Décision de la Commission des sanctions du 7 décembre 2016 à l'égard de Mme C, M. D, M. E, M. F, M. G, Mme A, M. B, et la BANQUE TRANSATLANTIQUE

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
AMF, 7 déc. 2016, n° SAN-2016-15
Numéro : SAN-2016-15
Identifiant AMF : SAN-2016-15

Texte intégral

La Commission des sanctions

DECISION DE LA COMMISSION DES SANCTIONS À L’ÉGARD DE MME C, M. D, M. E, M. F, M. G, MME A, M. B ET LA BANQUE TRANSATLANTIQUE

La 1ère section de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (ci-après « AMF »),

Vu l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le règlement n° 596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché, notamment ses articles 7 à 10 et 16 ;

Vu les directives n°2003/6 et 2003/124 du Parlement européen et du Conseil des 28 janvier 2003 et 22 décembre 2003, notamment leurs articles 1 ;

Vu le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 211-1, L. 621-14, L. 621-15, L. 621-17-2 ;

Vu le règlement général de l’AMF, notamment ses articles 315-42 à 315-44, 621-1, 622-1 et 622-2 ;

Vu les notifications de griefs du 24 septembre 2015 adressées à Mme C, M. F, M. D, M. E, M. G, Mme A et M. B ainsi qu’à la Banque Transatlantique ;

Vu la décision du 1er octobre 2015 du président de la Commission des sanctions désignant M. Miriasi Thouch, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur ;

Vu les lettres du 8 octobre 2015 informant les mis en cause de la désignation de M. Miriasi Thouch en qualité de rapporteur et leur rappelant la faculté qui leur était offerte d’être entendus par ce dernier, à leur demande, conformément au I de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier ;

Vu les lettres du 12 octobre 2015 informant les mis en cause de la faculté qui leur était offerte de demander la récusation du rapporteur dans un délai d’un mois, conformément aux articles R. 621-39-2 à R. 621-39-4 du code monétaire et financier ;

Vu le courriel du 14 octobre 2015 et la lettre du 28 octobre 2015 adressés par les conseils de M. G, Mme A et M. B sollicitant la communication de la copie de l’ensemble des boîtes de messageries électroniques remises aux enquêteurs, puis leur lettre du 10 novembre 2015 réitérant cette demande et sollicitant un délai complémentaire pour répondre aux notifications de griefs, ainsi que la réponse apportée le 17 novembre 2015 par le rapporteur ;

Vu les observations déposées le 23 novembre 2015 par M. G, par l’intermédiaire de ses conseils ;

Vu les observations déposées le 24 novembre 2015 par la Banque Transatlantique, Mme C, M. F, M. D et M. E, par l’intermédiaire de leurs conseils respectifs ;

Vu les observations déposées le 11 décembre 2015 par Mme A et M. B, par l’intermédiaire de leur conseil ;

Vu la lettre adressée le 24 mars 2016 par les conseils de M. G, Mme A et M. B sollicitant l’audition de ces derniers par le rapporteur ; 17 place de la Bourse – 75082 Paris cedex 2 – tél. 01 53 45 60 00 – fax 01 53 45 63 20 www.amf-france.org

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Vu les lettres de convocation en vue de leur audition adressées le 26 avril 2016 à Mme C, M. F, M. D, M. E, M. G, Mme A, M. B et la Banque Transatlantique ;

Vu les procès-verbaux d’audition par le rapporteur de M. G, le 17 mai 2016, M. B, le 19 mai 2016, Mme A, le 19 mai 2016, la Banque Transatlantique, représentée par Mme Odile Le Goc et M. Franck Duez munis à cet effet d’un pouvoir spécial, le 31 mai 2016, M. E, le 9 juin 2016, M. D, le 9 juin 2016, M. F, le 10 juin 2016, Mme C, le 5 septembre 2016 ;

Vu les observations complémentaires adressées par les conseils de M. G, le 25 mai 2016, de Mme A et M. B, le 30 mai 2016, de M. D, le 20 juin 2016, de M. F, le 23 juin 2016 et de Mme C, le 20 septembre 2016 ;

