Tribunal de grande instance de Paris, 5e chambre 1re section, 30 janvier 2018, n° 15/07297

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 5e ch. 1re sect., 30 janv. 2018, n° 15/07297
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 15/07297

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S

5e chambre 1re section

N° RG :

15/07297

N° MINUTE :

Assignation du :

11 Mai 2015

JUGEMENT

rendu le 30 Janvier 2018

DEMANDEUR

Monsieur E-R X

[…]

[…]

représenté par Maître Olivier BONGRAND de la SELARL O.B.P. Avocats, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #K0136

DÉFENDERESSES

Société GENERALI W

[…]

[…]

(ESPAGNE)

représentée par Maître AA AB de la SEP AB, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #R0231

Société KILN EUROPE SA

Westendstrasse 28

[…]

représentée par Me Marie-gabrielle TERZANO, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D0920, Me Christophe NURIT, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

[…]

34 Quai AO Charles Rey

[…]

représentée par Me Marie-gabrielle TERZANO, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #D0920, Me Christophe NURIT, avocat au barreau de MARSEILLE, avocat plaidant

Société […]

AC AD AE S/N

[…]

représentée par Maître AA AB de la SEP AB, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #R0231

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame BLOUIN, Première Vice-Présidente Adjointe

Michel REVEL, Vice-Président,

K L, Juge

assistés de Martine AK AL, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 28 Juin 2017 tenue en audience publique devant Michel REVEL, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé par mise à disposition au greffe

contradictoire et en premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. E X a fait l’acquisition en 2006, pour le prix de 190.000 dollars US, de la vedette Marguerita, embarcation en bois de 18,90 mètres de long par 4,57 mètres de large équipée de deux moteurs diesel fixes, construite en 1933 au Massachusetts par l’entreprise Britt Brothers, aujourd’hui disparue. Après des travaux de restauration partielle effectués aux Etats-Unis, où elle naviguait auparavant dans la baie de San Francisco et le long des rivages alentours, la vedette a été transportée en Europe. Elle y pratiquait une navigation côtière, depuis la Catalogne où elle disposait d’un emplacement à l’année au port espagnol de Roses, tout en conservant son port d’attache administratif à Sausalito en Californie.

Dans la nuit du 23 au 24 avril 2013, alors qu’elle faisait route entre Cadaqués (Espagne) et Frontignan (France) en suivant la côte, la vedette a subi une voie d’eau que M. X affirme avoir découvert fortuitement vers 4 heures lorsqu’il a constaté en se rendant aux toilettes que la cale était remplie d’eau. D’après son estimation et celle de M. M Z, seul équipier présent à bord suivant ce qu’ils indiquent, le bateau se trouvait alors dans l’est des localités portuaires françaises de Saint-Cyprien et Port-Vendres. Après avoir effectué d’infructueuses tentatives de pompage et essayé en vain de donner l’alerte par le réseau VHF, MM. X et Z ont décidé d’abandonner le bateau en embarquant sur l’annexe, un canot pneumatique de type zodiac. Ils ont atteint le rivage sur la plage de Banyuls où ils affirment n’avoir été qu’ensuite rejoints par M. Y, compagnon de M. X, avant de se présenter tous les trois à la capitainerie de ce port français et de prendre successivement contact, selon ce qu’ils déclarent, avec la permanence du sémaphore, le quartier des affaires maritimes et la gendarmerie.

La vedette n’a pas coulé. Dérivant, elle a été découverte dans les eaux espagnoles par un voilier, en majeure partie immergée puisque seule sa superstructure dépassait. Prise en remorque par un canot de la société espagnole de sauvetage en mer jusqu’à Portbou (Espagne), elle s’est entièrement enfoncée sous la surface de l’eau une fois arrivée au port et mise à quai. Reposant sur le fond, elle a été sortie de l’eau avec une grue et mise sur cales. Au cours de ces opérations de remorquage, la coque a frotté sur des roches.

Depuis plusieurs années, le bateau présentait des désordres d’étanchéité. M. X a d’abord fait reprendre une partie de la coque aux Etats-Unis en 2006 après l’achat du bateau avant de l’expédier en Europe. Là, suite à une collision avec un objet flottant en 2008, il a fait procéder par la société Drassanes I Escar au remplacement de 90 mètres linéaires de bordés sur la coque bâbord pour un montant de 30.000 euros selon facture du 28 juillet 2009. Il a ensuite confié l’entretien du bateau à la société Drassanes Despuig, qui exploite des chantiers navals (traduction du catalan « drassanes ») à Roses et à Cadaqués en Catalogne et s’est fait une spécialité de la construction et de la restauration de bateaux en bois. Ce prestataire a successivement effectué :

— une réparation des oeuvres vives (partie immergée ou carène), pour un montant de 3.361,48 euros selon facture du 5 octobre 2010 ;

— suite au déclenchement des pompes d’assèchement pendant 30 secondes toutes les 2 à 3 minutes lors d’une sortie par mer formée en juin 2012, des travaux de calfatage sur le côté tribord (pose d’étoupe entre les bordés assurant leur étanchéité avec joint au mastic-colle Sikaflex®) pour un montant de 7.907,45 euros, selon facture du 30 août 2012 incluant aussi la réparation de bordés de la cabine tribord et la peinture des oeuvres mortes (partie émergée) ;

— trois reprises du calfatage avec mise au sec en raison de la persistance d’entrées d’eau importantes.

Lors de la dernière remise à l’eau de la vedette, les pompes se déclenchaient moins fréquemment explique M. X. Cependant, par précaution, une pompe d’assèchement avec alimentation électrique a été installée pour la période d’hivernage. A la reprise de la navigation en mars 2013, les pompes ne se déclenchaient plus que toutes les 90 minutes selon le propriétaire, d’où la décision prise d’entreprendre une navigation entre Roses et Cadaqués, pour « s’assurer que tout était en ordre », puis Cadaqués et Beaucaire. Capitaine de ce port français, M. Z mentionne, dans le rapport d’accident du 23 avril 2013, que MM. X et Y voulaient y ramener « leur bateau » en raison du coût de l’amarrage permanent qu’ils estimaient être devenu prohibitif en Catalogne. A partir de Frontignan, la Marguerita devait emprunter le canal du Rhône à Sète qui relie l’étang de Thau à Beaucaire.

La vedette est assurée depuis le 1er mai 2012 auprès de la société d’assurance de droit allemand Kiln Europe par l’entremise de la société de droit monégasque Pantaenius, courtier d’assurance, en outre gestionnaire du sinistre, toutes deux spécialisées dans l’assurance maritime. Les garanties souscrites pour une valeur déclarée de 300.000 euros couvrent les dommages et pertes aux biens assurés résultant, entre autres causes énoncées, d’un échouement, d’une voie d’eau accidentelle, d’un naufrage ou d’une collision avec un objet fixe ou flottant. Sont, par contre, exclues la perte ou le dommage conséquence d’une faute de construction, d’un défaut de fabrication des matériaux ou d’une usure normale.

En novembre 2012, M. X avait exprimé à la société Pantaenius son souhait d’une révision de la valeur du bien assuré pour la porter à 450.000 euros, justifiant depuis ce choix par le fait qu’il a exposé près de 150.000 euros de travaux depuis l’acquisition du bateau. M. X évoque un accord de principe pour cette revalorisation avec effet au 1er mai 2013, date de la prochaine échéance contractuelle, tandis que le courtier indique qu’à la date du sinistre, l’assureur n’avait pas encore pris position sur la demande de l’assuré. Il est évoqué, à cet égard, un déplacement sur site le 19 avril 2013 de M. A, expert mandaté par la société Pantaenius. Celui-ci a certifié le 17 juin 2014 qu’après visite du bateau à flot dans le port de Roses – ce qui ne lui avait permis d’accéder à la partie immergée de la coque autrement que depuis la cale -, il avait rendu compte immédiatement de sa mission au courtier par téléphone. S’il n’a ensuite rédigé aucun rapport, il affirme avoir néanmoins informé l’assureur qu’il ne trouvait pas motif à une augmentation de valeur, ajoutant que « comparé à des bateaux de caractéristiques similaires sur le marché, celle-ci pourrait être même au-dessus du prix réel ».

Suite à la réunion d’expertise amiable tenue le 14 juin 2013 entre M. B, membre du cabinet Marex mandaté par Pantaenius, et M. C, choisi par M. X, ceux-ci ont déduit de leurs constatations sur l’état du bateau après sinistre qu’il était nécessaire de recueillir contradictoirement les explications et précisions de MM. X et Z en situation à bord pour comprendre et établir les circonstances précises de l’envahissement et de l’abandon.

