CJUE, n° C-311/19, Conclusions de l'avocat général de la Cour, BONVER WIN, a. s. contre Ministerstvo financí ČR, 3 septembre 2020

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 3 sept. 2020, C-311/19
Numéro(s) : C-311/19
Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 3 septembre 2020.#BONVER WIN, a. s. contre Ministerstvo financí ČR.#Demande de décision préjudicielle, introduite par le Nejvyšší správní soud.#Renvoi préjudiciel – Libre prestation des services – Restrictions – Réglementation nationale interdisant l’exploitation des jeux d’argent dans certains lieux – Applicabilité de l’article 56 TFUE – Existence d’un élément transfrontalier.#Affaire C-311/19.
Date de dépôt : 16 avril 2019
Précédents jurisprudentiels : 10 Arrêt du 7 février 1979 ( 136/78, EU:C:1979:34
11 Arrêt du 18 mars 1980 ( 52/79, EU:C:1980:83
12 Arrêt du 28 mars 1979 ( 175/78, EU:C:1979:88
13 Arrêt du 7 février 1979 ( 115/78, EU:C:1979:31
15 juillet 1964, Costa ( 6/64, EU:C:1964:66
15 Voir arrêt du 24 octobre 1978 ( 15/78, EU:C:1978:184
16 Voir arrêt du 7 février 1979 ( 136/78, EU:C:1979:34
19 Voir arrêt du 28 mars 1979, Saunders ( 175/78, EU:C:1979:88
20 Voir arrêt du 28 mars 1979, Saunders ( 175/78, EU:C:1979:88
22 Arrêt du 28 mars 1979 ( 175/78, EU:C:1979:88
23 Arrêt du 18 mars 1980 ( 52/79, EU:C:1980:83
24 novembre 1993, Keck et Mithouard ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
25 juillet 1991, Säger ( C-76/90, EU:C:1991:331
25 Voir arrêt du 15 novembre 2016 ( C-268/15, EU:C:2016:874
27 Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten ( C-268/15, EU:C:2016:874
28 Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten ( C-268/15, EU:C:2016:874
29 Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten ( C-268/15, EU:C:2016:874
30 janvier 2018, arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser ( C-360/15 et C-31/16, EU:C:2018:44
30 janvier 2018 ( C-360/15 et C-31/16, EU:C:2018:44
30 janvier 2018, X et Visser ( C-360/15 et C-31/16, EU:C:2018:44
30 Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten ( C-268/15, EU:C:2016:874
31 Arrêt du 1er octobre 2015 ( C-340/14 et C-341/14, EU:C:2015:641
32 Voir, arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen ( C-340/14 et C-341/14, EU:C:2015:641
33 L' arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen, ( C-340/14 et C-341/14, EU:C:2015:641
34 Voir arrêt du 15 novembre 2016 ( C-268/15, EU:C:2016:874
38 Voir arrêt du 17 décembre 1981, Webb ( 279/80, EU:C:1981:314
39 Voir arrêt du 3 décembre 1974, van Binsbergen ( 33/74, EU:C:1974:131
3 Arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
55 Voir arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments ( C-384/93, EU:C:1995:126
56 TFUE. Voir, notamment, arrêts du 8 septembre 2005, Mobistar et Belgacom Mobile ( C-544/03 et C-545/03, EU:C:2005:518
56 Voir arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments ( C-384/93, EU:C:1995:126
58 C-581/18, EU:C:2020:77
5 Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten ( C-268/15, EU:C:2016:874
60 Voir arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments ( C-384/93, EU:C:1995:126
61 Arrêt du 7 mai 1998 ( C-350/96, EU:C:1998:205
62 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
63 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
64 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
67 Arrêt du 30 novembre 1995 ( C-55/94, EU:C:1995:411
68 Arrêt du 10 mai 1995 ( C-384/93, EU:C:1995:126
70 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
71 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
73 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
75 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
77 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
78 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
7 Arrêt du 20 février 1979 ( 120/78, EU:C:1979:42
80 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
81 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
82 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
84 Arrêt du 24 novembre 1993 ( C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905
8 Arrêt du 24 octobre 1978 ( 15/78, EU:C:1978:184
9 Arrêt du 7 février 1979 ( 115/78, EU:C:1979:31
Allianz IARD ( C-581/18, EU:C:2020:77
C-159/12 à C-161/12, EU:C:2013:529
C-42/07, EU:C:2009:519
Citroën Belux ( C-265/12, EU:C:2013:498
Corsica Ferries ( C-18/93, EU:C:1994:195
Farmacia di Gullotta Davide & C. ( C-497/12, EU:C:2015:168
Gebhard ( C-55/94, EU:C:1995:411
Parkinson Vereinigung ( C-148/15, EU:C:2016:394
Viacom Outdoor ( C-134/03, EU:C:2005:94
Visser ( C-360/15 et C-31/16, EU:C:2017:397
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62019CC0311
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2020:640
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Sur les parties

Texte intégral

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 3 septembre 2020 ( 1 )

Affaire C-311/19

BONVER WIN a.s.

contre

Ministerstvo financí ČR

[demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque)]

« Renvoi préjudiciel – Libre prestation des services – Restrictions – Législation nationale interdisant l’exploitation de jeux de hasard à certains endroits – Applicabilité de l’article 56 TFUE – Élément transfrontalier »

I. Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque) illustre le fait que la question juridique spécifique d’une affaire soumise à l’examen de la Cour procède souvent d’un contexte factuel, dans la procédure au principal, qui est en apparence anodin voire banal : en l’occurrence, celui d’un prestataire de services de paris obligé de cesser ses activités en raison d’un arrêté adopté par une ville pour interdire la prestation de tels services dans une certaine partie de cette ville où ce prestataire est établi. Cet exploitant affirme que certains de ses clients viennent d’un autre État membre. Ce fait est-il suffisant pour déclencher l’application de la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE ?

2.

C’est droit au cœur du champ d’application matériel d’une liberté fondamentale du marché intérieur que cette affaire touche dès lors.

3.

Délimiter ce champ d’application est de la plus haute importance ; il s’agit là de l’une des questions les plus anciennes du droit de l’Union et cette question continue à susciter de nouveaux points d’interrogation. Aussi différents que puissent être les faits à l’origine de telles affaires ( 2 ), celles-ci ont toutes en commun de toucher à la nature même du marché intérieur et de la constitution économique de l’Union. Les opérateurs économiques et leurs clients sont tributaires de la réponse à de telles questions tout autant que les États membres. Le champ d’application des libertés fondamentales détermine la mesure dans laquelle les États membres, pour leurs objectifs politiques (nationaux), sont liés par le droit de l’Union en matière du marché intérieur et, dans les mêmes proportions, la liberté dont bénéficient les opérateurs économiques : si, dans une situation donnée, des limites n’étaient pas fixées à un État membre par, disons, la libre prestation de services, le champ d’action potentielle de cet État membre serait considérablement plus vaste qu’en cas contraire. Inversement, si un État membre se voit fixer des limites, c’est le champ d’action potentielle des prestataires de services et ceux qui en sont les destinataires qui est considérablement plus vaste.

4.

Le pendant procédural de cette réalité matérielle est que sont irrecevables, en ce qui concerne l’interprétation des libertés fondamentales, les affaires soumises par les juridictions nationales où l’ensemble des faits se cantonne à un seul État membre.

5.

En l’espèce, le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême) interroge la Cour sur le champ d’application de la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE dans un cas où l’élément transfrontalier est le fait que des clients franchissent la frontière pour bénéficier (si tel est le terme à employer pour des jeux de hasard) des services en cause en République tchèque.

6.

