradition vers la Suisse

1. La détention aux fins d’extradition

a) Le placement sous écrou extraditionnel

16.   Le 4 août 1989 vers 17 h 30, un juge d’instruction de Genève transmit par télécopie au parquet de Paris une demande d’arrestation provisoire - également adressée par l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol) le 5 août et par la voie diplomatique le 16 août - en vue de l’extradition du requérant, désigné comme "actuellement détenu à la prison de la Santé à Paris, placé ce jour en liberté provisoire".

Intitulée "fiche d’accompagnement", ladite demande portait la mention "très urgent, à remettre en mains propres au destinataire [un substitut du procureur de la République], qui est au courant".

Y était joint le mandat d’arrêt international délivré par le magistrat contre M. Quinn des chefs d’escroquerie par métier et faux dans les titres. Il lui était reproché d’avoir, avec ses comparses, vendu des titres de sociétés américaines à près de dix mille investisseurs dans le monde, en les trompant sur la valeur de ces actions et en faisant usage de fausses identités pour se faire créditer sur des comptes bancaires suisses. Le préjudice global était évalué à plus de dix millions de dollars américains.

17.   Le procureur de la République de Paris ordonna l’arrestation provisoire du requérant. Ce dernier, qui était encore incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé, y fut appréhendé. Le procureur l’interrogea vers 20 heures et le plaça sous écrou extraditionnel.

18.   Le 4 octobre 1989, la chambre d’accusation de Paris - siégeant dans une composition différente de celle qui avait statué sur la détention provisoire - notifia à M. Quinn le titre en vertu duquel avait eu lieu son arrestation.

b) Les demandes d’élargissement

19.   Au cours de la procédure d’extradition suivie contre lui, M. Quinn sollicita à trois reprises son élargissement, en se fondant toujours sur l’article 5 (art. 5) de la Convention. Il dénonçait les circonstances de son placement en détention.

Dans les trois arrêts qu’elle rendit les 23 août 1989, 2 novembre 1989 et 19 décembre 1990, la chambre d’accusation le débouta de tous ses recours en déclarant que la détention avait été ordonnée conformément aux dispositions de la Convention européenne d’extradition. Elle justifia le refus de mise en liberté par le risque de fuite et le défaut de garantie de représentation en justice et considéra, quant à la durée de la détention, que la procédure s’était "déroulée de manière continue et sans retard".

A l’intéressé qui se plaignait de l’irrégularité de son placement en détention à titre extraditionnel, elle répondit que "les allégations des mémoires sur ce point ressortiss[ai]ent au droit interne français et n’[avaient] pas à être examinées dans une procédure d’extradition".

20.   Saisie par trois fois de pourvois du requérant, la Cour de cassation indiqua dans un arrêt de rejet du 19 décembre 1989 que

"(...) contrairement aux allégations de Thomas Quinn, les juges n’étaient pas tenus, pour justifier le maintien en détention, de se référer aux seules dispositions de l’article 144 du code de procédure pénale [paragraphe 29 ci-dessous], dès lors qu’en matière d’extradition il ne leur appartient pas de connaître de la réalité des charges qui pèsent sur la personne réclamée."

Elle précisa dans un autre arrêt de rejet, du 15 avril 1991, que les juges ne se préoccupent pas "des conditions et modalités de l’action publique étrangère", et que "l’arrêt de la chambre d’accusation du 4 août 1989 qui a[vait] ordonné [la] mise en liberté [du requérant] dans la procédure suivie en France contre lui n’a[vait] aucune autorité en matière extraditionnelle".

2. L’extradition

a) L’avis de la chambre d’accusation

21.   Le 16 août 1989, le procureur général procéda à l’interrogatoire d’identité du requérant.

22.   Par un arrêt avant dire droit du 2 novembre 1989, la chambre d’accusation sollicita un complément d’informations auprès de l’Etat demandeur.

