CJUE, n° C-361/22, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Industria de Diseño Textil SA (Inditex) contre Buongiorno Myalert SA, 7 septembre 2023

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 7 sept. 2023, C-361/22
Numéro(s) : C-361/22
Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 7 septembre 2023.#Industria de Diseño Textil SA (Inditex) contre Buongiorno Myalert SA.#Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo.#Renvoi préjudiciel – Marques – Directive 2008/95/CE – Article 6, paragraphe 1, sous c) – Limitation des effets de la marque – Usage de la marque pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service – Directive (UE) 2015/2436 – Article 14, paragraphe 1, sous c).#Affaire C-361/22.
Date de dépôt : 3 juin 2022
Précédents jurisprudentiels : 10
10 avril 2008, adidas et adidas Benelux ( C-102/07, EU:C:2008:217
10 Voir arrêt du 21 décembre 2011, Danske Svineproducenter ( C-316/10, EU:C:2011:863
12 janvier 2023, RegioJet ( C-57/21, EU:C:2023:6
13.
14
17
17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland ( C-228/03, EU:C:2005:177
21 Arrêt du 17 mars 2005 ( C-228/03, EU:C:2005:177
22
22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit ( C-323/09, EU:C:2011:604
23
23 Voir arrêt du 11 avril 2019, ÖKO-Test Verlag ( C-690/17, EU:C:2019:317
24.
25
25 Arrêt du 18 juillet 2013, Specsavers International Healthcare e.a. ( C-252/12, EU:C:2013:497
25 janvier 2007, Adam Opel ( C-48/05, EU:C:2007:55
26
26.
28
29.
30
31
31 Arrêt du 17 mars 2005 ( C-228/03, EU:C:2005:177
32 Arrêt du 25 janvier 2007 ( C-48/05, EU:C:2007:55
33
33 Arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel ( C-48/05, EU:C:2007:55
34 Arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel ( C-48/05, EU:C:2007:55
35
35 Arrêt du 10 avril 2008 ( C-102/07, EU:C:2008:217
36 Arrêt du 10 avril 2008, adidas et adidas Benelux ( C-102/07, EU:C:2008:217
37
37 Arrêt du 11 septembre 2007 ( C-17/06, EU:C:2007:497
38.
39
41.
46 Arrêt du 17 mars 2005 ( C-228/03, EU:C:2005:177
47
47 Arrêt du 8 juillet 2010 ( C-558/08, EU:C:2010:416
49 Arrêt du 25 janvier 2007 ( C-48/05, EU:C:2007:55
50 Arrêt du 23 février 1999 ( C-63/97, EU:C:1999:82
52.
53.
54.
62.
65.
68.
6 février 2014, Leidseplein Beheer et de Vries ( C-65/12, EU:C:2014:49
70.
71.
74.
76.
83.
84.
Adam Opel
arrêt du 29 juin 2023, International Protection Appeals Tribunal e.a. ( Attentat au Pakistan ) ( C-756/21, EU:C:2023:523
BMW ( C-63/97, EU:C:1999:82
C-430/22 et C-468/22, EU:C:2023:458
Darbo ( C-465/98, EU:C:2000:184
Ford Motor Company ( C-500/14, EU:C:2015:680
Portakabin ( C-558/08, EU:C:2010:416
Trespa International ( C-248/07, EU:C:2008:607
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62022CC0361
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2023:653
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Sur les parties

Texte intégral

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 7 septembre 2023 ( 1 )

Affaire C-361/22

Industria de Diseño Textil SA (Inditex)

contre

Buongiorno Myalert SA

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Marques – Directive 89/104/CEE – Directive 2008/95/CE – Limitation des effets de la marque – Usage de la marque pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service – Conditions de licéité »

I. Introduction

1.

Le litige au principal, à l’origine du présent renvoi préjudiciel, oppose un fournisseur de services d’information par le biais d’Internet et du réseau de téléphonie mobile au titulaire de la marque ZARA, en raison d’une prétendue violation des droits conférés par cette marque. En effet, lors d’une campagne publicitaire, le fournisseur des services d’information avait offert en cadeau la participation à un tirage au sort dont l’un des prix était une carte cadeau ZARA, dont l’image avait été présentée dans le cadre de ladite campagne publicitaire. Le titulaire de la marque a intenté une action en contrefaçon contre ledit fournisseur de services, car ce dernier aurait tiré profit de la renommée de la marque et porté préjudice à cette renommée.

2.

Ainsi, le litige au principal est susceptible de se situer à la frontière entre le droit des marques et le droit des actes de concurrence déloyale. Toutefois, la question préjudicielle dans la présente affaire ne concerne que les directives relatives au droit des marques.

3.

À cet égard, le titulaire d’une marque enregistrée dans l’un des États membres est autorisé à interdire à tout tiers de faire certains usages des signes lorsque ces usages ne respectent pas son droit de propriété intellectuelle, eu égard aux conditions prévues par ces directives.

4.

Toutefois, le droit exclusif du titulaire n’est pas absolu. Ainsi, l’article 6, paragraphe 1, sous c), des directives 89/104/CEE ( 2 ) et 2008/95/CE ( 3 ) prévoyait que le titulaire ne pouvait pas interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, de la marque lorsqu’elle était nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées. En 2015, la directive 2008/95 a été remplacée par la directive (UE) 2015/2436 ( 4 ), dont l’article 14, paragraphe 1, sous c), semble introduire, à tout le moins sur un plan littéral, une limitation plus étendue des effets de la marque que celle de l’article 6, paragraphe 1, sous c), des directives 89/104 et 2008/95.

5.

Estimant que le comportement en cause dans le litige au principal relève plutôt de cette limitation plus étendue, la juridiction de renvoi demande à la Cour, dans le cadre de la question préjudicielle, si l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 a effectivement modifié l’étendue de la limitation en cause ou si cette disposition concerne des usages qui figuraient déjà implicitement à l’article 6, paragraphe 1, sous c), des directives 89/104 et 2008/95.

6.

Si la demande de décision préjudicielle vise l’article 6, paragraphe 1, sous c), des directives 89/104 et 2008/95, l’importance de la réponse à donner à cette question ainsi formulée dépasse toutefois largement le système des marques nationales.

7.

En effet, d’une part, cette réponse affectera également le système des marques de l’Union européenne fondé sur le règlement (CE) no 207/2009 ( 5 ), qui a été remplacé à partir du 1er octobre 2017 par le règlement (UE) 2017/1001 ( 6 ). Dans l’intervalle, le règlement no 207/2009 a été modifié par le règlement (UE) 2015/2424 ( 7 ). Une limitation analogue à celle contenue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 figurait à l’article 12, sous c), du règlement no 207/2009. Le règlement 2015/2424 a modifié cette dernière disposition en reprenant, en substance, le libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436.

