ADLC, Décision 19-D-18 du 31 juillet 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des moyens de paiement par carte bancaire

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Sur la décision

Référence :
Aut. conc., déc. n° 19-D-18 du 31 juill. 2019
Numéro(s) : 19-D-18
Textes appliqués :
462-8
Identifiant ADLC : 19-D-18
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Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Décision n° 19-D-18 du 31 juillet 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des moyens de paiement par carte bancaire L’Autorité de la concurrence (vice-présidente statuant seule), Vu la lettre, enregistrée le 17 janvier 2019 sous les numéros 19/0002 F et 19/0003 M, par laquelle la société Dstorage a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur des moyens de paiement par carte bancaire et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce ; Vu le livre IV du code de commerce ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu la décision n° 19-JU-03 du 4 juin 2019, par laquelle la présidente de l’Autorité de la concurrence a désigné Mme Irène Luc, vice-présidente, pour adopter seule la décision qui résulte de l’examen de la saisine enregistrée sous les numéros 19/0002 F et 19/0003 M ; Le rapporteur, le rapporteur général et le représentant de la société Dstorage entendus lors de la séance du 27 juin 2019, le commissaire du Gouvernement ayant été régulièrement convoqué ; Adopte la décision suivante :

Résumé1 :

Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence rejette la saisine au fond de la société Dstorage pour défaut d’éléments suffisamment probants et, par voie de conséquence, la demande de mesures conservatoires accessoire à sa saisine. La société Dstorage exploite le site internet 1fichier.com et fournit un service d’hébergement et de partage en ligne de fichiers. Elle se plaint, dans sa saisine, des refus de conclure des contrats « vente à distance » (VAD) et des résiliations brutales de ces contrats, auxquels elle a été confrontée de 2012 à 2018 de la part de prestataires de services de paiement. Elle soutient que ces mesures infondées l’empêcheraient d’exercer son activité sur le marché des services d’hébergement de fichiers dans des conditions économiques normales. Selon la saisissante, ces pratiques résulteraient des règles contractuelles des schémas quadripartites de paiement, GIE CB, Visa et Mastercard, qui s’imposent aux prestataires de services de paiement en matière de vente en ligne. En outre, les règles ainsi définies contraindraient les prestataires à mettre un terme aux relations avec des hébergeurs dont les fichiers hébergés seraient illicites, alors même que la loi française n’impose nullement un tel contrôle. L’Autorité a examiné l’objet et les effets réels ou potentiels de ces règles. Elle a estimé qu’elles constituaient bien des décisions d’associations d’entreprises au sens du droit européen de la concurrence, mais ne comportaient toutefois pas d’objet anticoncurrentiel, ne tendant pas à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché et ne présentant pas, a fortiori, un degré suffisant de nocivité pour être considérées comme des restrictions par objet, au regard, notamment, du degré réel de contrainte qu’elles instaurent concernant les relations des prestataires de services de paiement et de leurs clients, de leur objectif de lutte contre les téléchargements illicites et du contexte économique et juridique général. Elle a également écarté les allégations d’effets anticoncurrentiels des pratiques sur le marché de l’acquisition des cartes bancaires, sur lequel les prestataires de services de paiement offrent des contrats VAD aux commerçants, et sur le marché des services d’hébergement et de partage des fichiers numériques, les refus et résiliations litigieux ne résultant pas directement des règles incriminées, mais de comportements autonomes des prestataires de services de paiement, influencés par les obligations de vigilance imposées par le cadre juridique en vigueur pour lutter contre les services hébergeant des fichiers contrefaisants. Elle a, par ailleurs, considéré que la circonstance que plusieurs prestataires aient adopté un comportement identique de résiliations de contrat et de refus de contracter à l’égard de la société Dstorage ne s’explique que par un parallélisme de comportement et non par une pratique concertée. L’Autorité a donc considéré que les pratiques d’entente dénoncées par la société Dstorage n’étaient pas appuyées d’éléments suffisamment probants. Elle a porté la même appréciation sur le grief d’abus de dépendance qui faisait aussi l’objet de la saisine, faute de preuve d’une situation de dépendance de la société Dstorage à l’égard d’un quelconque des prestataires concernés.

1 Ce résumé a un caractère strictement informatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

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SOMMAIRE

I. Constatations ………………………………………………………………………… 5 A. LES ENTREPRISES CONCERNEES ET LEUR SECTEUR D’ACTIVITE ……………………….. 5 1. L’ENTREPRISE SAISISSANTE ………………………………………………………………………………. 5 2. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE …………………………………………………………………….. 6 a) Les schémas de paiement quadripartites …………………………………………………. 6 b) Les établissements de crédit ……………………………………………………………………. 6 c) Les autres prestataires de services de paiement ……………………………………….. 7 3. LE SECTEUR ……………………………………………………………………………………………………… 7 a) Le secteur des services de paiement pour le commerce électronique …………. 7 b) Le cadre juridique ………………………………………………………………………………….. 8 4. LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET INSTITUTIONNEL DES SERVICES D’HEBERGEMENT ET DE PARTAGE DE FICHIERS ……………………………………………………………………………………… 9 a) Dstorage est considérée comme un acteur majeur du téléchargement illicite de fichiers ………………………………………………………………………………………………….. 9 b) La dénonciation du rôle joué par les prestataires de services de paiement dans le fonctionnement des sites contrefaisant le droit d’auteur …………………… 9 c) Les initiatives des pouvoirs publics pour inciter les intermédiaires du paiement à lutter contre la diffusion de contenus contrefaisants …………………. 10 États-Unis ……………………………………………………………………………………………… 11 Union européenne …………………………………………………………………………………. 11 France ………………………………………………………………………………………………….. 11 B. LES PRATIQUES DENONCEES ……………………………………………………………………………………. 12 1. UNE ENTENTE AYANT POUR SUPPORT LES SCHEMAS QUADRIPARTITES DE PAIEMENT . 12 2. UN ABUS DE L’ETAT DE DEPENDANCE ECONOMIQUE DE DSTORAGE DE LA PART DES PRESTATAIRES DE SERVICES DE PAIEMENT ……………………………………………………………….. 13 II. Discussion …………………………………………………………………………. 14 A. SUR LES MARCHES PERTINENTS ……………………………………………………………………………… 14 B. SUR L’ENTENTE ALLEGUEE ………………………………………………………………………………………. 15 1. SUR L’OBJET …………………………………………………………………………………………………… 16 a) Les règles de Visa …………………………………………………………………………………. 16 b) Les règles de Mastercard ………………………………………………………………………. 17 c) Les règles du GIE CB ……………………………………………………………………………. 17 d) Les conclusions de l’Autorité sur l’objet de ces règles ……………………………. 17 2. SUR LES EFFETS ………………………………………………………………………………………………. 18 a) Sur le marché de l’acquisition ……………………………………………………………….. 19

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b) Sur le marché des services d’hébergement et de partage de fichiers numériques ………………………………………………………………………………………………. 20 C. SUR L’ABUS D’UN ETAT DE DEPENDANCE ECONOMIQUE …………………………………….. 20 III. Conclusion ………………………………………………………………………… 21 DÉCISION …………………………………………………………………………………………………………. 22