Les renseignements qu’elle recueillit au sujet des plaignants, des comptes bancaires et des faits constitutifs des manoeuvres frauduleuses, furent portés à la connaissance du requérant lors d’une audience tenue le 17 janvier 1990. M. Quinn argua d’un détournement de procédure de la part de l’Etat suisse: les services de ce pays auraient tenté d’empêcher la juridiction française d’exercer sa compétence.

23.   Le 14 mars 1990, la chambre d’accusation se déclara favorable à l’extradition.

Se prononçant sur les notions d’"urgence" et d’"individu recherché" au sens de la Convention européenne d’extradition, elle indiqua:

"Que l’appréciation de l’urgence est du ressort de cet Etat [la Suisse] et que cette urgence trouve sa justification dans le fait que la mise en liberté de Quinn dans la procédure interne française venait d’être ordonnée;

Qu’il ne saurait être reproché aux autorités françaises d’avoir prévenu les autorités suisses, ce comportement paraissant normal et habituel, dans le cadre de la coopération judiciaire internationale."

24.   Le 24 juillet 1990, la Cour de cassation rejeta comme irrecevable, en application de l’article 16 de la loi du 10 mars 1927 (paragraphe 28 ci-dessous), le pourvoi introduit par M. Quinn contre l’avis de la chambre d’accusation.

b) La décision d’extrader

25.   Le 24 janvier 1991, le Premier ministre accorda à la Suisse l’extradition du requérant. Le décret fut notifié à l’intéressé le 19 février suivant.

Celui-ci en demanda le sursis à exécution et l’annulation auprès du Conseil d’Etat qui le débouta le 31 janvier 1992, notamment au motif suivant:

"(...) la circonstance que le mandat d’arrêt ait été émis par un juge suisse le jour où la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris statuait sur une demande de mise en liberté de M. Quinn, inculpé en France, ne révèle pas, contrairement à ce qu’allègue le requérant, l’existence d’un détournement de procédure."

26.   M. Quinn, qui avait été en détention sous écrou extraditionnel du 4 août 1989 au 10 juillet 1991 - soit pendant un an, onze mois et six jours -, fut remis aux autorités suisses le 24 septembre 1992 (paragraphe 15 ci-dessus).

II.   LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS

A. Le droit international

27.   La Convention européenne d’extradition, signée à Paris le 13 décembre 1957 et entrée en vigueur le 11 mai 1986, prévoit:

Article 1er - Obligation d’extrader

"Les Parties Contractantes s’engagent à se livrer réciproquement, selon les règles et sous les conditions déterminées par les articles suivants, les individus qui sont poursuivis pour une infraction ou recherchés aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté par les autorités judiciaires de la Partie requérante."

Article 7 - Lieu de perpétration

"1. La Partie requise pourra refuser d’extrader l’individu réclamé à raison d’une infraction qui, selon sa législation, a été commise en tout ou en partie sur son territoire ou en un lieu assimilé à son territoire.

(...)"

Article 8 - Poursuites en cours pour les mêmes faits

"Une Partie requise pourra refuser d’extrader un individu réclamé si cet individu fait l’objet de sa part de poursuites pour le ou les faits à raison desquels l’extradition est demandée."

Article 16 - Arrestation provisoire

"1. En cas d’urgence, les autorités compétentes de la Partie requérante pourront demander l’arrestation provisoire de l’individu recherché; les autorités compétentes de la Partie requise statueront sur cette demande conformément à la loi de cette Partie.

(...)

4. (...) la mise en liberté provisoire est possible à tout moment, sauf pour la Partie requise à prendre toute mesure qu’elle estimera nécessaire en vue d’éviter la fuite de l’individu réclamé.

(...)"

Article 18 - Remise de l’extradé

"(...)

3. En cas d’acceptation [de la demande d’extradition], la Partie requérante sera informée du lieu et de la date de la remise, ainsi que de la durée de la détention subie en vue de l’extradition par l’individu réclamé.

(...)"

Article 19 - Remise ajournée ou conditionnelle

"1. La Partie requise pourra, après avoir statué sur la demande d’extradition, ajourner la remise de l’individu réclamé pour qu’il puisse être poursuivi par elle ou, s’il a déjà été condamné, pour qu’il puisse purger, sur son territoire, une peine encourue à raison d’un fait autre que celui pour lequel l’extradition est demandée.

