Tribunal administratif de Rennes, 11 octobre 2016, n° 1604451

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Par @le_droit_public, Docteur En Droit Public · Dalloz · 19 septembre 2018

Actualités du Droit · 26 octobre 2016
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Sur la décision

Référence :
TA Rennes, 11 oct. 2016, n° 1604451
Juridiction : Tribunal administratif de Rennes
Numéro : 1604451

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE RENNES

N° 1604451

Mme A… I…, veuve H…

M. C…

M. G…

Mme Plumerault

Juges des référés

Ordonnance du 11 octobre 2016

54-035-03

61-05-05

C+ fp/mav

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Les juges des référés, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative,

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 10 octobre 2016 à 13 h 19, Mme A… I…, veuve H…, représentée par Me Simhon, demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre au centre hospitalier universitaire de Rennes de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de M. D… H… vers un établissement de santé situé dans l’Union européenne, valablement autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées, indiqué par elle, dans un délai de huit jours suivant la notification de l’ordonnance à intervenir.

Elle soutient que :

— le juge des référés est habilité à se fonder sur la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour écarter une disposition française contraire à une liberté fondamentale (Conseil d’État, 31 mai 2016, Mme Mme F… B…, n° 396848) ;

— la prohibition légale posée par l’article L. 2141-11-1 du code de la santé publique de l’exportation de gamètes vers un pays autorisant « l’insémination post-mortem », elle-même également interdite en France en vertu de l’article L. 2141-2 du même code, est contraire au droit au respect de la vie privée et familiale posé par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, lequel recouvre, selon la cour européenne des droits de l’homme, le droit au respect de la décision de devenir parent ; en l’espèce, les époux H… avaient clairement la volonté de devenir parents ensemble ;

— l’atteinte portée à sa vie privée et familiale est illicite dès lors qu’elle n’est bien évidemment justifiée ni par la sécurité nationale, la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, ni davantage par la protection de la santé dès lors que le niveau de sécurité et de qualité des soins sera équivalent aux normes nationales, ni par la protection de la morale, laquelle est relative, évolue avec les époques et diffère selon les pays, ni par la protection des droits et libertés d’autrui, M. H… ayant manifesté la volonté d’être père ;

— l’application des dispositions législatives, quand bien même celles-ci seraient compatibles avec les droits et libertés protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales constitue, dans la situation particulièrement tragique et exceptionnelle de l’espèce, une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention : M. H… a explicitement exprimé son désir de concevoir un enfant, leur projet parental, qui s’est fait naturellement, a été stoppé par le décès de leur fille intervenu quelques mois après celui de son père.

La requête a été communiquée, le 10 octobre 2016 à 15 h 27, au centre hospitalier universitaire de Rennes qui n’a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code de la santé publique ;

— l’arrêté du 3 août 2010 modifiant l’arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a décidé que la nature de l’affaire justifiait qu’elle soit jugée, en application du dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, par une formation composée de trois juges des référés et a désigné M. G… , vice-président, et Mme Plumerault, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du renvoi de cette affaire à l’audience du 11 octobre 2016 à 17 h 30.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 11 octobre 2016 :

— le rapport de Mme Plumerault, juge des référés,

— Me Simhon, représentant Mme H…, qui reprend les mêmes termes que ses écritures qu’il développe.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » ; qu’eu égard à son office, qui consiste à assurer la sauvegarde des libertés fondamentales, il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, de prendre, en cas d’urgence, toutes les mesures qui sont de nature à remédier aux effets résultant d’une atteinte grave et manifestement illégale portée, par une autorité administrative, à une liberté fondamentale, y compris lorsque cette atteinte résulte de l’application de dispositions législatives qui sont manifestement incompatibles avec les engagements européens ou internationaux de la France, ou dont la mise en œuvre entraînerait des conséquences manifestement contraires aux exigences nées de ces engagements ;