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I. Constatations 1. Par lettre du 16 janvier 2019 enregistrée le 17 janvier 2019 sous le numéro 19/0002 F, la société Dstorage (ci-après « Dstorage ») a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») de pratiques mises en œuvre dans le secteur des moyens de paiement par carte bancaire à l’encontre du Groupement des Cartes Bancaires (ci-après « le GIE CB »), Visa, Mastercard, ainsi que de trente-trois banques et autres prestataires de services de paiement. La saisine a été précédée de deux envois préalables de pièces, les 10 septembre et 3 décembre 2018. La saisissante a, en outre, adressé à l’Autorité une note et des pièces complémentaires le 3 juin 2019. 2. La saisissante, entreprise active dans le secteur du commerce électronique, expose avoir été confrontée, depuis 2015, à un grand nombre de refus de contracter ou de ruptures unilatérales de contrat de la part de prestataires de services de paiement. Elle soutient que ces refus et ruptures, qui l’ont privée d’une solution de paiement « vente à distance » (VAD) indispensable à son activité d’hébergement de fichiers, constituent des pratiques anticoncurrentielles au sens des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce. 3. Accessoirement à sa saisine au fond, la saisissante a sollicité le prononcé de mesures conservatoires, sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce, en demandant à l’Autorité d’ordonner à un ou plusieurs prestataires de services de paiement, ou au GIE CB, de lui proposer un contrat « vente à distance » à des conditions normales de marché. Cette demande a été enregistrée le 17 janvier 2019 sous le numéro 19/0003 M. A. LES ENTREPRISES CONCERNEES ET LEUR SECTEUR D’ACTIVITE 1. L’ENTREPRISE SAISISSANTE 4. Dstorage est une société par actions simplifiée unipersonnelle située à La Chapelle-aux- Bois (88). Elle exploite le site internet 1fichier.com (ci-après « 1Fichier »), qui fournit un service d’hébergement et de partage en ligne de fichiers, s’appuyant sur un réseau de diffusion de contenus, service qu’elle décrit comme « largement similaire » à ceux proposés par Google (Google Drive), Amazon (service Amazon S3) et Dropbox. Ce type de service est parfois désigné, dans le lexique de l’économie numérique, par le terme de « cyberlocker », néologisme d’origine américaine exprimant d’idée d’un « casier numérique », dans lequel l’utilisateur peut consigner des fichiers en vue de les conserver ou de les partager (voir paragraphes 38, 45, 86 et 87). 5. Pour l’accès à ce service, Dstorage propose des offres gratuites ainsi que des offres payantes. 6. Selon une étude de 2013 réalisée par le Département Recherches, Études et Veille de l’Hadopi (« Qualification et quantification des contenus présents sur des plateformes de téléchargement direct »), les fichiers hébergés par 1Fichier sont très majoritairement des vidéos (62 % en nombre de fichiers et 70 % en espace disque occupé en 2013), ou des extraits de films et des épisodes de séries ou de séries d’animation.

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7. Les autres catégories principales de fichiers hébergés sont constituées, d’une part, de logiciels (9 % en nombre et 12 % en espace disque), correspondant très majoritairement à des parties de jeu vidéo ou jeux vidéo complets, et, d’autre part, de documents, correspondant à 78 % de livres (tant en nombre de fichiers qu’en espace disque occupé). 2. LES ENTREPRISES MISES EN CAUSE a) Les schémas de paiement quadripartites 8. La saisine met en cause trois schémas de cartes de paiement quadripartites, au sens du règlement (UE) 2015/751 du 29 avril 2015 relatif aux commissions d’interchange pour les opérations de paiement liées à une carte. Chacune des entités concernées, soit le GIE CB, Mastercard et Visa, organise et est responsable du fonctionnement d’un schéma de paiement, constitué d’un ensemble de règles, pratiques, normes et lignes directrices de mise en œuvre, régissant l’exécution d’opérations de paiement par carte. 9. Les schémas sont dits « quadripartites » en ce que les opérations qu’ils permettent font intervenir quatre personnes : les opérations sont effectuées du compte de paiement d’un payeur sur le compte de paiement d’un bénéficiaire, par l’intermédiaire d’un émetteur (pour le payeur) et d’un acquéreur (pour le bénéficiaire). Acquéreur et émetteur sont des prestataires de services de paiement (banques ou établissements non bancaires). 10. L’acquéreur s’engage par contrat avec un bénéficiaire en vue d’accepter et de traiter les opérations de paiement liées à une carte, qui donnent lieu à un transfert de fonds vers ce bénéficiaire. L’émetteur quant à lui s’engage par contrat à mettre à la disposition d’un payeur un instrument de paiement, afin d’initier et de traiter les opérations de paiement liées à une carte effectuées par ce dernier. 11. Des accords de « cobadgeage » entre schémas permettent qu’une carte émise dans un schéma donné puisse être utilisée pour des transactions dans d’autres schémas. 12. Le GIE CB est un groupement d’intérêt économique réunissant, en deux collèges distincts, des banques et autres prestataires de services de paiement (collège A), ainsi que des émetteurs de cartes Titres Restaurant Dématérialisés (collège B). Il a pour objet à titre principal « la mise en œuvre, au profit de ses membres, d’un ensemble de moyens techniques, administratifs, juridiques, financiers, de personnel ou autres, nécessaires pour assurer [notamment] la mise en œuvre d’un schéma cartes « CB » interbancaire et la réalisation d’opérations « CB », quels que soient le facteur de forme et l’environnement d’acceptation ». 13. Mastercard France est une société par actions simplifiée à associé unique appartenant au groupe Mastercard, dont la maison mère, Mastercard International Incorporated, a son siège social aux États-Unis, dans l’État de New York (ci-après « Mastercard »). 14. Visa Europe Limited est une société de droit anglais dont le siège social est situé à Londres, filiale à 100 % de Visa Incorporated, société américaine dont le siège social est situé en Californie (ci-après « Visa »). Elle dispose d’une succursale française située à Paris. b) Les établissements de crédit 15. La saisine met en cause huit sociétés françaises du secteur bancaire, soit six établissements de crédit agréés en tant que tels par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

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(ci-après « l’ACPR ») et deux sociétés qualifiées par le code monétaire et financier « d’organes centraux » représentant, auprès de la Banque de France et de l’ACPR, les établissements de crédit qui leur sont affiliés. 16. Banque Populaire Caisse d’Epargne est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social est situé à Paris. Elle constitue, conformément à l’article L. 511-30 du code monétaire et financier, l’organe central des caisses d’épargne et des banques populaires. 17. BNP Paribas est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social est situé à Paris. 18. CIC (Crédit Industriel et Commercial) est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social est situé à Paris. 19. Crédit Coopératif est une société coopérative anonyme de banque populaire à capital variable au sens des articles L. 512-1 et suivants du code monétaire et financier. Son siège social est situé à Nanterre. 20. Crédit Agricole est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social est situé à Montrouge. Elle constitue, conformément à l’article L. 511-30 du code monétaire et financier, l’organe central des caisses régionales de crédit agricole. 21. Crédit Lyonnais (nom commercial « LCL – Le Crédit Lyonnais ») est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social est situé à Lyon. 22. La Banque Postale est une société anonyme à directoire et à conseil de surveillance dont le siège social est situé à Paris. 23. Société Générale est une société anonyme à conseil d’administration dont le siège social est situé à Paris. 24. À l’exception du CIC, du Crédit Coopératif et du Crédit Lyonnais, les sociétés précitées ont la qualité de membre principal du GIE CB et siègent à son conseil de direction. c) Les autres prestataires de services de paiement 25. La saisine vise en outre vingt-cinq entités françaises, européennes et extra-européennes, de statuts variés, actives dans le secteur des services de paiement. 26. Pour ce qui concerne les entreprises agréées dans un État de l’Union européenne, on compte :

- huit établissements de paiement,
- six établissements de monnaie électronique,
- trois établissements de crédit,
- un agent prestataire de services de paiement. 3. LE SECTEUR a) Le secteur des services de paiement pour le commerce électronique 27. Le secteur concerné est celui des services de paiement destinés au commerce électronique.

