CJCE, n° C-317/91, Arrêt de la Cour, Deutsche Renault AG contre AUDI AG, 30 novembre 1993

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 30 nov. 1993, Deutsche Renault, C-317/91
Numéro(s) : C-317/91
Arrêt de la Cour du 30 novembre 1993. # Deutsche Renault AG contre AUDI AG. # Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne. # Libre circulation des marchandises - Droit des marques. # Affaire C-317/91.
Date de dépôt : 9 décembre 1991
Précédents jurisprudentiels : Cour du 30 novembre 1993. - Deutsche Renault AG contre AUDI AG. - Demande de décision préjudicielle:Bundesgerichtshof - Allemagne. - Libre circulation des marchandises - Droit des marques. - Affaire C-317/91
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61991CJ0317
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1993:908
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

|

61991J0317

Arrêt de la Cour du 30 novembre 1993. – Deutsche Renault AG contre AUDI AG. – Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof – Allemagne. – Libre circulation des marchandises – Droit des marques. – Affaire C-317/91.


Recueil de jurisprudence 1993 page I-06227
édition spéciale suédoise page I-00439
édition spéciale finnoise page I-00487


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


++++

Libre circulation des marchandises – Propriété industrielle et commerciale – Droit de marque – Droit pour le titulaire d’ une marque consistant en un mot très courant dans la langue de plusieurs États membres de s’ opposer à l’ utilisation pour des produits importés d’ un autre État membre d’ une dénomination prêtant à confusion – Admissibilité – Conditions

(Traité CEE, art. 30 et 36)

Sommaire


Ne constitue pas une entrave illicite aux échanges intracommunautaires, au sens des articles 30 et 36 du traité, l’ interdiction faite, dans un État membre A, à une filiale, implantée dans cet État membre, d’ un fabricant d’ automobiles établi dans un État membre B, d’ utiliser comme marque la dénomination « Quadra » que ce fabricant a jusqu’ à présent librement utilisée dans son pays d’ origine et ailleurs, pour désigner un véhicule à quatre roues motrices, au motif qu’ un autre fabricant d’ automobiles a fait valoir dans l’ État membre A – à juste titre, selon le droit applicable dans cet État membre A – un droit à la marque (« Warenzeichenrecht ») et/ou un droit de « présentation » (« Ausstattungsrecht ») sur le mot « quattro », avec lequel la dénomination « Quadra » créerait un risque de confusion, bien que le mot « quattro » soit un chiffre dans un autre État membre et que, dans d’ autres États membres encore, il semble en tout état de cause clairement avoir aussi cette signification et bien que le chiffre « 4 » désigné par ce terme ait un rôle varié et important dans la construction et la commercialisation des automobiles.

En effet, en l’ absence d’ une unification dans le cadre de la Communauté ou d’ un rapprochement des législations, la fixation des conditions de protection d’ une dénomination telle que « quattro » et la détermination des critères permettant de conclure à l’ existence, entre deux dénominations, d’ un risque de confusion – dont le droit communautaire n’ impose pas une interprétation stricte – relèvent de la règle nationale, sous réserve des limites énoncées par la deuxième phrase de l’ article 36 du traité.

Parties


Dans l’ affaire C-317/91,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’ article 177 du traité CEE, par le Bundesgerichtshof et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Deutsche Renault AG

et

AUDI AG,

une décision à titre préjudiciel sur l’ interprétation des articles 30 et 36 du traité CEE,

LA COUR,

composée de MM. O. Due, président, G. F. Mancini, J. C. Moitinho de Almeida, M. Díez de Velasco et D. A. O. Edward, présidents de chambre, R. Joliet, F. A. Schockweiler, G. C. Rodríguez Iglesias, M. Zuleeg, P. J. G. Kapteyn et J. L. Murray, juges,

avocat général: M. G. Tesauro

greffier: M. H. A. Ruehl, administrateur principal

considérant les observations écrites présentées:

— pour Deutsche Renault AG, par Me H. Kroitzsch, avocat au barreau de Karlsruhe,

— pour AUDI AG, par Me M. Brandi-Dohrn, avocat au barreau de Munich,

— pour le gouvernement allemand, par MM. J. Karl, Regierungsdirektor au ministère fédéral de l’ Économie, A. von Muehlendahl, Ministerialrat au ministère fédéral de la Justice, et A. Dittrich, Regierungsdirektor à ce même ministère, en qualité d’ agents,

— pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mlle S. Cochrane, du Treasury Solicitor’ s Department, en qualité d’ agent,