Vu la lettre adressée le 13 juil et 2016 par le rapporteur au secrétaire général de l’AMF en vue d’obtenir la communication des pièces relatives aux actes d’enquête accomplis par l’Autorité des marchés financiers du Québec dans le cadre de la coopération internationale, et la réponse apportée le 2 août 2016 ;

Vu le rapport du rapporteur du 20 septembre 2016 ;

Vu les lettres du 20 septembre 2016, auxquelles était joint le rapport du rapporteur, convoquant les mis en cause à la séance de la Commission des sanctions du 18 novembre 2016 et les informant du délai de quinze jours dont ils disposaient, conformément au III de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier, pour présenter des observations en réponse au rapport du rapporteur, ainsi que de leur droit de se faire assister de tout conseil de leur choix, en vertu des dispositions du II de l’article R. 621-40 du code monétaire et financier ;

Vu les lettres des conseils de Mme C, M. F, M. D et M. E du 29 septembre 2016 et des conseils de M. G, Mme A et M. B du 30 septembre 2016 sollicitant un délai pour déposer des observations en réponse au rapport du rapporteur, et les réponses apportées par le président de la Commission des sanctions, respectivement, le 30 septembre 2016 et le 3 octobre 2016 ;

Vu les lettres du 3 octobre 2016 informant les mis en cause de la composition de la Commission des sanctions lors de la séance du 18 novembre 2016, ainsi que du délai de quinze jours dont ils disposaient pour demander la récusation d’un ou de plusieurs de ses membres ;

Vu les observations écrites en réponse au rapport du rapporteur déposées le 6 octobre 2016 par la Banque Transatlantique, le 14 octobre 2016 par M. G, Mme A et M. B et le 17 octobre 2016 par Mme C, M. F, M. D et M. E, par l’intermédiaire de leurs conseils respectifs ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance publique du 18 novembre 2016 :

— M. Miriasi Thouch en son rapport ;

- M. Hubert Gasztowtt, représentant la directrice générale du Trésor, qui a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler ;

- Mme Virginie Adam, représentant le Collège de l’AMF ;

- Mme C ;

- M. F ;

- M. D ;

- M. E ;

- Maîtres Philippe Bouchez El Ghozi, David Revcolevschi et Clémence Auroy, conseils de Mme C et de MM. F, D et E ;

- Mme A ;

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— M. B ;

- M. G ;

- Maîtres Julien Visconti et Benjamin Grundler, conseils de M. B et Mme A et de M. G ;

- La Banque Transatlantique, représentée par Mme Odile Le Goc, responsable de la conformité des services d’investissement et par M. Franck Duez, responsable de l’activité « Actionnariat salarié », munis d’un pouvoir signé par M. Bruno-Julien Laferrière, Président du directoire ;

- Maîtres Martine Samuelian et Virginia Barat, conseils de la Banque Transatlantique ;

les mis en cause ayant eu la parole en dernier.

FAITS ET PROCÉDURE

LES FAITS

Créée en 1986 par M. C, et MM. […], la société anonyme Ubisoft Entertainment (ci-après « Ubisoft ») a pour activités la création, l’édition et la distribution de jeux vidéo sur consoles, ordinateurs, smartphones et tablettes, en version physique ou en ligne.

Selon les années, elle occupe la place de troisième ou de quatrième éditeur indépendant de jeux vidéo.

Elle est présente dans 30 pays par l’intermédiaire d’un réseau de filiales de production et de distribution de jeux vidéo comptant plus de 10 000 collaborateurs.

Son exercice fiscal s’étend du 1er avril de l’année N au 31 mars de l’année N+1.

Ubisoft a été introduite en 1996 sur le second marché de la bourse de Paris. Depuis 2009, ses titres sont admis à la négociation sur le compartiment A d’Euronext.

En 2013, 87,89% du capital social d’Ubisoft, représentant 80,10% des droits de vote, était détenu par le public. Plusieurs membres de la famil e […], agissant de concert, détenaient directement ou indirectement 10,62% des actions, représentant 18,40% des droits de vote. Le fonds commun de placement d’entreprise « Ubi Actions » (ci-après : « le FCPE Ubi Actions »), ouvert aux salariés d’Ubisoft, détenait quant à lui 0,96% du capital et 1,5% des droits de vote.