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28. Selon les données de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD), le commerce électronique représentait 8,5 % du commerce de détail en 2017 (81,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 1,247 milliard de commandes passées). Ces chiffres traduisent une progression par rapport à 2016 (+ 14,3 % en chiffre d’affaires et + 20,5 % en nombre de transactions), qui s’explique pour moitié par l’essor des paiements réalisés au moyen d’un téléphone mobile. 29. Le paiement par carte bancaire y occupe une place largement prépondérante, équivalente à 85 % du chiffre d’affaires du commerce électronique en 2017. Viennent ensuite, pour 9 % du total, les méthodes sécurisées, telles que le portefeuille électronique, la carte bancaire prépayée et les dispositifs sécurisés permettant d’effectuer un virement de son compte vers celui d’un fournisseur par l’intermédiaire d’un terminal de paiement. Les autres méthodes (chèques, chèques cadeaux, cartes prépayées, virements, prélèvements, cartes privatives) représentent ensemble un peu plus de 5 %. b) Le cadre juridique 30. Le cadre juridique des services de paiement fournis au sein de l’Union européenne est défini par la directive (UE) 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, transposée en droit français par l’ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, qui a modifié plusieurs dispositions du code monétaire et financier. 31. La catégorie des prestataires de services de paiement se décompose en quatre sous-catégories : les établissements de paiement, les établissements de monnaie électronique, les établissements de crédit et les prestataires de services d’information sur les comptes. Un agrément d’une autorité désignée par les États membres (en France, l’ACPR) est nécessaire pour exercer les activités correspondantes. 32. Le contrat « vente à distance » (VAD), mentionné par la saisissante, correspond à un contrat d’acquisition, conclu pour la fourniture, par un prestataire de services de paiement au profit d’un commerçant, d’un service d’acquisition d’ordres de paiement. Il s’agit d’un type particulier de contrat-cadre de services de paiement au sens de l’article L. 314-12 du code monétaire et financier, les services de paiement considérés étant énumérés par l’article L. 314-1, 3° du code monétaire et financier, et comprenant notamment, les « opérations de paiement effectuées avec une carte de paiement ou un dispositif similaire ». 33. Le contrat d’acquisition doit être conforme aux dispositions des articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier sur l’exécution des opérations de paiement, ainsi qu’à certaines dispositions du règlement (UE) 2015/751 du 29 avril 2015 précité. 34. Les prestataires de services de paiement doivent également se conformer à des obligations de vigilance à l’égard de leur clientèle, pour ce qui concerne la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. 35. Ces obligations ont été énoncées, puis élargies par des directives successives, notamment par la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005, « troisième directive anti-blanchiment », et la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015, « quatrième directive anti-blanchiment ». Cette dernière, qui tient compte des recommandations révisées de 2012 du Groupe d’action financière internationale (GAFI), a été transposée en droit français par l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et complétée par des mesures réglementaires.

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4. LE CONTEXTE ECONOMIQUE ET INSTITUTIONNEL DES SERVICES D’HEBERGEMENT ET DE PARTAGE DE FICHIERS a) Dstorage est considérée comme un acteur majeur du téléchargement illicite de fichiers 36. Depuis 2014, plusieurs rapports et études officiels ou indépendants, français ou étrangers, ont mis en évidence l’hébergement, par 1Fichier, de fichiers susceptibles d’enfreindre la législation sur le droit d’auteur, notamment de fichiers « contrefaisants » au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au délit de contrefaçon d’œuvres de l’esprit ou de logiciels (études du Digital Citizens Alliance/NetNames de septembre 2014 et de Médiamétrie/NetRatings du 1er avril 2015). 37. Par ailleurs, le Gouvernement américain a inclus 1Fichier dans sa « Notorious Markets List » pour 2017, qui répertorie, à l’échelle mondiale, les « marchés notoires », aussi bien matériels que dématérialisés, qui permettent à des acteurs privés d’exploiter la contrefaçon et la violation de droits d’auteurs à des fins commerciales. 38. Le rapport accompagnant la liste explique, au sujet de 1Fichier, que « ce cyberlocker est populaire en France, où il est hébergé, et est présumé donner accès à des copies illégales de jeux vidéo et d’autres contenus soumis au droit d’auteur. D’après l’industrie du jeu vidéo, 1Fichier ne réagit qu’à 2 % des injonctions de retrait de fichiers, ce qui est l’un des taux de réponse les plus faibles des cyberlockers présumés héberger des fichiers de jeux contrefaisants. Le site génère des revenus par un système d’abonnement, bien que certains grands systèmes de paiement par carte ne lui fournissent plus de services de paiement, à cause de son activité illégale présumée. En outre, il a été relevé que le site héberge des contenus nuisibles, y compris des pages contenant des logiciels inconnus ou sujets à soupçon ». 39. Enfin, la place de 1Fichier dans « l’écosystème illicite de biens culturels dématérialisés » a également été mise en évidence dans une étude publiée en janvier 2019 par l’Hadopi. 40. Cette étude identifie les hébergeurs, qui mettent à disposition les fichiers vidéo, musicaux, textes ou flux de chaînes de télévision, comme offreurs de services directement liés à une offre illégale. Elle souligne en outre que « les sites de référencement et les hébergeurs de contenus restent au centre de l’écosystème et leur fonctionnement interdépendant reste la clé de voûte des offres contrefaisantes. Ainsi, même si d’autres acteurs comme les contributeurs jouent un rôle très important dans cet écosystème, leur existence ne prend son sens que par la présence des sites de référencement et d’hébergement ». 41. En particulier, parmi les hébergeurs de contenus, trois sites – tous spécialisés dans le téléchargement direct – se distinguent des autres par une audience mensuelle supérieure à un million de visiteurs uniques : Uptobox (2,55 millions), 1Fichier (2,11 millions) et Uploaded (1,01 million). Fin 2017, ils représentaient ensemble près de trois quarts de l’audience illicite totale en France. b) La dénonciation du rôle joué par les prestataires de services de paiement dans le fonctionnement des sites contrefaisant le droit d’auteur 42. Plusieurs sources rendues publiques ont également mis en évidence le rôle joué par les prestataires de services de paiement et les schémas de paiement par carte bancaire dans la pérennité des entreprises actives dans le secteur de la diffusion de contenus contrefaisants, comme, notamment, les services d’hébergement et de partage de fichiers.

