Tribunal administratif de Rennes, 9 novembre 2022, n° 2205197

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Rennes, 9 nov. 2022, n° 2205197
Juridiction : Tribunal administratif de Rennes
Numéro : 2205197
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 11 novembre 2022

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 12 octobre 2022, M. A B, représenté par Me Maral, demande au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de l’arrêté du 12 août 2022 prévoyant la suppression d’un pin en forte inclinaison et l’élagage d’office de branches des plantations de la propriété située 20 rue Edgar de Kergariou, riveraines d’une voie communale au frais du riverain après mise en demeure restée sans effet ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Lannion le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— la condition d’urgence est remplie dès lors que la commune de Lannion a tenté d’exécuter cet arrêté le 5 octobre 2022 et a finalement accordé jusqu’au 31 octobre pour surseoir à l’abattage d’office des arbres, qui est donc susceptible d’intervenir rapidement et sera irrémédiable ;

— sur le doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté litigieux :

— l’arrêté est insuffisamment motivé ;

— l’arrêté n’a pas été précédé d’une procédure préalable contradictoire prévue par l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration alors qu’il n’existe aucune condition d’urgence ;

— l’arrêté n’a pas été précédé de la saisine de l’architecte des bâtiments de France en méconnaissance des articles L. 631-30, L. 631-32 et R. 621-96-10 du code du patrimoine alors que la propriété se trouve située à moins de 450 mètres d’un couvent classé au titre des monuments historiques ;

— l’arrêté méconnaît l’article UA 13-2 du règlement plan local d’urbanisme ;

— les arbres ne peuvent être qualifiés de dangereux et si certaines branches passent au-dessus de la rue Edgar de Kergariou elles ne menacent pas de tomber ;

— l’arrêté méconnaît les articles L. 2212-2 et L. 2212-2-2 du code général des collectivités territoriales : les mesures de police ne sont pas justifiées, ne répondent pas à une exigence de sureté, sont inadéquates et disproportionnées ;

— l’arrêté méconnaît l’article L. 411-1 du code de l’environnent dès lors que des chauves-souris nichent dans les arbres de la propriété.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 octobre 2022, la commune de Lannion, représentée par la SARL Martin Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. B le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

  Sur la condition d’urgence :

— il existe un intérêt public à l’exécution des travaux en raison du danger pour les véhicules circulant sur la voie publique, du risque de chute de la végétation, d’effondrement du talus, d’accident, d’endommagement des lignes électriques qui peuvent intervenir à tout moment ;

— Sur le doute sérieux :

— l’arrêté est suffisamment motivé ;

— l’absence de procédure contradictoire se justifie en raison du risque pour la sécurité résultant des boisements surplombant la voie publique et le requérant a été mis en mesure de faire valoir ses observations après avoir reçu le courrier de mise en demeure daté du 27 décembre 2021 ;

— l’architecte des bâtiments de France n’avait pas à être saisi en l’absence de co-visibilité entre le couvent et sa propriété et les arbres invoqués par le requérant pour justifier de la co-visibilté ne sont pas ceux concernés par l’arrêté et sans impact sur l’environnement du couvent classé au titre des monuments historiques ;

— le boisement surplombant toute la voie de circulation publique présente un risque de casse, est susceptibles de gêner le passage des véhicules hauts et menace la stabilité du talus ;

— l’article UA 13-2 du règlement plan local d’urbanisme n’est opposable qu’aux autorisations d’urbanisme et n’a pas pour objet de prohiber tout abattage ou élagage ;

— le simple élagage et l’abattage d’un unique arbre n’est pas de nature à affecter le cycle biologique des chiroptères et ainsi de méconnaître l’article L. 411-2 du code de l’environnement ;

Vu :

— les autres pièces du dossier ;

— la requête au fond n° 2205196.

Vu :

— le code de l’urbanisme ;

— le code général des collectivités territoriales ;

— le code des relations entre le public et l’administration ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Radureau, président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 27 octobre 2022 :

— le rapport de M. C ;

— Me Douard, substituant Me Maral, représentant M. B, qui reprend dans les mêmes termes les écritures de la requête et soutient qu’il n’existe aucune urgence caractérisée et établie, aucun risque suffisamment précisé et justifié alors que la décision de la commune ne mentionnait pas l’existence d’un risque particulier, ne précisait pas le coût des travaux par un devis et n’indiquait pas précisément la justification technique et la nature des travaux d’abattage et d’élagage à réaliser, ces éléments ne sont présentés que dans le cadre de ce contentieux et résultent de notes explicatives très récentes préparées par les services de la commune ; souligne que la mise en demeure du 27 décembre 2021 ne précisait pas les arbres concernés, restait très lacunaire et qu’il n’a pas été mis en œuvre, par la suite, de procédure contradictoire permettant d’apprécier la nature et le coût des opérations demandées par la commune ; fait valoir que la commune qui n’a jamais justifié l’existence d’un danger et l’urgence des travaux ne peut s’exonérer de la procédure contradictoire en invoquant une situation d’urgence ; indique que la commune n’a pas mis le requérant en mesure de discuter utilement la nécessité, le bien-fondé et le coût d’une mise en œuvre d’office des mesures, a ainsi méconnu une garantie en décidant une mesure disproportionnée et injustifiée ;

