Tribunal judiciaire de Paris, 8 août 2023, 23/54895

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, ct0760, 8 août 2023, n° 23/54895
Numéro(s) : 23/54895
Importance : Inédit
Identifiant Légifrance : JURITEXT000048389782

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

No RG 23/54895 – No Portalis 352J-W-B7H-CZUKB

No : 1/MC

Assignation du :
14 Juin 2023

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 08 août 2023

par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Marion COBOS, Greffier. DEMANDEUR

Monsieur [D] [N]
[Adresse 2]
[Localité 4]

représenté par Me Georges YANA, avocat au barreau de PARIS – E0428

DEFENDERESSE

Société NETFLIX SERVICES FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentée par Maître Charles BOUFFIER de la SELARL RACINE, avocat au barreau de PARIS – #L0301

DÉBATS

A l’audience du 03 Juillet 2023, tenue publiquement, présidée par Nathalie SABOTIER, 1ère vice-présidente adjointe, assistée de Marion COBOS, Greffier, avis a été donné aux parties que la décision serait rendue le 4 août 2023, prorogé au 8 août 2023.

EXPOSÉ DU LITIGE :

1. M. [D] [N], dit [T] [F], se présente comme l’auteur du « scenario » d’une « oeuvre audiovisuelle » (d’une durée de 3 minutes) ayant pour titre « Franko Fragmentum », cette dernière ayant été mise en ligne sur un lien privé non répertorié de la plateforme YouTube le 20 décembre 2019 sous l’intitulé « Franko Fragmentum Demo ». Il expose avoir adressé à la société Netflix France le 2 novembre 2021, le dossier de production correspondant à cette oeuvre et comprenant, notamment, le scenario d’un film de long métrage (film musical hip-hop) ou d’une mini série de 20 épisodes, portant sur l’histoire d’un homme dont la fiancée, Eurydice, a été assassinée et faisant la rencontre d’une femme sauvée de la mort par la greffe du coeur d’Eurydice.

2. M. [N] expose encore avoir découvert que la société Netflix Inc. avait produit une série en 14 épisodes de 45 minutes environ ayant pour titre « Palpito » ou « En un battement », que cette société résume ainsi : « Un homme déterminé à se venger de l’organisation de trafic d’organes responsable de la mort de son épouse s’éprend de la femme ayant reçu le coeur de cette dernière. »

3. Estimant que la série « Palpito » constituait une contrefaçon de ses droits d’auteur portant sur l’oeuvre « Franko Fragmentum », M. [N] a, par l’intermédiaire de son conseil, mis en demeure la société Netflix Inc. d’en cesser la diffusion, notamment, par une lettre du 10 mars 2023. Cette mise en demeure étant restée sans effets, M. [N] a, par acte d’huissier du 14 juin 2023 fait assigner la société Netflix Services France devant le délégataire du président de ce tribunal, auquel il demande d’interdire la diffusion de la saison 1 de la série « Palpito », sous astreinte, de la condamner à lui payer une provision d’un montant de 20 millions d’euros outre la somme de 150 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et d’ordonner la publication de la présente décision.

4. A l’audience du 3 juillet 2023, M. [N] a confirmé les termes de son assignation. Il relève que ce sont les services de Netflix Services France elle-même qui ont qualifié son travail d’ « original » ; il invoque comme « originaux » les éléments suivants (ses conclusions pages 12 à 14) : une série de plusieurs épisodes, en français et en espagnol, tirée de son vécu personnel (le décès brutal de sa compagne) et basée sur « le mythe d’Orphée mis à jour » (si Orphée essaie de ramener à la vie Eurydice, Franko lui essaie de la rejoindre en se suicidant) ; la place des personnages féminins correspond aux tests de Beschdel et de Mako Mori (le projet ne sur-représente pas les protagonistes masculins) ; le personnage féminin principal se prénomme Camilla et l’épisode pilote comporte un plan sur une poitrine présentant une cicatrice verticale. Le demandeur énumère ensuite 16 éléments de similitude : Palpito est une série, le héros, Simon, tombe amoureux de Camilla, la femme d’un homme riche, qui a survécu grâce au coeur de sa femme assasinée ; la bande-annonce de la série comporte un plan sur une poitrine présentant une cicatrice verticale ; il relève ensuite plus d’une dizaine d’autres similitudes dans les trames narratives des deux projets.

5. M. [N] conclut enfin au rejet de la demande reconventionnelle de la société Netflix Services France, soutenant avoir agi dans les limites de la liberté d’expression.