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43. En France, en 2013, un rapport de Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la commission de protection des droits de l’Hadopi, sur « les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites », a rappelé que les abonnements ou achats ponctuels sur les sites de ce type étaient réalisés par des cartes bancaires traditionnelles ou par des systèmes de paiement ou portefeuilles électroniques du type PayPal ou Skrill/Moneybookers. Le rapport souligne, à ce titre, que la présence, sur les sites illégaux, de logos tels que Mastercard, Visa ou PayPal peuvent donner une apparence fallacieuse de légalité aux activités du site considéré. Aussi le rapport souligne-t-il la nécessité, pour les « intermédiaires financiers », de s’impliquer dans la lutte contre la contrefaçon en ligne. 44. Parmi les propositions d’action adressées aux « intermédiaires financiers » figurent à cet égard « la suspension temporaire des relations contractuelles avec le site, voire la résiliation [et] la suspension des paiements et leur placement sous séquestre ». 45. Le rapport du Digital Citizens Alliance de 2014 précité a exposé que « l’écosystème du piratage en ligne, qui génère des millions de dollars de chiffre d’affaires, est soutenu et nourri par des intermédiaires qui contribuent à l’activité des cyberlockers par la publicité, par la fourniture de moyens de paiement en ligne et par la mise à disposition de moyens techniques donnant aux utilisateurs accès à des contenus contrefaisants ». Relevant à ce titre que Visa et Mastercard étaient proposés comme options de paiement sur vingt-neuf des trente sites étudiés, il a insisté sur l’urgence, pour ces intermédiaires, de prendre des mesures pour assécher les revenus des acteurs de la diffusion de contenus illicites. 46. Enfin, l’Hadopi a observé, dans son rapport de 2019 précité, que les services de financement, de paiement et de publicité étaient des intermédiaires indispensables à l’activité des sites contrefaisants, puisqu’ils leur permettaient de percevoir les paiements de leurs abonnés, la carte bancaire constituant le moyen de paiement privilégié. Elle a indiqué que « s’agissant des intermédiaires de paiement, les principaux acteurs comme PayPal se sont engagés à ne plus proposer leurs services aux sites illicites ». 47. Il peut être souligné que, de manière notable, PayPal a décidé de manière spontanée, en février 2012, de mettre fin à ses relations contractuelles avec les sites RapidGator, puis Uptobox, auxquels de nombreux internautes avaient eu recours à la suite de la fermeture, sur décision de la justice américaine, du site MegaUpload, qui permettait de télécharger de nombreux fichiers illicites. c) Les initiatives des pouvoirs publics pour inciter les intermédiaires du paiement à lutter contre la diffusion de contenus contrefaisants 48. Les pouvoirs publics ont encouragé, à l’échelle internationale, européenne et nationale, la conclusion d’accords volontaires entre les divers intermédiaires, tels que les fournisseurs d’accès à internet, les sites de vente en ligne, les acteurs de la publicité et les prestataires de services de paiement, afin de lutter contre la diffusion de contenus contrefaisants. 49. Ces accords tendent à remédier à l’insuffisance des actions judiciaires menées par les ayants droit, due en particulier à l’hébergement extraterritorial de nombreux sites illicites, à la réplication quasi-instantanée des sites après leur fermeture ou à la difficulté d’identification des contrevenants principaux. Selon le ministère de la culture, le développement de ces accords a été favorisé en outre « du fait de l’intérêt des intermédiaires à ne pas voir leurs noms ou produits associés à une activité illicite en ligne. Pour ces acteurs économiques, la réputation de leurs marques et la confiance dans l’économie numérique par le public sont des éléments déterminants ».

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États-Unis 50. Aux États-Unis, le coordonnateur national pour le respect de la propriété intellectuelle nommé par la Maison-Blanche (U.S. Intellectual Property Enforcement Coordinator) a conduit, dès 2010, un « plan stratégique conjoint » s’appuyant sur la coopération volontaire des intermédiaires de paiement et d’autres intermédiaires dans la chaîne de valeur des sites illicites. Parmi les avancées énumérées dans le bilan dressé en 2013, il a indiqué qu’American Express, Discover, Mastercard, PayPal et Visa avaient « développé volontairement des bonnes pratiques en vue de priver de services de paiement les sites proposant des biens piratés ou contrefaisants » (gras ajouté). Union européenne 51. À l’échelle de l’Union européenne, la Commission a encouragé, dès 2011, la signature d’un « protocole d’accord » (memorandum of understanding) associant plateformes de vente en ligne et ayants droit, consacrant la nécessité d’une collaboration volontaire entre ces derniers dans la lutte contre la vente de biens non autorisés. 52. Dans une communication du 29 novembre 2017, elle a réitéré son soutien aux initiatives des entreprises tendant à lutter contre les atteintes à la propriété intellectuelle, en insistant sur la nécessité « d’exploiter pleinement le potentiel des accords volontaires ». 53. Elle a annoncé, à ce titre, l’élaboration prochaine d’un protocole d’accord portant sur la « prestation de services de paiement », « qui sont souvent vitaux pour les personnes dont l’offre en ligne porte atteinte à la propriété intellectuelle ». Elle s’est dite ainsi « favorable à la poursuite de la mise en place de tels accords volontaires, en particulier lorsqu’ils portent sur des applications en ligne, et elle s’efforcera de veiller à ce que tous les signataires agissent avec diligence et dans le plein respect du droit de l’Union, d’une manière générale, et des articles 101 et 102 du TFUE en particulier » (gras ajouté). 54. Le communiqué de presse accompagnant cette communication développe cette idée, la Commission y ayant en effet exprimé son intention de « priver les contrevenants opérant à une échelle commerciale des flux de revenus qui rendent leurs activités criminelles lucratives [selon une] approche (dite « follow the money ») qui met l’accent sur les flux financiers, c’est-à-dire sur les « gros poissons » plutôt que sur des individus ». France 55. Le Gouvernement français a mis en place, en septembre 2015, sous l’égide du ministère des finances et des comptes publics et du ministère de la culture et de la communication, un « comité de suivi des bonnes pratiques dans les moyens de paiement en ligne pour le respect des droits d’auteur et des droits voisins ». Le Gouvernement a expressément inscrit cette action « dans le cadre des mesures d’assèchement des ressources financières des sites spécialisés dans la contrefaçon d’œuvres en ligne », conformément au « plan de lutte contre le piratage commercial » annoncé en conseil des ministres le 11 mars 2015. 56. D’après le ministère de la culture, l’installation de ce comité traduisait une démarche de droit souple et a permis aux représentants des différents secteurs « de mieux connaître leurs activités et contraintes respectives et quelques échanges sur les démarches prises individuellement à l’égard de sites massivement contrefaisants ». Il était composé notamment des professionnels du paiement en ligne (Fédération bancaire française, Mastercard, PayPal, Visa Europe, le GIE CB), des organismes français représentant les ayants droit et d’autres entreprises ou organismes de l’économie numérique (Groupement