8.

D’autre part, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, la limitation des effets des droits du titulaire d’une marque prévue par le législateur de l’Union vise à concilier les intérêts fondamentaux de la protection des droits de marque et ceux de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation de services dans le marché commun, et ce de manière telle que le droit de marque puisse remplir son rôle d’élément essentiel du système de concurrence non faussée que le traité entend établir et maintenir ( 8 ).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive 89/104

9.

L’article 5 de la directive 89/104, intitulé « Droits conférés par la marque », énonçait :

« 1. La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage, dans la vie des affaires :

a)

d’un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)

d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par la marque et le signe, il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion qui comprend le risque d’association entre le signe et la marque ;

2. Tout État membre peut également prescrire que le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe identique ou similaire à la marque pour des produits ou des services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque celle-ci jouit d’une renommée dans l’État membre et que l’usage du signe sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

3. Si les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2 sont remplies, il peut notamment être interdit :

a)

d’apposer le signe sur les produits ou sur leur conditionnement ;

b)

d’offrir les produits, de les mettre dans le commerce ou de les détenir à ces fins, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe ;

c)

d’importer ou d’exporter les produits sous le signe ;

d)

d’utiliser le signe dans les papiers d’affaires et la publicité.

[…] »

10.

L’article 6 de la directive 89/104, intitulé « Limitation des effets de la marque », disposait, à son paragraphe 1 :

« 1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires,

[…]

b)

d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci ;

c)

de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées,

pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. »

2. La directive 2008/95

11.

La directive 89/104 a été abrogée et remplacée par la directive 2008/95, entrée en vigueur le 28 novembre 2008. La directive 2008/95 n’a apporté de modifications substantielles ni à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 89/104, ni à l’article 6, paragraphe 1, sous b) et c), de cette directive.

3. La directive 2015/2436

12.

La directive 2015/2436, qui a abrogé et remplacé la directive 2008/95 avec effet au 15 janvier 2019, dispose, à son article 14 intitulé « Limitation des effets de la marque » :

« 1. Une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires :

[…]

c)

de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque cet usage de la marque est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée.

2. Le paragraphe 1 ne s’applique que lorsque l’usage par le tiers est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

[…] »

B. Le droit espagnol

13.

L’article 34 de la Ley 17/2001 de Marcas (loi 17/2001 sur les marques), du 7 décembre 2001 (BOE no 294, du 8 décembre 2001, p. 45579), dans sa version applicable aux faits du litige au principal (ci-après la « loi sur les marques »), a transposé dans l’ordre juridique espagnol l’article 5 de la directive 89/104. Cet article disposait :

« 1. L’enregistrement de la marque confère à son titulaire le droit exclusif de l’utiliser dans la vie des affaires.

2. Le propriétaire de la marque enregistrée est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :

a)

d’un signe identique à la marque pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ;

b)

d’un signe qui, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services, crée un risque de confusion dans l’esprit du public ; le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque ;

c)

d’un signe identique ou similaire pour des produits ou services qui ne sont pas similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque cette marque est notoire ou jouit d’une haute renommée en Espagne et que l’usage du signe sans motif légitime peut indiquer un lien entre ces biens ou services et le propriétaire de la marque ou, de façon générale, lorsque cet usage tire indûment profit du caractère distinctif ou de la notoriété ou haute renommée de la marque enregistrée ou leur porte préjudice. »

14.

L’article 37, paragraphe 1, sous c), de la loi sur les marques, qui a transposé en droit espagnol l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, disposait :

« 1. Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, des éléments ci-après, si cet usage est fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale :

[…]

c)

de la marque, lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoire ou pièce détachée. »

15.

À la suite de l’entrée en vigueur de la directive 2015/2436, le législateur espagnol a modifié l’article 37, paragraphe 1, sous c), de la loi sur les marques, qui est ainsi libellé :

« 1. Une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires :

[…]

c)

de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque, en particulier lorsque cet usage de la marque est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées. »

III. Les faits au principal

16.

Buongiorno Myalert SA (ci-après « Buongiorno ») est une entreprise qui, en 2010, fournissait des services d’information par le biais d’Internet et du réseau de téléphonie mobile. Cette même année, elle a lancé une campagne publicitaire pour l’abonnement à un service d’envoi de contenus multimédia par SMS commercialisé sous le nom de « Club Blinko », dans le cadre de laquelle elle offrait en cadeau la participation à un tirage au sort dont l’un des prix était une carte cadeau ZARA d’une valeur de 1000 euros. Après avoir cliqué sur une bannière pour accéder au tirage au sort, le souscripteur voyait apparaître sur l’écran suivant le signe « ZARA » entouré d’un rectangle, évoquant le format des cartes cadeaux.

17.

La société Industria de Diseño Textil SA (ci-après « Inditex ») a introduit une action en contrefaçon contre Buongiorno pour atteinte aux droits exclusifs conférés par une marque nationale protégeant le signe « ZARA ». Au soutien de cette action, fondée sur l’article 34, paragraphe 2, sous b) et c), de la loi sur les marques, Inditex a invoqué des raisons tenant, respectivement, à l’existence d’un risque de confusion ainsi qu’au profit tiré de la renommée de la marque et au préjudice porté à cette renommée.

18.

Buongiorno a nié l’existence d’une violation des droits conférés par la marque ZARA en faisant valoir qu’il avait été fait ponctuellement usage de ce signe, non pas en tant que marque, mais pour indiquer en quoi consistait l’un des cadeaux offerts aux gagnants du tirage au sort. Selon Buongiorno, un tel usage, « à titre de mention », relève des usages licites de signes distinctifs de tiers régis par l’article 37 de la loi sur les marques.

19.

La juridiction de première instance a rejeté les demandes d’Inditex. Après avoir considéré que l’utilisation de la marque ZARA par Buongiorno ne constituait pas un usage « à titre de mention » relevant de l’article 37 de la loi sur les marques, cette juridiction a estimé que les conditions énoncées à l’article 34, paragraphe 2, sous b) et c), de la loi sur les marques n’étaient pas réunies.

20.

Inditex a interjeté appel de cette décision en invoquant l’existence d’une contrefaçon de la marque au titre de l’article 34, paragraphe 2, sous c), de la loi sur les marques. Cet appel a été rejeté par la juridiction de deuxième instance qui a considéré que l’usage de la marque ZARA ne portait pas atteinte à la renommée de cette marque et ne tirait pas indûment profit de cette renommée.

21.

Inditex a formé un pourvoi en cassation devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), la juridiction de renvoi dans la présente affaire.

22.