Je soutiendrai dans les présentes conclusions que cette problématique est, en substance, couverte par la libre prestation des services visée à l’article 56 TFUE. Ce faisant, je proposerai à la Cour une lecture classique de la libre prestation des services et de la jurisprudence qui s’y rapporte. Plus précisément, je ferai valoir devant la Cour qu’il n’est pas nécessaire, à l’heure actuelle, de restreindre le champ d’application de cette liberté fondamentale en ce qui concerne des situations où les mesures en cause sont indistinctement applicables en droit comme en fait. Je proposerai donc à la Cour de résister à la tentation éventuelle d’interpréter le champ d’application ratione materiae de l’article 56 TFUE dans un sens plus étroit que par le passé. Selon moi, l’enseignement de l’arrêt Keck et Mithouard est exclu pour les services : la Cour ne devrait établir aucune analogie avec cette affaire ( 3 ).

II. Le cadre juridique

7.

En vertu de l’article 50, paragraphe 4, du zákon č. 202/1990 Sb., o loteriích a jiných podobných hrách (loi no 202/1990 sur les loteries et autres jeux similaires, ci-après la « loi sur les loteries »), applicable en 2013, une municipalité peut adopter une mesure d’application générale sous la forme d’un arrêté prévoyant que les jeux de paris, loteries et autres jeux similaires ne peuvent être exploités qu’aux endroits et aux moments que cet arrêté détermine, ou elle peut déterminer à quels endroits dans la municipalité et à quels moments l’exploitation de ces loteries et autres jeux similaires est interdite, ou elle peut interdire totalement l’exploitation de loteries et autres jeux similaires sur l’ensemble du territoire de la municipalité.

8.

La loi sur les loteries définit aussi ce que l’on entend par jeux de paris, loteries et autres jeux similaires.

9.

Sur le fondement de l’article 50, paragraphe 4, de la loi sur les loteries, la ville de Děčín (République tchèque) a édicté l’obecně závazná vyhláška č. 3/2013, o regulaci provozování sázkových her, loterií a jiných podobných her (arrêté d’application générale no 3/2013 portant réglementation de l’exploitation des jeux de paris, loteries et autres jeux similaires, ci-après l’« arrêté municipal no 3/2013 »). Cet arrêté a interdit l’exploitation des jeux de paris, loteries et autres jeux similaires sur l’ensemble du territoire de la ville de Děčín, conformément à la loi, tout en énumérant dans son annexe I les adresses précises, à Děčín, où l’exploitation de casinos serait autorisée.

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

10.

BONVER WIN a.s. est une société commerciale tchèque qui exploitait des jeux de hasard, à Děčín, dans le cadre d’une autorisation accordée par le Ministerstvo financí (ministère des Finances, République tchèque).

11.

Étant donné que les établissements de BONVER WIN ne se situaient pas à l’une des adresses énumérées à l’annexe I de l’arrêté municipal no 3/2013, l’activité de cette société s’est trouvée en infraction dès l’entrée en vigueur de cet arrêté.

12.

Par décision du 22 octobre 2013, au motif que cette société ne se conformait pas à l’arrêt municipal no 3/2013, le ministère des Finances a retiré l’autorisation dont BONVER WIN était titulaire pour exploiter des jeux de hasard.

13.

La réclamation que BONVER WIN a introduite contre cette décision de retrait a été rejetée par le ministère des Finances par décision du 22 juillet 2014.

14.

BONVER WIN a alors formé un recours contre cette décision devant le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque) et ce recours a été rejeté. Dans les motifs de son arrêt, cette juridiction a rejeté, entre autres, l’argument selon lequel les règles nationales allaient à l’encontre du droit de l’Union, en considérant que ce droit ne s’appliquait pas en l’espèce, étant donné que la requérante n’exerçait pas le droit à la libre prestation des services.

15.

Insatisfaite par cette argumentation, BONVER WIN a formé contre l’arrêt susmentionné un pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi, le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême), en faisant valoir que le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague) avait commis une erreur en n’appliquant pas le droit de l’Union. Selon BONVER WIN, les dispositions de l’arrêté municipal no 3/2013, lues conjointement avec celles de la loi sur les loteries, sont contraires au droit de l’Union.

16.

En application du droit procédural national, l’affaire en cause au principal a été attribuée initialement à la cinquième chambre du Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême), qui a considéré que, puisque certains des clients de BONVER WIN venaient d’autres États membres, la libre prestation des services prévue par le droit de l’Union était applicable en l’espèce. Par conséquent, cette chambre ne voyait pas, en principe, de raison pour saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel.

17.

Toutefois, dans la mesure où, dans des cas comparables, d’autres chambres du Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême) avaient conclu que le droit de l’Union, de manière générale, et la libre prestation des services, en particulier, ne s’appliquaient pas ( 4 ), la cinquième chambre a décidé, en application du droit procédural national, de soumettre l’affaire à la chambre élargie du Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême) afin que soit modifiée la jurisprudence – erronée selon elle – des autres chambres.

18.

Pour sa part, la chambre élargie a décidé de saisir la Cour.

19.

La chambre élargie part du principe que, dans la présente affaire, il s’agit d’une restriction éventuelle de la liberté des clients d’obtenir des services et non d’une restriction éventuelle de la libre prestation des services pour ce qui est du prestataire de ces services, lequel est une société tchèque dont le siège est établi en République tchèque. La juridiction de renvoi observe que, selon la jurisprudence de la Cour, les services qu’un prestataire établi dans un État membre fournit, sans se déplacer, à un destinataire établi dans un autre État membre constituent une fourniture de services transfrontalière et que de tels destinataires comprennent aussi des touristes ou des personnes se déplaçant dans le cadre de voyages d’étude. En outre, cette juridiction considère qu’une législation nationale, telle que la législation tchèque en l’espèce, qui s’applique indistinctement aux ressortissants nationaux et aux ressortissants des autres États membres n’est susceptible, en règle générale, de relever du champ d’application des dispositions relatives aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE que dans la mesure où elle s’applique à des situations ayant un lien avec les échanges entre les États membres.

20.

De plus, la juridiction de renvoi considère que, si la Cour a clarifié l’applicabilité de l’article 56 TFUE dans des situations où un prestataire fournit ses services par téléphone ou par Internet, ainsi que dans des situations où des groupes de touristes sont destinataires des services, elle n’a toutefois pas encore clairement décidé si cet article est applicable pour la simple raison qu’un groupe de ressortissants d’un autre État membre est en mesure d’obtenir ou obtient effectivement, dans un État membre donné, un service qui est principalement fourni à des ressortissants nationaux. À cet égard, la juridiction de renvoi souligne qu’elle ne partage pas la conclusion selon laquelle la visite occasionnelle ne serait-ce que d’un seul ressortissant d’un autre État membre dans un établissement fournissant certains services entraînerait automatiquement l’applicabilité de l’article 56 TFUE à toute législation nationale régissant de manière générale ce secteur national de services.

21.

En outre, la juridiction de renvoi demande à la Cour s’il n’y a pas lieu, dans le domaine de la libre prestation des services, d’établir une règle de minimis fondée sur l’existence d’un lien suffisant entre la législation en cause et la libre prestation des services. Elle estime qu’une législation non discriminatoire, applicable au niveau municipal, ne relève pas du champ d’application de l’article 56 TFUE.

22.

C’est dans ce contexte que, par décision du 21 mars 2019, parvenue à la Cour le 16 avril 2019, le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême) a posé les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Les articles 56 [TFUE] et suivants s’appliquent-ils à une législation nationale (un arrêté municipal d’application générale) interdisant dans une partie d’une commune un service déterminé, au seul motif qu’une partie des clients du prestataire de services concerné par cette réglementation peut provenir ou provient d’un autre État membre de l’Union européenne ?

Dans l’affirmative, aux fins de l’applicabilité de l’article 56 [TFUE], suffit-il d’invoquer l’éventuelle présence de clients d’un autre État membre ou le prestataire de services est-il tenu de prouver la réalité de la fourniture de services à des clients originaires d’autres États membres ?

2)

Importe-t-il, d’une quelconque manière, pour la réponse à la première question déférée :

a)

que la restriction potentielle à la libre prestation des services soit considérablement limitée, et ce, tant sur le plan géographique que sur le plan matériel (applicabilité éventuelle de l’exception de minimis) ;

b)

qu’il n’apparaisse pas clairement que la législation nationale réglementerait différemment, en droit ou en fait, la situation des opérateurs fournissant des services principalement à des ressortissants d’autres États membres de l’Union européenne, d’une part, et celle des opérateurs ciblant les clients nationaux, d’autre part ? »

23.