À l’époque des faits, la direction d’Ubisoft était assurée par M. C, qui cumulait les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général. Ubisoft disposait en outre d’un comité exécutif composé de quatre personnes.

Le 4 juin 2012, lors du salon « Electronic Entertainment Exposition », Ubisoft a annoncé l’ajout à son portefeuil e d’une nouvelle marque, dénommée Watch Dogs, et présenté une démonstration de son premier volume, dont la sortie était prévue au cours de l’année 2013. L’accueil a été très favorable tant de la part des joueurs que des analystes financiers suivant la valeur Ubisoft qui déploraient la dépendance d’Ubisoft à un très faible nombre de jeux.

Le marché a, lui aussi, réagi positivement à la nouvelle, le cours de bourse du titre Ubisoft enregistrant des hausses successives au cours des séances de bourse des 5, 6 et 7 juin 2012.

Alors que le jeu Watch Dogs devait être disponible dans des versions destinées aux consoles de jeu contemporaines (ci-après « Current Gen ») et de la génération future (ci-après « Next Gen ») les 19 ou 21 novembre 2013, selon les zones géographiques, Ubisoft a publié, le 15 octobre 2013 après la fermeture des marchés, un communiqué de presse informant le public du report de la sortie du jeu à l’exercice 2014/2015. Ce communiqué a également annoncé, en raison « principalement » de ce retard et du décalage de la sortie du jeu The Crew, une révision à la baisse, pour l’exercice 2013/2014, des objectifs de chif re d’affaires, désormais compris

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dans une fourchette de 995 à 1 045 mil ions d’euros, et non plus de 1 420 à 1 450 millions d’euros, et de résultat opérationnel « non-IFRS », situé entre – 70 et – 40 mil ions d’euros, et non plus entre 110 et

125 mil ions d’euros.

Lors de la séance de bourse suivant la publication du communiqué, le 16 octobre 2013, le volume de titres Ubisoft échangés a été très important, avoisinant 8,5 millions, et le cours a enregistré une baisse de l’ordre de 26%. Tous les analystes financiers suivant la valeur Ubisoft ont paral èlement révisé leurs recommandations.

LA PROCEDURE

La division de la surveil ance des marchés de l’AMF a identifié, au cours des semaines précédant la publication par Ubisoft de l’avertissement sur résultat du 15 octobre 2013, des mouvements importants sur le marché du titre, dont des cessions significatives d’actions issues de l’exercice de stock-options par des salariés d’Ubisoft et des rachats et arbitrages très importants de parts du FCPE Ubi Actions par des salariés d’Ubisoft.

Il est apparu qu’une cinquantaine de salariés d’Ubisoft était intervenue au cours de cette période, soit directement sur le titre Ubisoft par l’intermédiaire de la Banque Transatlantique, filiale du groupe CM-CIC chargée de la gestion des plans de stock-options d’Ubisoft pour quarante-cinq salariés, soit sur le FCPE Ubi Actions, majoritairement composé de titres Ubisoft et géré par la société de gestion Amundi (ci-après « Amundi »)..

Le 6 février 2014, le secrétaire général de l’AMF a décidé l’ouverture d’une enquête relative à « l’information financière et au marché du titre de la société Ubisoft, à compter du 1er juin 2013 ».

Au terme de cette enquête, la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF a adressé, le 16 mars 2015, à Mme C, MM. F, D, E et G, Mme A, M. B et à la Banque Transatlantique des lettres circonstanciées relatant les principaux éléments de fait et de droit consignés par les enquêteurs et les invitant à leur faire parvenir leurs éventuelles observations en réponse.

Le 15 avril 2015, Mme C, M. F, M. D et M. E ont répondu, par l’intermédiaire de leurs conseils, qu’ils n’étaient pas en mesure de présenter utilement leur défense dès lors qu’ils n’avaient pas pu prendre connaissance des pièces et informations mentionnées dans ces lettres circonstanciées.

Le même jour, Mme A, M. B, M. G ont présenté des observations en réponse, par l’intermédiaire de leurs conseils.