Compte tenu de l’utilisation, à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, de l’expression « en particulier », qui lie le comportement plus général (« désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque »), qui ne figurait pas à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, au comportement plus spécifique auquel il était fait mention dans cette seconde directive (lorsque l’usage de cette marque « est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées »), la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la portée de ce passage introduit à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de cette première directive. Elle se demande s’il s’agit d’une explicitation d’un élément qui figurait implicitement à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 ou si la portée des usages « à titre de mention » a été étendue. Selon la juridiction de renvoi, le comportement de Buongiorno correspond davantage au libellé actuel de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 qu’à celui de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104.

23.

La juridiction de renvoi précise avoir invité les parties au principal à présenter leurs observations sur la pertinence d’un renvoi préjudiciel portant sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, « [p]our le cas où, par suite de l’accueil du moyen du pourvoi tiré de la violation de l’article 34, paragraphe 2, sous c), de la loi sur les marques, il serait nécessaire d’examiner si la limitation des effets de la marque, prévue à l’article 37[, paragraphe 1], sous c), de ladite loi, s’applique ».

IV. La question préjudicielle et la procédure devant la Cour

24.

C’est dans ces conditions que le Tribunal Supremo (Cour suprême), par ordonnance du 12 mai 2022 parvenue à la Cour le 3 juin 2022, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour une question préjudicielle, qui est libellée comme suit :

« L’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive [89/104] doit-il être interprété en ce sens que le comportement plus général désormais visé à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive [2015/2436], à savoir l’usage “de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque”, est implicitement inclus dans la limitation du droit de marque ? »

25.

Des observations écrites ont été déposées par les parties au principal et le gouvernement espagnol ainsi que par la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience.

V. Analyse

A. Délimitation de la question préjudicielle

26.

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que l’usage, dans la vie des affaires, de la marque « pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque », désormais mentionné à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, relève de cette première disposition.

27.

À titre liminaire, compte tenu des remarques présentées par les parties dans leurs observations écrites, il me semble pertinent de formuler les considérations suivantes quant à la délimitation de la question préjudicielle.

28.

En premier lieu, il convient d’observer que les faits au principal se sont déroulés en 2010, tandis que la question préjudicielle fait référence à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104. Cette directive a été remplacée par la directive 2008/95, qui est entrée en vigueur le 28 novembre 2008. Certes, cette dernière directive n’a pas modifié l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104, mais elle semble néanmoins être applicable ratione temporis dans le litige au principal. Dès lors, je me référerai dans les présentes conclusions à la directive 2008/95 et à son article 6, paragraphe 1, sous c), et je propose donc de reformuler la question préjudicielle en ce sens ( 9 ).

29.

En deuxième lieu, on pourrait être tenté de reformuler la question préjudicielle en considérant que, par celle-ci, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que peut relever de cette disposition le comportement consistant pour un tiers à utiliser la marque dans le cadre d’une campagne publicitaire pour évoquer un prix qu’un de ses clients peut gagner lors d’un tirage au sort. Cependant, la réponse à la question telle que formulée par la juridiction de renvoi lui permettra utilement de trancher le litige dont elle est saisie, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se substituer à cette juridiction dans son rôle et de reformuler cette question.

30.

En troisième lieu, Buongiorno fait valoir que la question préjudicielle ne fait nullement référence à la limitation des effets de la marque prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, aux termes duquel le titulaire d’une marque ne saurait interdire à un tiers l’usage, dans la vie des affaires, d’indications relatives à l’espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l’époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d’autres caractéristiques de ceux-ci. Or, Buongiorno indique avoir déjà invoqué cette disposition en première instance pour défendre la légalité de son comportement. Partant, elle considère que, aux fins de donner une réponse utile et exhaustive à la juridiction de renvoi, la Cour doit également examiner la question préjudicielle du point de vue de ladite disposition.

31.

Dans la mesure où la juridiction de renvoi n’exprime pas de doute quant à l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, je ne propose pas non plus à la Cour de reformuler la question préjudicielle sur ce point afin d’interpréter également cette disposition. En effet, la faculté de déterminer les questions à soumettre à la Cour est dévolue au seul juge national et les parties au principal ne sauraient en changer la teneur ( 10 ).

32.

Cela étant, par souci d’exhaustivité, il me faut observer, dans un premier temps, que l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 ne peut s’appliquer que si le comportement de Buongiorno est considéré comme un « usage », au sens de l’article 5 de cette directive. Dans la mesure où cet aspect semble être controversé également du point de vue de l’application de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de ladite directive, je reviendrai sur ce point dans le cadre de mon analyse du fond de la question préjudicielle ( 11 ).

33.

Dans un second temps, l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 constitue, ainsi que l’a jugé la Cour, une expression de l’impératif de disponibilité. Pour qu’un tiers puisse se prévaloir de l’impératif de disponibilité qui sous-tend cette disposition, il faut que l’indication utilisée par lui soit relative à l’une des caractéristiques du produit commercialisé ou du service fourni par ce tiers ( 12 ). Par ailleurs, la Cour a également jugé que l’apposition d’un signe identique à une marque enregistrée, notamment, pour des véhicules automobiles sur des modèles réduits de véhicules de cette marque, afin de reproduire fidèlement ces véhicules, ne vise pas à fournir une indication relative à une caractéristique desdits modèles réduits, mais est un élément de la reproduction fidèle des véhicules originaux ( 13 ).

34.

En l’occurrence, le fait qu’un tiers montre la marque d’un titulaire dans le cadre d’une campagne publicitaire pour évoquer un prix que ses clients peuvent gagner lors d’un tirage au sort revient éventuellement à indiquer plutôt une caractéristique du produit du titulaire qu’une caractéristique du service de fourniture de contenus multimédia proposé par ledit tiers. En effet, à supposer même qu’Inditex ait commercialisé des cartes cadeaux présentant les caractéristiques évoquées dans la campagne publicitaire de Buongiorno, on ne saurait considérer que la reproduction de ces cartes cadeaux dans cette campagne publicitaire visait à fournir une indication relative à une caractéristique du service fourni par Buongiorno.

35.

En quatrième lieu, compte tenu du cadre factuel décrit par la juridiction de renvoi, on pourrait également se demander si le comportement de Buongiorno relevait de l’article 7 de la directive 2008/95, intitulé « Épuisement du droit conféré par la marque ». Cette disposition prévoyait que le droit conféré par la marque ne permettait pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui avaient été mis dans le commerce dans la Communauté sous cette marque, par le titulaire ou avec son consentement, à moins que des motifs légitimes justifient qu’il s’oppose à la commercialisation ultérieure des produits.

36.