Des observations écrites ont été présentées par les gouvernements tchèque et hongrois, ainsi que par la Commission européenne. BONVER WIN, les gouvernements tchèque et néerlandais ainsi que la Commission ont participé à l’audience, qui s’est tenue le 12 mars 2020.

IV. Appréciation

24.

Par ses deux questions préjudicielles, qui appellent une réponse unique, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE s’applique à une situation où une société établie dans un État membre perd l’autorisation d’exploiter son activité à la suite de l’entrée en vigueur d’une réglementation locale déterminant les endroits où il lui est permis d’exercer cette activité, et ce en raison du fait que certains de ses clients viennent d’un État membre autre que celui où cette société est établie. À cet égard, la juridiction de renvoi souhaiterait savoir si le caractère non discriminatoire de cette réglementation et l’existence d’une règle de minimis dans le domaine de la libre prestation des services présentent un intérêt pour la réponse à cette question.

25.

Par ailleurs, le libellé des questions préjudicielles montre clairement que la juridiction de renvoi est bien consciente du fait que, si la présente affaire relève de l’article 56 TFUE, l’existence d’une restriction ne ferait aucun doute et qu’il appartiendrait à la République tchèque de la justifier.

A. Pour cerner la question – sur la recevabilité

26.

Malgré les apparences éventuelles, la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle ne fait aucun doute.

27.

Pour le démontrer et aller droit à l’élément essentiel de la question posée par la juridiction de renvoi, j’estime nécessaire d’examiner brièvement l’historique du phénomène de ce que l’on appelle aujourd’hui une « situation purement interne ».

28.

Il est notoire, et de jurisprudence constante, que les dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation des services ne s’appliquent pas à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ( 5 ). Or, dans la jurisprudence abondante de la Cour concernant des situations purement internes, il y a lieu de bien faire la distinction entre ce qui constitue le fond et ce qui constitue la recevabilité.

1. En partant du fond…

29.

La genèse jurisprudentielle ( 6 ) de la règle de la situation purement interne peut être trouvée dans plusieurs arrêts rendus par la Cour à partir de la fin des années 70 et datant tous de la même époque que l’arrêt Rewe-Zentral ( 7 ) (dit « Cassis de Dijon ») : les arrêts Koestler ( 8 ), Knoors ( 9 ), Auer ( 10 ), Debauve e.a. ( 11 ) et Saunders ( 12 ). Alors que l’arrêt Knoors ( 13 ) s’inscrivait « dans un contexte très étroitement délimité » ( 14 ) en matière de liberté d’établissement et de prestation des services et que les arrêts Koestler ( 15 ) et Auer ( 16 ) concernaient une situation transfrontalière, c’est dans l’arrêt Saunders ( 17 ) que la Cour a appliqué la règle de la situation purement interne.

30.

Ce dernier arrêt concernait la libre circulation des travailleurs garantie par ce qui est, à présent, l’article 45 TFUE. Un ressortissant britannique, qui avait plaidé coupable du chef d’une infraction pénale, avait été condamné à quitter l’Angleterre et à se rendre en Irlande du Nord pour ne plus revenir ni en Angleterre ni au pays de Galles. Tous les faits se cantonnaient donc au Royaume-Uni. Dans une telle situation, il était assez simple pour la Cour de décider que l’article 45 TFUE ( 18 )« ne vise […] pas à limiter la compétence des États membres de prévoir des restrictions, sur leur propre territoire, à la libre circulation de toutes personnes relevant de leur juridiction, en exécution des lois pénales nationales » ( 19 ) et que « les dispositions du traité en matière de libre circulation des travailleurs ne sauraient donc être appliquées à des situations purement internes à un État membre, c’est-à-dire en l’absence de tout facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit [de l’Union] » ( 20 ).

31.

Une pollinisation croisée s’est alors opérée entre cette constatation nouvellement découverte ( 21 ) et les autres libertés fondamentales. Peu après l’arrêt Saunders ( 22 ), la Cour a jugé dans l’arrêt Debauve e.a. ( 23 ) que « les dispositions du traité relatives à la libre prestation de services ne pourraient s’appliquer aux activités dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre ». Cependant, la Cour a considéré que les faits de l’affaire en cause impliquaient une situation transfrontalière.

32.

Il a toujours été évident, et ce sans l’ombre d’un doute, que ces affaires de la première heure concernaient une question qui relève du fond : pour être matériellement applicables, les libertés fondamentales du traité requièrent ce que l’on appelle un élément transfrontalier. Des situations purement internes ne relèvent pas du champ d’application ratione materiae des libertés fondamentales, car l’objectif de ces libertés est de libéraliser les échanges entre les États membres.

2. … pour en arriver à la recevabilité

33.

La conséquence logique sur le plan procédural du fait que les situations purement internes ne relèvent pas du champ d’application des libertés fondamentales est que la Cour n’est pas compétente pour répondre à des questions qui y ont trait, ce qui rend irrecevables les renvois préjudiciels procédant d’affaires relatives à de telles situations ( 24 ). Le droit de l’Union ne s’applique tout simplement pas à ces situations.

34.

Cependant, au fil du temps, de nombreux cas sont apparus où la Cour a répondu à des questions se dégageant de procédures nationales dans le cadre desquelles tous les faits se cantonnaient à l’intérieur d’un seul État membre.

35.

Il n’est plus nécessaire de rappeler cette jurisprudence, car elle a été résumée et systématisée, il n’y a pas si longtemps, dans l’arrêt Ullens de Schooten ( 25 ) : les affaires découlant de situations purement internes donnent néanmoins lieu à un renvoi préjudiciel recevable ( 26 ) dans quatre situations spécifiques. Ces situations sont les suivantes : 1) celle où il ne peut pas être exclu que des ressortissants établis dans d’autres États membres aient été ou soient intéressés à faire usage de ces libertés pour exercer des activités sur le territoire de l’État membre ayant édicté la réglementation nationale en cause et, partant, que cette réglementation, indistinctement applicable aux ressortissants nationaux et aux ressortissants d’autres États membres, soit susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés à cet État membre ( 27 ) ; 2) celle où, lorsque la juridiction de renvoi saisit la Cour d’une demande de décision préjudicielle dans le cadre d’une procédure en annulation de dispositions applicables non seulement aux ressortissants nationaux mais également aux ressortissants des autres États membres, la décision que la juridiction nationale adoptera à la suite de l’arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour produira des effets également à l’égard de ces derniers ressortissants ( 28 ) ; 3) celle où l’interprétation des droits fondamentaux s’avère pertinente lorsque le droit national impose à la juridiction de renvoi de faire bénéficier un ressortissant de l’État membre dont cette juridiction relève des mêmes droits que ceux qu’un ressortissant d’un autre État membre tirerait du droit de l’Union dans la même situation ( 29 ) ; et 4) celle où les dispositions du droit de l’Union ont été rendues applicables par la législation nationale, laquelle s’est conformée, pour les solutions apportées à des situations dont tous les éléments se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre, à celles retenues par le droit de l’Union ( 30 ).

3. Application à la présente affaire : la situation de BONVER WIN

36.

Dans le cas de la présente affaire, la tentation est grande de répondre, comme le propose la Commission, que c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient d’établir s’il existe un élément transfrontalier dans le cas d’espèce.

37.

Or, ce serait là passer à côté de l’essentiel.

38.

Les questions préjudicielles qui sont posées par la juridiction de renvoi vont plus loin. Cette juridiction cherche à établir non pas si la Cour doit répondre à la question (interroger la Cour sur ce point serait, en tout état de cause, étrange), mais si ce n’est pas dans des situations qui présentent clairement un élément transfrontalier que la libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE doit s’appliquer. En d’autres termes, la juridiction de renvoi demande des éléments d’orientation pour ce qui est du champ d’application de l’article 56 TFUE. Elle veut aller au fond de la question des « situations purement internes » et cherche à savoir, selon moi, si des situations purement internes devraient être envisagées de manière plus large qu’elles ne l’ont été jusqu’à présent.