Le 17 avril 2015, la Banque Transatlantique a déposé à son tour des observations en réponse à la lettre circonstanciée.

L’enquête a donné lieu à l’établissement d’un rapport daté du 8 juil et 2015.

Lors de sa séance du 1er septembre 2015, la Commission spécialisée n°1 du Collège de l’AMF a décidé de notifier des griefs à Mme C, MM. F, D, E et G, Mme A, M. B et la Banque Transatlantique, notifications qui leur ont été adressées le 24 septembre 2013.

En substance, il est reproché :

1°) d’avoir utilisé une information privilégiée relative à « la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs », en méconnaissance des obligations d’abstention posées par les articles 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF, à :

— Mme C, directrice de la production internationale et membre du comité exécutif d’Ubisoft, en procédant, le 27 septembre 2013, à partir de son compte ouvert dans les livres d’Amundi, à un arbitrage sur des parts du FCPE Ubi Actions pour les placer sur le support Pacteo Monétaire, pour un montant de 164 520,90 euros ;

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— M. F, président-directeur général d’Ubisoft studio Montréal, en cédant, le 26 septembre 2013, 54 609 actions Ubisoft issues de l’exercice concomitant de ses stock-options, pour un montant total de 621 849,07 euros ;

— M. D, vice-président Opérations d’Ubisoft studio Montréal, en procédant (i) à la vente, les 23 septembre et 7 octobre 2013, à titre personnel, de 8 169 actions Ubisoft issues de l’exercice concomitant de ses stock-options pour un montant 93 825,75 euros, et (i ) à la vente, le 7 octobre 2013, pour le compte de sa compagne, Mme […], également salariée d’Ubisoft, de 3 160 actions issues de l’exercice concomitant des stock-options de cette dernière, pour un montant de 35 076 euros ;

— M. E, vice-président Affaires Corporatives d’Ubisoft Studio Montréal, en cédant, le

25 septembre 2013, 18 203 actions Ubisoft issues de l’exercice concomitant de ses stock-options, pour un montant total de 207 237,50 euros ;

— M. G, à l’époque Brand Development Director d’Ubisoft, en cédant, le 3 octobre 2013,

4 045 actions issues de l’exercice concomitant de ses stock-options, pour un montant total de 45 142,20 euros ;

— M. B, en procédant, entre le 24 septembre et le 10 octobre 2013, à trois demandes de rachat représentant 96% des parts détenues par son épouse, Mme A, dans le FCPE Ubi Actions à partir de son compte ouvert dans les livres de la société Amundi, pour un montant total de 143 474,83 euros, puis à la vente, le 9 octobre 2013, à partir de leurs comptes respectifs ouverts dans les livres de la banque LCL, de 9 917 actions Ubisoft pour le compte de son épouse pour un montant de 107 103,60 euros et de 13 950 actions Ubisoft à titre personnel, pour un montant de 150 660 euros ;

2°) à Mme A, à l’époque Global Talent Acquisition Manager d’Ubisoft, d’avoir communiqué à son époux, M. B, la même information privilégiée ;

3°) à la Banque Transatlantique, de ne pas avoir procédé à la déclaration des opérations de cessions de titres Ubisoft réalisées par certains salariés de la société Ubisoft au cours des mois de septembre et d’octobre 2013, alors qu’elle avait des raisons de suspecter que ces opérations pouvaient constituer des abus de marché, en violation des dispositions de l’article L. 621-17-2 du code monétaire et financier précisé par les articles 315-42 à 315-44 du règlement général de l’AMF.

Le 24 septembre 2015, le président de l’AMF a transmis copie des notifications de griefs au président de la Commission des sanctions, conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier.

Le 1er octobre 2015, le président de la Commission des sanctions a désigné M. Miriasi Thouch, membre de la Commission des sanctions, en qualité de rapporteur, ce dont les mis en cause ont été informés par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 8 octobre 2015 leur rappelant la faculté qui leur était offerte d’être entendus par le rapporteur, conformément au I de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier.