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des éditeurs de services en ligne, Association française du multimédia et du mobile, Google…). 57. Le comité de suivi s’est réuni à cinq reprises, entre le 6 octobre 2015 et le 25 mai 2018. Le cas de Dstorage a été évoqué explicitement au cours des réunions des 6 octobre 2015 et 31 janvier 2017, comme illustration de la nécessité, pour les acteurs du paiement en ligne, d’échanger des informations sur les sites massivement contrefaisants. B. LES PRATIQUES DENONCEES 58. La société Dstorage dénonce deux séries de pratiques qu’elle estime constitutives de pratiques anticoncurrentielles. 1. UNE ENTENTE AYANT POUR SUPPORT LES SCHEMAS QUADRIPARTITES DE PAIEMENT 59. La saisissante expose qu’elle a fait face, depuis 2015, de la part de banques et autres prestataires de services de paiement, à de nombreux refus de conclure des contrats VAD ou, pour les contrats déjà conclus, à des résiliations unilatérales brutales, le plus souvent sans justification, les seuls motifs parfois avancés tenant au risque trop élevé lié à l’activité d’hébergement de Dstorage ou même au caractère illicite de cette activité. 60. Elle soutient que les refus opposés par les prestataires de services de paiement trouvent leur origine dans les règles contractuelles de fonctionnement des schémas quadripartites de paiement, Mastercard, Visa et du GIE CB, applicables aux prestataires qui proposent des services de paiement à des hébergeurs de fichiers en ligne. 61. Elle observe que ces règles réservent aux schémas quadripartites le « droit exclusif et discrétionnaire » de classer des services d’hébergement dans la catégorie de prestataire à haut risque et contraignent les prestataires de services de paiement, adhérents à ces schémas, à en contrôler la conformité tout au long de la relation contractuelle. Elle soutient au surplus que les contrats VAD proposés par les prestataires de services de paiement contiennent, conformément aux règles de Visa en particulier, des clauses imposant aux hébergeurs eux-mêmes de contrôler la licéité des fichiers hébergés. Or, selon elle, cette obligation excède les obligations légales nationales, les hébergeurs étant seulement tenus de procéder au retrait des fichiers illicites, sur présentation d’une décision de justice ou d’une notification formelle envoyée par la personne lésée. 62. Elle considère en outre ces agissements comme injustifiés, dès lors que « la plupart de ces prestataires acceptent dans leur clientèle d’autres sociétés proposant exactement le même service que Dstorage », à l’exemple du service d’hébergement Icerbox, client de Mollie B.V. et d’Allied Wallet, ou de la société Smash & Co, cliente de Paypal et Stripe. 63. La saisissante soutient, en définitive, que les règles internes adoptées par le GIE CB, Visa et Mastercard constituent des ententes anticoncurrentielles au sens de l’article L. 420-1 du code de commerce, ayant pour effet d’empêcher le jeu de la concurrence sur le marché des prestataires VAD et, par répercussion, sur le marché des prestataires de services d’hébergement et de réseaux de diffusion de contenus, sur lequel elle-même offre ses services. 64. En effet, ces règles, qui prévoient que les schémas de paiement quadripartites définissent les clients « à haut risque » et qui s’imposent, sous peine de sanctions, aux prestataires de

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services de paiement adhérents, seraient à l’origine des refus de service et résiliations qu’elle a subis et relèveraient, selon elle, de décisions d’association d’entreprises ou de pratiques concertées prohibées. À cet égard, elle indique que la résiliation de son contrat avec la Société générale en 2015 fait suite à une alerte transmise à celle-ci par Mastercard, consécutive au signalement que lui avait adressé une société de médias indienne sur la teneur contrefaisante de certains fichiers hébergés par 1Fichier. L’alerte de Mastercard constituerait ainsi un exemple de décision de l’organe central du schéma de paiement, conduisant à l’exclure du bénéfice d’un contrat VAD. 65. La saisissante estime enfin que l’application de ces règles a un impact anticoncurrentiel sur deux marchés : d’une part, celui des prestataires VAD, qui sont privés de la possibilité de proposer de manière autonome des services de paiement aux hébergeurs, tels que Dstorage, et, d’autre part, celui des services d’hébergement de fichiers en ligne, tels que 1Fichier, dont les pertes financières causées par l’absence de solution de paiement alternative pérenne l’empêchent de rester compétitif face à des concurrents tels que Google, Amazon et Dropbox. 2. UN ABUS DE L’ETAT DE DEPENDANCE ECONOMIQUE DE DSTORAGE DE LA PART DES PRESTATAIRES DE SERVICES DE PAIEMENT 66. Dstorage soutient également que les refus de service et les « conditions léonines » imposées par les prestataires VAD constituent des abus de dépendance économique au sens de l’article L. 420-2, alinéa 2 du code de commerce. 67. Elle indique à ce titre être cliente des différents prestataires VAD, « ou du moins qu’elle l’a été ou a eu vocation à l’être » et expose que, pour le type de service qu’elle propose, le paiement par carte bancaire ne connaît « aucune solution techniquement et économiquement équivalente ». Elle rappelle à cet égard que 85 % des transactions liées au commerce électronique sont réalisées selon ce mode et que l’Autorité a considéré, notamment dans sa décision n° 13-D-17 du 20 septembre 20132, que « les autres moyens de paiement, tels que les chèques, les espèces, les virements et les prélèvements ne constituent pas des substituts étroits aux cartes de paiement ». Elle soutient qu’une solution de paiement VAD à un tarif raisonnable est donc essentielle à la viabilité de son modèle économique, ce qui la place dans un état de dépendance économique à l’égard des prestataires VAD dans leur ensemble.

68. Or, elle relève que les prestataires VAD lui ont opposé, soit des refus de service inexpliqués, soit des ruptures brutales de contrat injustifiées, soit des « conditions léonines » sans rapport avec celles pratiquées habituellement sur le marché. Ces agissements constitueraient, selon elle, des refus de vente et des pratiques discriminatoires au sens de l’article L. 420-2, alinéa 2 du code de commerce, de nature à évincer certains acteurs, tels que Dstorage, du marché de l’hébergement de fichiers et des réseaux de diffusion de contenus. Elle en conclut que les prestataires VAD abusent collectivement de son état de dépendance économique à leur égard.

2 Décision n° 13-D-17 du 20 septembre 2013 relative à des pratiques de Mastercard relevées dans le secteur des cartes de paiement.

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II. Discussion A. SUR LES MARCHES PERTINENTS 69. Il convient de rappeler que, s’agissant des moyens de paiement par carte bancaire, les marchés pertinents ont déjà été définis dans plusieurs décisions de l’Autorité, dont, notamment, la décision n° 11-D-11 du 7 juillet 2011 relative à des pratiques mises en œuvre par le Groupement des Cartes Bancaires. 70. Dans celle-ci, l’Autorité a identifié trois marchés :