39.

Il s’agit là, dès lors, d’une question de fond et non d’une question de recevabilité.

40.

Enfin, je tiens à souligner que la recevabilité de la présente affaire découle déjà de l’arrêt que la Cour a rendu dans l’affaire Trijber et Harmsen ( 31 ). Dans cette affaire, M. Trijber avait demandé une autorisation d’exploiter des bateaux-mouches à Amsterdam (Pays-Bas). Pour la recevabilité de l’affaire, la Cour a jugé suffisant que « ce service est également susceptible de bénéficier aux ressortissants d’autres États membres et que le régime en cause peut gêner l’accès au marché de tous les prestataires, y compris ceux originaires d’autres États membres qui souhaitent s’établir aux Pays-Bas afin d’offrir un tel service » ( 32 ).

41.

Autrement dit, la Cour a fondé la recevabilité de l’affaire, entre autres, sur le fait que les destinataires du service venaient d’autres États membres ( 33 ). La raison pour laquelle cette affaire était recevable tient au fait que les destinataires des services en cause ne venaient pas de l’État membre où ces services étaient offerts. L’affaire qui nous occupe en l’espèce présente une situation similaire.

42.

En résumé, en ce qui concerne la recevabilité de la présente affaire, puisque celle-ci est clairement recevable, la Cour ne saurait – ni ne devrait – recourir à l’arrêt Ullens de Schooten ( 34 ) pour répondre à la juridiction de renvoi.

B. Sur le fond

43.

Penchons-nous dès lors sur le fond de l’affaire en cause ainsi que sur le champ d’application de l’article 56 TFUE ( 35 ).

1. Le champ d’application de l’article 56 TFUE

44.

À titre liminaire, il convient de souligner que la présente affaire concerne uniquement le champ d’application ratione materiae de la libre prestation des services prévue par le traité FUE. Elle ne concerne pas la compatibilité générale de la mesure nationale avec la libre prestation des services. En d’autres termes, la seule question que la juridiction de renvoi cherche à déterminer avec l’aide de la Cour est de savoir s’il existe une restriction au sens de l’article 56 TFUE (ce qui, si la situation devait relever du champ d’application de cette disposition, serait le cas) et non de savoir, en outre, si une restriction serait justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général.

45.

Conformément à l’article 56 TFUE, dans le cadre des dispositions du chapitre du traité FUE qui concerne les services, les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites à l’égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation.

46.

Cette disposition, qui constitue la règle fondamentale (ou Grundnorm ( 36 )) de la libre prestation des services au sein du marché intérieur et qui a été complétée par toute une série de dispositions de droit dérivé, en particulier la directive services, a considérablement évolué dans la jurisprudence de la Cour. Bien que conçue par le traité en tant que liberté fondamentale résiduelle ( 37 ), la Cour l’a très tôt qualifiée de « principe fondamental du traité » ( 38 ). Elle a considéré en outre que cette liberté fondamentale a un effet direct ( 39 ) et aussi qu’elle couvre des mesures indistinctement applicables ( 40 ). L’article 56 TFUE, tout comme les articles 34, 45 et 49 TFUE, vise donc à éliminer les obstacles aux échanges plutôt que la simple discrimination entre opérateurs économiques nationaux et étrangers. Concomitamment, la Cour a permis aux États membres de recourir, pour restreindre la libre prestation des services, à des motifs de justification non écrits sous la forme de raisons impérieuses d’intérêt général. Qui plus est, et c’est d’une importance cruciale en l’espèce, la Cour a jugé que la libre prestation des services bénéfice aussi bien au prestataire qu’au destinataire des services ( 41 ). Cette évolution de la libre prestation des services est allée de pair avec la transition, de l’industrie manufacturière vers les services, qu’ont connue les économies et les sociétés des États membres.

47.

Déterminer l’existence d’une situation transfrontalière est plus difficile dans le cas de la libre prestation des services que dans le cas de la libre circulation des travailleurs ou de la liberté d’établissement ( 42 ) et il aura fallu un certain temps pour que soient communément admises quatre situations transfrontalières possibles ( 43 ) où la libre prestation des services s’applique. Premièrement, la situation où le prestataire de services franchit la frontière en vue d’offrir les services ( 44 ) : il s’agit là indubitablement de la situation type ( 45 ) de l’article 56 TFUE et elle ressort clairement du libellé de celui-ci. Deuxièmement, la situation où le destinataire des services franchit la frontière pour bénéficier de ces services ( 46 ). Troisièmement, les situations où aussi bien le prestataire de services que le destinataire franchissent la frontière et où le service est fourni ensuite ( 47 ). Enfin, quatrièmement, les situations où le service lui-même franchit la frontière ( 48 ).

48.

En outre, à la différence des autres libertés fondamentales telles que la libre circulation des travailleurs ou, bien sûr, des règles sur la citoyenneté de l’Union, c’est non pas la nationalité des personnes concernées mais le lieu où elles sont établies ( 49 ) qui détermine l’élément transfrontalier ( 50 ).

49.

En ce qui concerne plus particulièrement la deuxième situation, celle où le destinataire franchit la frontière pour bénéficier du service, tant les restrictions à l’égard du prestataire de services que celles à l’égard des destinataires de ces services relèvent du champ d’application de l’article 56 TFUE. La raison pour laquelle les restrictions à l’égard du prestataire des services sont régies par l’article 56 TFUE est qu’elles impliquent inévitablement des restrictions pour les destinataires de services.

50.

Une restriction peut donc trouver son origine soit dans l’État membre du prestataire de services, soit dans celui du destinataire de services. En toute logique, le traité appréhende ces deux restrictions de manière identique. Alors que pour, par exemple, la libre circulation des marchandises, le traité établit légitimement une distinction entre les importations ( 51 ) et les exportations ( 52 ) en étant, dans la jurisprudence de la Cour, (à très juste titre) plus strict en ce qui concerne les importations ( 53 ), une telle distinction n’existe pas en ce qui concerne la libre prestation des services, et ce pour la simple raison qu’il est plus difficile de distinguer conceptuellement les « importations » des « exportations ». Comme nous le verrons plus loin, le présent renvoi préjudiciel en est une illustration parfaite.

51.

À cet égard, la Cour a jugé que « la libre prestation des services de transport maritime entre États membres […] peut être invoquée par une entreprise à l’égard de l’État où elle est établie, dès lors que les services sont fournis à des destinataires établis dans un autre État membre » ( 54 ).

52.

En outre, en ce qui concerne la pratique du démarchage téléphonique où les personnes sont contactées par téléphone sans leur consentement préalable afin de leur proposer des services financiers, la Cour a jugé que « [l]’applicabilité des dispositions en matière de libre prestation des services ne [peut] dès lors [pas] être subordonnée à l’existence préalable d’un destinataire déterminé » ( 55 ). Pour expliquer pourquoi elle statuait en ce sens, la Cour a également indiqué dans sa motivation que « la libre prestation de services deviendrait illusoire si des réglementations nationales pouvaient librement entraver les offres de services » ( 56 ). Ainsi, la préparation de la prestation d’un service relève déjà du champ d’application de l’article 56 TFUE ( 57 ).

53.

La Cour a aussi jugé qu’une restriction potentielle était suffisante pour que la question relève du champ d’application de l’article 56 TFUE.

54.

Pour résumer, je me permettrai de citer l’avocat général Bobek, qui, dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire TÜV Rheinland LGA Products et Allianz IARD ( 58 ), a déclaré très judicieusement que « [l]’éventualité d’un élément transfrontalier reste au stade d’une hypothèse raisonnablement concevable : ainsi, dans le contexte des services, le fait que, par exemple, certains destinataires d’un service sont susceptibles d’être originaires d’un autre État membre suffit à déclencher l’application des règles du traité en matière de services ».