6. La société Netflix Services France conclut quant à elle à la nullité de l’assignation, faute pour le demandeur d’identifier clairement l’oeuvre dont il sollicite la protection (scenario, vidéo « Franko Fragmentum Demo » ?) et ses prétendues caractéristiques originales ; elle conclut également à l’irrecevabilité des demandes en ce qu’elles sont dirigées contre la société Netflix Services France dont l’activité se limite à la commercialisation des abonnements auprès du public français, les activités éditoriales du groupe étant exercées pour le territoire européen par la société Netflix International Bv. Elle conclut enfin à l’absence de trouble manifestement illicite rappelant que la série est diffusée depuis avril 2022, que la production de la série a débuté en janvier 2020, soit bien avant la date à laquelle elle aurait eu connaissance du projet du demandeur ; que ses équipes sud-américaines, qui ont produit la série « Palpito », n’ont selon elle jamais eu accès au projet de M. [N], tandis que les seuls éléments communs entre le projet de ce dernier et la série « Palpito » sont des idées banales et de libre parcours, en particulier le thème de la rencontre amoureuse entre une personne transplantée et l’ancien conjoint du donneur d’organe.

7. Reconventionnellement, la société Netflix Services France sollicite la condamnation de M. [N] à cesser sous astreinte ses agissements dénigrants consistant à la présenter comme contrefactrice de son « oeuvre », alors même qu’aucune décision judiciaire ne l’a retenu.

MOTIFS DE LA DÉCISION

8. Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens.

1o) Sur la nullité de l’assignation

9. Selon l’article 56 du code de procédure civile, l’assignation contient à peine de nullité, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice et celles énoncées à l’article 54, un exposé des moyens en fait et en droit. Selon l’article 115 du même code toutefois, la nullité est couverte par la régularisation ultérieure de l’acte si aucune forclusion n’est intervenue et si la régularisation ne laisse subsister aucun grief.

10. Il est constamment jugé au visa de ces textes qu’il incombe aux demandeurs qui agissent en contrefaçon de droits d’auteur d’indiquer clairement et précisément dans leur assignation :
 – les éléments sur lesquels des droits d’auteur sont revendiqués,
 – les éléments qu’ils considèrent comme ayant été reproduits au mépris de ces droits.

11. Il a ainsi été jugé qu’ayant relevé que l’assignation en contrefaçon de modèles de bijoux et en concurrence déloyale du chef de la vente des produits contrefaisants, renvoyait simplement aux photographies annexées des modèles opposés et souverainement estimé que la seule lecture de la liste des pièces jointes ne permettait pas de déterminer la nature et le nombre des articles incriminés, une cour d’appel a pu retenir, d’une part, que les caractéristiques de chacun des modèles revendiqués au titre du droit d’auteur n’étaient pas définies et, d’autre part, que les modèles argués de contrefaçon n’étaient ni décrits ni même identifiés. Elle en a exactement déduit que le demandeur avait failli dans l’exposé des moyens relatifs à la protection dont il sollicitait le bénéfice et aux agissements qu’il incriminait pour rechercher la responsabilité du défendeur au titre d’actes de contrefaçon et de concurrence déloyale. (Cass. Civ.1ère, 5 avril 2012, pourvoi no 11-10.463, Bull. 2012, I, no 83)

12. Force est en l’occurrence de constater que le demandeur identifie l’oeuvre sur laquelle il revendique des droits : il s’agit du scenario dialogué ayant pour titre « Franko Fragmentum » qu’il verse aux débats sous sa pièce no1. Il en décrit dans les conclusions remises à l’audience les caractéristiques selon lui originales.

13. Il en résulte qu’il est satisfait aux exigences de l’article 56 du code de procédure civile. Le moyen tiré de la nullité de l’assignation est écarté.

2o) Sur l’irrecevabilité des demandes en tant qu’elles sont dirigées contre la société Netflix Services France

14. Aux termes de l’article 32 du code de procédure civile, est irrecevable toute prétention émise contre une personne dépourvue du droit d’agir.

15. Selon l’extrait Kbis de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, l’activité de la société défenderesse est limitée à la vente, la distribution et la promotion des services Netflix en ce compris les services d’abonnements mondiaux permettant d’accéder à des produits de divertissements numériques (films, séries, jeux vidéos) par le biais d’Internet et toutes les activités liées notamment au marketing, à la connaissance des consommateurs, au développement commercial, aux relations publiques et à d’autres services de soutien.

16. M. [N], qui ne conclut pas sur ce point, n’apporte pas d’éléments établissant le caractère erroné des mentions du registre et, en particulier, que l’objet de la société Netflix Services France serait plus large.

17. Il en résulte que la société Netflix Services France n’a pas d’activité d’édition ou de production de contenus pour la plateforme exploitée par le groupe, à la différence de la société Netflix International Bv, qui elle exerce en Europe une telle activité de production audiovisuelle. La société Netflix Services France n’a donc pas qualité à défendre ici.