— pour la Commission des Communautés européennes, par M. B. Langeheine, membre du service juridique, en qualité d’ agent,

vu le rapport d’ audience,

ayant entendu les observations orales des parties en leur plaidoirie, à l’ audience du 9 février 1993, au cours de laquelle Deutsche Renault AG a été représentée par Me H. Kroitzsch et par Me Graf von Luckner, avocat au barreau de Hambourg, et le gouvernement du Royaume-Uni par M. A. M. Silverleaf, barrister, en qualité d’ agent,

ayant entendu l’ avocat général en ses conclusions à l’ audience du 9 juin 1993,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par ordonnance du 17 octobre 1991, parvenue à la Cour le 9 décembre suivant, le Bundesgerichtshof (première chambre civile) a posé, en vertu de l’ article 177 du traité CEE, une question préjudicielle sur l’ interprétation des articles 30 et 36 dudit traité, en vue d’ apprécier la compatibilité avec ces dispositions de la protection d’ une dénomination consistant en un chiffre transcrit en lettres dans une langue de la Communauté autre que celle de l’ État membre d’ importation.

2 Cette question a été posée dans le cadre d’ un litige qui oppose Deutsche Renault AG (ci-après « Renault »), filiale allemande d’ un constructeur automobile français, à AUDI AG (ci-après « AUDI »), constructeur automobile allemand, à propos de l’ utilisation, par Renault, de la dénomination « Quadra ».

3 Il ressort du dossier que la question a été posée dans le cadre normatif et factuel suivant.

4 La Warenzeichengesetz (loi allemande sur les marques, ci-après « WZG ») ne permet pas l’ enregistrement, à titre de marques, de signes numériques (WZG, article 4, paragraphe 2, point 1), à moins que le signe en question ne se soit imposé dans le commerce en tant que signe distinctif des produits sur lesquels il est apposé (WZG, article 4, paragraphe 3). Par ailleurs, un titulaire de marque ne peut empêcher un concurrent d’ apposer sur ses marchandises des mentions décrivant les caractéristiques particulières de celles-ci, à la condition toutefois que l’ emploi de ces mentions ne soit pas fait à titre de marque (WZG, article 16) . Enfin, une certaine présentation (« Ausstattung »), considérée dans les milieux commerciaux intéressés comme suffisamment distinctive, jouit d’ une protection équivalente, en substance, à celle d’ une marque enregistrée (WZG, article 25).

5 AUDI a fait inscrire au registre allemand des marques la marque « quattro », à deux reprises. Elle vend sous cette dénomination, depuis 1980, des véhicules automobiles à quatre roues motrices. A la mi-mars 1988, Renault a mis en vente sur le marché allemand un véhicule automobile à quatre roues motrices, fabriqué en France et déjà commercialisé dans d’ autres pays européens, sous la dénomination « Espace Quadra ».

6 En mars 1988 Renault a introduit auprès du Deutsches Patentamt (Office allemand de la propriété industrielle) une demande de radiation des deux marques enregistrées par AUDI. Par décisions des 9 août et 11 octobre 1990, la section des marques du Deutsches Patentamt a radié les deux marques « quattro », aux motifs qu’ un chiffre, même reproduit dans une autre langue, ne pouvait être enregistré et que la dénomination litigieuse n’ avait pas obtenu un degré suffisant de pénétration au moment de l’ enregistrement. Le recours d’ AUDI contre ces décisions a été rejeté par le Bundespatentgericht qui a toutefois autorisé un pourvoi – « Rechtsbeschwerde ». Le Bundespatentgericht a notamment relevé que le mot « quattro » devait être laissé disponible en tant que mot italien désignant le chiffre quatre, aussi bien pour le commerce interne que, surtout, pour les importations et les exportations dans le secteur de l’ automobile et que, par ailleurs, le chiffre « 4 » avait dans la publicité ou pour la description d’ une voiture une importance qui ne saurait être comparée à aucun autre chiffre dans le secteur automobile.

7 Dans le litige qui est à l’ origine de la présente demande de décision préjudicielle, AUDI cherche à obtenir que Renault soit condamnée à cesser d’ utiliser la dénomination « Quadra » et à lui verser des dommages-intérêts. A cette fin, elle a fait valoir que les dénominations « quattro » et « Quadra » peuvent prêter à confusion et a fondé son action tant sur les droits qu’ elle tirerait de l’ enregistrement de la marque que sur ceux qu’ elle puiserait dans l’ article 25 de la WZG, relatif au droit de « présentation » (« Ausstattungsrecht »). En l’ espèce au principal, cette dernière disposition est invoquée en ce qu’ elle permet, sous certaines conditions, la protection d’ une marque non enregistrée.