Sans préjuger de la réponse à donner à cette question, il me faut observer, tout d’abord, que la juridiction de renvoi ne sollicite pas l’interprétation de l’article 7 de la directive 2008/95. Ensuite, Inditex fait valoir que, en l’absence d’une première vente du produit, à savoir la carte cadeau, ou d’une première mise sur le marché avec son consentement, son droit de marque n’était pas épuisé au moment de l’usage de sa marque par Buongiorno. Enfin, cette société soutient, dans un autre contexte, qu’elle ne commercialise pas, ni ne commercialisait à l’époque, des cartes cadeaux présentant les caractéristiques indiquées dans la campagne publicitaire. Il s’agirait donc d’un produit inexistant.

37.

Compte tenu de ce qui précède, je propose d’analyser le problème juridique soulevé par la question préjudicielle exclusivement sous l’angle du rapport entre l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 et l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436. Il convient toutefois, au préalable, de se pencher sur les arguments avancés par les parties et relatifs à la recevabilité de la question préjudicielle.

B. Sur la recevabilité

38.

Inditex soulève deux arguments pour faire valoir que le présent renvoi préjudiciel est irrecevable.

39.

En premier lieu, Inditex observe que, ainsi que le constate la juridiction de renvoi elle-même ( 14 ), l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 ne peut lui être utile que si le pourvoi en cassation, sur lequel cette juridiction doit statuer, est accueilli pour violation de l’article 34, paragraphe 2, sous c), de la loi sur les marques, qui, en tant que disposition nationale par laquelle le législateur espagnol a mis en œuvre la faculté prévue à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive, confère une protection spéciale aux marques dites « renommées ». Toutefois, selon Inditex, l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée visé dans cette dernière disposition n’est en aucun cas conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, de sorte que l’article 6, paragraphe 1, sous c), de ladite directive ne saurait être invoqué par un tiers faisant l’usage de cette marque. J’ajoute, quitte à anticiper sur mes développements ultérieurs, que l’argument avancé par Inditex pour faire valoir que la question préjudicielle est irrecevable peut être également analysé, du point de vue du fond, comme un argument relatif à l’interprétation des dispositions précitées ( 15 ).

40.

En second lieu, Inditex affirme que, en tout état de cause, la réponse à la question préjudicielle ne serait pas utile, car elle est clairement insuffisante pour trancher la question de droit soulevée dans le litige au principal. En effet, l’usage d’une marque « à titre de mention » ne serait pas en soi licite. La licéité d’un tel usage exigerait que l’usage soit fait « conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale » et respecte les règles de l’épuisement du droit de marque en cas de transactions portant sur des produits d’autrui.

41.

À cet égard, l’argument selon lequel une question préjudicielle repose sur une prémisse sur laquelle la juridiction de renvoi doit encore se prononcer, de sorte que cette question doit être considérée comme étant prématurée et hypothétique ( 16 ), ou celui selon lequel la réponse à donner à une question préjudicielle ne suffirait pas à résoudre le litige au principal ( 17 ) ne conduisent pas automatiquement à conclure à l’irrecevabilité de cette question.

42.

En effet, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire au principal, la pertinence de la question qu’il pose à la Cour. Dès lors que la question posée porte sur l’interprétation ou sur la validité d’une règle du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. Il s’ensuit qu’une question préjudicielle portant sur le droit de l’Union bénéficie d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une telle question n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 18 ).

43.

Tel n’est pas le cas en l’occurrence. Certes, pour statuer sur le pourvoi en cassation, la juridiction de renvoi doit procéder aux appréciations qui précèdent celle relative au problème juridique soulevé par la question préjudicielle (l’usage d’une marque renommée, visé à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95) et procéder, éventuellement, aux appréciations additionnelles et postérieures à celle-ci (l’usage conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale). Toutefois, il n’apparaît pas de manière manifeste que l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 n’a pas vocation à s’appliquer dans une situation où une marque apparaît dans le contexte d’une campagne publicitaire d’un tiers pour évoquer un prix qu’un client de ce tiers peut gagner lors d’un tirage au sort.

44.

Par ailleurs, sans expressément remettre en question la recevabilité de la question préjudicielle, la Commission fait valoir que, étant donné qu’il semble que la juridiction nationale de première instance n’a pas commis d’erreur de droit en considérant que l’usage de la marque ZARA ne relevait d’aucun des cas d’« usage de la marque » prévus à l’article 34 de la loi sur les marques, par lequel le législateur espagnol a transposé l’article 5 de la directive 89/104, il n’est pas nécessaire d’examiner si les conditions définies à l’article 37 de la loi sur les marques et à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 sont remplies en l’espèce. Toutefois, j’estime que l’argument de la Commission ne saurait conduire à l’irrecevabilité de la question préjudicielle pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 41 et 42 des présentes conclusions en ce qui concerne les arguments d’Inditex.

45.

En effet, bien que je sois sensible aux arguments avancés par la Commission à l’appui de sa position selon laquelle le comportement de Buongiorno ne constituait pas un usage, au sens de l’article 5 de la directive 89/104, il convient de rappeler que la juridiction de renvoi n’exprime pas de doute quant à l’interprétation de cette disposition, ce qui ne saurait conduire à conclure à l’irrecevabilité de la question préjudicielle ( 19 ).

46.

Il s’ensuit que la question préjudicielle est recevable.

C. Sur le fond

47.

Avant de me pencher sur le problème juridique soulevé par la question préjudicielle, j’analyserai brièvement l’aspect invoqué par les parties dans leurs observations écrites et relatif à la qualification du comportement de Buongiorno consistant en l’« usage d’un signe identique ou similaire à la marque renommée », visé à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 89/104.

48.

Cette analyse présente un double intérêt. En effet, d’une part, pour que l’article 6 de la directive 2008/95 puisse s’appliquer, un tiers doit faire un usage d’un signe auquel le titulaire peut s’opposer, conformément à l’article 5 de cette directive. D’autre part, l’argument d’Inditex relatif à l’irrecevabilité de la question préjudicielle peut être lu également comme un argument relatif au fond, selon lequel l’article 6, paragraphe 1, sous c), de ladite directive ne peut en aucun cas s’appliquer lorsqu’il s’agit d’un usage relatif à une marque renommée, visé à l’article 5, paragraphe 2, de la même directive.

1. Sur l’usage d’une marque renommée, visé à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95

49.

La question de savoir si le comportement d’un tiers qui concerne une marque peut être légitime au regard de la règle prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 ne se pose que si ce comportement est considéré constituer un usage, au sens de l’article 5 de cette directive ( 20 ).

50.