2. Au lieu d’ajourner la remise, la Partie requise pourra remettre temporairement à la Partie requérante l’individu réclamé dans des conditions à déterminer d’un commun accord entre Parties."

B. Le droit national

1. En matière d’extradition

28.   La loi du 10 mars 1927 relative à l’extradition des étrangers dispose:

Article 1er

"En l’absence de traité, les conditions, la procédure et les effets de l’extradition sont déterminés par les dispositions de la présente loi.

La présente loi s’applique également aux points qui n’auraient pas été réglementés par les traités."

Article 5

"L’extradition n’est pas accordée:

(...)

3. Lorsque les crimes ou délits ont été commis en France ou dans les possessions coloniales françaises;

(...)"

Article 8

"Dans le cas où un étranger est poursuivi ou a été condamné en France, et où son extradition est demandée au gouvernement français à raison d’une infraction différente, la remise n’est effectuée qu’après que la poursuite est terminée, et, en cas de condamnation, après que la peine a été exécutée.

Toutefois, cette disposition ne fait pas obstacle à ce que l’étranger puisse être envoyé temporairement pour comparaître devant les tribunaux de l’Etat requérant, sous la condition expresse qu’il sera renvoyé dès que la justice étrangère aura statué.

(...)"

Article 16

"Dans le cas contraire [si l’intéressé ne consent pas à être livré aux autorités du pays requérant], la chambre des mises en accusation, statuant sans recours, donne son avis motivé sur la demande d’extradition.

(...)"

Article 17

"Si l’avis motivé de la chambre des mises en accusation repousse la demande d’extradition, cet avis est définitif et l’extradition ne peut être accordée."

Article 18

"Dans le cas contraire, le ministre de la justice propose, s’il y a lieu, à la signature du Président de la République, un décret autorisant l’extradition. Si, dans le délai d’un mois à compter de la notification de cet acte, l’extradé n’a pas été reçu par les agents de la puissance requérante, il est mis en liberté, et ne peut plus être réclamé pour la même cause."

2. En matière de détention provisoire

29.   Aux termes de l’article 144 du code de procédure pénale ("CPP"):

"(...) la détention provisoire peut être ordonnée ou maintenue:

1. Lorsque la détention provisoire de l’inculpé est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre inculpés et complices;

2. Lorsque cette détention est nécessaire pour préserver l’ordre public du trouble causé par l’infraction ou pour protéger l’inculpé, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvellement ou pour garantir le maintien de l’inculpé à la disposition de la justice.

(...)"

L’article 145-1 CPP est ainsi libellé:

"En matière correctionnelle, la détention ne peut excéder quatre mois. Toutefois, à l’expiration de ce délai, le juge d’instruction peut la prolonger par une ordonnance motivée comme il est dit à l’article 145, alinéa premier. Aucune prolongation ne peut être prescrite pour une durée de plus de quatre mois.

Lorsque l’inculpé n’a pas déjà été condamné pour crime ou délit de droit commun, soit à une peine criminelle, soit à une peine d’emprisonnement sans sursis d’une durée supérieure à un an et lorsqu’il n’encourt pas une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans, la prolongation de la détention prévue à l’alinéa précédent ne peut être ordonnée qu’une fois et pour une durée n’excédant pas deux mois.

Dans les autres cas, l’inculpé ne peut être maintenu en détention au-delà d’un an. Toutefois, à titre exceptionnel, le juge d’instruction peut, à l’expiration de ce délai, décider de prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à quatre mois, par une ordonnance motivée, rendue conformément aux dispositions de l’article 145, premier et cinquième alinéas, qui peut être renouvelée selon la même procédure. Néanmoins, l’inculpé ne peut être maintenu en détention au-delà de deux ans lorsqu’il n’encourt pas une peine d’emprisonnement supérieure à cinq ans.

(...)"