2. Application à la présente affaire : la situation de BONVER WIN

55.

Nous en arrivons ainsi à l’affaire en cause et aux problématiques que la juridiction de renvoi soulève.

56.

Sur la base de l’analyse qui précède, il semblerait que la présente affaire tombe pleinement dans le champ d’application de l’article 56 TFUE : il s’agit d’un prestataire de services qui est établi en République tchèque et qui fournit ses services à, notamment, des clients franchissant la frontière tchéco-allemande afin de bénéficier desdits services.

57.

Qui plus est, une restriction a été apportée à l’activité de BONVER WIN : le fait qu’elle ne peut plus l’exercer au même endroit qu’auparavant répond indubitablement aux conditions fixées à cet égard par la jurisprudence pertinente de la Cour. Il s’ensuit que les clients de BONVER WIN subissent également une restriction dans leur possibilité de bénéficier desdits services. Si BONVER WIN doit cesser ses activités dans le quartier de la ville où elle était établie, les clients ne pourront plus miser leur argent dans son établissement.

58.

Du point de vue du prestataire de services, BONVER WIN, le fait que la restriction est imposée par l’État membre d’origine ( 59 ) est, à cet égard, sans intérêt. Sur ce point, la Cour peut se fonder sur son arrêt Alpine Investments ( 60 ), où elle a jugé que la libre prestation des services prévue par le traité « interdit les restrictions à la libre prestation de services à l’intérieur de [l’Union] en général » et que, en conséquence, cette liberté « concerne non seulement les restrictions établies par l’État d’accueil, mais aussi celles établies par l’État d’origine ».

59.

Eu égard à cette constatation, j’aurais dit : la cause est entendue.

3. Nécessité de limiter le champ d’application de l’article 56 TFUE ?

60.

Néanmoins, l’affaire présente encore deux éléments : d’une part, le fait que la personne à qui la restriction s’adresse est non pas le destinataire du service qui, en franchissant la frontière, déclenche l’applicabilité de l’article 56 TFUE mais le prestataire du service et, d’autre part, la préoccupation de la juridiction nationale quant à la possibilité purement éventuelle de clients allemands ainsi que la question connexe de la règle de minimis.

a) Un destinataire du service qui déclenche l’applicabilité de l’article 56 TFUE pour le prestataire du service

61.

Je ne vois pas en quoi le fait que ce soit le destinataire du service qui franchit la frontière devrait modifier ma constatation d’une quelconque manière. La question du champ d’application de l’article 56 TFUE est d’ordre objectif, en ce sens qu’une situation en relève – si certaines conditions sont remplies – ou non.

62.

Cette question doit être distinguée de celle de savoir si, dans une telle situation, le prestataire de services peut invoquer l’article 56 TFUE à l’encontre de son propre État membre, c’est-à-dire s’il peut tirer un droit s’apparentant à un droit fondamental économique.

63.

Cette dernière question appelle une réponse affirmative.

64.

Ainsi qu’il a été démontré plus haut, la liberté de recevoir des services, dont jouit le destinataire de ceux-ci, n’est autre que le pendant de la libre prestation des services dont jouit le prestataire des services. Il serait étrange que, dans une telle situation, seuls des clients – par exemple, polonais ou allemands – de BONVER WIN puissent se prévaloir de l’article 56 TFUE dans une procédure devant les juridictions tchèques, alors que BONVER WIN elle-même ne le pourrait pas. À cet égard, il convient d’établir une analogie avec l’arrêt Clean Car Autoservice ( 61 ) que la Cour a rendu dans le domaine de la libre circulation des travailleurs garantie par l’article 45 TFUE et où elle a jugé que la libre circulation des travailleurs peut également être invoquée par un employeur en vue d’occuper, dans l’État membre où il est établi, des travailleurs qui sont ressortissants d’un autre État membre.

b) Un arrêt Keck et Mithouard pour les services ?

65.

De toute évidence, une telle constatation implique que, en l’état actuel du droit, le champ d’application ratione materiae est très étendu, ce qui soulève la question de savoir si la Cour devrait envisager d’introduire une limitation telle que celle qu’elle a retenue, en 1993, pour la libre circulation des marchandises dans l’arrêt Keck et Mithouard ( 62 ). L’argument à l’appui d’une telle limitation serait le suivant : tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Keck et Mithouard ( 63 ), nous sommes en présence d’une restriction indistinctement applicable, en droit comme en fait, de la libre prestation des services et de la liberté correspondante de recevoir de tels services. Aucun élément discriminatoire n’est donc en cause : du point de vue du prestataire de services, toute entreprise étrangère désireuse de s’établir à Děčín en vue d’offrir des jeux d’argent se trouve exactement dans la même situation que BONVER WIN et ne pourrait pas davantage exercer son activité dans la partie spécifiée de la ville. Inversement, pour ce qui est du destinataire des services, aucun destinataire – qu’il soit tchèque ou étranger – ne peut bénéficier des services de jeux de hasard dans la partie spécifiée de la ville. À supposer que, par la notion de « certaine modalité de vente » développée dans l’arrêt Keck et Mithouard ( 64 ), il faille en réalité entendre l’accès au marché d’une entreprise ayant l’intention de vendre des marchandises ou, en l’occurrence, de proposer ses services, pourquoi ne pas exclure du champ d’application de l’article 56TFUE ces mesures indistinctement applicables en droit comme en fait qui n’entravent pas l’accès au marché des prestataires de services d’autres États membres ?

66.

Cette question touche droit au cœur de la constitution économique de l’Union et au concept de ce qui constitue ou devrait constituer une restriction aux échanges transfrontaliers.

67.

Pour ma part, toute prise en considération de l’idée même d’introduire une telle règle dans le cadre de la libre prestation des services de l’article 56 TFUE doit être rejetée catégoriquement.

68.

Tout d’abord, je ne vois pas la moindre indication d’une telle prise en considération dans la jurisprudence actuelle de la Cour ( 65 ).

69.

Pour déterminer le champ d’application de l’article 56 TFUE, l’approche que la Cour adopte systématiquement repose sur l’existence d’obstacles (par opposition à l’existence d’une discrimination). Tel a été explicitement le cas dans les décisions rendues ( 66 ) dans des affaires telles que celles ayant donné lieu aux arrêts Gebhard ( 67 ) et Alpine Investments ( 68 ), affaires auxquelles j’ai déjà fait référence.

70.

À vrai dire, on pourrait se demander à présent si une réponse « n’a peut-être pas encore été donnée » ( 69 ) à la question d’une limitation à l’article 56 TFUE similaire à celle retenue dans l’arrêt Keck et Mithouard ( 70 ). Je ferais valoir que rien ne justifie un développement jurisprudentiel de cet ordre, et ce pour les raisons que je vais exposer ci-après.

71.

Premièrement, il est douteux que l’enseignement de l’arrêt Keck et Mithouard ( 71 ) soit encore valable en ce qui concerne la libre circulation des marchandises. Les occasions où la Cour s’est référée explicitement à cette affaire appartiennent au passé et les cas où elle a eu recours à l’idée sous-jacente de cet arrêt sont rares. J’ai conclu précédemment – j’en ai conscience – que cette jurisprudence « est encore d’actualité » ( 72 ), mais, à présent, je suis enclin à me demander s’il n’y a pas lieu d’ajouter qu’elle l’est « théoriquement, et ce en mode veille » ou de constater plutôt qu’elle s’est métamorphosée d’un lion en un chat domestique : domestiqué peut-être, mais toujours impossible à saisir.

72.

Deuxièmement, le raisonnement suivi dans l’arrêt Keck et Mithouard ( 73 ) était difficile à comprendre en son temps et ce n’est pas sans raison que la Cour a été critiquée pour avoir utilisé l’expression « certaines modalités de vente », expression qui n’est pas susceptible de s’appliquer facilement dans la pratique en l’absence de critères clairs au regard desquels évaluer un cas spécifique ( 74 ). Il est apparu par la suite que, dans l’arrêt Keck et Mithouard ( 75 ), il s’agissait en réalité non pas de « certaines modalités de vente » mais de la question de savoir si l’accès au marché avait été rendu plus difficile, voire impossible. Là encore, d’ailleurs, définir ce qu’est exactement l’accès au marché est une tâche ardue et problématique du point de vue de la sécurité juridique.