M. B a rendu son rapport définitif le 15 octobre 2013 en soulignant que du fait des fautes et négligences commises, de l’absence d’appel de détresse, des incohérences relevées entre la cause de l’envahissement et les déclarations de MM. X et Z et de leur refus d’assister à une réunion contradictoire à bord aux fins de reconstitution – défaillance que M. X excuse par des problèmes de santé en produisant un certificat médical -, il n’était pas en mesure de comprendre et d’aboutir aux mêmes conclusions que celles de M. C. M. B retenait, pour sa part, que l’envahissement du Marguerita n’était pas dû à un événement de mer, qu’il s’agisse d’une collision, d’une tempête ou d’un échouage, comme d’ailleurs confirmé par M. X, et que les débranchements de plusieurs tuyaux y avaient contribué. Relevant qu’en dehors des bordés pourris sur tribord et sur les fonds, la majorité des varangues visibles et de nombreuses membrures devaient être remplacées, outre les massifs d’étambots et probablement tous les boulons de la quille, et que ces opérations nécessiteraient un démontage presque complet du navire, d’une bonne partie de son pont et de sa salle des machines, soit une quasi-reconstruction du navire, il concluait que le coût des investissements permettant au bateau de naviguer correctement à l’avenir dépassait de très loin la valeur assurée qu’il qualifiait d’uniquement affective avant sinistre.

L’assureur n’a pas pris position quant au règlement du dossier, malgré de nombreuses relances de M. X auprès de la société Pantaenius.

C’est dans ce contexte que par ordonnance du 24 juillet 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, saisi sur l’initiative de M. X, a ordonné une mesure d’instruction et commis pour y procéder M. AO-AP I, capitaine au long cours, expert près la cour d’appel de Montpellier. Après que les demandes d’extension de mission présentées par la société Drassanes Despuig, la société Kiln Europe et la société Pantaenius eurent été rejetées par ordonnance de référé du 20 mars 2015, les opérations d’expertise se sont achevées le 13 avril 2015, date du rapport final déposé par l’expert.

M. D a émis les avis suivants en conclusion de ce rapport :

— Sur la navigation

« La navigation a été effectuée à vue sans report sur une carte ou un journal de bord. Cette façon de procéder n’est pas conforme mais est très répandue dans le monde de la plaisance. Les vitesses et les caps relevés correspondent aux déclarations et sont conformes à une navigation de plaisance et aux courants rencontrés. »

— Sur le déroulement des faits et l’abandon du navire

« D’après les déclarations, la réaction de l’équipage lors de la découverte des entrées d’eau a été dominée par une très grande nervosité et des actions confuses, l’absence d’essais de la motopompe et l’impossibilité de découvrir l’origine de l’entrée d’eau lui faisant perdre beaucoup de temps. L’équipage a été obsédé par la volonté de sauver le navire et s’est préoccupé de communiquer sa détresse tardivement. D’après les déclarations du propriétaire, les moyens de communication étaient soit non efficace (VHF), soit absents (cartouches de fusées de détresse). Il faut considérer que seule l’aide d’un navire équipé de moyens mobiles d’assèchement aurait pu être utile. Au vu de l’importance de la défaillance d’étanchéité, il apparaît très difficile pour un équipage de non-professionnels, non entraîné, de faire face à une telle situation. Après l’abandon, l’équipage a perdu du temps pour communiquer mais la situation immergée du navire était acquise et ce retard n’a rien changé à l’étendue des dommages. »

— Sur la cause de l’envahissement

« A la suite de l’accedit [ou réunion d’expertise] en présence des parties et de leurs conseils, notamment techniques, il est apparu que la cause de l’envahissement d’eau était le pourrissement complet et ancien d’une planche de bordé située sous le parc à batteries à tribord milieu arrière. Cette planche a cédé en mer lors de la navigation de Cadaqués à Beaucaire et le navire, équipé de ses propres moyens d’assèchement, n’a pas pu faire face à l’envahissement. L’équipage non professionnel n’a pas su utiliser une moto pompe embarquée par sécurité, n’a pas su alerter les navires voisins et/ou dispositifs de surveillance de type CROSS pendant l’événement, puis a perdu du temps une fois arrivé sur la plage. Ce temps perdu n’apparaît pas avoir eu des conséquences sur les effets de la voie d’eau « franche et massive ». En effet, il aurait fallu disposer immédiatement de fortes capacités de pompage et de personnes spécialisées qui acceptent de prendre le risque de monter à bord d’un navire envahi et susceptible de chavirer à n’importe quel moment. »

— Sur le coût et la durée de remise en état de fonctionnement normal du navire

« Le navire est en perte totale. La valeur de cette perte a fait l’objet du contrat d’assurance confirmée par l’expert A le 13 avril 2013 peu avant l’événement. [Elle] est fixée à 300.000 euros.

Les frais de retirement se montent à 14.157 euros et ceux de stationnement à 32.926,67 euros, soit un total de 47.083,67 euros. »

— Sur les éventuelles responsabilités encourues

« Le naufrage est dû à la rupture d’un bordé entièrement et anciennement atteint de pourriture. L’état défaillant de ce bordé aurait pu être constaté lors de la mise en place du calfatage par le chantier Despuig. En effet, l’application du calfatage impose qu’il soit réalisé sur des planches saines. L’équipage non professionnel n’a pu faire face à une situation aussi grave qui est devenue très dangereuse pour la vie humaine à partir de 7 h 00. »

et d’ajouter pour finir :

« Le naufrage a pour cause un incident de fonctionnement, fuite de liquide de batterie, sur une planche de bordé située juste au-dessous. Cette origine est ancienne, antérieure à 2012.

L’état de cette planche de bordé n’a pas empêché son calfatage en août 2012 par le chantier Drassanes Despuig alors que les préconisations de calfatage imposent au professionnel qui intervient de remplacer les planches non saines.

La planche de bordé a cédé en mer et a entraîné une voie d’eau que l’équipage n’a pas pu ni découvrir ni étaler avec les moyens dont il disposait. Les fusées de détresse étaient absentes et la VHF n’a pas fonctionné. L’absence de ces moyens de communication a empêché le signalement de l’événement.

Il faut noter que l’assistance aux biens qui aurait pu empêcher le naufrage est problématique en terme de matériel, notamment d’assèchement spécifique et au regard du risque raisonnablement envisagé d’engager la vie des sauveteurs. Je remarque que les professionnels qui sont intervenus [et] ont remorqué l’épave ne se sont pas risqués à tenter un assèchement. Le retard pris à prévenir les autorités ne m’apparaît pas avoir changé significativement la situation du navire. »

S’appuyant sur l’avis de l’expert judiciaire, M. E X a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris la société Pantaenius, par acte d’huissier du 20 mai 2015, la société Kiln Europe et les chantiers navals Despuig, par actes d’huissier du 20 mai 2016, pour obtenir l’indemnisation du sinistre survenu le 24 avril 2013.

Par ordonnance du 4 août 2016, le juge de la mise en état a :

— débouté M. X de sa demande de provision compte tenu de l’existence d’une contestation sérieuse sur l’existence et l’étendue de son obligation ;

— débouté la société Pantaenius de sa demande tendant à ce qu’elle soit mise hors de cause ;

— dit n’y avoir lieu d’ordonner au préfet maritime de la Méditerranée de communiquer tout compte-rendu, rapport ou document du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage de Méditerranée (CROSSMED), basé à La Garde (Var) et/ou du sémaphore du Cap Béar à Port-Vendres relatif à l’événement en litige ;

— dit n’y a avoir lieu d’ordonner à M. X de communiquer, si nécessaire sous astreinte, tout rapport d’expertise relatif au navire Marguerita et notamment :

• l’identité de l’expert français ayant suivi le bateau ;

• les constatations qui ont été les siennes ;

• les préconisations qu’il aurait pu formuler sur l’état du navire ;

Dans ses dernières conclusions notifiées le 30 mai 2017 par voie électronique, M. E – R X demande au tribunal, au visa des anciens articles 1134 et 1147 du code civil, de :

— dire et juger que son action n’est pas prescrite envers quiconque ;

— débouter les sociétés défenderesses de l’ensemble de leurs demandes tendant à la nullité totale ou partielle du rapport d’expertise ou à la désignation d’un nouvel expert ;

— condamner solidairement les sociétés Pantaenius, Kiln Europe, Drassanes Despuig et Generali W à lui verser la somme de 2.500.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison de la perte définitive du bateau Marguerita, et assortir cette condamnation de l’intérêt au taux légal à compter du 24 avril 2013 ;