30.   L’exécution des jugements étant suspendue pendant les délais d’exercice des voies de recours, les juridictions peuvent ordonner à l’audience la mise ou le maintien en détention du prévenu condamné (articles 464-1, 465 et 569 CPP). Cette détention est intégralement déduite de la durée de la peine prononcée (article 24 CPP).

31.   Le détenu écroué à la suite d’une demande d’extradition émanant d’un gouvernement étranger est soumis au même régime que le prévenu (article D 507 CPP).

32.   La décision de la juridiction qui statue sur une demande d’élargissement est immédiatement exécutoire (article 148-2, 2e alinéa, CPP), la charge de s’en assurer revenant au procureur général (article 207 CPP).

33.   Préalablement à sa mise en liberté, l’inculpé détenu doit faire la déclaration de son adresse (article 148-3 CPP) auprès du juge d’instruction si celui-ci l’a fait extraire, ou sinon du chef de l’établissement pénitentiaire. Dans la mesure où il est demandé à ce dernier de recueillir l’adresse avant de procéder à la mise en liberté d’un prévenu, le juge d’instruction doit lui indiquer, lors de l’envoi de l’ordre de levée d’écrou, si l’inculpé a déjà déclaré une adresse devant lui.

Au moment de la levée de l’écrou, chaque libéré reçoit un billet de sortie (article D 288 CPP); lorsque plusieurs détenus sont libérables le même jour, des précautions sont prises pour qu’ils ne se rencontrent pas, mais l’application de cette règle ne doit pas avoir pour conséquence de retarder au-delà de midi leur élargissement dans la journée où ils doivent être libérés (article D 289 CPP).

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

34.   M. Quinn a saisi la Commission le 17 juillet 1991. Il dénonçait l’irrégularité et la durée de sa détention provisoire qu’il estimait incompatibles avec l’article 5 paras. 1 et 3 (art. 5-1, art. 5-3) de la Convention, lu isolément et combiné avec l’article 18 (art. 5+18): en le plaçant sous écrou extraditionnel, les autorités françaises n’auraient cherché qu’à assurer sa représentation dans la procédure nationale en dépit de l’arrêt de la chambre d’accusation ordonnant son élargissement immédiat.

35.   La Commission a retenu la requête (no 18580/91) le 8 janvier 1993. Dans son rapport du 22 octobre 1993 (article 31) (art. 31), elle relève des infractions à l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention du fait de la privation de liberté du requérant le 4 août 1989 de 9 heures à 20 heures (unanimité), et de sa détention à titre extraditionnel (treize voix contre quatre), mais conclut à l’absence de violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) (unanimité). Le texte intégral de son avis et des trois opinions séparées dont il s’accompagne figure en annexe au présent arrêt[3].

CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT

36.   A l’audience, le Gouvernement a confirmé les conclusions de son mémoire. Il y invitait la Cour à "dire qu’il n’y a pas eu violation des article 5 par. 1 et 5 par. 3 (art. 5-1, art. 5-3) de la Convention".

EN DROIT

I.   INTRODUCTION

37.   M. Quinn prétend avoir été arbitrairement maintenu en détention le 4 août 1989, le temps pour le parquet de Paris de provoquer la mise en oeuvre de la procédure d’extradition et faire ainsi échec à la décision d’élargissement immédiat prise le matin même par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris. Sa détention à titre extraditionnel aurait constitué le simple prolongement, à un autre titre, de la période de détention provisoire qui venait de s’achever dans la procédure suivie en France.

Invoquant ensemble les articles 5 paras. 1 et 3, et 18 (art. 5-1, art. 5-3, art. 18) de la Convention, l’intéressé allègue un détournement de la procédure d’extradition pour les besoins de l’instruction en France et dénonce l’irrégularité de sa détention dans le cadre de ladite procédure ainsi que la durée de sa privation de liberté avant jugement.

II.   SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 PAR. 1 (art. 5-1) DE LA CONVENTION

38.   D’après le requérant, son maintien en détention le 4 août 1989 et la détention subséquente aux fins d’extradition ont enfreint l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention qui, dans la mesure où il joue un rôle en l’espèce, se lit ainsi:

"Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales:

(...)