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que M. H…, amené à suivre un traitement médical potentiellement stérilisant, a procédé, le 27 août 2015, puis le 1er septembre suivant à deux dépôts de gamètes dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) du centre hospitalier universitaire de Rennes ; que sa veuve a demandé que les gamètes de son époux, conservés dans cet hôpital, soient transférés en vue d’entreprendre une grossesse médicalement assistée dans un pays de l’Union européenne qui autorise l’insémination post-mortem ; que, par une décision du 31 août 2016, le CECOS du centre hospitalier universitaire de Rennes, après avoir rappelé qu’à la suite du décès d’un patient les paillettes de spermatozoïdes ne peuvent pas être réutilisées en application des articles L. 2141-2, L. 2141-4 et L. 2141-11-1 du code de la santé publique, a uniquement accepté de conserver à titre exceptionnel, le temps de la démarche judiciaire, les paillettes de M. H… ; que sa veuve demande, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, à ce qu’il soit enjoint au centre hospitalier universitaire de Rennes de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de M. D… H… vers un établissement de santé situé dans l’Union européenne, valablement autorisé à pratiquer les procréations médicalement assistées post-mortem ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique : « L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué. / L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. » ; que l’article L. 2141-11 de ce même code dispose : « Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité. Ce recueil et cette conservation sont subordonnés au consentement de l’intéressé et, le cas échéant, de celui de l’un des titulaires de l’autorité parentale, ou du tuteur, lorsque l’intéressé, mineur ou majeur, fait l’objet d’une mesure de tutelle. / Les procédés biologiques utilisés pour la conservation des gamètes et des tissus germinaux sont inclus dans la liste prévue à l’article L. 2141-1, selon les conditions déterminées par cet article. » ; qu’il résulte de ces dispositions qu’en principe, le dépôt et la conservation des gamètes ne peuvent être autorisés, en France, qu’en vue de la réalisation d’une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du code de la santé publique ;

4. Considérant en outre, qu’en vertu des dispositions de l’article L. 2141-11-1 de ce même code : « L’importation et l’exportation de gamètes ou de tissus germinaux issus du corps humain sont soumises à une autorisation délivrée par l’Agence de la biomédecine. / Seul un établissement, un organisme ou un laboratoire titulaire de l’autorisation prévue à l’article L. 2142-1 pour exercer une activité biologique d’assistance médicale à la procréation peut obtenir l’autorisation prévue au présent article. / Seuls les gamètes et les tissus germinaux recueillis et destinés à être utilisés conformément aux normes de qualité et de sécurité en vigueur, ainsi qu’aux principes mentionnés aux articles L. 1244-3, L. 1244-4, L. 2141-2, L. 2141-3, L. 2141-7 et L. 2141-11 du présent code et aux articles 16 à 16-8 du code civil, peuvent faire l’objet d’une autorisation d’importation ou d’exportation. / Toute violation des prescriptions fixées par l’autorisation d’importation ou d’exportation de gamètes ou de tissus germinaux entraîne la suspension ou le retrait de cette autorisation par l’Agence de la biomédecine. » ;

5. Considérant que les dispositions mentionnées aux points 3 et 4 ne sont pas incompatibles avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, en particulier, de son article 8 ; que l’interdiction posée par l’article L. 2141-2 du code de la santé publique d’utiliser les gamètes du mari à la suite de son décès pour réaliser une insémination au profit de sa veuve relève de la marge d’appréciation dont chaque État dispose, dans sa juridiction, pour l’application de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et elle ne porte pas, par elle-même, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est garanti par les stipulations de l’article 8 de cette convention ; que les dispositions de l’article L. 2141-11-1 de ce même code qui interdit également que les gamètes déposés en France puissent faire l’objet d’une exportation, s’ils sont destinés à être utilisés, à l’étranger, à des fins qui sont prohibées sur le territoire national, visent à faire obstacle à tout contournement des dispositions de l’article L. 2141-2 et ne méconnaissent pas davantage par elles-mêmes les exigences nées de l’article 8 de cette convention ;

6. Considérant, toutefois, que la compatibilité de la loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l’application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention ; qu’il appartient par conséquent au juge d’apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l’atteinte aux droits et libertés protégés par la convention qui résulte de la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n’est pas excessive ;