73.

Troisièmement, même si une interprétation parallèle des libertés fondamentales doit être privilégiée en principe, il est difficile d’établir des comparaisons entre la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services en ce qui concerne la théorie des modalités de vente et de l’accès au marché. Une telle théorie peut plus facilement se développer dans le cadre des marchandises (principalement) ( 76 ) tangibles. Pour les services, c’est différent : en raison de leur nature non tangible, il est plus difficile de déterminer ce qui constitue le service lui-même et ce qui n’est pas directement lié à celui-ci.

74.

Quatrièmement, si l’on admet que, dans l’arrêt Keck et Mithouard ( 77 ), il s’agissait (également) de contrôler le nombre d’affaires à traiter par la Cour dans des cas qui avaient moins à voir avec les marchandises elles-mêmes qu’avec les libertés commerciales des opérateurs économiques, ce que la Cour a admis sans hésiter – et qui pourrait expliquer l’une des grandes ironies de l’arrêt Keck et Mithouard ( 78 ), à savoir que les faits se cantonnaient à un seul État membre ( 79 ), avec comme conséquence que la libre circulation des marchandises ne s’appliquait de toute façon pas dans cette affaire et que, de ce fait, elle n’aurait pas pu être considérée comme recevable –, alors, selon moi, il n’y a aucune nécessité d’étendre la jurisprudence tirée de l’arrêt Keck et Mithouard ( 80 ) à d’autres libertés fondamentales. En ce qui concerne la libre prestation des services, je ne perçois en rien que les opérateurs économiques « invoquent de plus en plus » ( 81 ) leurs droits prévus à l’article 56TFUE ni n’ai connaissance que d’autres percevraient une telle tendance. Bien au contraire. En réalité, ces deux dernières décennies, le législateur de l’Union s’est efforcé d’encourager la libre prestation des services dans toute l’Union, notamment par l’adoption de la directive services. Dans ce cadre, le besoin était ressenti de rendre la libre prestation des services plus accessible aux opérateurs économiques. Introduire une règle restrictive en droit primaire irait diamétralement à l’encontre de ce développement et constituerait un pas en arrière malheureux à cet égard.

75.

Cinquièmement, et c’est crucial, dans le même ordre d’idées, la Cour n’a pas recouru (et ce à très juste titre) à l’enseignement de l’arrêt Keck et Mithouard ( 82 ), alors qu’elle aurait pu le faire, pour interpréter la liberté d’établissement d’un prestataire de services dans le cadre de la directive services. Dans l’arrêt X et Visser ( 83 ), elle a jugé qu’une mesure qui aurait incontestablement constitué une « modalité de vente » au sens de l’arrêt Keck et Mithouard ( 84 ) relevait néanmoins du champ d’application de la liberté d’établissement conformément à la directive services, délaissant ainsi les idées qui avaient conduit à la décision dans l’arrêt Keck et Mithouard ( 85 ).

76.

Il n’y a dès lors aucune raison de transposer la logique qui sous-tend l’un des arrêts les plus contestés dans le domaine de la libre circulation des marchandises ( 86 ) en dehors de cette liberté fondamentale particulière.

c) Une règle de minimis pour l’article 56 TFUE ?

77.

Dans la jurisprudence prononcée par la Cour jusqu’à ce jour, il n’y a aucune indication que l’article 56 TFUE – ou toute autre liberté fondamentale d’ailleurs – est soumis à une règle de minimis, en ce sens que la libre prestation des services n’est déclenchée que si un certain nombre de destinataires des services bénéficient de ceux-ci.

78.

Même si la Cour a jugé la libre prestation des services non applicable dans des cas présentant des faits comparables à ceux que la juridiction de renvoi décrit, c’était plutôt en raison du fait qu’il s’agissait de situations où le lien entre la mesure nationale en cause et la liberté fondamentale était trop ténu.

79.

Cette jurisprudence et le fait que la Cour n’a pas recours à des considérations de minimis se justifient pleinement : le champ d’application de la libre prestation des services doit être déterminé par des critères qualitatifs, susceptibles d’être appliqués aisément dans toute l’Union. Inversement, des critères quantitatifs ne peuvent pas ni ne devraient déterminer son champ d’application. Même abstraction faite de cela, il serait impossible de fixer ou de justifier un seuil quantitatif. Ainsi, dans le cas de BONVER WIN, quel serait le critère ? Dix clients ? Cent clients ? Mille clients ? Un pourcentage déterminé de l’ensemble des consommateurs sur le marché ? Par exemple 15 % ? Ou en fonction des montants que les consommateurs misent ? Un consommateur qui mise 1000 euros équivaut-il à dix consommateurs misant 100 euros ? Si ces exemples paraissent un peu simples, je ferais valoir qu’ils illustrent parfaitement que c’est le concept de minimis qui, dans le contexte des libertés fondamentales, engendrerait de nouveaux problèmes.

80.

Le fait que le concept quantitatif de la règle de minimis se rapporte plus aux éléments factuels concrets d’une affaire qu’à ses aspects juridiques conduira à un problème plus fondamental. Il est loin d’être inconcevable que la même mesure puisse être considérée comme étant d’un ordre de minimis dans un État membre de l’Union mais non pas dans un autre. Cela mettrait en péril les conditions de concurrence équitables entre les opérateurs économiques que les dispositions relatives au marché intérieur visent à établir. Ou faudrait-il définir la règle de minimis en termes abstraits ? Dans l’affirmative, comment et par qui ? Nous devons garder à l’esprit que nous avons affaire, ici, à un domaine non harmonisé, où les mesures des États membres doivent être appréciées au regard d’une liberté consacrée par le traité et que le marché intérieur reste une matière qui relève d’une compétence partagée de l’Union. Cette situation ne peut pas être comparée à celle du droit de l’Union en matière de concurrence, où la législation de l’Union fixe elle-même certains seuils.

81.

Pour résumer les motifs qui s’opposent à l’introduction d’une règle de minimis dans le contexte de la libre prestation des services de l’article 56 TFUE, ou d’ailleurs de celui de toute autre liberté, il faut souligner qu’il s’agit d’une question de fait et non pas d’une question de droit. Dans le cadre de la procédure du renvoi préjudiciel, il appartient à la juridiction nationale de statuer sur les faits. Permettre aux juridictions nationales d’introduire une telle règle aboutirait à la fragmentation du marché intérieur et compromettrait l’objectif d’assurer entre les opérateurs du marché des conditions de concurrence équitables.

82.

Il s’ensuit que, dans le contexte de l’article 56 TFUE, une règle de minimis doit être rejetée par principe.

V. Conclusion

83.

Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque) :

La libre prestation de services de l’article 56 TFUE – qui ne comporte aucune règle de minimis – s’applique à une situation où une société établie dans un État membre perd, au titre d’une mesure de droit public déterminant des modalités de la prestation des services, telles qu’une localisation précise, l’autorisation d’exercer son activité, lorsque certains de ses clients viennent d’un État membre différent de celui où cette société est établie, indépendamment de la question de savoir si la mesure nationale en cause est indistinctement applicable (en droit comme en fait).


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Par exemple : une discrimination ou une entrave, une modalité de vente ou un accès au marché (ou les deux à la fois), des situations purement internes.

( 3 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 4 ) Sans en saisir la Cour, comme il s’avère.

( 5 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C-268/15, EU:C:2016:874, point 47).

( 6 ) J’emprunte cette expression à Arena, A., « The Wall Around EU Fundamental Freedoms : the Purely Internal Rule at the Forty-Year Mark », Yearbook of European Law, vol. 38, 2019, p. 153 à 219, notamment p. 163.

( 7 ) Arrêt du 20 février 1979 (120/78, EU:C:1979:42).