Les mis en cause ont par ail eurs été informés, par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 12 octobre 2015, qu’ils pouvaient demander la récusation du rapporteur dans un délai d’un mois, en application de l’article R. 621-39-2 du code monétaire et financier et dans les conditions prévues par les articles R. 621-39-3 et R. 621-39-4 du même code.

Par courriel envoyé le 14 octobre 2015 au secrétariat de la Commission des sanctions, puis par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 28 octobre 2015 adressée au rapporteur, les conseils de Mme A, M. B et M. G ont demandé la communication de la copie de l’ensemble des boîtes de messagerie électronique remises par Ubisoft aux enquêteurs le 10 mars 2014.

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Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 10 novembre 2015, les mêmes conseils ont indiqué au rapporteur qu’ils restaient dans l’attente de la communication des éléments demandés et sollicité un délai complémentaire de deux mois pour déposer des observations en réponse aux notifications de griefs.

Le 17 novembre 2015, le rapporteur a répondu à ces conseils que les éléments demandés n’étaient « plus à la disposition de l’AMF et ne figur[aient] pas au dossier dont est saisie la Commission des sanctions » et a prolongé jusqu’au 15 décembre 2015 le délai imparti pour répondre aux notifications de griefs.

Des observations en réponse aux notifications de griefs ont été déposées, le 23 novembre 2015, par le conseil de M. G, le 24 novembre 2015, par les conseils de Mme C, M. F, M. D, M. E et de la Banque Transatlantique, puis le 11 décembre 2015, par les conseils des époux A et B.

Les mis en cause ont été convoqués par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 26 avril ou du 2 mai 2016 selon les cas, en vue de leur audition par le rapporteur. M. G a été entendu le 17 mai 2016, M. B et Mme A le 19 mai 2016, la Banque Transatlantique le 31 mai 2016, MM. E et D le 9 juin 2016, M. F le 10 juin 2016 et Mme C le 5 septembre 2016.

Dans le prolongement de ces auditions, M. G, le 25 mai 2016, Mme A et M. B, le 30 mai 2016, M. D, le 20 juin 2016, M. F, le 23 juin 2016, et Mme C, le 20 septembre 2016 ont fait parvenir des éléments complémentaires au rapporteur.

Le 13 juil et 2016, le rapporteur a sollicité du secrétaire général de l’AMF la communication des pièces relatives aux actes d’enquête accomplis par l’Autorité des marchés financiers du Québec (ci-après : « AMF Québec »), à la demande de l’AMF, sur le fondement de l’accord multilatéral portant sur la consultation, la coopération et l’échange d’informations signé dans le cadre de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs mobilières (ci- après le « MMoU »). Les éléments demandés lui ont été adressés le 2 août 2016.

Le 20 septembre 2016, le rapporteur a déposé son rapport.

Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 20 septembre 2016, auxquelles était joint le rapport du rapporteur, les mis en cause ont été convoqués à la séance de la Commission des sanctions du 18 novembre 2016 et informés, d’une part, qu’ils disposaient d’un délai de quinze jours pour présenter des observations en réponse au rapport du rapporteur, conformément au III de l’article R. 621-39 du code monétaire et financier et, d’autre part, qu’ils avaient le droit de se faire assister de tout conseil de leur choix, en vertu du II de l’article R. 621-40 du même code.

Par lettres recommandées avec demande d’avis de réception du 3 octobre 2016, les mis en cause ont été informés de la composition de la Commission des sanctions appelée à délibérer à l’issue de la séance du 18 novembre 2016 ainsi que du délai de quinze jours dont ils disposaient pour demander la récusation d’un ou de plusieurs de ses membres, en application des dispositions des articles R. 621-39-2 à R. 621-39-4 du code monétaire et financier.

Des observations en réponse au rapport du rapporteur ont été reçues le 6 octobre 2016 des conseils de la Banque Transatlantique et après obtention de délais, le 14 octobre 2016 des conseils de M. G, Mme A et M. B et le 17 octobre 2016 des conseils de Mme C, M. F, M. D et M. E.

Lors de la séance de la Commission des sanctions, MM. F, D et E ont fait une déclaration avant tout débat au fond, ce dont il leur a été donné aussitôt acte.

Leur conseil a remis pour qu’el e soit versée aux débats une copie de l’assignation qu’ils ont fait délivrer à l’AMF France.