7. Considérant qu’il résulte de l’instruction que M. et Mme H… avaient formé, ensemble, le projet de donner naissance à un enfant et qu’en raison de la grave maladie qui l’a touché, et dont le traitement risquait de le rendre stérile, M. H… a procédé, à titre préventif, en août et septembre 2015 à deux dépôts de gamètes dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme du centre hospitalier universitaire de Rennes, afin qu’ils puissent, ultérieurement, bénéficier d’une assistance médicale à la procréation ; que, toutefois, leur projet parental a pu se concrétiser sans avoir à utiliser ces gamètes, Mme H… ayant appris au mois de novembre 2015 qu’elle était enceinte depuis le début du mois d’août ; que M. H…, en dépit de sa maladie, a été présent, ainsi qu’il ressort des attestations des médecins qui l’ont suivi ainsi que son épouse dans le cadre de sa grossesse, lors des échographies obstétricales même s’il n’a pas été en mesure de se rendre aux consultations de surveillance de grossesse ; que l’état de santé de M. H… se dégradant et conscient qu’il ne lui permettrait pas d’être présent à l’accouchement, ils ont demandé, le 14 janvier 2016, à connaître le sexe de leur futur enfant ; que M. H… devait décéder le 27 janvier 2016 des suites de sa maladie ; que Mme H… a poursuivi sa grossesse ; que toutefois, leur bébé, une petite fille, devait également décéder in utero le 24 avril 2016 quelques jours avant le terme de la grossesse ;

8. Considérant qu’il résulte des travaux parlementaires de la loi n°94-654 du 29 juillet 1994 que l’exigence que « l’homme et la femme formant le couple doivent être vivants » posée par les dispositions codifiées au deuxième aliéna de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique avait pour objet d’une part de préserver l’intérêt de l’enfant à naître, et d’autre part de conserver au projet parental son caractère de décision prise en commun par les deux membres du couple ;

9. Considérant que comme il a été dit au point 7, il est suffisamment établi que le projet des époux H… était conjugal et non pas propre à Mme H… ;

10. Considérant que si le législateur a entendu de manière générale préserver les intérêts propres à l’enfant, cet objectif ne saurait, sans porter atteinte au droit que la requérante tire de l’article 8 de la cour européenne des droits de l’homme de définir de manière autonome son projet familial, à la suite du double deuil qui l’a affecté, prévaloir dans les circonstances très particulières de l’espèce, sur la volonté que M. et Mme H… avaient clairement exprimée de mener à son terme leur projet parental ;

11. Considérant que compte tenu de l’ensemble desdites circonstances, et alors qu’il est constant que M. et Mme H… avait un projet parental commun, et en l’absence de toute intention frauduleuse de la part de la requérante dont le souhait est uniquement de mener à terme ce projet dont M. H… pouvait légitimement considérer avant son décès qu’il allait aboutir, le refus qui lui a été opposé sur le fondement des dispositions précitées du code de la santé publique, lesquelles interdisent toute exportation de gamètes en vue d’une utilisation contraire aux règles du droit français, porte en l’espèce une atteinte manifestement excessive au droit de la requérante au respect de sa vie privée et familiale, en particulier à son droit et à celui de son époux défunt au respect de leur décision de devenir parents, protégé par les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, ce faisant, il porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ;

12. Considérant, d’une part, que l’arrêté susvisé du 3 août 2010 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’assistance médicale à la procréation prévoit qu’en cas de décès, il est mis fin à la conservation des gamètes et que, d’autre part, les lois des pays européens n’autorisent l’insémination en vue d’une conception posthume que pendant des délais limités suivant le décès du mari ; que, dès lors, la condition d’urgence particulière prévue par les dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie ;

13. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’enjoindre au centre hospitalier universitaire de Rennes de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de M. D… H… vers un établissement de santé situé dans l’Union européenne qui accepterait de procéder à une procréation médicalement assistée post-mortem, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance ;

O R D O N N E :

Article 1er : Il est enjoint au centre hospitalier universitaire de Rennes de prendre toutes mesures utiles afin de permettre l’exportation des gamètes de M. D… H… vers un établissement de santé situé dans l’Union européenne qui accepterait de pratiquer une telle procréation médicalement assistée, dans un délai de huit jours suivant la notification de l’ordonnance à intervenir.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme I…, veuve H… et au centre hospitalier universitaire de Rennes.

Fait à Rennes, le 11 octobre 2016.

Le juge des référés, Le juge des référés, Le juge des référés,

signé signé signé

J-J. C… O. G… F. Plumerault

Le greffier,

signé

M-A. Vernier

La République mande et ordonne à la ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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