( 8 ) Arrêt du 24 octobre 1978 (15/78, EU:C:1978:184).

( 9 ) Arrêt du 7 février 1979 (115/78, EU:C:1979:31).

( 10 ) Arrêt du 7 février 1979 (136/78, EU:C:1979:34).

( 11 ) Arrêt du 18 mars 1980 (52/79, EU:C:1980:83).

( 12 ) Arrêt du 28 mars 1979 (175/78, EU:C:1979:88).

( 13 ) Arrêt du 7 février 1979 (115/78, EU:C:1979:31, point 24) : « […] les dispositions du traité en matière d’établissement et de prestations de services ne sauraient être appliquées à des situations purement internes à un État membre […] ».

( 14 ) Selon les termes utilisés par l’avocat général Warner, dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Saunders (175/78, non publiées, EU:C:1979:63, p. 1141).

( 15 ) Voir arrêt du 24 octobre 1978 (15/78, EU:C:1978:184, point 3).

( 16 ) Voir arrêt du 7 février 1979 (136/78, EU:C:1979:34).

( 17 ) Voir arrêt du 28 mars 1979 (175/78, EU:C:1979:88, point 10).

( 18 ) Ancien article 48 du traité CEE.

( 19 ) Voir arrêt du 28 mars 1979, Saunders (175/78, EU:C:1979:88, point 10).

( 20 ) Voir arrêt du 28 mars 1979, Saunders (175/78, EU:C:1979:88, point 11). Il est néanmoins intéressant de relever que, dans les conclusions qu’il a présentées dans cette affaire, l’avocat général Warner a abordé la question des situations purement internes mais est arrivé à une conclusion différente de celle de la Cour, ce qui l’a conduit à analyser les actes nationaux en cause au regard de la libre circulation des travailleurs (voir conclusions de l’avocat général Warner dans l’affaire Saunders, 175/78, non publiées, EU:C:1979:63).

( 21 ) Dans des affaires antérieures, comme l’arrêt fondateur du 15 juillet 1964, Costa (6/64, EU:C:1964:66), par exemple, la Cour ne semble pas avoir vu de nécessité à analyser la question d’une situation purement interne.

( 22 ) Arrêt du 28 mars 1979 (175/78, EU:C:1979:88).

( 23 ) Arrêt du 18 mars 1980 (52/79, EU:C:1980:83, point 9).

( 24 ) Au risque même de me voir accuser d’hérésie, je me référerai, par commodité, aux termes « compétence » et « recevabilité » de manière interchangeable. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas conscient de la différence juridique qui existe entre ces deux termes : la compétence est objective et se réfère à la capacité juridique de la Cour de statuer, tandis que la recevabilité présente un élément subjectif en ce qu’elle peut en partie être déterminée par la juridiction de renvoi. En réalité, une affaire est uniquement recevable si la juridiction nationale a respecté les règles procédurales pertinentes pour saisir la Cour et a dûment motivé pourquoi le renvoi est nécessaire. À cet égard, je suis en outre tout à fait d’accord avec les conclusions que l’avocat général Wahl a présentées dans l’affaire Gullotta et Farmacia di Gullotta Davide & C. (C-497/12, EU:C:2015:168, points 21 et 25), dans lesquelles il a émis une considération similaire tout en soulignant que la différence entre les deux termes ne devait pas être exagérée.

( 25 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016 (C-268/15, EU:C:2016:874, points 50 à 53). Voir, pour un résumé exhaustif de la jurisprudence de la Cour en cette matière, avant cet arrêt, conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Venturini e.a. (C-159/12 à C-161/12, EU:C:2013:529).

( 26 ) Voir, en ce sens, également, mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C-360/15 et C-31/16, EU:C:2017:397, point 115).

( 27 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C-268/15, EU:C:2016:874, point 50).

( 28 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C-268/15, EU:C:2016:874, point 51).

( 29 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C-268/15, EU:C:2016:874, point 52).

( 30 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C-268/15, EU:C:2016:874, point 53).

( 31 ) Arrêt du 1er octobre 2015 (C-340/14 et C-341/14, EU:C:2015:641).

( 32 ) Voir arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen (C-340/14 et C-341/14, EU:C:2015:641, point 41). Mise en italique par mes soins.

( 33 ) L’arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen (C-340/14 et C-341/14, EU:C:2015:641), présentait donc un rebondissement intéressant, car, après avoir établi que certaines situations n’étaient pas de nature purement interne, la Cour a refusé de répondre aux questions matérielles de la juridiction de renvoi qui demandait précisément si les dispositions de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36) (ci-après la « directive services ») relatives à la liberté d’établissement des prestataires de services s’appliquaient à des situations purement internes. Ce n’est que plus tard, dans l’arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser (C-360/15 et C-31/16, EU:C:2018:44), que la Cour a répondu à cette question, et ce par l’affirmative.

( 34 ) Voir arrêt du 15 novembre 2016 (C-268/15, EU:C:2016:874).

( 35 ) L’affaire en cause doit être examinée au regard des dispositions du traité. La directive services ne s’applique pas aux jeux d’argent ; voir article 2, paragraphe 2, sous h), de cette directive. Si les jeux d’argent avaient été couverts par ladite directive, la question de la juridiction de renvoi ne se serait alors pas posée, puisque le chapitre relatif à l’établissement des prestataires de services s’applique ratione materiae à des situations purement internes, voir arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser (C-360/15 et C-31/16, EU:C:2018:44).

( 36 ) Selon le terme utilisé par Müller-Graff, P.-Chr., dans Streinz, R. (éd.), EUV/AEUV Kommentar, 3e éd., C. H. Beck, Munich, 2018, Artikel 56 AEUV, point 1.

( 37 ) Voir article 57 TFUE, aux termes duquel doivent être considérées comme des services au sens des traités les prestations fournies normalement contre rémunération, dans la mesure où elles ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes. À cet égard, la Cour a jugé que la notion de « services » couvre les prestations qui ne sont pas régies par les autres libertés dans le but de ne pas voir une activité économique échapper au champ d’application des libertés fondamentales, ce qui me permet d’en déduire que la libre prestation des services est une liberté fondamentale non pas subsidiaire mais résiduelle. Voir mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C-360/15 et C-31/16, EU:C:2017:397, point 88).

( 38 ) Voir arrêt du 17 décembre 1981, Webb (279/80, EU:C:1981:314, point 17).

( 39 ) Voir arrêt du 3 décembre 1974, van Binsbergen (33/74, EU:C:1974:131, point 27).

( 40 ) La libre prestation des services garantie par l’article 56 TFUE exige donc non pas seulement l’élimination de toute discrimination fondée sur la nationalité à l’encontre de prestataires de services établis dans d’autres États membres, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s’applique indistinctement aux prestataires nationaux et aux prestataires des autres États membres. Il s’agit d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 25 juillet 1991, Säger (C-76/90, EU:C:1991:331, point 12). Voir, également, arrêts du 18 juillet 2013, Citroën Belux (C-265/12, EU:C:2013:498, point 35), et du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (C-42/07, EU:C:2009:519, point 51). Dans l’arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C-55/94, EU:C:1995:411, point 37), alors qu’il s’agissait d’une affaire relative à la liberté d’établissement, la Cour ne s’est pas référée seulement à cette liberté spécifique : « les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité». Mise en italique par mes soins.

( 41 ) Voir arrêts du 31 janvier 1984, Luisi et Carbone (286/82 et 26/83, EU:C:1984:35, point 16), et du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International (C-42/07, EU:C:2009:519, point 51).

( 42 ) C’est aussi le point de vue de Randelzhofer, A., et Forsthoff, U., dans Grabitz, E., Hilf, M., et Nettesheim, M., Das Recht der Europäischen Union, 57, mise à jour de février 2020, C. H. Beck, Munich, Art. 56, Art. 57 AEUV, point 3.