En l’occurrence, la juridiction de renvoi pose sa question préjudicielle pour le cas où elle accueillerait le moyen du pourvoi en cassation tiré de la violation de l’article 34, paragraphe 2, sous c), de la loi sur les marques, par lequel le législateur espagnol a mis en œuvre la faculté prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95. En d’autres termes, avant de statuer sur l’argument tiré de l’usage à titre de mention, la juridiction de renvoi devrait considérer que le comportement de Buongiorno constituait un usage d’un signe identique ou similaire à la marque renommée, qui sans juste motif tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

51.

Comme je l’ai déjà observé au point 39 des présentes conclusions, on peut comprendre l’argument d’Inditex relatif à la nature hypothétique de la question préjudicielle en ce sens que, selon cette société, le droit d’un titulaire de marque de s’opposer à l’usage visé à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 n’est en aucun cas circonscrit par la limitation des effets de la marque, prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

52.

À cet égard, Inditex fait valoir, d’une part, qu’un usage de la marque à titre de mention doit être, ainsi que l’exige l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 1, in fine, de cette directive, conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Selon elle, la Cour a jugé, dans l’arrêt Gillette Company et Gillette Group Finland ( 21 ), que l’usage d’une marque n’est pas conforme à de tels usages honnêtes, notamment lorsqu’il affecte la valeur de la marque en tirant indûment profit de son caractère distinctif ou de sa renommée. Elle indique, d’autre part, que l’usage d’une marque renommée, visé à l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive, consiste en un usage d’un signe identique ou similaire à la marque renommée qui, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

53.

Dans ces circonstances, selon Inditex, les conditions de l’usage licite prévues à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 coïncident avec celles de l’usage relatif à une marque renommée auquel son titulaire peut s’opposer, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive, de sorte que ces deux dispositions s’excluent mutuellement. Elle en conclut qu’un tiers qui fait l’usage d’une marque renommée, illicite aux termes de l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive, ne saurait se prévaloir d’un usage « à titre de mention ».

54.

Bien que je sois sensible à cette argumentation, je pense que des considérations d’ordre systémique et jurisprudentiel s’opposent à une telle interprétation stricte qui, d’avance et en toute hypothèse, exclut l’applicabilité conjointe de ces deux dispositions.

55.

Avant d’exposer ces considérations, il me faut observer que rien ne suggère que, lors de la mise en œuvre de la faculté prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95, le législateur espagnol ait souhaité exclure une telle applicabilité conjointe desdites dispositions. Dès lors, il n’y a pas lieu de s’interroger sur la question de savoir si, lors d’une telle mise en œuvre, le législateur national peut décider de ne pas soumettre les droits du titulaire d’une marque renommée à la limitation prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

a) Sur l’articulation entre l’article 5, paragraphe 2, et l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95

56.

Ainsi que l’a jugé la Cour, la protection octroyée par l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/95 ne vise qu’à permettre au titulaire de la marque de protéger ses intérêts spécifiques en tant que titulaire de celle-ci, c’est-à-dire d’assurer que cette dernière puisse remplir ses fonctions propres. La Cour en a déduit, en premier lieu, que l’exercice du droit exclusif conféré par la marque doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque. Or, l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive instaure, en faveur des marques renommées, une protection plus étendue que celle prévue au paragraphe 1 de cet article. La condition spécifique de cette protection est constituée par un usage sans juste motif d’un signe identique ou similaire à une marque enregistrée qui tire ou tirerait indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de cette marque ou leur porte ou leur porterait préjudice ( 22 ).

57.

Dès lors, en second lieu, à la différence de l’hypothèse relevant de l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95, l’exercice du droit du titulaire d’une marque renommée ne présuppose pas l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public concerné ( 23 ).

58.

Bien que l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 distingue trois cas d’atteinte différents, à savoir le préjudice porté au caractère distinctif de la marque, le préjudice porté à la renommée de cette marque et le profit indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de ladite marque ( 24 ), en l’espèce, Inditex a soutenu, à l’appui de son action en contrefaçon, que Buongiorno avait tiré profit de la renommée de sa marque et avait porté préjudice à cette renommée.

59.

À cet égard, la Cour a jugé que l’examen de l’existence d’une atteinte visée à l’article 9, paragraphe 1, sous c), du règlement no 207/2009 – et, par extension, celle visée à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 – doit se fonder sur une appréciation globale qui tient compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, au nombre desquels figurent, notamment, l’intensité de la renommée et le degré de caractère distinctif de la marque, le degré de similitude entre les marques en conflit ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou des services concernés ( 25 ).

60.

Par ailleurs, lorsque le titulaire de la marque renommée est parvenu à démontrer l’existence de l’une des atteintes visées à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95, il appartient au tiers ayant fait usage d’un signe identique ou similaire à la marque renommée d’établir que l’usage d’un tel signe a un juste motif. L’invocation par un tiers d’un juste motif pour un tel usage contraint alors le titulaire de cette marque à tolérer l’usage de ce signe ( 26 ).

61.

À première vue, l’invocation d’un juste motif pour l’usage d’un signe identique ou similaire à une marque renommée conduit au même résultat que l’invocation de la limitation des effets d’une marque, prévue à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/95. Dans les deux cas, le titulaire doit tolérer l’usage d’un signe identique ou similaire à sa marque.

62.

Cela étant dit, pour qu’un tiers puisse se prévaloir de la limitation des effets de la marque, prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95, l’usage d’un signe doit remplir les conditions énoncées dans cette disposition ainsi que, comme l’exige l’article 6, paragraphe 1, in fine, de cette directive, être conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

63.

Dans ces circonstances, il convient de tracer les contours des notions de « juste motif » et d’« usage [conforme] aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale », utilisées respectivement à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 et à l’article 6, paragraphe 1, in fine, de cette directive, pour déterminer si l’absence d’un « juste motif », au sens de cette première disposition, implique que l’usage n’est, en aucun cas, « honnête », au sens de cette seconde disposition.

64.

À cet égard, il existe en premier lieu, sur un plan littéral, une différence entre ces deux notions, de sorte que l’identité de leur sens ne peut être présumée.

65.

En deuxième lieu, sur un plan systémique, l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 ne contient aucune réserve susceptible d’exclure l’applicabilité de cette disposition dans le cas d’une atteinte à une marque renommée, visée à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive. Certes, on pourrait arguer qu’une telle réserve n’a pas été introduite dans le texte de ladite directive au motif que la limitation prévue dans cette première disposition doit être obligatoirement transposée en droit national, tandis qu’il appartient à chaque État membre de décider s’il souhaite mettre en œuvre la faculté prévue dans cette seconde disposition. Toutefois, des dispositions analogues à l’article 5, paragraphe 2, et à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la même directive figurent dans le système des marques de l’Union qui ne laisse aucune marge de manœuvre aux États membres ( 27 ).

66.