8 AUDI a obtenu gain de cause en première instance. Dans sa décision du 30 novembre 1988, le Landgericht Muenchen I (7ème chambre commerciale) a notamment relevé l’ existence d’ un risque de confusion phonétique entre « quattro » et « Quadra », de même qu’ un risque de confusion conceptuelle, les deux termes faisant allusion au chiffre « 4 », en relation avec les mêmes marchandises, à savoir des véhicules à quatre roues motrices.

9 En appel, l’ Oberlandesgericht Muenchen (6ème chambre civile) a, par un arrêt rendu le 21 septembre 1989 (soit avant les décisions du Deutsches Patentamt auxquelles il est fait allusion ci-dessus au point 6), rejeté le recours de Renault. Il s’ est fondé essentiellement sur la protection de la présentation et a notamment estimé que les prétentions d’ AUDI à cet égard étaient légitimes et qu’ il n’ y avait pas lieu de laisser ladite dénomination à la disposition des concurrents. Il a jugé que les sondages que celle-ci avait produits démontraient que la dénomination s’ était suffisamment imposée pour être protégée puisqu’ il en ressortait que 61,1 % des personnes interrogées (et, plus particulièrement, entre 79,8 % et 87,9 % des titulaires de permis de conduire, des propriétaires de voiture, des conducteurs de voiture, des personnes intéressées par le marché automobile, des personnes pensant acquérir une voiture) connaissaient la dénomination « quattro » en relation avec les véhicules automobiles et que 51,2 % du public attribuait cette dénomination à un constructeur particulier.

10 Renault a introduit une demande en « Revision » auprès du Bundesgerichtshof (ci-après « BGH »). Contrairement à la juridiction d’ appel, celui-ci a estimé que les milieux spécialisés dans la construction automobile ont un intérêt certain à ce que le chiffre « 4 », qui est un signe descriptif important à plusieurs égards dans cette branche, soit laissé à la libre disposition des intéressés, et ce également dans sa version italienne, dont la signification est largement comprise du public en Allemagne. Le BGH considère que le degré de notoriété constaté par la juridiction d’ appel ne suffit pas pour créer un droit à la protection de la présentation ou pour remplir la condition d’ usage prolongé de la marque et que, dès lors, la dénomination « quattro » ne peut être protégée au titre de la WZG que s’ il s’ avère, à la suite d’ une nouvelle appréciation des faits de la cause par le juge du fond, que celle-ci s’ est imposée dans les relations commerciales avec le haut niveau de notoriété requis. A cet égard, le BGH expose qu’ un nouveau rapport d’ expertise réflétant l’ état de l’ opinion pourrait éventuellement établir ce haut degré de notoriété.

11 Le BGH ajoute que, si cette notoriété était établie, il conviendrait d’ admettre que la dénomination « quattro » présenterait un fort caractère distinctif et qu’ elle nécessiterait par conséquent une protection élargie. Dans cette hypothèse, il faudrait donc constater l’ existence d’ un risque de confusion avec la dénomination « Quadra » et, par conséquent, interdire à Renault d’ utiliser celle-ci comme marque en Allemagne.

12 Renault ayant soutenu que cette interdiction constituerait une entrave illicite aux échanges intracommunautaires, le BGH a décidé, en vue d’ apprécier la nécessité d’ un renvoi devant la juridiction du fond, qui serait superflu si l’ interdiction de la dénomination « Quadra » était illicite au regard du droit communautaire, de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

« L’ interdiction faite, dans un État membre A, à une filiale, implantée dans cet État membre, d’ un fabricant d’ automobiles établi dans un État membre B, d’ utiliser comme marque la dénomination 'Quadra’ que ce fabricant a jusqu’ à présent librement utilisée dans son pays d’ origine et ailleurs, pour désigner un véhicule à quatre roues motrices, au motif qu’ un autre fabricant d’ automobiles a fait valoir dans l’ État membre A – à juste titre, selon le droit applicable dans cet État membre A – un droit à la marque (' Warenzeichenrecht’ ) et/ou un droit de 'présentation’ (' Ausstattungsrecht’ ) sur le mot 'quattro’ , bien que ce mot soit un chiffre dans un autre État membre et que dans d’ autres États membres encore, il semble en tout état de cause clairement avoir aussi cette signification et bien que le chiffre '4' désigné par ce terme ait un rôle varié et important dans la construction et la commercialisation des automobiles, constitue-t-elle une entrave illicite aux échanges intracommunautaires, au sens des articles 30 et 36 du traité CEE?"