— subsidiairement, condamner solidairement les sociétés Pantaenius, Kiln Europe, Drassanes Despuig et Generali W à lui verser l’équivalent en euros de la somme de 1.250.000 dollars US au jour du jugement à intervenir, à titre de dommages et intérêts aux fins de reconstruction du bateau Marguerita, et assortir cette condamnation de l’intérêt au taux légal à compter du 24 avril 2013 ;

— très subsidiairement, condamner solidairement les sociétés Pantaenius, Kiln Europe, Drassanes Despuig et Generali W à lui verser, en assortissant ces condamnations de l’intérêt au taux légal à compter de la première mise en demeure du 13 juillet 2013 :

• la somme de 300.000 euros correspondant au montant de l’indemnité prévue au contrat en cas de perte totale du bateau Marguerita ;

• la somme de 6.000 euros correspondant à l’indemnité forfaitaire contractuelle de 2 % représentant la valeur des effets personnels perdus ;

— condamner solidairement les sociétés Pantaenius et Kiln Europe à prendre à leur charge l’intégralité des frais de remorquage, d’entreposage et de gardiennage du bateau Marguerita, de son renflouement jusqu’à sa destruction éventuelle ;

— condamner la société Drassanes Despuig à lui verser :

• la somme de 66.630,94 euros correspondant aux factures réglées au titre de l’entretien du bateau Marguerita ;

• la somme de 75.000 euros, sur le fondement de l’ancien article 1382 du code civil, pour indemnisation du préjudice moral et psychologique subi ;

— condamner solidairement les sociétés Pantaenius, Kiln Europe, Drassanes Despuig et Generali W :

• à lui verser la somme de 25.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

• aux entiers dépens, comprenant notamment les frais d’expertise judiciaire pour 11.200,80 euros, en autorisant la Selarl OBP Avocats, inscrite au barreau de Paris, à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

A titre liminaire, M. X réfute l’application de la loi espagnole, dont le chantier naval Despuig revendique l’application aux faits de la cause, en soulignant que de l’aveu même de cette partie, la solution exonératoire de responsabilité tirée de l’absence d’une obligation de résultat, produit des conséquences juridiques identiques en droit espagnol et en droit français, de sorte que ce dernier doit recevoir application. Par ailleurs, il rejette la prescription que lui opposent le chantier naval et son assureur sur le fondement du code de commerce espagnol en répliquant qu’ils n’établissent pas que ses dispositions s’appliqueraient aux litiges entre un particulier et un commerçant. Le demandeur ajoute que le délai de prescription quinquennale qui s’attache au contrat de louage d’ouvrage liant les parties a été interrompu par l’instance en référé introduite par acte du 31 octobre 2013.

M. X discute aussi la demande des défendeurs en nullité du rapport d’expertise judiciaire en relevant que si M. D a effectivement émis un avis privé sur la valeur de reconstruction du bateau, pareille démarche, postérieure au dépôt du rapport, n’est pas de nature à remettre en cause l’objectivité et l’impartialité de son travail.

Se référant aux développements du rapport d’expertise, M. X impute la cause exclusive de l’avarie à la rupture d’un bordé fragilisé dont le calfatage, effectué en 2012 par la société Drassanes Despuig, s’est avéré non conforme aux règles de l’art. Il reproche au chantier naval d’avoir appliqué du Sicaflex® à la jointure de lattes détériorées ou pourries dont l’état de dégradation imposait leur remplacement préalable. Il conteste toute valeur probante aux attestations produites par le chantier naval aux termes desquelles il aurait appliqué lui-même le produit sans se conformer aux prescriptions de pose fixées par le fabriquant. Il réfute toute exploitation commerciale lui conférant la qualité de professionnel et, plus généralement, celle de spécialiste de la construction navale.

Le demandeur conteste formellement avoir débranché les deux tuyaux du circuit d’alimentation en eau de mer et d’évacuation du WC et de la baignoire qui ont été trouvés non raccordés après la mise hors d’eau du bateau. Il relève que M. F, mandaté par le gestionnaire du sinistre, a eu libre accès à l’embarcation hors la présence de l’assuré avant l’examen d’expertise. Il ajoute qu’en tout état de cause l’expert judiciaire a exclu le rôle causal de ces déconnexions au constat que l’ouverture de plus gros diamètre se situe bien au-dessus de la ligne de flottaison et l’autre est de trop petite dimension pour provoquer le naufrage.

M. X exclut, enfin, avoir commis la moindre imprudence en entreprenant de nuit la traversée alors qu’il n’était titulaire d’aucun permis de navigation et ne disposait pas des équipements de sécurité réglementairement exigés ou en bon état de marche. Il rétorque que les règles et normes qu’il lui est reproché d’avoir méconnu ont été édictées à des dates postérieures à l’accident et, surtout, que l’expert judiciaire a conclu à l’absence de lien de causalité entre l’avarie et les défauts de conformité reprochés.

De cette analyse des causes du naufrage, le demandeur déduit qu’en l’absence de circonstances excluant ou limitant la responsabilité du chantier naval, la responsabilité de la société Drassanes Despuig est pleinement engagée et qu’avec son assureur, la société Generali W, ils doivent réparation intégrale des conséquences dommageables de la faute commise.

M. X considère, par ailleurs, qu’en leurs qualités respectives d’assureur et de courtier, les sociétés Pantaenius et Kiln Europe ont manqué à leur obligation de conseil, renforcée s’agissant de professionnels. Il relève qu’à aucun moment l’assureur ne l’a averti que dans l’hypothèse d’une perte totale du Marguerita, il ne serait indemnisé qu’à hauteur de la valeur agréée (300.000 euros) et non de sa valeur réelle de reconstruction (1.250.000 dollars US) telle que fixée par le « Survey Report » du 10 novembre 2005, ni ne l’a incité à reconsidérer le champ de sa police d’assurance alors que l’extrême rareté du bateau impose sa reconstruction en cas de destruction totale en l’absence de produits comparables sur le marché.

Il écarte les griefs qu’invoque l’assureur en expliquant avoir emporté une motopompe, sur l’initiative de M. Z, pour prévenir non pas « un risque imminent d’envahissement » mais les conséquences d’un éventuel « heurt en mer », ne pas avoir fait demi-tour pour regagner le port de Cadaqués parce qu’il avait préféré couper préventivement les moteurs afin d’éviter un choc thermique et faciliter la localisation auditive de la voie d’eau. Il ajoute que la décision prise de naviguer de nuit vient conforter l’absence de crainte d’une avarie. Il tient pour fantaisiste l’hypothèse de la présence d’un troisième homme à bord.

S’agissant de son préjudice matériel, M. X souligne que le Marguerita est irréparable, qu’aucun bateau du même modèle n’est disponible sur le marché des ventes de bateaux d’occasion ou de collection et que l’expert judiciaire, interrogé à titre privé après le dépôt de son rapport, a estimé que la valeur de remplacement d’un bateau similaire construit à neuf s’établissait à 2.900.000 dollars US, se référant à cet égard au prix de vente d’un bateau quasiment identique proposé à la construction par un chantier naval américain, d’où la demande de versement d’une indemnité de 2.500.000 euros à titre de dommages et intérêts. Subsidiairement, M. X s’en tient à l’équivalent en euros au jour du jugement de la somme de 1.250.000 dollars US fixée par le « Survey Report » de 2005. Très subsidiairement, il revendique l’allocation des indemnités prévues au contrat d’assurance, soit 300.000 euros pour le bateau et 6.000 euros pour les effets personnels. Il estime également que les sociétés Pantaenius et Kiln Europe doivent prendre en charge l’ensemble des frais d’immobilisation du Marguerita depuis son naufrage.

Par ailleurs, le demandeur réclame au chantier naval et à son assureur le remboursement de la totalité des travaux d’entretien ou de réparation qu’il a confiés depuis 2009 à la société Drassanes Despuig, le total s’élevant à la somme de 66.630,94 euros, et l’indemnisation d’un préjudice moral qu’il qualifie de majeur et chiffre à la somme de 75.000 euros en invoquant les circonstances particulières du naufrage, survenu de nuit avec nécessité d’abandonner l’embarcation qui coulait, la perte irrémédiable d’un bateau d’exception pour lequel il a investi beaucoup de temps et d’agent et l’attitude de résistance abusive des défendeurs.