- un marché amont, sur lequel les systèmes de paiement par carte se font concurrence pour affilier les établissements de crédit ou de paiement,
- deux marchés aval : le marché de l’émission relatif à la distribution de cartes auprès des consommateurs (marché de l’émission) et le marché de l’acquisition concernant l’affiliation de commerçants (marché de l’acquisition). 71. La saisissante se plaint d’avoir subi, de la part de prestataires de services de paiement, des refus de contracter résultant de l’application des règles de fonctionnement adoptées par les schémas quadripartites, le GIE CB, Visa et Mastercard. 72. Ces règles de fonctionnement régissent le marché amont des systèmes de paiement par carte et, selon la société saisissante, ont des effets sur le marché aval de l’acquisition pour l’affiliation de commerçants et, par voie de conséquence, sur le marché des services d’hébergement et de partage de fichiers numériques, sur lequel elle-même offre ses services. 73. Selon une pratique décisionnelle constante, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes, comme c’est le cas en l’espèce, il n’est pas nécessaire de définir le marché avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre. De façon plus générale, la cour d’appel de Paris a également jugé, dans un arrêt du 26 septembre 2013 (n° 2012/08948), que l’Autorité peut se borner à retenir que les pratiques dénoncées portent sur un secteur donné, sans avoir à analyser plus précisément le marché en cause, dès lors qu’elle constate que ces pratiques ne peuvent être tenues pour contraires au droit de la concurrence, quelles que soient la définition donnée au marché et la position qu’y occupe l’entreprise mise en cause. 74. Une délimitation plus précise de ces marchés, que ce soit le marché de l’acquisition dans sa dimension géographique ou le marché des services d’hébergement et de partage de fichiers numériques, dans ses dimensions matérielle et géographique, n’apparaît donc pas nécessaire, compte tenu de l’examen du secteur précédemment décrit, des éléments communiqués par la saisissante et des développements qui suivent. 75. Quelle que soit la délimitation exacte du marché des services d’hébergement et de partage de fichiers numériques, la part de marché de Dstorage et son évolution, du moins pour ce qui concerne le marché national, peuvent néanmoins être estimées. Le cabinet IDC évaluait en 2012 le marché français du « stockage en ligne », sur lequel sont présents notamment DropBox et Amazon S3, à 105 millions d’euros3. D’après les comptes sociaux de Dstorage

3 « Cloud computing : ces Français à l’assaut du stockage », https://www.usinenouvelle.com/article/cloud- computing-ces-francais-a-l-assaut-du-stockage.N195742, 25 avril 2013.

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annexés à la saisine, il apparaît que cette dernière a réalisé en 2012 un chiffre d’affaires de 202 500 euros. Le montant du chiffre d’affaires réalisé en France, qui résulte de la différence entre ce dernier montant et le montant du chiffre d’affaires réalisé à l’export, soit 21 300 euros, s’élève ainsi à 181 200 euros. La part de marché de Dstorage en 2012 peut dès lors être estimée à moins de 0,2 %. 76. Les comptes sociaux relatifs aux exercices 2015 et 2017 font apparaître, quant à eux, un montant de chiffre d’affaires réalisé en France de 1 255 000 euros et de 508 800 euros, respectivement. S’il est pris pour hypothèse que la valeur totale du marché français est restée stable entre 2012 et 2017, la part de marché de Dstorage peut être évaluée à 1,2 % pour 2015 et à 0,5 % pour 2017. Cette hypothèse étant toutefois conservatrice, il est vraisemblable que la part de marché de Dstorage n’a pas dépassé 1 %, voire 0,5 %, sur cette période. Il doit être précisé que cette estimation ne tient pas compte de l’utilisation des offres gratuites proposées par Dstorage et ses concurrents. B. SUR L’ENTENTE ALLEGUEE 77. Les règles contractuelles des schémas quadripartites constituent des décisions d’association d’entreprises, ainsi que l’a souligné la Commission européenne dans sa décision du 19 décembre 2007 (COMP/34.579, 36518, 38580), dans laquelle elle a considéré que Mastercard était une « association d’entreprises » dont les décisions relevaient du régime des ententes au sens du droit de la concurrence, dans la mesure où elles coordonnent l’action des membres affiliés au réseau de paiement quadripartite. 78. Dans l’arrêt du 11 septembre 2014 concernant des pratiques mises en œuvre par le Groupement des Cartes Bancaires (C-67/13 P, paragraphe 48), la Cour de justice de l’Union européenne a rappelé que, pour relever de l’interdiction énoncée à l’article 81, paragraphe 1 – devenu l’article 101, paragraphe 1 du TFUE – « un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence dans le marché intérieur ». 79. La Cour de justice des communautés européennes a souligné le caractère alternatif des deux critères de l’objet et de l’effet des pratiques, dans un arrêt du 30 juin 1966 (Société technique minière (LTM) c/ MBU, 56-65). Dans le même arrêt, elle a exposé les étapes de l’analyse à suivre pour rapporter la preuve d’une entente anticoncurrentielle : « Le caractère non cumulatif, mais alternatif de la présente condition, marqué par la conjonction 'ou', conduit d’abord à la nécessité de considérer l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué ; (…) les altérations du jeu de la concurrence, visées par l’article 85, paragraphe 1, (devenu l’article 101 du TFUE) doivent résulter de tout ou partie des clauses de l’accord lui-même ; (…) au cas cependant où l’analyse desdites clauses ne révèlerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, il conviendrait alors d’examiner les effets de l’accord et, pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été en fait, soit empêché, soit restreint ou faussé de façon sensible ; (…) le jeu de la concurrence dont [il] s’agit doit être entendu dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l’accord litigieux. »

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1. SUR L’OBJET 80. La Cour de justice a indiqué, dans l’arrêt cité supra du 11 septembre 2014 (paragraphe 53), que pour établir l’existence d’une restriction de concurrence « par objet », il convient d’apprécier si l’accord ou la décision en cause « présente un degré suffisant de nocivité [eu égard] à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question ». 81. Selon la saisissante, les règles contractuelles définies par les schémas quadripartites de paiement, à l’intention des établissements acquéreurs de cartes bancaires, qui décrivent les précautions ou diligences qui s’imposent à ces derniers, pour tout contrat d’acquisition conclu avec un client qui a une activité de commerce électronique comportant l’hébergement ou le partage de fichiers, constituent des décisions d’association d’entreprises susceptibles de constituer des ententes illicites. a) Les règles de Visa 82. Les règles de Visa, dans leur version du 14 avril 2018, distinguent des obligations générales et spéciales, au sein d’une rubrique intitulée « risque ». Cette distinction tient compte de la nature de l’activité du client. 83. Selon les obligations générales concernant les « commerçants fournissant des services d’hébergement ou de partage de fichiers en ligne », un acquéreur ne pourra accepter de traiter des opérations de paiement pour le compte de ce commerçant qu’après s’être assuré que celui-ci :

- met en œuvre une procédure pour l’identification, le retrait et le signalement de contenus illicites ou prohibés, et pour la prévention de tout téléversement (« upload ») ultérieur de tels contenus,
- signale tout contenu illicite aux autorités compétentes, conformément à la législation en vigueur sur le lieu où le commerçant est établi et où le contenu illicite est hébergé, téléversé ou téléchargé. 84. Les obligations spéciales s’appliquent au cas de « commerçants à haut risque fournissant des services d’hébergement ou de partage de fichiers en ligne », les critères conduisant à considérer un commerçant comme étant «  à haut risque » étant précisés et Visa ayant, par ailleurs, la faculté de retenir cette classification d’office. 85. L’acquéreur a alors pour obligations particulières :

- de s’assurer que le commerçant résilie ses contrats avec des individus qui ont téléversé des contenus illicites et que ces individus ne pourront le faire à l’avenir,
- et de s’assurer que le commerçant réunit assez d’informations sur les utilisateurs de son service pour pouvoir les signaler aux autorités compétentes en cas de téléversement de contenus illicites.