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci;

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours."

A. La détention le 4 août 1989

39.   M. Quinn soutient qu’il devait être remis en liberté "sur-le-champ", en exécution de l’arrêt prononcé le matin même, et qu’il est donc arbitrairement resté en détention pour être de nouveau arrêté à la demande des autorités helvétiques.

40.   Tel est aussi l’avis de la Commission.

41.   Le Gouvernement explique que la libération effective ne pouvait avoir lieu sans délai en raison des formalités de levée d’écrou, plus longues en période de vacances judiciaires.

42.   La Cour rappelle que la liste des exceptions au droit à la liberté figurant à l’article 5 par. 1 (art. 5-1) revêt un caractère exhaustif et que seule une interprétation étroite cadre avec le but et l’objet de cette disposition (art. 5-1): assurer que nul ne soit arbitrairement dépouillé de sa liberté (voir notamment les arrêts Van der Leer c. Pays-Bas du 21 février 1990, série A no 170-A, p. 12, par. 22, et Wassink c. Pays-Bas du 27 septembre 1990, série A no 185-A, p. 11, par. 24).

Elle reconnaît qu’un certain délai dans l’exécution d’une décision de remise en liberté est normal; elle constate cependant qu’en l’espèce le requérant est resté détenu pendant onze heures après l’arrêt de la chambre d’accusation qui ordonnait son élargissement "sur-le-champ" et sans que cette décision lui ait été notifiée ni qu’elle ait reçu un commencement d’exécution.

Le maintien en détention de M. Quinn le 4 août 1989 ne relevait manifestement pas de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1-c) et ne ressortissait à aucun autre de ses alinéas.

43.   Dès lors il y a eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) à cet égard.

B. La détention aux fins d’extradition

44.   M. Quinn conteste ensuite la régularité de sa détention à titre extraditionnel, en raison non seulement des circonstances de son arrestation au soir du 4 août 1989, mais aussi de la durée de sa privation de liberté. Les procédures d’extradition se caractérisant le plus souvent par leur extrême rapidité, un délai de près de deux ans révélerait un détournement de la procédure d’extradition: en réalité, les autorités françaises auraient cherché à garder l’intéressé à leur disposition le temps nécessaire à la poursuite de l’instruction en France.

45.   La Commission souscrit en substance à la thèse du requérant.

46.   Quant au Gouvernement, il la combat. Rappelant que la Convention européenne d’extradition emporte pour les Etats parties obligation d’extrader, il affirme que la détention à titre extraditionnel - seule à même de garantir la remise de l’intéressé à la Partie requérante - a été en l’occurrence ordonnée dans le respect des règles de l’extradition, comme les juridictions françaises l’ont constaté, et visait uniquement à livrer le requérant à la justice de l’Etat demandeur.

Face à l’urgence de la situation - la libération imminente de M. Quinn -, les autorités helvétiques avaient requis par télécopie le 4 août 1989 l’arrestation provisoire de l’intéressé. La procédure aurait ensuite été menée avec la diligence implicitement exigée par l’article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f), et le temps passé en détention aurait été signalé aux autorités concernées pour qu’il vienne en déduction des peines éventuellement prononcées. Enfin, les nombreux recours, exercés et abondamment développés par le requérant devant les juridictions internes, auraient contribué à prolonger la privation de liberté.

47.   La Cour estime que la détention aux fins d’extradition se justifiait dans son principe au regard de l’article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f).

Ce texte (art. 5-1) requiert d’abord la "régularité" de la détention, y compris l’observation des voies légales. En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale, mais elle commande de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 (art. 5): protéger l’individu contre l’arbitraire (arrêts Van der Leer et Wassink précités). Mieux placées que les organes de la Convention pour vérifier le respect du droit interne, les juridictions nationales ont constaté la régularité de la détention litigieuse dans sa phase initiale et quant à sa finalité. Elles ont pu, à juste titre, prendre en considération les nécessités de l’entraide judiciaire internationale.