13 Pour un plus ample exposé des faits du litige au principal, des dispositions nationales et communautaires applicables, du déroulement de la procédure ainsi que des observations écrites présentées à la Cour, il est renvoyé au rapport d’ audience. Ces éléments du dossier ne sont repris ci-après que dans la mesure nécessaire au raisonnement de la Cour.

14 A titre liminaire, il convient de relever que le délai de transposition de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1) a été reporté au 31 décembre 1992, en vertu de l’ article 1er de la décision 92/10/CEE du Conseil, du 19 décembre 1991 (JO 1992, L 6, p. 35). Dès lors, cette directive, qui, par ailleurs, ne vise que les marques enregistrées et non pas le droit à la protection d’ une présentation, n’ est, en tout état de cause, pas applicable ratione temporis dans la présente affaire, qui doit être examinée exclusivement au regard des articles 30 et 36 du traité.

15 La question posée soulève le problème de la compatibilité d’ une législation nationale telle que celle en cause avec le droit communautaire d’ un double point de vue: premièrement, du point de vue de la constitution du droit sur la dénomination, en ce qu’ une telle législation permettrait d’ accorder une protection au titre du droit des marques à la dénomination « quattro »; deuxièmement, du point de vue de la mise en oeuvre du droit, en ce que cette législation permettrait de considérer qu’ il existe un risque de confusion entre les dénominations « quattro » et « Quadra ».

16 Ces deux points doivent être examinés successivement.

Quant à la constitution du droit sur la dénomination « quattro »

17 Il y a lieu de rappeler tout d’ abord qu’ en vertu des dispositions du traité relatives à la libre circulation des marchandises, dont l’ article 30, sont interdites entre les États membres les restrictions quantitatives à l’ importation ainsi que toutes mesures d’ effet équivalent. L’ article 36, première phrase, précise toutefois que ces dispositions ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’ importation justifiées par des raisons de protection de la propriété industrielle et commerciale.

18 Aux termes de la deuxième phrase de l’ article 36, les interdictions et les restrictions visées par la première phrase, ne doivent « constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ».

19 Ainsi qu’ il a été jugé dans l’ arrêt du 14 décembre 1979, Henn et Darby (34/79, Rec. p. 3795, point 21), la fonction de la deuxième phrase de l’ article 36 est d’ empêcher que les restrictions aux échanges fondées sur les motifs indiqués à la première phrase ne soient détournées de leur fin et utilisées de manière à établir des discriminations à l’ égard de marchandises originaires d’ autres États membres ou à protéger indirectement certaines productions nationales.

20 Il convient de souligner ensuite qu’ en l’ absence d’ une unification dans le cadre de la Communauté ou d’ un rapprochement des législations, la fixation des conditions et des modalités de protection d’ un droit de propriété intellectuelle relève de la règle nationale, ainsi que la Cour l’ a indiqué notamment dans l’ arrêt du 14 septembre 1982, Keurkoop (144/81, Rec. p. 2853) et l’ arrêt du 5 octobre 1988, Volvo (238/87, Rec. p. 6211), à propos des dessins et modèles, et dans l’ arrêt du 30 juin 1988, Thetford (35/87, Rec. p. 3585), à propos des brevets.

21 Il résulte de ce qui précède que c’ est le droit national qui détermine les conditions de protection d’ une dénomination telle que « quattro », sous réserve des limites énoncées par la deuxième phrase de l’ article 36.

22 A cet égard, il y a lieu de relever en premier lieu que la législation nationale en cause, dans l’ interprétation qu’ en donne la juridiction de renvoi, subordonne la protection au titre du droit des marques d’ une dénomination telle que « quattro » à des conditions très strictes.

23 Outre les limitations prévues par la loi à l’ enregistrement comme marque d’ un signe numérique (voir ci-dessus, point 4), il convient de relever qu’ un signe non enregistré n’ est de manière générale protégé que s’ il s’ est imposé dans les milieux intéressés, ce qui signifie que le public allemand doit percevoir le signe comme indiquant que le produit qui en est revêtu provient d’ une entreprise déterminée. Tel n’ est le cas que lorsque la grande majorité des utilisateurs ont cette perception du signe.

