Tribunal de grande instance de Paris, 18 février 2019, n° 19/51499

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 18 févr. 2019, n° 19/51499
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 19/51499

Texte intégral

T R I B U N A L D E GRANDE I N S T A N C E D E P A R I S

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 18 février 2019 N° RG 19/51499 – N° Portalis 352J-W-B7D-CO2FZ par D E, Vice-Président au Tribunal de Grande Instance de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, N° : 1/MP Assisté de XXXXXXXXXXX, Greffier. Assignation du : 31 Janvier 2019 1

DEMANDEUR

Monsieur X Y

représenté par Me Emmanuel MERCINIER-PANTALACCI, avocat au barreau de PARIS – #G0190

DÉFENDERESSES

S.A.S. MANDARIN PRODUCTION représentée par Maîtres Paul-Albert IWEINS et Benoît GOULESQUE MONAUX, avocats au barreau de PARIS – #J0010

S.A.S. FRANCE 3 CINEMA représentée par Maîtres Paul-Albert IWEINS et Benoît GOULESQUE MONAUX, avocats au barreau de PARIS – #J0010

S.A.S. MARS FILM représentée par Maîtres Paul-Albert IWEINS et Benoît GOULESQUE MONAUX, avocats au barreau de PARIS – #J0010

DÉBATS

A l’audience du 15 Février 2019, tenue publiquement, présidée par D E, Vice-Président, assisté de XXXXX, Greffier,

Copies exécutoires délivrées le:

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Nous, Président,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

Vu l’assignation en référé d’heure à heure, délivrée le 31 janvier 2019, à la société MANDARIN PRODUCTION, à la société FRANCE 3 CINEMA et à la société MARS FILM, à la requête de X Y, qui nous demande, au visa de l’article 485 du code de procédure civile, de l’article 6 paragraphe 2 de la convention européenne des droits de l’homme, des articles 9 et 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et des articles 9 et 9-1 du code civil :

- d’ordonner la suspension de toute diffusion du film “Grâce à Dieu”, quelle qu’en soit la modalité, jusqu’à l’intervention d’une décision de justice définitive sur la culpabilité de X Y pour les faits sur lesquels porte l’information judiciaire ouverte au tribunal de grande instance de Lyon sous le numéro JICABJI1316000011,

- d’ordonner l’insertion dans chaque copie et avant le début du film d’une mention décrivant précisément la décision de justice définitive sur les faits reprochés au demandeur sur lesquels porte l’information judiciaire, en ce compris, le cas échéant, l’ordonnance définitive de non-lieu rendue par la juridiction d’instruction, subsidiairement,

- d’ordonner la suppression dans les copies diffusées en France de toute mention écrite ou orale de X Y,

- d’ordonner l’insertion dans chaque copie et avant le début du film d’une mention rappelant que les faits décrits dans le film n’ont pas été jugés et que la culpabilité du mis en cause n’est pas établie, celui-ci étant du reste présumé innocent,

- d’ordonner l’insertion dans chaque copie et avant le début du film d’une mention décrivant précisément la décision de justice définitive, en ce compris, le cas échéant, l’ordonnance définitive de non-lieu rendue par la juridiction d’instruction, en toute hypothèse,

- d’assortir la décision d’une astreinte de 100.000 euros par copie diffusée en méconnaissance des dispositions du jugement à intervenir,

- de condamner les sociétés défenderesses au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

- de les condamner solidairement aux dépens et frais de l’instance,

Vu les conclusions en réponse, déposées à l’audience du 15 février 2019, des sociétés MANDARIN PRODUCTION, MARS FILM et FRANCE 3 CINEMA, qui nous demandent :

- de mettre hors de cause la société FRANCE 3 CINEMA,

- de débouter le demandeur de l’ensemble de ses demandes,

- de le condamner à verser à chacune des sociétés la somme de 4.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

- de le condamner aux dépens,

Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 15 février 2019.

A l’issue de l’audience, il a été indiqué aux conseils des parties que la présente décision serait rendue le 18 février 2019, par mise à disposition au greffe.

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Sur la mise hors de cause de la société FRANCE 3 CINEMA :

La société FRANCE 3 CINEMA n’a pas, compte tenu des éléments versés aux débats, participé à la production du film litigieux, ce point n’apparaissant pas contesté en demande.

Aussi, cette société sera mise hors de cause.

Sur les demandes :

L’article 809 du code de procédure civile dispose que le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L’article 9 du code civil indique que chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du préjudice subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.

La diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est toutefois pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée.