A la différence de la Commission, la Cour n’aperçoit, en l’espèce, aucun élément donnant à penser que la détention à titre extraditionnel ait poursuivi un but différent de celui pour lequel elle fut imposée et qu’elle ait revêtu le caractère d’une détention provisoire déguisée. En particulier, les circonstances de l’arrestation de M. Quinn et la concomitance des poursuites ne peuvent, à elles seules, l’amener à conclure au détournement, à des fins de droit interne, de la procédure d’extradition et, partant, à l’irrégularité de la détention ordonnée en réponse au juge d’instruction de Genève.

48.   La Cour constate cependant la longueur inhabituelle de la détention du requérant sous écrou extraditionnel. En effet, M. Quinn fut détenu à ce titre du 4 août 1989 au 10 juillet 1991, soit pendant presque deux ans (paragraphe 26 ci-dessus). A compter de ce jour, il purgea la peine infligée par la cour d’appel de Paris et ce jusqu’au 24 septembre 1992, date à laquelle il fut remis aux autorités suisses en exécution du décret du 24 janvier 1991.

Le libellé tant du texte français que du texte anglais de l’article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f) signifie que seul le déroulement de la procédure d’extradition justifie la privation de liberté fondée sur cet alinéa. Il s’ensuit que si la procédure n’est pas menée par les autorités avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f). Or la Cour observe, aux différentes étapes de la procédure d’extradition, des retards suffisamment importants pour considérer excessive la durée totale de ladite procédure: la première décision concernant le fond, un arrêt avant dire droit, intervint le 2 novembre 1989, soit trois mois après le placement de l’intéressé sous écrou extraditionnel, et le décret d’extradition ne fut pris que le 24 janvier 1991, soit dix mois après l’avis favorable de la chambre d’accusation (paragraphes 22 et 25 ci-dessus). Les recours exercés par M. Quinn pendant cette période (trois pourvois contre les décisions de rejet des demandes de mise en liberté et un pourvoi contre l’avis de la chambre d’accusation - paragraphes 20 et 23 ci-dessus) n’ont pas sensiblement retardé la procédure.

La détention à titre extraditionnel s’est prolongée bien au-delà de l’adoption du décret d’extradition, jusqu’au 10 juillet 1991, puisque la remise du requérant aux autorités suisses fut ajournée, par application de l’article 19 par. 1 de la Convention européenne d’extradition, du fait des poursuites simultanément menées en France. La Cour n’a pas à se prononcer sur le choix des mesures qu’auraient dû prendre les autorités nationales dans cette situation pour empêcher que la détention sous écrou extraditionnel, qui avait déjà dépassé la limite du raisonnable à la date du 24 janvier 1991, ne se prolongeât encore davantage et cela d’autant plus que ladite détention n’a pu être déduite de la peine infligée en France.

49.   Partant, il y a eu violation de l’article 5 par. 1 (par. 5-1) sur ce point aussi.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 PAR. 3 (art. 5-3) DE LA CONVENTION

50.   M. Quinn dénonce également la durée totale de sa privation de liberté avant jugement. Elle aurait méconnu l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention, ainsi libellé:

"Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (art. 5-1-c), doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience."

A. Période à prendre en considération

51.   Selon le requérant, sa mise sous écrou extraditionnel n’aurait servi qu’à le garder en détention pour les besoins de l’instruction en France. Sa détention provisoire aurait débuté le 1er novembre 1988 et pris fin le 10 juillet 1991 avec le jugement du tribunal correctionnel de Paris.

52.   Le Gouvernement ne se prononce que sur la première période de ladite détention, du 1er août 1988 au 4 août 1989.

53.   Avec la Commission, la Cour rappelle que l’article 5 par. 3 (art. 5-3) ne renvoie qu’au paragraphe 1 c) de l’article 5 (art. 5-1-c) (arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique du 18 juin 1971, série A no 12, p. 39, par. 71). Il est donc inapplicable à la détention à titre extraditionnel prévue par l’article 5 par. 1 f) (art. 5-1-f).

Il n’en va pas de même de la détention provisoire subie dans le cadre de la procédure française du 1er août 1988 au 4 août 1989, soit pendant un an.