( 43 ) Ces situations sont fondamentalement analogues à la définition que donne au « commerce des services » l’accord général sur le commerce des services, annexé à l’accord instituant l’OMC. L’article 1, paragraphe 2, de l’accord général sur le commerce des services définit le « commerce des services » comme comprenant quatre modes de fourniture d’un service : 1) une fourniture transfrontalière n’impliquant aucune circulation de personne ; 2) une consommation à l’étranger, qui implique la circulation du consommateur sur le territoire du pays membre de l’OMC où le prestataire est établi ; 3) une présence commerciale, c’est-à-dire la présence d’une filiale ou d’une succursale sur le territoire du pays membre de l’OMC où le service doit être fourni ; 4) la présence de personnes physiques d’un pays membre de l’OMC, permettant à un prestataire d’un pays membre de fournir les services sur le territoire de tout autre pays membre.

( 44 ) Situation aussi appelée la libre circulation des services « active ».

( 45 ) Voir conclusions de l’avocat général Lenz dans l’affaire Cowan (186/87, non publiées, EU:C:1988:526, point 14).

( 46 ) Situation aussi appelée la libre circulation des services « passive ». Voir, sur cette notion, Völker, St., Passive Dienstleistungsfreiheit im Europäischen Gemeinschaftsrecht, Duncker & Humblot, Berlin, 1990, p. 61 et suiv.

( 47 ) Un groupe de touristes franchissant ensemble une frontière avec un guide en constitue l’exemple type.

( 48 ) Notamment au moyen des télécommunications ou d’Internet.

( 49 ) Voir, également, le libellé de l’article 56 TFUE.

( 50 ) Contrairement à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d’établissement, la libre prestation des services détermine l’élément transfrontalier nécessaire non pas par rapport au titulaire de cette liberté mais par rapport à la relation de service. La libre prestation des services n’est en particulier pas exclue parce que les destinataires ou les prestataires des services ont la même nationalité. Voir, de manière plus approfondie, Randelzhofer, A., et Forsthoff, U., Das Recht der Europäischen Union, op. cit.

( 51 ) Voir article 34 TFUE.

( 52 ) Voir article 35 TFUE.

( 53 ) Soit dit en passant, l’enseignement de l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905), sur lequel nous reviendrons en détail plus loin, ne s’applique qu’aux importations. Cet arrêt a été rendu sur le fondement de ce qui est devenu l’article 34TFUE et son enseignement n’est d’application que dans le cadre de mesures indistinctement applicables, en droit comme en fait. En revanche, l’article 35 TFUE ne s’applique qu’aux mesures discriminatoires.

( 54 ) Voir arrêt du 17 mai 1994, Corsica Ferries (C-18/93, EU:C:1994:195, point 30).

( 55 ) Voir arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments (C-384/93, EU:C:1995:126, point 19).

( 56 ) Voir arrêt du 10 mai 1995, Alpine Investments (C-384/93, EU:C:1995:126, point 19).

( 57 ) Voir, en ce sens, également, Müller-Graff, P.-Chr., EUV/AEUV Kommentar, op. cit., et Holoubek, M., dans Schwarze, J., Becker, U., Hatje, A., et Schoo, J. (éds), EU-Kommentar, 4e éd., Nomos, Baden-Baden, 2019, Art. 57 AEUV, point 42.

( 58 ) C-581/18, EU:C:2020:77, point 30. Mise en italique par mes soins.

( 59 ) Par opposition à l’État membre de destination.

( 60 ) Voir arrêt du 10 mai 1995 (C-384/93, EU:C:1995:126, point 30).

( 61 ) Arrêt du 7 mai 1998 (C-350/96, EU:C:1998:205, point 25).

( 62 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 63 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 64 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 65 ) J’exclus délibérément de mon analyse la jurisprudence relative à la question spécifique des impositions. Il est notoire que, dans ce cadre, l’approche de la Cour est à très juste titre peu différente de celle qu’elle adopte en matière de restrictions discriminatoires, et ce également lorsque les affaires sont complexes. La raison en est simple : de par leur nature même, les impositions sont normalement indistinctement applicables en droit comme en fait. Il serait difficile de justifier qu’elles relèvent automatiquement du champ d’application des libertés fondamentales et que, en tant que position adoptée par défaut, les États membres doivent en expliquer la raison d’être. C’est pourquoi je suis pleinement d’accord avec la Cour quand elle décide, dans ce domaine spécifique, que, si le seul effet des impositions est de créer des coûts supplémentaires en ce qui concerne le service en question et que ces impositions affectent de la même manière la fourniture des services transfrontalière et la fourniture des services au sein d’un même État membre, alors ces impositions ne relèvent pas du champ d’application de l’article 56 TFUE. Voir, notamment, arrêts du 8 septembre 2005, Mobistar et Belgacom Mobile (C-544/03 et C-545/03, EU:C:2005:518, point 31), et du 17 février 2005, Viacom Outdoor (C-134/03, EU:C:2005:94, point 38).

( 66 ) Soit dit en passant, peu après l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905). Cela indique que, au moins à l’époque, la Cour n’a pas jugé nécessaire d’introduire une limitation au champ d’application de la libre prestation des services.

( 67 ) Arrêt du 30 novembre 1995 (C-55/94, EU:C:1995:411).

( 68 ) Arrêt du 10 mai 1995 (C-384/93, EU:C:1995:126).

( 69 ) Voir conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire TÜV Rheinland LGA Products et Allianz IARD (C-581/18, EU:C:2020:77, point 31).

( 70 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 71 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 72 ) Voir les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Deutsche Parkinson Vereinigung (C-148/15, EU:C:2016:394, point 23).

( 73 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 74 ) Voir, en ce sens, notamment, Müller-Graff, P.-Chr., dans von der Groeben, H., Schwarze, J., et Hatje, A. (éds), Europäisches Unionsrecht (Kommentar), 7e éd., Nomos, Baden-Baden, Artikel 34 AEUV, point 247.

( 75 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 76 ) L’électricité étant, par exemple, une exception notable à l’exigence de la tangibilité.

( 77 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905, point 14).

( 78 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 79 ) Des opérateurs économiques français souhaitaient vendre à perte, en France, du Picon-bière, un produit originaire de France, et ils en ont été empêchés par le droit français.

( 80 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 81 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905, point 14).

( 82 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 83 ) Voir arrêt du 30 janvier 2018 (C-360/15 et C-31/16, EU:C:2018:44, point 97). Voir également mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C-360/15 et C-31/16, EU:C:2017:397, points 87 à 104).

( 84 ) Arrêt du 24 novembre 1993 (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905).

( 85 ) Voir Snell, J., « Independence Day for the Services Directive : Visser », Common Market Law Review, vol. 56, 2019, p. 1119 à 1136, notamment p. 1129.

( 86 ) Voir, entre autres, Mattera, A., « De l’arrêt “Dassonville” à l’arrêt “Keck”: l’obscure clarté d’une jurisprudence riche en principes novateurs et en contradictions », Revue du marché unique européen, no 1, 1994, p. 117 à 160 ; Gormley, L., « Reasoning Renounced ? The Remarkable Judgment in Keck & Mithouard », European Business Law Review, 1994, p. 63 à 67 ; Steindorff, E., « Unvollkommener Binnenmarkt », Zeitschrift für das gesamte Handelsrecht und Wirtschaftsrecht, 1994, p. 149 à 169 ; Lenz, C. O., « Ein undeutlicher Ton », Neue juristische Wochenschrift, 1994, p. 1633 et 1634. Pour un plaidoyer en faveur de l’arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, EU:C:1993:905), voir Joliet, R. (l’un des juges dans cette affaire), « Der freie Warenverkehr : Das Urteil Keck und Mithouard und die Neuorientierung der Rechtsprechung », Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht, internationaler Teil, 1994, p. 979 à 987. Voir, également, les conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Deutsche Parkinson Vereinigung (C-148/15, EU:C:2016:394, points 21 et suiv.).

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CJUE, n° C-311/19, Conclusions de l'avocat général de la Cour, BONVER WIN, a. s. contre Ministerstvo financí ČR, 3 septembre 2020