24 Ce degré de notoriété du signe, exigé par le BGH, doit encore être plus grand, lorsqu’ il s’ agit d’ un signe pour lequel il existe un impératif de disponibilité, comme c’ est le cas du chiffre « 4 » dans le secteur automobile. En raison de l’ importance de l’ impératif de disponibilité, le BGH considère que le degré de notoriété qui a été prouvé jusqu’ ici n’ est pas suffisant.

25 En outre, ces règles s’ appliquent également, lorsque le chiffre est transcrit dans une langue étrangère, dès lors que cette langue est suffisamment connue en Allemagne.

26 Enfin, il résulte de l’ article 16 de la loi allemande – applicable également, par analogie, au droit de « présentation » (« Ausstattungsrecht ») – que la protection du signe ne saurait empêcher un concurrent d’ apposer sur ses produits des mentions décrivant les caractéristiques du produit en question – pourvu que ces mentions ne soient pas employées à titre de marque. Les dénominations descriptives en langues étrangères sont soumises aux mêmes règles. Les juridictions qui ont eu à connaître du litige au principal ont toutefois jugé que la dénomination Quadra n’ était pas utilisée de manière descriptive.

27 Il y a lieu de constater, en second lieu, que le dossier ne fait pas ressortir qu’ un producteur d’ un autre État membre ne pourrait pas bénéficier dans les mêmes conditions de la protection accordée par le droit allemand à une marque, enregistrée ou non, ou que cette protection varierait en fonction de l’ origine nationale ou étrangère des produits revêtus du signe en question.

28 Par conséquent, une législation nationale telle que celle en cause dans le litige au principal, qui permettrait la constitution d’ un droit exclusif à l’ utilisation d’ une dénomination telle que « quattro », dans les conditions susmentionnées, ne constitue ni une discrimination arbitraire ni une restriction déguisée du commerce intracommunautaire.

Quant au risque de confusion entre les dénominations « quattro » et « Quadra »

29 S’ agissant de la mise en oeuvre du droit, la Commission fait valoir que la notion de risque réel de confusion doit être interprétée strictement pour ne pas entraver la libre circulation de marchandises au-delà de ce qui est nécessaire pour la protection des marques. Elle souligne qu’ en tant qu’ exception à un principe fondamental du marché commun l’ article 36 n’ admet des restrictions à la libre circulation des marchandises que dans la mesure où ces restrictions sont justifiées par la sauvegarde des droits qui constituent l’ objet spécifique de la propriété industrielle ou commerciale en question.

30 Compte tenu de ces arguments, il convient de relever d’ abord que l’ objet spécifique du droit des marques est de protéger le titulaire de la marque contre des risques de confusion de nature à permettre que des tiers tirent indûment parti de la réputation des produits de ce titulaire (voir arrêts du 31 octobre 1974, Centrafarm/Winthrop, 16/74, Rec. p. 1183, point 8 et du 17 octobre 1990, HAG GF, dit HAG II, C-10/89, Rec. p. I-3711, point 14).

31 Il convient de relever ensuite que la détermination des critères permettant de conclure à un risque de confusion fait partie des modalités de protection du droit à la marque qui, ainsi qu’ il a été relevé ci-dessus (point 20), relèvent du droit national. En effet, ainsi que l’ a souligné à juste titre l’ avocat général au point 21 de ses conclusions, le droit à la marque, en tant que droit exclusif, et la protection contre les signes présentant un risque de confusion sont en substance les deux faces d’ une même médaille: réduire ou étendre la portée de la protection contre le risque de confusion ne signifie rien d’ autre que réduire ou étendre la portée du droit à la marque. La réglementation de l’ un et de l’ autre aspect doit par conséquent procéder d’ une source unique et homogène qui, dans la situation actuelle, est l’ ordre juridique national.

32 Il en découle que le droit communautaire n’ impose pas un critère d’ interprétation stricte du risque de confusion.

33 Il convient de rappeler toutefois que le droit national est soumis aux limites énoncées à la deuxième phrase de l’ article 36 du traité. Or, aucun élément du dossier ne fait apparaître que ces limites seraient enfreintes. En particulier, rien n’ indique que les juridictions allemandes se livreraient à une interprétation extensive de la notion de confusion lorsqu’ il s’ agit de la protection de la marque d’ un producteur allemand, mais procéderaient à une interprétation restrictive de cette même notion, lorsqu’ il s’ agit de la protection de la marque d’ un producteur établi dans un autre État membre.