Par d’ultimes écritures distinctes notifiées par voie électronique le 29 mai 2017, la société Drassanes Despuig et la société Generali W s’opposent aux prétentions du demandeur en concluant qu’il y a lieu de :

A titre principal,

— déclarer l’action introduite par M. X irrémédiablement prescrite en application de la loi espagnole régissant les prestations du chantier naval ;

Par conséquent,

— débouter M. X de l’intégralité de ses demandes et les sociétés Pantaenius et Kiln Europe de leur demande en garantie à l’encontre des concluantes ;

Subsidiairement,

— prononcer la nullité du rapport d’expertise à raison de l’attestation émanant du Cabinet D produite par le demandeur dont elle constitue la pièce n° 40 ;

— ordonner – suivant ce qu’ajoute la société Generali W – la réouverture des opérations d’expertise en procédant au remplacement de M. D et à la désignation d’un nouvel expert avec la mission étendue de procéder à l’expertise et aux investigations complémentaires nécessaires pour déterminer l’origine de l’avarie ;

Plus subsidiairement,

— écarter des débats l’attestation du Cabinet D constituant la pièce n° 40 du demandeur, de même que sa pièce n° 36 s’agissant d’un document altéré ou falsifié dont M. X souhaite se servir pour établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques ;

— dire et juger fondées les contestations émises contre les conclusions du rapport d’expertise judiciaire ;

— dire et juger que le naufrage est dû à la conjugaison de faits et d’omissions volontaires du demandeur ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement ;

— dire et juger, par conséquent, que le sinistre relève de la faute exclusive du propriétaire ;

— débouter M. X de l’intégralité de ses demandes et les sociétés Pantaenius et Kiln Europe de leur demande en garantie à l’encontre des concluantes ;

Plus subsidiairement encore,

Vu le règlement CE n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dit Rome I ;

— constater que la loi espagnole est applicable dans les relations entre le demandeur et la société Drassanes Despuig ;

— dire et juger que la société Drassanes Despuig n’était tenue qu’à une obligation de moyens, qu’elle n’a pas manqué à son devoir de conseil et n’a pas commis de faute dans l’exécution de ses prestations en lien avec le dommage ;

Par conséquent,

— débouter M. X de l’intégralité de ses demandes ;

— débouter les sociétés Pantaenius et Kiln Europe de leurs demandes en garantie à l’encontre des concluantes ;

Très subsidiairement,

Vu l’opinion exprimée par M. G, expert de la société Drassanes Despuig, dans ce qui constitue sa pièce n° 10 ;

— constater que la valeur vénale du navire n’excédait 100.000 euros TTC ;

— dire et juger que le préjudice n’est pas justifié ;

Par conséquent,

— débouter M. X de l’intégralité de ses demandes ;

— débouter les sociétés Pantaenius et Kiln Europe de leur demande en garantie à l’encontre des concluantes ;

A titre infiniment subsidiaire,

Si, par impossible, une quelconque condamnation venait à être prononcée contre les concluantes ;

— rejeter la demande d’exécution provisoire ou, subsidiairement, subordonner l’exécution provisoire à la constitution d’une garantie équivalente à la condamnation pour répondre de toutes restitutions ou réparations ;

En tout état de cause,

— condamner M. X à leur payer à chacune la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens avec bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me AA AB, leur avocat.

Le chantier naval et son assureur relèvent que l’article 4 b) du règlement Rome I soumet le contrat de prestation de services à la loi du pays dans lequel le prestataire a sa résidence habituelle et que selon l’article 952.1 du code de commerce espagnol, l’action en raison des services et travaux pour réparer et équiper les navires se prescrit par un an à compter de la prestation des services ou la réalisation des travaux, si ceux-ci n’ont pas été commandés pour une période ou un voyage déterminé. Faisant partir le délai au plus tard du 30 août 2012, date d’édition de la facture portant sur les travaux en litige, ils en déduisent que la prescription était acquise au 30 août 2008. Ces défendeurs ajoutent que l’action est pareillement prescrite envers les sociétés Pantaenius et Kiln Europe en ce qu’elles ne peuvent détenir plus de droits que M. X.

Les sociétés Drassanes Despuig et Generali W contestent la régularité des opérations d’expertise conduites par M. H, expert désigné en référé, en ce qu’il n’a pas repris dans son rapport l’intégralité des observations faites par les parties lors de l’unique réunion contradictoire tenue le 8 octobre 2014 – l’assureur du chantier naval détaillant dans ses écritures ce qu’elle affirme être l’exposé exhaustif du déroulement de cette rencontre – et en ce qu’il a systhématiquement pris en considération les déclarations de M. X et de ses amis, sans jamais les discuter malgré de nombreuses incohérences, des changements de version et la falsification de la valeur du bateau dans le rapport établi le 10 novembre 2005 par la société Wedlock, Stone, Ramsay & N O, experts maritimes (« marine surveyors ») qui se prononcèrent sur l’état du navire et sa valeur d’achat avant que M. X n’en devienne propriétaire. Les défenderesses ajoutent qu’en délivrant le 12 avril 2016 au demandeur qui lui en avait fait unilatéralement la demande un avis « privé » sur la valeur de remplacement du Marguerita en dehors de tout débat contradictoire, alors que le juge du contrôle des expertises avait refusé à M. X la possibilité de pouvoir solliciter une telle opinion en considérant que les opérations d’expertise étaient closes, M. H a méconnu son devoir d’objectivité et d’impartialité et que ce manquement rejaillit sur l’ensemble du travail de l’expert, notamment son rapport. Indépendamment de ce grief déontologique, l’assureur espagnol critique la pertinence des conclusions de M. H à raison de carences dans l’analyse des désordres et de l’inexactitude des hypothèses sur lesquelles il fonde ses conclusions. S’appuyant sur l’avis de M. AF AG AH, ingénieur naval missionné par la société Generali W, elles soutiennent que le bordage a cédé lorsque le bateau remorqué a touché et raclé les roches de fond à son arrivée en remorque à Port-Bou, d’où la présence de dégradations sur les planches entourant celle manquante et non en mer sous l’effet de la pression de l’eau. Elles reprennent à leur compte l’opinion de ce même technicien lorsqu’il considère que la fuite d’électrolyte des batteries, retenue par M. H comme cause de la dégradation du prétendu bordé défectueux, ne peut être la cause de l’altération constatée du bois, dans la mesure où l’acide sulfurique provoque un assèchement et non un pourrissement du bois, outre que son mélange avec de l’eau de mer en diminuait la concentration.

Les sociétés Drassanes Despuig et Generali W imputent la cause du sinistre à un débranchement volontaire de deux tuyaux d’ordinaire raccordés au circuit étanche d’entrée ou d’évacuation d’eau de mer, le débit d’eau pouvant pénétrer par ces deux ouvertures s’avérant supérieur à celui que pouvait évacuer la pompe d’assèchement d’autant que celle-ci n’a pas rempli son office étant elle-même débranchée. Elles déduisent de ces constatations l’existence d’un faisceau d’indices faisant présumer une baraterie (naufrage volontaire pour toucher l’indemnité d’assurance).

Indépendamment du caractère volontaire de ces voies d’eau, les défenderesses retiennent aussi diverses fautes de navigation à l’encontre de M. X qui, dépourvu d’un quelconque permis de naviguer, a pris la mer sans disposer du matériel d’armement et de sécurité réglementaire et en état, du fait que la VHF ne fonctionnait pas et qu’il n’avait aucune fusée de détresse. Elles lui font aussi grief de n’avoir pas mis en oeuvre des actions privilégiant la sauvegarde du bateau lors de l’envahissement d’eau. Elles lui reprochent plus généralement d’avoir manqué à son obligation générale d’entretien et de maintenance du navire en état de navigabilité, manquements d’autant plus fautif à leurs yeux que son propriétaire se comportait en yachtman professionnel, allant jusqu’à organiser des sorties en mer et non comme un plaisancier néophyte.

La société Drassanes Despuig prétend avoir satisfait à ses obligations au regard tant de la loi espagnole dont elle revendique l’application que de la loi française. Tenue d’une obligation de moyens, elle indique n’avoir fait qu’exécuter les travaux « de façade » sollicités par M. X afin de rendre au navire un aspect présentable dans la perspective de le vendre. Elle soutient avec son assureur, sur la foi d’une enquête confiée par la société Generali W à un inspecteur privé, que M. X, pour avoir participé personnellement aux travaux afin d’en réduire le coût, n’ignorait rien de son état réel et des dégradations parfaitement visibles. Les défenderesses en déduisent que le demandeur était pleinement conscient que les reprises d’étanchéité effectuées ne pouvaient pas remettre son bateau dans un parfait état de navigabilité.