18. Les demandes de M. [N] sont donc irrecevables.

19. A titre surabondant, il est en tout état de cause relevé que les éléments prétendument reproduits par la série « Palpito » sont de simples idées (en particulier la « trame » narrative, le prénom Camilla, cf. Les pièces Netflix no16 et 17), ou relèvent du fonds commun du cinéma (la cicatrice sur la poitrine, cf. La pièce Netflix no22), tous éléments inappropriables, tandis que les éléments éventuellement originaux du projet de M. [N] ne sont pas reproduits dans la série en 24 épisodes « Palpito ». Il est rappelé à cet égard que les idées sont de « libre parcours » (Cass. Civ 1ère, 22 juin 2017, pourvoi no 14-20.310, Bull. 2017, I, no 152) et que seule la forme sous laquelle elles sont exprimées est susceptible de leur conférer le statut d’oeuvre de l’esprit bénéficiant de la protection par le droit d’auteur (Cass. Civ. 1ère, 17 juin 2003, Bull. 2003, I, no 148 ; Cass. Civ. 1ère, 29 octobre 2005, Bull. 2005, I, no 458 ; Cass. Civ. 1ère, 5 juillet 2006, pourvoi no 04-18.336, 04-16.687), car le droit d’auteur n’a vocation à protéger qu’une forme sensible, c’est à dire perceptible par les sens et précisément identifiable (Cass. Civ. 1ère, 13 novembre 2008, Bull. 2008, I, no 258 ; Cass. Com., 10 décembre 2013 , pourvoi no 11-19.872) et sous réserve évidemment que l’auteur caractérise l’originalité de son oeuvre, c’est à dire les éléments révélant l’empreinte de sa personnalité (Cass. Civ. 1ère, 12 juillet 2006, pourvoi no 05-17.555, Bull. 2006, I no 400 ; Cass. Civ. 1ère, 14 février 2008, pourvoi no 07-12.176, Bull. 2008, I, no 52 ; Cass. Com., 9 mars 2010, pourvoi no 08-17.167, Bull 2010, IV, no47) ou une « touche personnelle » et des choix libres et créatifs (CJUE, 16 juillet 2009, Aff. C-5/08, Infopaq, § 39 ; CJUE, 1er décembre 2011, Aff. C-145/10, Painer, § 89 et 92 ; CJUE, 1er mars 2012, Aff. C-604-10, Football Dataco, § 38). Ces conditions ne sont pas remplies ici.

3o) Sur la demande reconventionnelle

20. Selon l’article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

21. Le trouble manifestement illicite désigne, notamment, toute perturbation résultant d’une violation évidente de la règle de droit.

22. A cet égard, il est constamment jugé que le fait de jeter le discrédit sur une entreprise constitue un dénigrement fautif, à moins que l’information donnée se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec mesure (Cass. Civ. 1ère, 11 juillet 2018, pourvoi no 17-21.457, Bull. 2018, I, no 136 ; Cass. Civ. 1ère, 12 décembre 2018, pourvoi no 17-31.758 ; Cass. Com., 9 janvier 2019, pourvoi no 17-18.350 ; Cass. Com., 4 mars 2020, pourvoi no 18-15.651 ; Com., 4 novembre 2020, pourvoi no 18-23.757 ; Cass. Com., 28 juin 2023, pourvoi no 22-13.442).

23. En l’occurrence, si l’information selon laquelle le groupe Netflix aurait « plagié » l’ « oeuvre » du demandeur, pourrait éventuellement être considérée comme se rapportant à un sujet d’intérêt général (l’information étant reliée à une autre accusation de plagiat par une artiste brésilienne contre la plateforme), elle est toutefois exprimée sans mesure (l’interview donnée au journal Al Watwan et parue le 8 mai 2023 évoquant, le journaliste utilisant des guillemets, de sorte qu’il s’agit des propos du demandeur, un « plagiat », un « vol ») et ne repose sur aucune base factuelle, l’accusation étant portée sans même attendre la présente décision.

24. Il est donc fait droit à la demande d’interdiction selon les modalités précisées au dispositif de la présente décision (sans qu’il y ait lieu à astreinte).

25. Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, M. [N] supportera les dépens et sera condamné à payer à la société Netflix Services France la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,

Dit irrecevables les demandes de M. [D] [N] dit [T] [F] fondées sur la contrefaçon de droits d’auteur dirigées contre la société Netflix Services France ;

Ordonne à M. [D] [N] de cesser tous actes de dénigrement à l’encontre de la société Netflix Services France;

Condamne M. [D] [N] aux dépens;

Condamne M. [D] [N] à payer à la société Netflix Services France la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que l’exécution provisoire de la présente décision ne peut être écartée.

Fait à Paris le 08 août 2023.

Le Greffier, Le Président,

Marion COBOS Nathalie SABOTIER

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Textes cités dans la décision

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