En troisième lieu, d’une part, la condition d’« usage honnête » constitue, en substance, l’expression d’une obligation de loyauté à l’égard des intérêts légitimes du titulaire de la marque ( 28 ). D’autre part, la notion de « juste motif » tend à trouver un équilibre entre les intérêts en jeu en tenant compte, dans le contexte spécifique de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 et eu égard à la protection étendue dont jouit la marque concernée, des intérêts du tiers utilisateur de ce signe ( 29 ). La notion de « juste motif » ne saurait comprendre seulement des raisons objectivement impérieuses, mais peut également se rattacher aux intérêts subjectifs d’un tiers faisant usage d’un signe identique ou similaire à la marque renommée ( 30 ).

67.

Bien que certains des éléments à prendre en compte lors de l’appréciation de chacune de ces deux conditions puissent se chevaucher, l’optique retenue dans le cadre de ces appréciations n’est pas la même. De manière simplifiée, la condition de « juste motif » se focalise plutôt sur la perspective d’un tiers et de ses intérêts, tandis que celle d’« usage honnête » adopte la perspective du titulaire. Dans le prolongement de cette observation, l’importance accordée à un élément pris en compte dans le cadre de ces deux appréciations peut également différer.

68.

En quatrième lieu, il en va de même en ce qui concerne des éléments qui, d’une part, forment l’un des trois cas d’atteinte à la marque renommée, prévus à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95, et qui, d’autre part, sont pris en compte lors de l’appréciation de la condition d’« usage honnête », au sens de l’article 6, paragraphe 1, in fine, de cette directive. Pour illustrer ces propos, comme le relève Inditex, la Cour a certes jugé, dans l’arrêt Gillette Company et Gillette Group Finland ( 31 ), que l’usage d’un signe n’est pas conforme aux usages honnêtes notamment lorsqu’il affecte la valeur de la marque en tirant indûment profit de son caractère distinctif ou de sa renommée. Toutefois, conformément à l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive, pour constater une atteinte à une marque renommée, il suffit qu’un tiers tire indûment profit de la renommée de cette marque, sans que son comportement affecte la valeur de ladite marque.

69.

Par ailleurs, les enseignements qu’on peut tirer de la jurisprudence de la Cour constituent, eux aussi, un indice sérieux de ce que la limitation prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 peut s’appliquer également lorsque le titulaire peut, a priori, se prévaloir d’une disposition nationale mettant en œuvre la faculté prévue à l’article 5, paragraphe 2, de cette directive.

b) Sur la jurisprudence pertinente

70.

La Cour était interrogée, dans le cadre de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Adam Opel ( 32 ), sur l’article 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104. Dans un premier temps, si la Cour a initialement considéré que, eu égard aux circonstances de l’affaire au principal, il y avait également lieu de fournir à la juridiction de renvoi une interprétation de l’article 5, paragraphe 2, de cette directive, elle a toutefois laissé à la juridiction de renvoi l’appréciation de nature factuelle relative à la question de savoir si l’usage en cause constituait un usage sans juste motif tirant indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, en tant que marque enregistrée, ou leur portant préjudice ( 33 ). Dans un second temps, la Cour a procédé à l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, en faisant également référence à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la même directive ( 34 ). Il me faut souligner, à cet égard, que, tant la limitation prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la directive 89/104 que celle prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de celle-ci sont soumises à la condition que l’usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

71.

De même, dans l’arrêt adidas et adidas Benelux ( 35 ), compte tenu du fait qu’il n’était pas contesté que l’affaire concernait une marque renommée, la Cour a procédé, dans un premier temps, à l’interprétation de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 89/104 et, dans un second temps, sans aucune réserve, à celle de l’article 6, paragraphe 1, sous b), de cette directive ( 36 ).

72.

Dans cet ordre d’idées, en ce qui concerne la limitation des effets de la marque prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous a), de la directive 2008/95, également soumise à la condition d’usage honnête, la Cour a jugé, dans l’arrêt Céline ( 37 ), que le respect de cette condition doit être apprécié en tenant compte, notamment, de la circonstance qu’il s’agit d’une marque qui jouit, dans l’État membre où elle est enregistrée et où sa protection est demandée, d’une certaine renommée dont le tiers pourrait tirer profit pour la commercialisation de ses produits ou de ses services. Sur la base de cet arrêt, on peut soutenir que, si, pour déterminer si un tiers peut se prévaloir de l’une des limitations des effets de la marque, prévues à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, il convient de prendre en compte également la renommée de la marque concernée, on ne saurait considérer que toute atteinte à une marque renommée, au sens de l’article 5, paragraphe 2, de ladite directive, échappe à ces limitations.

73.

Je déduis de cette jurisprudence que, pour la Cour, il n’existe pas nécessairement de contradiction entre, d’une part, l’existence d’un usage auquel le titulaire d’une marque renommée peut, a priori, s’opposer sur la base d’une disposition nationale mettant en œuvre la faculté prévue à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2008/95 et, d’autre part, le recours par un tiers à la limitation prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de cette directive.

74.

Il convient dès lors de se pencher sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95.

2. Sur l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95

75.

Lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci et des objectifs qu’elle poursuit, mais également de son contexte. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation ( 38 ).

76.

À cet égard, en premier lieu, la comparaison sur un plan littéral de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 et de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 suggère que l’unique usage qui limitait les effets de la marque (« l’usage […] de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées ») constitue désormais l’une des hypothèses de l’usage licite auquel le titulaire d’une marque ne peut pas s’opposer. En effet, l’article 14 de la directive 2015/2436 dispose, dans un premier temps, qu’il couvre désormais l’usage de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque et, dans un second temps, qu’il reprend le contenu normatif de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 et le précède par l’expression « en particulier ».

77.

En deuxième lieu, cette considération est corroborée par l’analyse des travaux préparatoires relatifs à la directive 2015/2436.

78.

En effet, tout d’abord, il ressort de la proposition de directive de la Commission qu’il a été « jugé approprié de prévoir […] une limitation explicite visant de manière générale l’usage de la marque à titre de mention » ( 39 ). Ainsi, la Commission n’a pas considéré que l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 se borne à clarifier ou à préciser les contours de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104. Les termes « approprié de prévoir » indiquent la volonté de cette institution de proposer d’introduire une limitation des effets de la marque visant de manière générale l’usage à titre de mention. En outre, c’était dès le début le caractère général de cette limitation qui la distinguait de la limitation prévue par les directives 89/104 et 2008/95, cette dernière limitation ayant une portée spécifique et, dès lors, plus réduite.

79.