S’agissant de la valeur du Marguerita, les défenderesses objectent que la valeur fixée par la police d’assurance du navire ne leur est pas opposable et que l’indemnisation éventuelle ne saurait excéder le dommage prévisible et le rétablissement de l’équilibre détruit par le sinistre. Le chantier naval souligne, à cet égard, que le bateau construit en 1933 a été acquis en 2006 pour un prix de 190.000 dollars US, qu’un certain nombre de vedettes classiques semblables au Marguerita mais récemment restaurées sont actuellement proposées à la vente aux

Etats-Unis et en Europe pour des montants de 99.000 à 400.000 dollars US, que le prix final sur ce marché de l’occasion est souvent minoré de 30 à 50 % et que le bateau auquel s’est référé M. H pour chiffrer la valeur de reconstruction ne peut servir de comparatif dès lors qu’il est toujours à l’état de projet faute d’avoir trouvé acquéreur et s’avère doté de nombreux équipements que ne comportait pas le bateau sinistré.

Dans leurs dernières conclusions communes notifiées le 15 juin 2017 par voie électronique, les sociétés Pantaenius et Kiln Europe résistent aux prétentions de M. X en considérant qu’il convient de :

A titre liminaire,

— déclarer inopposables aux défendeurs et écarter des débats les pièces n° 36 et 40 du demandeur, le rapport d’expertise judiciaire et les réponses de M. D au dire n° 4 des concluantes ;

A titre principal,

— constater, en regard de l’article 3 des conditions générales du contrat d’assurance, l’absence de réalisation du risque garanti ;

— débouter, en conséquence, M. X de l’intégralité de ses demandes dirigées contre les concluants ;

Subsidiairement,

— constater, en regard de l’article 7 des conditions générales du contrat d’assurance, l’exclusion de garantie dès lors que l’assuré a entrepris le convoyage du navire Marguerita en connaissant le risque et l’imminence d’un envahissement et retiré de son fait tout aléa dans la survenance du risque ;

— constater, à tout le moins, qu’en raison des multiples négligences fautives de l’assuré et de leur gravité en regard de son obligation de préservation du navire et de son équipage, l’indemnisation doit être réduite à proportion de ces incuries, soit en totalité ;

— débouter, en conséquence, M. X de l’intégralité de ses demandes dirigées contre les concluantes par application des exclusions conventionnelles de garantie ;

— le débouter également, en regard de l’article 5.4 des conditions générales du contrat d’assurance, de toute prise en charge par les concluantes des frais complémentaires d’immobilisation du bateau ;

Très subsidiairement,

— constater, en regard des articles 11.2, 11.3 et 11.4 des conditions générales du contrat d’assurance, que l’assuré avait connaissance du risque avant d’entreprendre son convoyage, que la perte totale du navire était évitable moyennant un déroutement immédiat sur le port de Banyuls et que l’assuré a menti sur les circonstances exactes du sinistre, de sorte que l’assureur se trouve déchargé de son obligation de garantie ;

— débouter, en conséquence, M. X de l’intégralité de ses demandes dirigées contre les concluantes par application des exclusions conventionnelles de garantie ;

Infiniment subsidiairement,

— dire que le courtier Pantaenius n’a commis aucune faute dans l’exercice de ses mandats et, en conséquence, le mettre hors de cause en condamnant le demandeur au paiement d’une somme de 30.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— fixer, par référence à l’évaluation de M. P Q, la valeur réelle maximale du navire (ou valeur corps) à la somme de 100.000 euros ;

— retenir, à défaut, la valeur d’assurance contractuelle agréée pour la somme de 300.000 euros ;

— dire le demandeur irrecevable et non fondé en sa demande de réparation intégrale du sinistre à hauteur de 2.500.000 euros ou de 1.250.000 dollars US ;

— dire qu’en application des articles 237 et 238 du code des douanes et qu’en l’absence de passeport du navire attestant du règlement de la TVA, la seule valeur d’assurance indemnisable se trouve cantonnée en valeur hors taxes, soit au principal la somme de 83.612,04 HT et subsidiairement celle de 250.836,12 euros ;

— s’agissant des frais d’immobilisation, par application de l’article 5.3 de la police d’assurance, mettre un terme à l’avance des frais de stationnement des assureurs à la cessation des diligences de leur expert au 15 octobre 2013 et débouter le demandeur de ses demandes de prise en charge de tous frais postérieurs à cette date ;

— dire que les sociétés Drassanes Despuig et Generali W doivent garantie en regard de leur obligation de conseil et de la responsabilité du chantier naval retenue par l’expert et que cette action n’est pas prescrite ;

— les condamner à garantir et relever les concluantes de toutes condamnations principales et accessoires, aux frais irrépétibles et aux dépens.

Les sociétés Pantaenius et Kiln Europe soutiennent que les pièces n° 36 et 40 du demandeur sont irrégulières, la première parce que les versions successivement produites ont été falsifiées, la seconde parce qu’elle émane d’une consultation privée de l’expert judiciaire intervenue en violation des obligations déontologiques auxquelles celui-ci est astreint. Dans la mesure où M. I a systématiquement exonéré M. X de toute responsabilité dans la production du sinistre, les concluantes en déduisent que l’impartialité de l’expert judiciaire est remise en cause et que son rapport est dépourvu de toute valeur probante.

L’assureur et le courtier font observer que le sinistre n’est pas dû à un événement de mer, que le bateau souffrait de déboires d’infiltration d’eau de mer incessants depuis 2009 et qu’il n’a pas fait naufrage, au sens littéral de cette expression, puisque à la suite de l’envahissement il a continué de flotter. Ils en déduisent que le sinistre ne relève pas des risques garantis dès lors qu’au regard des stipulations de l’article 3 des conditions générales du contrat d’assurance, il ne résulte ni d’une voie d’eau accidentelle, ni d’un naufrage, ni d’une collision avec un objet fixe ou flottant.

Ils reprochent aussi à M. X d’avoir induit le sinistre en entreprenant délibérément un convoyage des plus redoutés compte tenu qu’il avait connaissance de l’état d’inaptitude à la navigation du Marguerita et d’un risque imminent d’envahissement au point d’emporter une motopompe de sauvetage. Ils y ajoutent des négligences fautives dans la préparation du convoyage (de nuit, hors saison et au large sans disposer d’appareils de communication en état de marche et de dispositifs d’alerte et de secours) puis dans la gestion du sinistre (absence de fermeture de la vanne d’évacuation pour stopper toute entrée d’eau et de déroutement vers le port le plus proche, abandon prématuré du navire) au point de lui imputer une mise en danger de l’équipage. Ils en arrivent à émettre des doutes sur les circonstances exactes du sinistre déclaré compte tenu du comportement de son propriétaire chef de bord et de sa carence dans son obligation contractuelle de prendre des mesures appropriées et raisonnables pour éviter ou minimiser le sinistre.

La société Pantaenius décline toute obligation d’indemnisation en faisant valoir qu’en sa qualité de courtier, intermédiaire d’assurance, elle n’est pas assujettie aux obligations pesant sur l’assureur. Elle réfute tout manquement à son obligation de conseil pour l’établissement de la valeur assurée du navire.

La société Kiln Europe objecte que l’état réel d’entretien du Marguerita et de son armement, sa maintenance défectueuse et ses transformations et remaniements ayant déclassé un navire de guerre en bateau à passagers et non en yacht de luxe impose de réviser sa valeur sur des bases réalistes.

L’assureur estime que la responsabilité du chantier naval est subsidiairement engagée pour défaut de conseil en ce qu’il n’a pas recommandé le changement de la partie de bordé non saine lors des dernières opérations de calfatage. Il considère que cette responsabilité relève du droit commun et non de la loi spéciale espagnole ou de la loi française sur les vices cachés, que s’applique la prescription quinquennale de la loi du for et que l’action récursoire est possible puisque celle de l’assuré n’est pas prescrite.

Le juge de la mise en état a prononcé la clôture de la phase d’instruction de l’affaire par ordonnance du 21 juin 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT :

Par l’intermédiaire de la société monégasque de courtage Pantaenius, M. E – R X a souscrit un contrat d’assurance à effet du 1er mai 2012 auprès de la société allemande Kiln Europe pour garantir la vedette à moteur Marguerita, dont il est propriétaire depuis 2006, battant pavillon des Etats-Unis d’Amérique. En exécution de ce contrat, il demande l’indemnisation du préjudice qu’il déclare subir à la suite de la voie d’eau qui a provoqué un envahissement du bateau dans la nuit du 23 au 24 avril 2013, au cours de son convoyage de Roses à Beaucaire qu’il effectuait en compagnie de M. M Z, et l’a contraint d’abandonner l’embarcation en pleine mer. Il recherche aussi la responsabilité du chantier naval Despuig, lui reprochant une mauvaise exécution des travaux d’entretien des oeuvres vives (partie immergée de la coque) qu’il lui avait confiés en août 2012, et la garantie de la société Generali W, assureur de responsabilité du prestataire.