B. Caractère raisonnable de la durée de la détention

54.   Pour le Gouvernement, la période litigieuse n’a pas dépassé les limites du raisonnable et se justifiait par la dimension internationale des faits et le danger de fuite.

55.   Tel est aussi l’avis de la Commission.

56.   A la lumière des circonstances de l’affaire, la Cour ne juge pas excessive ladite période. En particulier, elle ne discerne aucune négligence des autorités, qui ont agi avec la promptitude nécessaire. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3).

IV.   SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 18 (art. 18) DE LA CONVENTION

57.   M. Quinn reproche enfin aux autorités françaises d’avoir abusé de la procédure d’extradition en la détournant de sa finalité. Elles auraient principalement cherché à faire obstacle à sa libération, au mépris de l’article 18 (art. 18) de la Convention, qui dispose:

"Les restrictions qui, aux termes de la (...) Convention, sont apportées auxdits droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues."

Cette disposition (art. 18) assurerait une protection spécifique et pourrait jouer indépendamment d’autres articles de la Convention.

58.   Gouvernement et Commission ne prennent pas position sur le grief.

59.   Ayant déjà constaté qu’aucun élément du dossier n’étayait la thèse du détournement de procédure, la Cour n’estime pas devoir examiner les mêmes faits sous l’angle de l’article 18 (art. 18).

V.   SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 (art. 50) DE LA CONVENTION

60.   Aux termes de l’article 50 (art. 50),

"Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable."

A. Dommage

61.   Invoquant la pratique des remises de peine, M. Quinn considère avoir subi dix-huit mois d’emprisonnement supplémentaires. Il réclame une indemnité de 100 000 FRF par mois indûment passé en détention.

62.   Pour le Gouvernement, qui conteste le fondement juridique de la demande, le dommage moral serait suffisamment réparé par le constat d’une violation.

63.   La déléguée de la Commission, elle, reconnaît au requérant le droit à une satisfaction équitable mais n’avance pas de chiffre.

64.   La Cour estime que le maintien en détention le 4 août 1989 a causé au requérant un préjudice moral justifiant l’allocation d’une somme de 10 000 FRF. Pour le tort que l’intéressé a pu subir ensuite en raison de la durée excessive de sa détention à titre extraditionnel, elle accorde un montant de 50 000 FRF.

B. Frais et dépens

65.   M. Quinn sollicite le remboursement de ses frais et dépens, soit 362 000 FRF (Me Bouthors: 112 000 FRF; Me Serres: 250 000 FRF) pour les procédures menées devant les juridictions françaises et 285 000 FRF au titre de l’instance suivie devant les organes de la Convention.

66.   Le Gouvernement trouve exagérées les sommes avancées, les autorités françaises ne devant pas supporter les conséquences du choix de plusieurs avocats.

67.   Quant à la déléguée de la Commission, elle ne se prononce pas sur ce point.

68.   Sur la base des éléments en sa possession et de sa jurisprudence en la matière, la Cour accorde à l’intéressé 150 000 FRF pour ses frais et dépens, principalement ceux exposés à Strasbourg.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L’UNANIMITE,

1.   Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention en raison du maintien en détention du requérant le 4 août 1989;

2.   Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 par. 1 (art. 5-1) de la Convention à cause de la durée de la détention du requérant à titre extraditionnel;

3.   Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 par. 3 (art. 5-3) de la Convention;

4.   Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 18 (art. 18) de la Convention;

5.   Dit que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 60 000 (soixante mille) francs français pour dommage moral et 150 000 (cent-cinquante mille) francs français pour frais et dépens;

6.   Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 22 mars 1995.

Rolv RYSSDAL

Président

Herbert PETZOLD

Greffier


[1] L'affaire porte le n° 47/1993/442/521. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[2] Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9).  Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

[3] Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (volume 311 de la série A des publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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Textes cités dans la décision

  1. Loi du 10 mars 1927
  2. Code de procédure pénale
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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE QUINN c. FRANCE, 22 mars 1995, 18580/91