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b) Les règles de Mastercard 86. Les règles de Mastercard, dans leur version du 25 septembre 2018, comportent une série d’obligations rassemblées sous la rubrique « commerçants cyberlocker à haut risque ». 87. Elles définissent une catégorie d’opération, la « transaction à distance avec un commerçant cyberlocker à haut risque », qui consiste dans le paiement fait par un consommateur pour avoir accès, à distance, à un service d’hébergement ou de partage de fichiers numériques. Avant de pouvoir traiter une opération de ce type, l’acquéreur doit faire inscrire ce commerçant auprès de Mastercard, qui, pour sa part, se réserve le droit de déterminer si ce dernier relève de la catégorie « à haut risque ». Les règles énumèrent dix critères qui conduisent à appliquer cette qualification. 88. En outre, au moment de l’inscription du commerçant, l’acquéreur doit vérifier que celui-ci se conforme entièrement au droit applicable à toutes les parties concernées par l’opération : à savoir, Mastercard, le commerçant, l’émetteur, l’acquéreur, tout client potentiel du commerçant et tout prestataire fournissant des services de paiement au commerçant. Un acquéreur qui inscrit le commerçant auprès de Mastercard est réputé avoir procédé à cette vérification et s’oblige à y procéder de manière réitérée aussi longtemps qu’il acquerra les ordres de paiement de ce même commerçant, à charge pour l’acquéreur d’en justifier auprès de Mastercard à un rythme annuel. c) Les règles du GIE CB 89. Il ressort du compte rendu de la réunion du 6 janvier 2016 du comité de suivi mentionné au paragraphe 55, communiqué par le ministère de la culture aux services d’instruction, que le GIE CB avait, à cette date, inscrit dans ses contrats avec les acquéreurs une clause énonçant l’obligation, pour ces derniers, « d’utiliser le système de paiement à distance sécurisé en s’abstenant de toute activité qui pourrait être pénalement sanctionnée ». Un complément à cette clause a été ajouté le 30 juin 2016 : « telle que la mise en péril de mineurs, des actes de pédophilie, des actes de contrefaçon d’œuvres protégées par un droit de propriété intellectuelle et de moyens ou instruments de paiement, le non-respect de la protection des données personnelles, des atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données, des actes de blanchiment, le non-respect des dispositions relatives aux jeux d’argent et de hasard, aux courses de chevaux, aux loteries et des dispositions relatives aux conditions d’exercice de professions réglementées ». d) Les conclusions de l’Autorité sur l’objet de ces règles 90. Il ressort de ces éléments que Visa, Mastercard et le GIE CB définissent, à la charge des établissements adhérents (acquéreurs), des obligations de contrôle de l’activité des commerçants titulaires de contrats VAD. Ces règles ont pour double objet, d’une part, d’évaluer les risques liés à une relation d’affaires avec le bénéficiaire d’un contrat d’acquisition et, d’autre part, d’appliquer toute diligence nécessaire afin d’éviter l’utilisation d’une carte de paiement pour la rémunération d’activités illégales. 91. La formulation de ces règles fait apparaître que la charge de l’évaluation des risques et de la mise en œuvre des diligences incombe à l’établissement acquéreur et que ce dernier dispose, à cet égard, d’une autonomie de décision. 92. En effet, ces règles sont expressément prévues dans les contrats VAD signés entre les établissements adhérents et les services d’hébergement de fichiers, qui doivent eux-mêmes

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contrôler leurs clients et la légalité des fichiers stockés, ainsi que l’illustre l’exemple du contrat monétique conclu entre la Société Générale et Dstorage. En vertu de ces contrats, les commerçants hébergeurs doivent remédier aux illégalités constatées, par exemple, en supprimant les fichiers illicites, sous peine de voir leur contrat VAD résilié par l’établissement acquéreur. 93. L’examen des règles contractuelles de fonctionnement des schémas quadripartites de paiement permet dès lors de constater que :

- premièrement, ces clauses n’entraînent pas ipso facto la résiliation des contrats VAD conclus entre les établissements acquéreurs et les services d’hébergement, comme Dstorage ; en effet, ce n’est qu’en l’absence de régularisation, par ces services, que la résiliation est encourue ; par leur teneur, elles laissent aux établissements un degré d’appréciation des risques non négligeable ;

- deuxièmement, elles ont pour seul objectif d’éviter que les moyens de paiement ne soient utilisés à des fins illicites, et notamment pour financer une activité d’hébergement de fichiers illégale ; leur objet n’est donc pas de porter atteinte à la concurrence, mais d’appeler l’attention des établissements acquéreurs sur l’activité potentiellement contrefaisante des commerçants avec lesquels ils concluent des contrats VAD ;

- troisièmement, elles sont justifiées par le contexte économique et juridique des services de paiement du commerce électronique, rappelé plus haut ; la période visée par la saisine correspond, en effet, à une période d’intensification, à l’échelle internationale, européenne et nationale, des obligations de vigilance des prestataires de services de paiement à l’égard de leur clientèle, tant au niveau de la lutte contre le blanchiment que concernant la lutte contre la diffusion de contenus contrefaisants, la nécessité pour les établissements acquéreurs de s’impliquer dans ce combat ayant été soulignée par plusieurs rapports et ces établissements ayant été incités par les pouvoirs publics à la mise en place d’accords volontaires. 94. Par conséquent, eu égard à la jurisprudence précitée, les décisions d’association d’entreprises issues des règles des schémas de paiement quadripartites, telles qu’elles figurent dans les pièces communiquées par la société saisissante, ne présentent pas un degré suffisant de nocivité pour être considérées comme des restrictions de concurrence « par objet ». 95. Il convient enfin de préciser que les contestations de Dstorage sur la légalité des obligations de contrôle des fichiers hébergés qui lui sont imposées dans les contrats VAD ne relèvent pas de la compétence de l’Autorité, mais du juge du contrat. 2. SUR LES EFFETS 96. L’arrêt du 11 septembre 2014 précité énonce que si les conditions d’une restriction par objet font défaut, il convient d’examiner les effets de la coordination en cause. Pour retenir le caractère prohibé de celle-ci au regard de l’article 101, paragraphe 1 du TFUE, il y a lieu dès lors « d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible ». 97. Selon une jurisprudence constante, rappelée par le Tribunal dans son arrêt du 30 juin 2016 rendu sur renvoi de la Cour de justice dans l’affaire Groupement des Cartes Bancaires (T-491/07 RENV, paragraphe 108), « pour apprécier si un accord doit être considéré