Pour justifier du caractère purement accidentel de ce sinistre, M. X se réfère essentiellement à l’analyse des causes de l’accident faite par M. AO-AP D dans le rapport remis le 13 avril 2015 au terme de la mission d’expertise qui lui avait été confiée le 24 juillet 2014 par ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris.

Sur la demande en nullité du rapport d’expertise judiciaire de M. D

L’expert judiciaire a indéniablement manqué à ses obligations déontologiques en acceptant, après le dépôt de son rapport définitif, d’établir en date du 19 avril 2016, à la requête de M. X, une attestation chiffrant la valeur de remplacement du Marguerita par un bateau similaire construit à neuf. Il ne pouvait ignorer que cette pièce serait nécessairement produite par le demandeur dans le cadre de l’instance opposant les parties. Or l’expert doit s’interdire d’accepter toute mission de conseil ou d’avis à la demande d’une des parties, qui fasse indirectement suite à la mission judiciaire qui lui a été confiée.

Cependant, pour critiquable qu’il soit, ce comportement de l’expert, postérieur de plus d’un an à l’achèvement de sa mission et donc à son dessaisissement, n’apparaît être en soi de nature à remettre en cause la régularité des opérations d’expertise judiciaire.

En l’absence de tout élément susceptible de faire naître un doute sérieux sur l’impartialité, tant objective que subjective, de M. D au temps où il menait les opérations d’expertise, la demande en nullité du rapport d’expertise sera rejetée comme n’étant pas fondée.

Sur les causes du naufrage

L’expert et les parties s’accordent pour exclure comme cause du sinistre un événement de mer de type abordage (collision en mer) contre un obstacle fixe ou flottant.

Ayant constaté sous la ligne de flottaison sur tribord arrière la rupture partielle d’un bordé (planche composant le revêtement étanche extérieur de la coque) dont le peu de bois resté en position s’avérait pourri dans la totalité de son épaisseur et sur toute sa largeur, M. D en déduit que ce bordage a cédé au cours de la navigation en entraînant une voie d’eau suffisante pour provoquer l’envahissement du Marguerita jusqu’au niveau du pont, puis son naufrage une fois arrivé à Portbou.

L’ampleur des brèches et la disparition d’un bordé complet s’expliquent par l’appui de la coque sur le fond rocheux du port. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer que d’autres traces de ragage (frottement) imputables au naufrage à quai à Portbou sont visibles sur des parties plus saines de la coque, également situées à tribord, et surtout que dans l’état où se trouvaient ces brèches – tel qu’il ressort des photos illustrant le rapport d’expertise -, l’envahissement aurait été d’évidence beaucoup plus rapide que celui décrit par MM. X Z qui disent avoir constaté à 4 heures que l’eau pénétrait dans la cale, effectué des tentatives de pompage pendant une heure et demi à deux heures et demi et finalement abandonné la vedette vers 8 heures 30 au constat que l’embarcation était immergée.

L’expert souligne néanmoins qu’au niveau de l’ouverture sur le flan du navire, le bois est en état complet de pourrissement au point de se déliter au toucher sans effort, à la différence des bordés immédiatement voisins, sains dans leur épaisseur et qui ont supporté les efforts de ragage sans céder. La voie d’eau ayant causé l’envahissement se situe manifestement dans cette partie du bateau dont le bois, dépourvu de toute qualité mécanique, aura progressivement perdu toute fonction d’étanchéité et de résistance à la pression de l’eau. Le pourrissement complet des planches au niveau de la brèche ne pouvait qu’être acquis avant le sinistre puisque les observations montrent que le restant de la coque est en meilleur état alors que l’ensemble a été soumis aux mêmes conditions de conservation depuis le sinistre.

Par ailleurs, l’expert a relevé d’autres désordres anciens de structure : un pourrissement et une corrosion des varangues (pièces de bois assurant la liaison avec la quille des structures sur lesquelles reposent les bordés), un rafistolage des membrures en cale machines pour pallier leurs défaillances, un pourrissement des barrots de pont (poutres supportant le rouf ou cabine), une liaison des bordées au tableau arrière renforcée par un nombre de vis significativement élevé qui témoigne de défaillances de tenue. Ces faiblesses sont autant de facteurs d’entrées d’eau permanentes, fut-ce seulement par suintement.

Le pourrissement ne procède pas d’une immersion prolongée du bateau qui a été mis au sec quelques jours après le sinistre.

L’expert souligne, sans être critiqué sur ce point, que le jeu excessif des bordées mis en évidence par l’ensemble des désordres constatés fait perdre son efficacité au calfatage (jointure des bordés) qui n’assure plus une parfaite étanchéité de la coque puisque la fente n’est plus hermétique.

Si deux tuyaux de raccordement ont été retrouvés débranchés après la mise hors d’eau du bateau, d’un diamètre de 19 mm pour l’un et 38 mm pour l’autre, cette anomalie ne peut être la cause de l’envahissement. Leur prise à la mer se situant au-dessus de la ligne de flottaison, l’eau n’aura pénétré par ces orifices qu’après que le bateau se sera enfoncé sous le poids de l’eau ayant une autre provenance. Les pompes équipant le navire auraient suffi pour annuler l’effet d’une voie d’eau intermittente puisque provoquée par l’immersion temporaire de ces deux petits orifices d’entrée du fait du roulis et au tangage du navire. Les volumes qui auront pénétré dans la cale par le bordé défectueux laissant passer l’eau sont sans commune mesure avec ceux provenant des deux orifices non raccordés, d’un débit bien moindre.

La voie d’eau a donc clairement comme origine, essentielle sinon exclusive, une usure structurelle et ancienne de la coque de la vedette. A cela s’ajoute une adhésion imparfaite du Sikaflex® utilisé comme joint lors du dernier calfatage réalisé en août 2012, faute d’avoir apposé ce produit sur du bois sain.

Relevant que le bordé incriminé est situé au-dessous et à la verticale des bacs des batteries de service, l’expert attribue le pourrissement du bois à des fuites d’électrolyte liquide. Aucune autre explication pertinente de cette usure différenciée de la coque n’est avancée par les parties.

Sur les manquements reprochés au chantier naval

Il est constant que depuis plusieurs années, M. X confiait au chantier naval Despuig l’entretien de sa vedette, notamment les travaux qu’exigeait la coque de ce bateau.

— S’agissant de la loi applicable aux rapports contractuels ayant existé entre M. X et le chantier naval

Bien que de nationalité américaine, M. X réside de longue date en France, Etat membre de l’Union européenne, et les prestations litigieuses ont été effectuées exclusivement en Espagne, autre Etat membre de l’Union, par la société de droit espagnol Drassanes Despuig.

En l’absence d’expression d’un consentement réciproque des parties sur le choix de la loi applicable à leurs rapports contractuels, celle-ci sera déterminée par le règlement CE n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (dit Rome I), entré en vigueur le 17 décembre 2009 et qui régit les contrats conclus après cette date. Son article 4 dispose, dans le silence des stipulations contractuelles, que le contrat de prestation de services relève de la loi du pays de résidence du prestataire de services.

C’est par conséquent au regard de la loi espagnole qu’il convient d’apprécier la réalité et l’éventuelle portée des manquements reprochés à la société Drassanes Despuig.

Il résulte de la consultation donnée par Mme AI U V, avocate espagnole, que les relations contractuelles entre les parties caractérisent un louage de services au sens de l’article 1544 du code civil espagnol – ce qu’aucune des parties concernées ne conteste – et que pareil contrat n’impose au prestataire qu’une obligation de moyens. Elle précise que jurisprudence et doctrine excluent de considérer les opérations de calfatage de la coque d’un bateau comme un contrat de travaux. Enfin, elle n’évoque aucune appréciation du droit espagnol qui divergerait de celle du droit français quant au contenu d’une obligation de moyens.

Une autre consultation, émanant de M. AJ S T, avocat espagnol et maître de conférences à l’université, confirme que le cadre juridique d’intervention du chantier naval Despuig relève des dispositions de l’article 1544 du code civil espagnol.

— Sur les défaillances fautives de la société Drassanes Despuig

Il convient, dans ces conditions, de rechercher si le prestataire a mis en œuvre tout son art, ses soins et sa capacité pour exécuter son obligation. Ce n’est que s’il satisfait à ces exigences qu’il ne peut être tenu responsable de ne pas avoir obtenu de résultat.