Il résulte de l’article 6 paragraphe 2 de la convention européenne des droits de l’homme que toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. L’article 9-1 du code civil dispose en outre que chacun a droit au respect de la présomption d’innocence.

Ainsi, lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.

L’atteinte à la présomption d’innocence suppose, pour être caractérisée, que la diffusion litigieuse contienne des conclusions définitives, manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité.

Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme.

A cet égard, la liberté d’expression ne peut être soumise qu’à des ingérences que dans les cas où celles-ci, prévues par la loi et poursuivant un but légitime dans une société démocratique, constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l’exercice de cette liberté.

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Spécialement, s’agissant d’une oeuvre de l’esprit dont le retrait est demandé, même à titre temporaire, avant sa diffusion, le demandeur doit démontrer le risque d’une atteinte grave et manifeste à ses droits, ne pouvant être réparée par une autre mesure.

En l’espèce, il faut rappeler à titre liminaire que doit sortir, le mercredi 20 février 2019, un film intitulé “Grâce à Dieu”, réalisé par Z A.

Le film évoque le combat de victimes d’actes de pédophilie, dans le cadre de faits reprochés à X Y, prêtre, en utilisant les prénom et nom du demandeur.

Il est constant que X Y est actuellement mis en examen des chefs d’attentat à la pudeur commis avec violence ou surprise sur mineurs de 15 ans et d’atteintes sexuelles avec contrainte, menace ou surprise. Il est en outre témoin assisté du chef de viol (pièces 1 et 2 en demande).

La procédure pénale est, à ce jour, au stade des avis de fin d’information, délivrés le 29 novembre 2018, en application des dispositions de l’article 175 du code de procédure pénale (pièce 2 en demande).

Sur ce, il convient de constater :

- que, s’agissant des violations alléguées de l’article 9 du code civil, l’affaire mettant en cause X Y a rencontré un vif écho médiatique, comme en atteste le nombre d’articles de presse parus (pièce 11 en défense) ;

- que les défenderesses produisent des captures d’écran du site de l’association LA PAROLE LIBEREE (pièces 4 à 6), qui montrent que des témoignages de personnes qui exposent avoir été victimes ont été diffusés publiquement et largement ;

- qu’en outre, B C, archevêque de Lyon, et certains de ses collaborateurs, ont été cités pour non dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs, affaire actuellement en cours de délibéré et qui a donné lieu à une audience devant le tribunal correctionnel fortement médiatisée du 07 au 09 janvier 2019 ;

- que des livres ont par ailleurs paru sur les faits en cause ou sur le comportement supposé des archevêques successifs de Lyon (pièces 23, 20 et 24 des sociétés défenderesses) ;

- que, dans ces conditions, le demandeur, qui ne précise d’ailleurs pas quels éléments de sa vie privée seraient portés à la connaissance du public par la diffusion du film, ne démontre pas en quoi le rappel d’une affaire pénale, déjà largement exposée au public, ayant donné lieu à un procès parallèle du chef de non dénonciation, serait de nature à exposer des faits qui ne sont pas notoirement connus ;

- que, concernant l’atteinte à la présomption d’innocence, la première condition d’application des dispositions de l’article 9-1 du code civil est remplie, à savoir que X Y est bien mis en examen dans une procédure pénale en cours ;

- que les défenderesses font valoir que le film, versé aux débats en

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son intégralité, est centré sur la libération de la parole des victimes de pédophilie et non sur l’affaire impliquant X Y ;

- qu’à cet égard, il importe peu, contrairement à ce qui est allégué en défense, que le sujet du film ne soit pas la procédure pénale en cause, l’atteinte à la présomption d’innocence étant caractérisée dès lors que les éléments rappelés de l’affaire pénale démontrent un préjugé tenant pour acquise la culpabilité du demandeur ;

- que le film, qui évoque le parcours de trois personnages présentés comme des victimes de X Y (“Alexandre”,

Z”, “Emmanuel”), et leurs évolutions respectives, a nécessairement pour conséquence de rappeler l’existence des faits pour lesquels X Y a été mis en examen, dans des circonstances telles que la réalité des faits n’apparaît pas contestable, même s’il est aussi constant qu’il ne s’agit pas d’un documentaire visant à présenter l’affaire pénale ;

- que, contrairement à ce qui est indiqué en défense, la circonstance que X Y aurait largement reconnu les faits, en demandant pardon, est indifférente ; que l’article 9-1 du code civil, qui vise à garantir le caractère équitable de la procédure pénale et la sérénité des débats judiciaires, ne suppose pas que la personne concernée conteste les faits, dans la mesure où cet article doit permettre, quelle que soit la position de la personne mise en cause sur les faits, position qui peut en outre évoluer, de ne pas voir diffuser des informations qui font de sa culpabilité un acquis alors même qu’elle est présumée innocente jusqu’à condamnation ;