34 Dans ces conditions, une législation nationale, telle que celle en cause, qui permettrait la mise en oeuvre d’ un droit exclusif à l’ utilisation d’ une dénomination telle que « quattro » pour empêcher l’ usage d’ une dénomination telle que « Quadra », considérée comme créant un risque de confusion avec la première, ne constitue ni une discrimination arbitraire ni une restriction déguisée du commerce intracommunautaire.

35 La Commission fait encore valoir que les marques composées doivent être considérées globalement pour l’ appréciation du risque de confusion et qu’ ainsi, dans la présente affaire, il faut tenir compte de ce que les véhicules en question sont commercialisés sous les dénominations respectives d’ Espace Quadra et d’ AUDI quattro.

36 Il convient de relever d’ abord que, selon le droit allemand, il y a risque de confusion entre deux signes non seulement lorsque les milieux intéressés peuvent supposer, par erreur, que les produits en cause proviennent de la même entreprise (risque de confusion au sens strict), mais aussi lorsque la supposition erronée porte sur l’ existence, entre les entreprises concernées, de liens structurels ou économiques, tel un accord de licence autorisant l’ une à fabriquer un produit présentant les mêmes caractéristiques que le produit de l’ autre (risque de confusion au sens large).

37 La protection, octroyée par un droit national, contre ce dernier risque de confusion ne saurait être censurée sur le fondement du droit communautaire dès lors qu’ elle correspond à l’ objet spécifique du droit des marques qui, ainsi qu’ il a été relevé ci-dessus, est de protéger le titulaire contre le risque de confusion.

38 Il y a lieu d’ observer ensuite que la question de savoir si l’ utilisation des mots « quattro » et « Quadra » dans des dénominations composées telles que « AUDI quattro » et « Espace Quadra » suffit à exclure le risque de confusion, en dépit du haut degré de notoriété qui serait éventuellement constaté au sujet de la dénomination « quattro », relève de l’ appréciation de la juridiction nationale.

39 Eu égard à l’ ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que ne constitue pas une entrave illicite aux échanges intracommunautaires, au sens des articles 30 et 36 du traité CEE, l’ interdiction faite, dans un État membre A, à une filiale, implantée dans cet État membre, d’ un fabricant d’ automobiles établi dans un État membre B, d’ utiliser comme marque la dénomination « Quadra » que ce fabricant a jusqu’ à présent librement utilisée dans son pays d’ origine et ailleurs, pour désigner un véhicule à quatre roues motrices, au motif qu’ un autre fabricant d’ automobiles a fait valoir dans l’ État membre A – à juste titre, selon le droit applicable dans cet État membre A – un droit à la marque (« Warenzeichenrecht ») et/ou un droit de « présentation » (« Ausstattungsrecht ») sur le mot « quattro », bien que ce mot soit un chiffre dans un autre État membre et que dans d’ autres États membres encore, il semble en tout état de cause clairement avoir aussi cette signification et bien que le chiffre « 4 » désigné par ce terme ait un rôle varié et important dans la construction et la commercialisation des automobiles.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

40 Les frais exposés par le gouvernement allemand, le gouvernement du Royaume-Uni et par la Commission des Communautés européennes, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’ objet d’ un remboursement. La procédure revêtant, à l’ égard des parties au principal, le caractère d’ un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR,

statuant sur la question à elle soumise par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 17 octobre 1991, dit pour droit:

Ne constitue pas une entrave illicite aux échanges intracommunautaires, au sens des articles 30 et 36 du traité CEE, l’ interdiction faite, dans un État membre A, à une filiale, implantée dans cet État membre, d’ un fabricant d’ automobiles établi dans un État membre B, d’ utiliser comme marque la dénomination « Quadra » que ce fabricant a jusqu’ à présent librement utilisée dans son pays d’ origine et ailleurs, pour désigner un véhicule à quatre roues motrices, au motif qu’ un autre fabricant d’ automobiles a fait valoir dans l’ État membre A – à juste titre, selon le droit applicable dans cet État membre A – un droit à la marque (« Warenzeichenrecht ») et/ou un droit de « présentation » (« Ausstattungsrecht ») sur le mot « quattro », bien que ce mot soit un chiffre dans un autre État membre et que dans d’ autres États membres encore, il semble en tout état de cause clairement avoir aussi cette signification et bien que le chiffre « 4 » désigné par ce terme ait un rôle varié et important dans la construction et la commercialisation des automobiles.

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