M. S T fait observer qu’en matière de louage de services, le code civil espagnol ne fait pas état des instructions que l’armateur ou le propriétaire donneur d’ordre doit transmettre à l’exécutant. S’il se réfère aux dispositions applicables au mandant dans le code civil et à la commission dans le code de commerce pour en déduire qu’à l’identique du mandataire et du commissionnaire, le prestataire de services doit suivre servilement les instructions qui lui sont données, il concède toutefois ne pas défendre catégoriquement l’application par analogie du régime particulier de ces dispositions au contrat de réparation de navire et ne cite aucune jurisprudence qui viendrait corroborer pareille comparaison. Si incontestablement le chantier naval a l’obligation de réaliser les services commandés dans les termes indiqués par l’armateur ou le commettant, il ne fait état d’aucune exemption d’un devoir de conseil lorsque l’exécutant est un professionnel et souligne, au contraire, que pesait sur le chantier naval un devoir général de réaliser avec la diligence d’un entrepreneur ordonné les prestations qui lui ont été demandées.

Pour n’avoir pas procédé au changement du bordé pourri, alors que cette intervention s’imposait de simple bon sens et que la défaillance de cette pièce constitue la cause majeure de l’envahissement, ni même proposé le remplacement de cette pièce au client en appelant spécialement son attention sur le risque encouru, quitte à exiger de lui une décharge en cas de refus, le chantier naval n’a d’évidence pas satisfait à son obligation de moyens, laquelle impose de conseiller le client avec pertinence.

Les attestations produites par le chantier naval, rédigées en termes identiques par des préposés qui évoquent une information donnée à M. X quant à la nécessité du remplacement du bordé défectueux préalablement à tous travaux, ne sauraient dédouaner la société Despuig de ses fautes. Il incombait à celle-ci, afin de respecter les règles de l’art de son activité de charpentier de marine, de refuser d’apposer du Sikaflex® pour calfater la zone de la coque dont le bois n’était plus sain.

Les préconisations d’un parfait calfatage imposaient d’autant plus à ce professionnel de remplacer les planches s’avérant totalement pourries à l’examen du bateau, le fabricant subordonnant l’efficacité de son produit à la qualité du bois lorsqu’il est employé comme joint d’assemblage. A cet égard, le chantier naval ne peut, sans se contredire, soutenir que M. X connaissait parfaitement les vices et défauts de la construction pour avoir lui-même posé le Sikaflex® et peint la carène, tout en facturant au client ces mêmes prestations incluant la fourniture du produit mais aussi la main-d’oeuvre.

La responsabilité du chantier naval Despuig est donc parfaitement engagée pour avoir, d’une part, manqué à son devoir de conseil préalable et, d’autre part, exécuté sa prestation sans se conformer aux règles de l’art applicables.

— Sur la prescription

Le chantier naval Despuig et son assureur opposent la prescription à M. X en se référant à la seule consultation de M. S T, lequel conclut à l’application des dispositions du code de commerce de 1885, plus particulièrement son article 952.1 dont il déduit que les actions en raison des services ou des travaux pour réparer des navires sont prescrites à l’expiration d’un délai d’un an.

Outre que Mme U V n’a jamais envisagé que le lien contractuel entre les parties puissent relever des dispositions dérogatoires du code de commerce, M. S T ne précise pas en quoi M. X, qui n’avait pas la qualité de commerçant de fait ou de droit à l’été 2012, serait tenu de dispositions dérogatoires au droit commun espagnol opposables aux seuls acteurs d’opérations en relation avec le commerce maritime. Il n’est là encore cité aucune jurisprudence venant confirmer la thèse soutenue.

Dans ces conditions, l’exception de prescription invoquée par le chantier naval et son assureur ne peut qu’être écartée comme s’avérant non fondée.

Sur les négligences fautives imputées à M. X

Ainsi que l’a relevé l’expert, la Marguerita présente des défaillances de ses oeuvres vives depuis plusieurs années :

— en août 2009, il fait état d’un déclenchement des pompes d’assèchement toutes les heures ou heures et demi ;

— à l’automne 2010, des travaux de réparation sont effectués pour un montant de 3.361,48 euros ;

— au printemps 2011, des entrées d’eau continues nécessitent le remplacement des détecteurs de niveau ;

— en juin 2012, lors d’une navigation par mer formée les entrées d’eau provoquent un déclenchement des pompes d’assèchement pendant 30 secondes toutes les deux minutes et demi ;

— en août 2012, il est procédé à trois sorties d’eau avec reprise de calfatage en raison d’entrées d’eau importantes ;

— en octobre 2012, les entrées d’eau diminuent puisque les pompes se déclenchent moins fréquemment, jusqu’à observer des intervalles passant d’une dizaine de minutes à plus de deux heures ;

— pour l’hivernage 2012/2013, il est mis en place une pompe électrique ;

— en mars 2013, les pompes d’assèchement se déclenchent toutes les heures et demi.

C’est dans ce contexte et instruit d’une expérience précédente vécue en sa qualité de capitaine du port de Beaucaire, que M. Z indique avoir embarqué sur son initiative, en supplément des deux pompes d’assèchement équipant la vedette, une motopompe d’un débit de 15 m3 par heure.

Avant de prendre la mer vers 16 heures, l’équipage affirme avoir procédé à une vérification totale de l’embarcation, « de la cale au radar ». Arrivé vers 18 heures à Cadaqués, la Marguerita en est repartie dans la nuit à 1 heure après que les cales aient été contrôlées. M. Z a déclaré que les pompes de cales se mettaient en route de plus en plus souvent, précisant lors des opérations d’expertise judiciaire qu’il en avait fait le constat pendant l’escale à Cadaqués. Pour autant, la décision a été prise de poursuivre la navigation en direction de Frontignan, où l’arrivée était prévue vers midi plutôt que de rebrousser chemin pour regagner le port d’attache. MM. J et Z n’ont pas davantage estimé nécessaire d’essayer la motopompe en situation avant le départ – ce qui aurait permis de constater qu’elle ne pouvait remplir son office du fait de l’encrassement de son filtre – et de la disposer prête à intervenir. Mais surtout, M. X n’explique pas pourquoi il n’a découvert qu’à 4 heures l’envahissement de la cale, lequel n’a pu se produire soudainement que dans l’hypothèse, précédemment écartée, d’un arrachement du bordé en cours de navigation et non par l’effet du ragage sur le fond rocheux du port de Portbou. En réalité, l’équipage apparaît avoir omis tout contrôle entre 1 heure et 4 heures, alors que M. X a indiqué en réunion d’expertise contrôler habituellement les cales toutes les 45 minutes en phase de navigation et bien que le déclenchement de plus en plus fréquent des pompes d’assèchement au départ de Cadaqués commandait de redoubler de vigilance. La première réaction de M. X consistera à couper les moteurs, partant les pompes d’assèchement, décision qu’il explique par sa crainte d’un choc thermique causé par le contact des moteurs brûlants et de l’eau froide, par leur bruit assourdissant qui parasitait toute tentative de localisation sonore de la voie d’eau et par le souci de s’assurer qu’un désordre affectant les pompes de refroidissement ne serait pas à l’origine de la voie d’eau, suspicion d’autant plus étonnante qu’aucun dysfonctionnement de ces matériels n’était la cause des entrées d’eau subies dans le passé.

Par son comportement non approprié, M. X a contribué, en proportion d’un tiers, à la réalisation du sinistre. Les autres griefs relevés par les défendeurs (défaillance de la radio VHF fixe et mobile, absence de fusées d’alerte, choix d’une route non fréquentée par les bateaux de pêche) viennent illustrer l’état d’impréparation dans lequel a été entreprise une navigation d’une quinzaine d’heures à bord d’un navire présentant des risques connus d’envahissement d’eau, le choix d’une navigation de nuit constituant un handicap supplémentaire en cas de survenance d’un incident. Si l’expert judiciaire objecte que seul un bateau doté d’une pompe suffisamment puissante pour étaler la voie d’eau aurait apporté une aide efficace et donc utile, la carence des moyens de communication auditifs et visuels a néanmoins fait perdre toute chance d’intervention de navires (bateau de pêche, vedette de la Société Nationale de Sauvetage en Mer ou de son équivalent espagnol) pouvant être équipés d’un tel matériel capable d’empêcher ou de retarder l’envahissement complet du Marguerita.

Sur les fautes reprochées aux sociétés Pantaenius et Kiln Europe

Sur le fondement de l’article 1147 du code civil français, M. X reproche à l’assureur du bateau et au courtier d’avoir manqué à leur obligation de conseil. Il se plaint spécialement de n’avoir pas été avisé, en premier lieu, qu’en cas de perte totale du bateau, il ne serait indemnisé qu’à hauteur d’une valeur agréée de 300.000 euros et non de sa valeur réelle de reconstruction estimée à 1.250.000 US dollars en faisant référence à un « Survey report » daté du 10 novembre 2005, et, en second lieu, qu’il conviendrait de revoir significativement à la hausse le montant de sa police d’assurance.