Ensuite, dans cet ordre d’idées, la formulation initiale du considérant 25 de cette proposition de directive faisant référence à l’usage à titre de mention était plus claire que celle du considérant 27 de la directive 2015/2436 quant à l’intention d’élargir la portée de la limitation figurant auparavant à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 ( 40 ). En effet, ce considérant 25 indiquait que « le titulaire ne devrait pas pouvoir empêcher l’usage courant ( 41 ), loyal et honnête de la marque pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant les siens » ( 42 ).

80.

Enfin, la considération selon laquelle le législateur de l’Union a cherché à élargir la portée de la limitation désormais prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 n’est pas remise en cause par le débat intervenu au cours des travaux préparatoires.

81.

En effet, tandis que la proposition initiale de la Commission mentionnait, en des termes quasi identiques à ceux retenus à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, « l’usage […] de la marque lorsqu’elle est nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service, notamment en tant qu’accessoires ou pièces détachées », le Parlement a proposé d’introduire quelques illustrations supplémentaires de l’usage licite ( 43 ), à savoir, notamment, l’usage « fait pour attirer l’attention des consommateurs sur la revente de produits originaux qui ont été, à l’origine, vendus par le titulaire de la marque ou avec son consentement » et l’usage « fait à des fins de parodie, d’expression artistique, de critique ou de commentaires ». Le Conseil s’est toutefois opposé à cette proposition ( 44 ).

82.

La Commission s’est en définitive ralliée à la position du Conseil ( 45 ), tout en proposant de refléter, à tout le moins en partie, la position du Parlement au considérant 27 de la directive 2015/2436, qui énonce que « [l]’usage d’une marque fait par des tiers afin d’attirer l’attention des consommateurs sur la revente de produits originaux qui étaient, à l’origine, vendus au sein de l’Union par le titulaire de la marque ou avec son consentement devrait être considéré comme loyal, dès lors qu’il est également conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. L’usage d’une marque fait par des tiers à des fins d’expression artistique devrait être considéré comme loyal, dès lors qu’il est également conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. En outre, la présente directive devrait être appliquée de façon à garantir le plein respect des droits et libertés fondamentaux, en particulier la liberté d’expression ».

83.

En troisième lieu, la portée réduite de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 par rapport à celle de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 semble être confirmée par l’analyse de la jurisprudence pertinente de la Cour.

84.

À cet égard, en faisant référence aux arrêts Gillette Company et Gillette Group Finland ( 46 ) et Portakabin ( 47 ), la juridiction de renvoi observe que la Cour semble avoir restreint la portée de la limitation prévue à l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 à l’usage nécessaire pour indiquer la destination d’un produit.

85.

En effet, la Cour a clarifié dans ces arrêts que les situations relevant du champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 doivent être limitées à celles qui correspondent à l’objectif de cette disposition. Selon la Cour, l’objectif de ladite disposition est de permettre aux fournisseurs de produits ou de services lesquels sont complémentaires à des produits ou à des services offerts par le titulaire d’une marque, d’utiliser cette marque afin d’informer le public sur le lien utilitaire existant entre leurs produits ou services et ceux dudit titulaire de la marque ( 48 ).

86.

En outre, la Cour a brièvement évoqué, dans l’arrêt Adam Opel ( 49 ), l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 en considérant que l’apposition, sur des modèles réduits de voitures, d’une marque constituée du logo d’un constructeur n’avait pas pour objet d’indiquer la destination de ces modèles-jouets. On peut en déduire, a contrario, que l’apposition d’une marque sur un produit d’un tiers pour indiquer la destination de ce produit est susceptible de relever de la limitation prévue à cette disposition.

87.

Dans cet ordre d’idées, la Cour semble également avoir considéré, dans l’arrêt BMW ( 50 ), que seul un usage indiquant la destination d’un produit ou d’un service d’un tiers constitue un usage légitime, au sens de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95. La Cour a indiqué, dans cet arrêt, que « l’usage de la marque afin d’informer le public que l’annonceur répare et entretient les produits revêtus de cette marque constitue un usage indiquant la destination d’un service au sens de [cette disposition]. En effet, à l’instar de l’usage d’une marque destiné à identifier les voitures auxquelles convient une pièce détachée non originale, l’usage en cause est fait pour identifier les produits qui sont l’objet du service rendu » ( 51 ).

88.

En quatrième lieu, l’interprétation selon laquelle l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 89/104 avait une portée relativement réduite par rapport à celle de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 est largement soutenue par les auteurs de la doctrine.

89.

En effet, l’introduction d’une limitation générale à titre de mention par une modification de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 et de l’article 12, sous c), du règlement no 207/2009 avait été proposée par les auteurs de la doctrine avant l’adoption de la directive 2015/2436 et du règlement 2015/2424 ( 52 ). Ainsi que je l’ai indiqué aux points 78 et 79 des présentes conclusions, le législateur de l’Union a envisagé de suivre l’approche préconisée par ces auteurs. En outre, en ce qui concerne les formulations de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 et de l’article 12, paragraphe 1, sous c), du règlement 2015/2424, lesdits auteurs soutiennent que leur portée est plus étendue que celle des dispositions analogues de la directive 2008/95 et du règlement no 207/2009 ( 53 ).

90.

Compte tenu de ces considérations relatives à l’interprétation littérale de l’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95 et à la genèse de cette disposition ainsi que de celles d’ordre jurisprudentiel et doctrinal, je propose de répondre à la question préjudicielle que cette disposition doit être interprétée en ce sens que l’usage, dans la vie des affaires, de la marque « pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque », désormais mentionné à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436, ne relève pas de cette première disposition, à moins qu’il ne s’agisse d’un usage nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service de ce tiers ( 54 ).

VI. Conclusion

91.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) de la manière suivante :

L’article 6, paragraphe 1, sous c), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques

doit être interprété en ce sens que :

l’usage, dans la vie des affaires, de la marque « pour désigner ou mentionner des produits ou des services comme étant ceux du titulaire de cette marque », désormais mentionné à l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques, ne relève pas de cette première disposition, à moins qu’il ne s’agisse d’un usage nécessaire pour indiquer la destination d’un produit ou d’un service de ce tiers.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Première directive du Conseil du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25, et rectificatif JO 2009, L 11, p. 86).

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1).

( 5 ) Règlement du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

( 6 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

( 7 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 modifiant le règlement no 207/2009 (JO 2015, L 341, p. 21).

( 8 ) Voir, en ce qui concerne tant le système des marques nationales que celui des marques de l’Union, ordonnance du 6 octobre 2015, Ford Motor Company (C-500/14, EU:C:2015:680, point 43 et jurisprudence citée).

( 9 ) Voir point 26 des présentes conclusions.

( 10 ) Voir arrêt du 21 décembre 2011, Danske Svineproducenter (C-316/10, EU:C:2011:863, point 32). Voir également, en ce sens, arrêt du 4 avril 2000, Darbo (C-465/98, EU:C:2000:184, point 19).