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comme interdit en raison des altérations du jeu de la concurrence qui en sont l’effet, il faut examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l’accord litigieux ». a) Sur le marché de l’acquisition 98. En premier lieu, dans le contexte général décrit plus haut, il apparaît que les règles des schémas de paiement n’ont pas eu un rôle direct dans les résiliations de contrats VAD ou les refus de contracter des établissements de paiement, les décisions prises par ces derniers résultant des contrats VAD signés par chacun d’eux avec les prestataires d’hébergement. Aucun lien de causalité direct ne peut donc être établi entre les règles des schémas quadripartites et ces décisions et a fortiori, aucun impact sur le marché ne peut leur être imputé. 99. Les schémas quadripartites de paiement ont surtout endossé un rôle de diffusion des bonnes pratiques. Pour le cas particulier de la France, les comptes rendus du comité de suivi mis en place par le Gouvernement entre 2015 et 2018 (paragraphe 55) montrent que les participants avaient pour objectif de trouver le moyen d’apporter une information utile aux banques et autres prestataires de services de paiement : « une discussion s’est engagée sur la façon d’informer les banques en cas de détection de problème et surtout de les amener à réagir plus efficacement, sachant qu’elles sont très frileuses à l’idée de couper un compte bancaire sans décision de justice ». 100. De même, les représentants de Mastercard ont-ils commenté son système d’alerte en ces termes : « Mastercard prévient la banque du commerçant qui est derrière le site signalé. Il revient ensuite à la banque du commerçant de faire son analyse du problème pour couper ou non son lien avec le site. (…) Au final, il est à noter que Mastercard n’est qu’un intermédiaire et que c’est la banque qui seule est responsable de la coupure du moyen de paiement ». 101. En deuxième lieu, les établissements de crédit, de paiement ou tout autre prestataire de services de paiement, quel que soit le schéma quadripartite auquel ils adhéraient, étaient, pendant la période litigieuse, soumis à des contraintes et des incitations indépendantes des seules règles contractuelles, dues, notamment, à la réputation de Dstorage comme acteur majeur de téléchargements illicites de fichiers. 102. En troisième lieu, les pratiques mises en évidence dans la saisine ne concernant que Dstorage, aucun effet sensible ne peut, en toute hypothèse, résulter de celles-ci sur le marché de l’acquisition, la perte de ce seul client par une trentaine d’établissements étant sans effets sur la concurrence. 103. Enfin, la circonstance que, pendant la période incriminée, de 2012 à 2018, plusieurs prestataires de services de paiement aient adopté le même comportement à l’égard de la société Dstorage et aient, de la même façon, résilié leurs contrats ou refusé de contracter, ne saurait suffire à démontrer l’existence d’une entente entre eux. Il convient de rappeler à cet égard que, selon la pratique décisionnelle de l’Autorité, illustrée notamment par la décision n° 09-D-38 du 17 décembre 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Ethicon SAS, Tyco Healthcare France et le syndicat national des industries des technologies médicales (paragraphe 38), un parallélisme de comportement de la part de concurrents prenant des décisions autonomes, sur le fondement d’informations accessibles à tous et selon une rationalité économique propre, ne suffit pas, à lui seul, à démontrer l’existence d’une entente.

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104. En l’espèce, il ressort de l’examen des conditions de concurrence sur le marché de l’acquisition que les agissements dénoncés par la saisissante reflètent un parallélisme de comportements, qui se trouve justifié indépendamment des règles de fonctionnement des schémas quadripartites de paiement. Aucun élément probant ne permet dès lors de démontrer que celles-ci aient engendré un quelconque effet anticoncurrentiel. b) Sur le marché des services d’hébergement et de partage de fichiers numériques 105. Les mêmes arguments que ceux soutenus pour le marché de l’acquisition sont également valables. 106. Le lien de causalité direct entre les règles des schémas quadripartites et les difficultés subies par Dstorage sur le marché des services d’hébergement n’est pas établi. 107. La saisissante soutient que les agissements qu’elle décrit nuisent à sa capacité à se livrer à une concurrence libre et non faussée avec des entreprises exerçant la même activité : elle cite à cet égard Amazon, Google et Dropbox, mais aussi Icerbox et Smash & Co, qui ont pu obtenir une solution pérenne de paiement à distance, alors que ces opérateurs exerceraient la même activité d’hébergement de fichiers contrefaisants. 108. Il y a lieu de relever sur ce point que la similitude des services fournis par ces entreprises à ceux de Dstorage et leur appartenance au même marché sont simplement alléguées et non démontrées, de sorte qu’aucun comportement discriminatoire ne peut en être déduit et qu’en toute hypothèse, ces éventuelles discriminations ne résulteraient pas d’une entente, mais de l’acte unilatéral et autonome de chaque établissement de paiement. 109. En outre, il n’est pas démontré en quoi les agissements dénoncés, qui n’ont affecté que la saisissante, seraient de nature à affecter sensiblement la concurrence sur le marché des services d’hébergement. 110. Dès lors, les éléments apportés par la saisissante ne suffisent pas à établir, de manière probante, l’existence d’un effet anticoncurrentiel sur ce second marché. C. SUR L’ABUS D’UN ETAT DE DEPENDANCE ECONOMIQUE 111. La société Dstorage invoque les dispositions de l’article L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce pour reprocher aux prestataires de services de paiement, pris collectivement, un abus de son état de dépendance économique à leur égard, notamment à raison de refus de vente ou de pratiques discriminatoires auxquels elle a été confrontée. 112. Elle rappelle que 85 % des paiements du commerce électronique sont réalisés par carte bancaire et qu’il n’existe aucune solution techniquement ou économiquement substituable. Elle serait donc en état de dépendance économique à l’égard des prestataires de services de paiement VAD, pris collectivement. 113. Toutefois, l’état de dépendance économique s’apprécie in concreto, soit dans la relation bilatérale entre deux opérateurs économiques, soit plus largement, dans les relations entre un fournisseur et son réseau de distribution, pourvu que ce réseau constitue un groupe d’entreprises aux caractéristiques suffisamment homogènes, dont les membres sont placés, à l’égard de ce fournisseur, dans la même position économique et juridique (voir décision

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n° 10-D-08 du 3 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par Carrefour dans le secteur du commerce d’alimentation générale de proximité). 114. Selon une pratique décisionnelle constante, l’Autorité tient compte, pour caractériser l’existence d’un tel abus, « de la notoriété de la marque du fournisseur, de l’importance de la part de marché du fournisseur [et] de l’importance de la part de fournisseur dans le chiffre d’affaires du revendeur ». 115. Dans le cas d’espèce, la saisine ne concerne pas un fournisseur en particulier, dont la notoriété et la part de marché pourraient être déterminées, mais une catégorie de prestataires, réunissant des entreprises à la notoriété et aux parts de marchés diverses, ainsi qu’aux caractéristiques hétérogènes. 116. Dès lors, il apparaît que la société saisissante n’apporte pas d’éléments suffisamment probants en faveur de l’existence d’un état de dépendance économique par rapport à un acteur économique identifié et, a fortiori, d’un abus de cet état. III. Conclusion 117. Il résulte de ce qui précède que la société Dstorage n’apporte pas d’élément suffisamment probant en faveur de l’une ou l’autre des pratiques dénoncées. Il convient donc de rejeter la saisine en application du deuxième alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce. Ce rejet au fond entraîne le rejet de la demande de mesures conservatoires, enregistrée sous le numéro 19/0003 M, qui en est l’accessoire.

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DÉCISION Article 1 : La saisine de la société Dstorage enregistrée sous le numéro 19/0002 F est rejetée. Article 2 : La demande de mesures conservatoires de la société Dstorage enregistrée sous le numéro 19/0003 M est rejetée.

Délibéré sur le rapport oral de M. Nicolas Faas, rapporteur, et l’intervention de M. Stanislas Martin, rapporteur général, par Mme Irène Luc, vice-présidente, présidente de séance.

La secrétaire de séance, La présidente de séance,

Caroline Orsel Irène Luc

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ADLC, Décision 19-D-18 du 31 juillet 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des moyens de paiement par carte bancaire