Ces critiques apparaissent d’autant moins pertinentes que le demandeur, ainsi qu’il l’indique dans ses propres écritures, avait sollicité en novembre 2012 une augmentation de la valeur garantie de son bateau, souhaitant la porter de 300.000 euros à 450.000 euros afin de tenir compte qu’il avait dépensé près de 150.000 euros de travaux depuis l’acquisition du bateau.

Dans ces conditions, l’assuré n’a pu sérieusement se méprendre sur la valeur de reconstruction qu’il ne discutait pas peu avant le sinistre, se bornant à en demander la révision. Si dans cette perspective M. A, expert mandaté par la société Pantaenius pour le compte de l’assureur, avait visité le bateau à flot dans le port de Roses, ni la société Kiln Europe ni son mandataire ne s’étaient encore prononcés à la date de l’envahissement en litige.

Aucune faute n’apparaît, en définitive, devoir être retenue envers les sociétés Kiln Europe et Pantaenius.

Sur le refus de garantie opposé par la société Kiln Europe à M. X

L’assureur se prévaut des dispositions de l’article 11, § 2 et 4, du contrat d’assurance aux termes desquelles l’assuré est tenu de prendre toutes les mesures appropriées et raisonnables pour éviter ou minimiser le sinistre, faute de quoi l’assureur sera déchargé de son obligation de garantie.

Il résulte des développements qui précèdent, consacrés aux circonstances du sinistre et au comportement de l’assuré, qu’il a concouru par son imprudence et sa négligence à la réalisation du sinistre alors qu’il pouvait l’empêcher ou en réduire les effets s’il avait préparé convenablement sa navigation et, surtout, renoncé à la poursuivre au constat de signes alarmistes manifestés dès l’escale de Cadaques qui évoquaient des désordres affectant fréquemment la vedette depuis 2009 et avait nécessité à trois reprises sa mise hors d’eau et la reprise du calfatage l’été précédent, ainsi que l’installation d’une pompe électrique pour l’hiver.

La société Kiln Europe est dès lors fondée à invoquer l’application de la sanction conventionnelle de l’aggravation du risque, laquelle s’applique sans distinction à l’indemnisation de la perte du bien mais aussi aux préjudices annexes (frais de retirement et de stationnement).

M. X sera débouté de l’intégralité de ses demandes au titre de la perte de ses effets personnels et des frais de remorquage, d’entreposage et de gardiennage, en ce qu’elles sont exclusivement formées à l’encontre des sociétés Kiln Europe et Pantaenius.

Sur le préjudice à indemniser

Dans la limite du partage de responsabilité retenu par le tribunal, le chantier naval Despuig, auquel la société Generali W ne discute pas sa garantie, doit réparation du préjudice subi par M. X.

Les trois versions successives du « Survey report » daté du 10 novembre 2005 produites aux débats, dont une seule fait mention d’une prétendue valeur de remplacement de 1.250.000 US dollars, ne sont d’aucune valeur probante. L’expert judiciaire a lui-même écarté cette pièce comme inopérante et M. X ne lui accordait lui-même aucune valeur puisqu’il demandait quelques semaines avant le sinistre que la valeur de reconstruction soit portée à 450.000 euros.

L’expert judiciaire et les parties s’accordent pour constater que le navire est « en perte totale ».

N’étant pas parties au contrat d’assurance du bateau, le chantier naval et son assureur ne sont pas davantage tenus par la valeur dont sont convenus M. X et la société Kiln Europe en cas de sinistre avec destruction totale du bien et à laquelle se tient en tant que telle M. D sans cependant discuter cette évaluation.

Depuis que M. X a fait l’acquisition de la Marguerita en 2006 pour un prix d’achat de 190.000 US dollars, il n’a entrepris aucune restauration significative de la coque et des systèmes de propulsion, se contentant de travaux d’entretien. Par comparaison avec le prix proposé à la vente pour des vedettes classiques en bois comparables au Marguerita, elles entièrement restaurées ou en bien meilleur état (cf. pièces Drassanes Despuig n° 7 à 13 et pièce Générali W n° 10 avec annexes), en tenant compte de la baisse significative fréquemment obtenue par l’acheteur à l’issue de la négociation, il y a lieu de retenir une valeur de remplacement de 105.000 euros, soit une indemnité de 70.000 euros après application du partage de responsabilité.

Par ailleurs, M. X n’est fondé à réclamer dans les mêmes proportions que le remboursement de la facture du 30 août 2012, soit à lui revenir la somme de 5.271,63 euros (7.907,45 euros x 2/3). En effet, seule cette dépense d’entretien s’avère être en lien direct de causalité avec le sinistre à indemniser.

Enfin, le retentissement psychologique médicalement attesté comme étant en relation avec la perte irrémédiable d’un bateau à l’entretien duquel M. X consacrait toutes ses économies, mais aussi les circonstances particulières du « naufrage », justifient de lui accorder une indemnité de 5.000 euros pour parfaite réparation de son préjudice moral, ce montant tenant compte de ce qu’il a lui-même partiellement contribué à la survenance du dommage.

Ces divers dommages et intérêts de nature contractuelle produiront intérêts selon les règles de droit espagnol.

Sur les frais et dépens

L’équité commande de laisser à la charge des sociétés Kiln Europe et Pantaenius les frais irrépétibles qu’elles ont exposé et d’allouer une somme de 5.000 euros à M. X par application de l’article 700 du code de procédure civile.

Le chantier naval Despuig et son assureur qui succombent, pour l’essentiel, supporteront la charge des entiers dépens ainsi que de leurs propres frais irrépétibles. Ces dépens comprendront les frais d’expertise judiciaire et ceux de l’instance en référé devant le président du tribunal de grande instance de Paris, dans la mesure où cette instance et la mesure d’instruction qui s’ensuivit ont préparé celle dont le tribunal est présentement saisi.

Sur l’exécution provisoire

L’ancienneté du litige justifie d’assortir ce jugement du bénéfice de l’exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire au sens de l’article 515 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

Statuant par jugement réputé contradictoire, susceptible d’appel, rendu par mise à disposition au greffe ;

Déboute les défenderesses de leur demande en nullité, subsidiairement en inopposabilité, des opérations d’expertise judiciaire conduites par M. AO-AP D et du rapport qu’il a déposé le 13 avril 2015 ;

Ecarte des débats la pièce n° 40 en demande comme n’ayant pas été régulièrement obtenue ;

Dit que les relations contractuelles entre M. X et la société Drassanes Despuig sont soumises à la loi espagnole ;

Rejette l’exception de prescription de l’action engagée par M. X à l’encontre de la société Drassanes Despuig ;

Déclare la société Drassanes Despuig responsable par sa faute, dans la proportion de 2/3, de l’envahissement d’eau survenu en Méditerranée dans la nuit du 23 au 24 avril 2013 qui a provoqué la perte totale de la vedette Marguerita propriété de M. X ;

Dit que M. X a contribué à ce sinistre en proportion de 1/3 ;

Condamne in solidum la société Drassanes Despuig et la société Generali W à payer à M. X la somme de totale de 80.271,63 euros se décomposant comme suit, application déjà faite du partage de responsabilité :

• 70.000 euros pour réparation du préjudice consistant en la valeur de remplacement du bateau ;

• 5.271,63 euros pour remboursement de la facture de travaux du 30 août 2012 ;

• 5.000 euros pour réparation de son préjudice moral ;

Dit que ces sommes produisent intérêts selon les règles de droit espagnol ;

Décharge à sa demande la société Kiln Europe de son obligation de garantie au titre de l’assurance souscrite par M. X pour la vedette Marguerita ;

Déboute M. X de l’intégralité de ses demandes envers les sociétés Kiln Europe et Pantaenius ;

Rejette en équité les demandes présentées par les sociétés Kiln Europe, Pantaenius, Drassanes Despuig et Generali W tendant à la prise en charge de leurs frais irrépétibles ;

Condamne in solidum les sociétés Drassanes Despuig et Generali W :

• à payer à M. X la somme de 5.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

• aux entiers dépens comprenant ceux de la présente instance, ceux des instances en référé devant le président du tribunal de grande instance de Paris et les frais d’expertise judiciaire ;

Autorise la Selarl OPB Avocats et Me AA AB qui en font la demande à recouvrer, aux conditions de l’article 699 du code de procédure civile, ceux des dépens dont ils ont fait l’avance ;

Prononce l’exécution provisoire intégrale de ce jugement.

Fait et jugé à Paris le 30 Janvier 2018

Le Greffier Le Président

M. AK AL AM

1:

[…]

exécutoires (avocats)

délivrées le:

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Tribunal de grande instance de Paris, 5e chambre 1re section, 30 janvier 2018, n° 15/07297