( 11 ) Voir points 49 à 53 des présentes conclusions.

( 12 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2008, adidas et adidas Benelux (C-102/07, EU:C:2008:217, points 46 et 47).

( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel (C-48/05, EU:C:2007:55, point 44).

( 14 ) Voir point 23 des présentes conclusions.

( 15 ) Voir points 49 à 53 des présentes conclusions.

( 16 ) Voir, sur cette problématique, arrêt du 12 janvier 2023, RegioJet (C-57/21, EU:C:2023:6, points 95 à 97).

( 17 ) Voir, sur cette problématique, arrêt du 6 novembre 2008, Trespa International (C-248/07, EU:C:2008:607, points 31 à 37).

( 18 ) Voir, récemment, arrêt du 29 juin 2023, International Protection Appeals Tribunal e.a. (Attentat au Pakistan) (C-756/21, EU:C:2023:523, point 36).

( 19 ) Voir points 41 et 42 des présentes conclusions, dans la mesure où ils concernent l’argument selon lequel une question préjudicielle repose sur une prémisse sur laquelle une juridiction de renvoi doit encore se prononcer, de sorte que cette question doit être considérée comme étant prématurée et hypothétique.

( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 février 1999, BMW (C-63/97, EU:C:1999:82, point 45).

( 21 ) Arrêt du 17 mars 2005 (C-228/03, EU:C:2005:177).

( 22 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2014, Leidseplein Beheer et de Vries (C-65/12, EU:C:2014:49, points 32 et 33).

( 23 ) Voir arrêt du 11 avril 2019, ÖKO-Test Verlag (C-690/17, EU:C:2019:317, point 45 et jurisprudence citée).

( 24 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2011, Interflora et Interflora British Unit (C-323/09, EU:C:2011:604, point 72).

( 25 ) Arrêt du 18 juillet 2013, Specsavers International Healthcare e.a. (C-252/12, EU:C:2013:497, point 39).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2014, Leidseplein Beheer et de Vries (C-65/12, EU:C:2014:49, point 46).

( 27 ) Voir article 9, paragraphe 1, sous c), et article 12, sous c), du règlement no 207/2009.

( 28 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 février 1999, BMW (C-63/97, EU:C:1999:82, point 61).

( 29 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2014, Leidseplein Beheer et de Vries (C-65/12, EU:C:2014:49, point 46).

( 30 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2014, Leidseplein Beheer et de Vries (C-65/12, EU:C:2014:49, points 44 et 45).

( 31 ) Arrêt du 17 mars 2005 (C-228/03, EU:C:2005:177).

( 32 ) Arrêt du 25 janvier 2007 (C-48/05, EU:C:2007:55, point 32).

( 33 ) Arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel (C-48/05, EU:C:2007:55, point 36).

( 34 ) Arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel (C-48/05, EU:C:2007:55, points 38 et 45).

( 35 ) Arrêt du 10 avril 2008 (C-102/07, EU:C:2008:217, point 37).

( 36 ) Arrêt du 10 avril 2008, adidas et adidas Benelux (C-102/07, EU:C:2008:217, point 37).

( 37 ) Arrêt du 11 septembre 2007 (C-17/06, EU:C:2007:497, point 34).

( 38 ) Voir, récemment, arrêt du 8 juin 2023, VB (Information du condamné par défaut) (C-430/22 et C-468/22, EU:C:2023:458, point 24).

( 39 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques [COM(2013) 162 final] (italiques ajoutés par mes soins).

( 40 ) Le considérant 27 de la directive 2015/2436, qui clarifie le contenu normatif de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de celle-ci, indique que « [l]es droits exclusifs conférés par une marque de [l’Union] ne devraient pas permettre à son titulaire d’interdire aux tiers l’usage de signes ou d’indications lorsque celui-ci est loyal et par conséquent conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. […] [L]e titulaire ne devrait pas être autorisé à empêcher l’usage loyal et honnête de la marque afin de désigner ou de mentionner des produits ou des services comme étant les siens » (italiques ajoutés par mes soins).

( 41 ) Ou, selon la version anglaise, « general […] use ».

( 42 ) Italiques ajoutés par mes soins.

( 43 ) P7_TA(2014)0119 Résolution législative du Parlement européen du 25 février 2014 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques [COM(2013) 162 – C7-0088/2013 – 2013/0089(COD)] disponible à l’adresse suivante : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52014AP0119.

( 44 ) P7_TA(2014)0119 Résolution législative du Parlement européen du 25 février 2014, op. cit.

( 45 ) Communication de la Commission au Parlement européen conformément à l’article 294, paragraphe 6, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne concernant la position du Conseil relative à l’adoption d’une directive du Parlement européen et du Conseil rapprochant les législations des États membres sur les marques [COM(2015) 588 final].

( 46 ) Arrêt du 17 mars 2005 (C-228/03, EU:C:2005:177).

( 47 ) Arrêt du 8 juillet 2010 (C-558/08, EU:C:2010:416).

( 48 ) Voir arrêts du 17 mars 2005, Gillette Company et Gillette Group Finland (C-228/03, EU:C:2005:177, points 33 et 34), et du 8 juillet 2010, Portakabin (C-558/08, EU:C:2010:416, point 64).

( 49 ) Arrêt du 25 janvier 2007 (C-48/05, EU:C:2007:55, point 39).

( 50 ) Arrêt du 23 février 1999 (C-63/97, EU:C:1999:82).

( 51 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 février 1999, BMW (C-63/97, EU:C:1999:82, point 59).

( 52 ) Voir, notamment, Knaak, R., Kur, A., von Mühlendahl, A., « The Study on the Functioning of the European Trade Mark System », Max Planck Institute for Intellectual Property and Competition Law Research Paper, nos 12-13, 2012, p. 15 : « L’étude propose une limitation générale de l’usage des marques en tant qu’indication ou référence aux produits ou services du titulaire de la marque » (traduction libre).

( 53 ) Voir Kur, A., Senftleben, M., European Trade Mark Law, Oxford University Press, Oxford, 2017, p. 421, points 6.39 à 6.41, et p. 429, point 6.62.

( 54 ) Il me faut préciser que ma proposition de réponse ne saurait être lue en ce sens que le comportement de Buongiorno relèverait de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2015/2436 si cette directive était applicable dans le litige au principal. Une telle considération dépend d’un constat d’ordre factuel. En outre, lue en ce sens, ma proposition de réponse ne serait pas utile à la juridiction de renvoi dans la mesure où ladite directive n’est pas applicable ratione temporis dans le litige au principal.

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CJUE, n° C-361/22, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Industria de Diseño Textil SA (Inditex) contre Buongiorno Myalert SA, 7 septembre 2023