- que, cependant, le film comporte plusieurs cartons ; qu’en début de film, un carton précise “Ce film est une fiction, basée sur des faits réels” tandis qu’en fin de film, trois cartons diffusés indiquent

Le père Y est présumé innocent jusqu’à son procès” ; “Le cardinal C et cinq autres membres du diocèse de Lyon ont comparu en janvier 2019 pour non dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs de moins de 15 ans et omission de porter secours. Le jugement sera rendu le 7 mars 2019. Ils sont présumés innocents” ; “Le 3 août 2018 la prescription est passée de 20 à 30 ans dès la majorité des victimes” ;

- que, dès lors, les spectateurs sont informés, à l’issue du film, du principe de la présomption d’innocence dont bénéficie, comme toute personne, X Y ; que cette mesure, effectuée d’office par les défenderesses, vient ainsi rappeler que la personne mise en cause, qui n’a pas été condamnée, est toujours à ce jour innocente, répondant ainsi à l’objectif de l’article 9-1 du code civil qui commande de ne pas présenter comme acquise la culpabilité ;

- que cette information vient juste à la fin du film, et avant le générique, ce qui permet l’information de tous les spectateurs assistant à la séance ;

- que doit aussi être pris en compte le fait qu’au jour de la sortie prévue du film, soit le 20 février 2019, l’éventuel procès de X Y n’est ni fixé, ni même prévu à une date proche, puisqu’il est seulement établi que l’avis de l’article 175 a été délivré ; qu’en toute hypothèse, aucun délai strict n’encadre, pour une personne placée sous contrôle judiciaire, la date d’un futur procès ; que, dans ces circonstances, la sortie du film à la date prévue n’est pas de nature à constituer une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la nécessité d’assurer la sérénité des débats devant le juge pénal, étant observé qu’il en irait

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autrement si la sortie du film devait coïncider avec les débats judiciaires ;

- que les mesures sollicitées en demande doivent aussi être strictement nécessaires et proportionnées ;

- que la mesure visant ainsi à retarder la sortie du film, jusqu’à l’issue définitive de la procédure pénale mettant en cause X Y, pourrait à l’évidence conduire, compte tenu des divers recours possibles (chambre de l’instruction, tribunal correctionnel, chambre des appels correctionnels, cour de cassation), à ne permettre sa sortie que dans plusieurs années, dans des conditions telles qu’il en résulterait une atteinte grave et très disproportionnée au principe de la liberté d’expression et à la liberté de création, un tel décalage aboutissant, de fait, à une impossibilité d’exploiter le film, oeuvre de l’esprit ; que cela créerait aussi des conditions économiques d’exploitation non supportables ;

- que la mesure qui tendrait à voir supprimer les mentions, dans les copies, des prénom et nom du demandeur apparaît également disproportionnée, compte tenu des conséquences sur l’exploitation du film en l’état à la date du 20 février 2019, et au demeurant non nécessaire, ce simple changement n’étant pas de nature à empêcher l’identification évidente de X Y comme auteur des supposés faits ;

- que la demande visant à l’insertion d’une mention avant le début du film n’apparaît pas non plus nécessaire et proportionnée, compte tenu des cartons déjà présents dans le film et rappelés ci- avant.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, les demandes de X Y seront rejetées, les éléments déjà connus du public, les rappels faits à la fin dans le film et le caractère très disproportionnée et non nécessaire, dans une société démocratique, des demandes formées commandant de ne pas faire droit aux prétentions, d’autant plus devant le juge des référés, juge de l’évidence, ce alors même que la date de l’éventuel procès de X Y n’est pas fixée à court terme.

La présente décision ne préjudicie évidemment pas d’éventuelles demandes indemnitaires qui pourraient être formées par le demandeur.

Les circonstances de l’espèce et la situation des parties ne justifient pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le demandeur sera enfin condamné aux dépens, la présente décision étant de plein droit assortie de l’exécution provisoire.

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PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,

Mettons hors de cause la société FRANCE 3 CINEMA,

Déboutons X Y de ses demandes,

Déboutons les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons X Y aux dépens,

Constatons l’exécution provisoire de droit de la présente décision,

Fait à Paris le 18 février 2019

Le Greffier, Le Président,

XXXXX D E

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Tribunal de grande instance de Paris, 18 février 2019, n° 19/51499