— Me Fleischl, représentant la commune de Lannion, qui reprend dans les mêmes termes les écritures de la requête et soutient par les pièces et justifications des services techniques de la commune qu’il existe une urgence à intervenir sur cette route en pente qui a connu, dans une configuration comparable et à proximité de la résidence du requérant, un éboulement de talus et des risque de chute d’arbres qui ont conduit à interdire la circulation et qu’il existe un intérêt public supérieur à supprimer le danger actuel constitué par cet arbre et les branches surplombant le domaine public routier; indique que s’agissant de la mise en œuvre des pouvoirs de police les mesures sont nécessairement préventives mais se fondent sur les notes des services techniques de la commune et sont confirmées par le devis établi par l’entreprise spécialisée que la commune a contactée ; insisté sur l’urgence qui permettait de ne pas engager de procédure contradictoire alors même que le requérant avait reçu une mise en demeure de la commune et enfin écarté les autres moyens de la requête en reprenant ses écritures.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. M. B demande la suspension de l’arrêté du 12 août 2022 prévoyant la suppression à ses frais d’un pin en forte inclinaison et l’élagage d’office de branches des plantations de sa propriété, riveraine d’une voie communale, située 20 rue Edgar de Kergariou, après une mise en demeure restée sans effet.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision () ».

En ce qui concerne l’urgence :

3. En premier lieu, l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés, saisi d’une demande tendant à la suspension d’une telle décision, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si ses effets sur la situation de ce dernier ou, le cas échéant, des personnes concernées, sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence, en outre, doit être évaluée de manière objective et globale, en fonction de l’ensemble des circonstances de l’affaire, y compris la préservation des intérêts publics attachés à la mesure litigieuse.

4. Il résulte des débats de l’audience que les travaux d’abattage envisagés ont été reportés jusqu’à la fin du mois d’octobre 2022 par la commune de Lannion et sont désormais susceptibles d’intervenir à très brève échéance. Si la commune de Lannion soutient qu’il existerait un danger réel et immédiat de chute d’arbre ou de branche, il résulte de l’instruction que ce n’est que le 5 octobre 2022 qu’elle a tenté de procéder à l’abattage et l’élagage prévus par l’arrêté du 12 août 2022, que la commune a finalement accordé un délai jusqu’au 30 octobre 2022 à M. B pour y procéder lui-même et elle n’apporte pas dans le cadre de la présente instance et dans l’état du dossier, d’éléments suffisants de nature à caractériser l’urgence et l’intérêt public qu’elle invoque. Dans ces circonstances, la condition d’urgence requise par les dispositions précitées de l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.

En ce qui concerne les moyens propres à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions :

5. Aux termes de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : « La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, () ». L. 2213-1 du code général des collectivités territoriales : « Le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et les voies de communication à l’intérieur des agglomérations, sous réserve des pouvoirs dévolus au représentant de l’Etat dans le département sur les routes à grande circulation. () ». Aux termes de l’article L. 2212-2-2 du même code : « Dans l’hypothèse où, après mise en demeure sans résultat, le maire procéderait à l’exécution forcée des travaux d’élagage destinés à mettre fin à l’avance des plantations privées sur l’emprise des voies sur lesquelles il exerce la police de la circulation en application de l’article L. 2213-1 afin de garantir la sûreté et la commodité du passage, les frais afférents aux opérations sont mis à la charge des propriétaires négligents. ».

6. Aux termes de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration : « Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l’article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d’une procédure contradictoire préalable. ». L’article L. 122-1 du même code dispose : « Les décisions mentionnées à l’article L. 211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. () ». L’article L. 211-2 du même code rajoute : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : 1° Restreignent l’exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; () ".

7. En application de ces dispositions, les décisions qui constituent une mesure de police générale ou spéciale ne peuvent légalement intervenir, sauf situation d’urgence, qu’après que l’intéressé a été mis à même de présenter des observations. Un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé l’intéressé d’une garantie.

8. La mise en demeure prévue par les dispositions précitées de l’article L. 2212-2-2 du code général des collectivités territoriales constitue une mesure de police, soumise à ce titre à l’obligation de motivation, qui doit dès lors être précédée d’une procédure contradictoire en vertu de l’article L. 121-1 du code des relations entre le public et l’administration. Le respect, par l’autorité administrative compétente, de la procédure prévue par les articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l’administration, constitue une garantie pour le propriétaire des arbres susceptibles de faire l’objet d’un abattage.

9. Il ne résulte pas de l’instruction et n’est pas établi par les pièces du dossier que la mise en demeure litigieuse aurait été prise dans le cadre d’une situation d’urgence. Il ne résulte pas plus de l’instruction que préalablement à la décision du 12 août 2022 le maire de la commune de Lannion aurait mis M. B en mesure de présenter des observations écrites ou orales concernant la mesure demandée par la commune qui affecte directement sa propriété et lui impose une sujétion. Dans ces conditions, en l’état de l’instruction, le moyen tiré ce que le requérant a été privé de la garantie que constitue la mise en œuvre d’une procédure contradictoire préalable est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité.

10. Les deux conditions requises par les dispositions précitées de l’article L. 521-1 du code de justice administrative étant remplies, il y a lieu, dès lors, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 12 août 2022 de la commune de Lannion.

Sur les frais liés au litige :

11. En vertu des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l’autre partie des frais qu’elle a exposés à l’occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la commune de Lannion sont rejetées.

12. Dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. B au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : L’exécution de l’arrêté du 12 août 2022 par lequel le maire de la commune de Lannion a décidé la suppression d’un pin en forte inclinaison et l’élagage d’office de branches des plantations de la propriété située 20 rue Edgar de Kergariou, riveraines d’une voie communale au frais du riverain après mise en demeure restée sans effet, est suspendue.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Les conclusions de la commune de Lannion présentées sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et à la commune de Lannion.

Fait à Rennes, le 9 novembre 2022.

Le juge des référés,

signé

C. C Le greffier,

signé

M.-A. Vernier

La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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