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MOTIFS DE LA DÉCISION

I. Sur la nullité de la procédure soulevée par MM. F, D et E et Mme C

MM. F, D et E prétendent que les procès-verbaux de leurs auditions réalisées au Québec sont nuls et que l’ensemble de la procédure l’est aussi par voie de conséquence, en soutenant, d’abord, que l’AMF Québec et l’AMF ont commis des excès de pouvoir en procédant à ces auditions, ensuite, que leurs déclarations ont été recueil ies et utilisées dans des conditions irrégulières et, enfin, que la nullité de ces dernières entraîne celle du rapport d’enquête, qui les mentionne, ainsi que celle des notifications de griefs fondées sur ce rapport.

Mme C fait valoir qu’en cas de prononcé de la nullité de la procédure sur le fondement des moyens invoqués par MM. F, D et E, les poursuites engagées à son encontre se trouveraient arrêtées par voie de conséquence.

Sur les excès de pouvoirs allégués

Pour soutenir que l’AMF Québec et l’AMF ont commis des excès de pouvoir, MM. F, D et E affirment, d’une part, que la première n’était pas autorisée à effectuer une enquête en vue de poursuivre des manquements fondés sur des lois étrangères et, en particulier, à procéder à des auditions, et, d’autre part, que la seconde a accompli des actes d’enquête en territoire québécois et posé des questions aux personnes entendues sans y être habilitée.

L’article 239 de la loi québécoise sur les valeurs mobilières, qui énumère les cas dans lesquels l’AMF Québec peut ouvrir une enquête, prévoit que « L’Autorité peut instituer une enquête : […] 4° dans le cadre de l’exécution d’un accord visé au deuxième alinéa de l’article 33 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers » ;

L’article 33 de la loi sur l’Autorité des marchés financiers du Québec, auquel renvoie le 4° de l’article 239 précité, énonce, en son alinéa 2, que « [L’Autorité] peut […], conformément à la loi, conclure un accord avec le gouvernement, l’un de ses ministères ou organismes, ou avec une personne ou un organisme, du Québec ou de l’extérieur du Québec, en vue de favoriser l’application de la présente loi, d’une ou plusieurs des lois visées à l’article 7 ou d’une loi étrangère en semblable matière » et, en son alinéa 3, que « […] cet accord peut permettre la communication de tout renseignement personnel pour favoriser l’application d’une loi visée à l’article 7 ou d’une loi étrangère en semblable matière ».

L’article 7 du même texte renvoie à des lois énumérées à l’annexe 1, parmi lesquelles figure celle sur les valeurs mobilières qui prévoit et réprime les manquements d’initié.

L’article 7 d) du MMoU, dont l’AMF France et l’AMF Québec sont signataires, prévoit que l’assistance mutuelle entre autorités pourra comprendre « conformément au paragraphe 9 (d), le compte rendu de l’audition d’une personne, ou, si cela est autorisé, du témoignage sous serment d’une personne relatif aux questions mentionnées dans la demande d’assistance ».

Aux termes de l’article 9 d) du même accord : « A moins que les Autorités n’en aient décidé autrement, les informations et documents demandés dans le cadre du présent Accord seront rassemblés conformément aux procédures en vigueur dans la juridiction de l’Autorité requise, par les personnes qu’elle aura désignées. Si cela est autorisé par les lois et réglementations de la juridiction de l’Autorité requise, un représentant de l’Autorité requérante pourra assister aux auditions statements » dans la version en anglais] et aux prises de témoignages et fournir à un représentant désigné par l’Autorité requise une liste de questions spécifiques à poser à toute personne entendue. ».

L’accord de coopération et d’échange d’informations signé le 31 janvier 1992 par la Commission des opérations de bourse, aux droits de laquel e vient l’AMF, et la Commission des valeurs mobilières du Québec, devenue l’AMF Québec, ne prévoit pas de décision contraire.

D’une part, dans la présente espèce, l’AMF Québec a ouvert une « enquête relative aux opérations sur le titre de Ubisoft Entertainment SA » afin de répondre à une demande d’assistance de l’AMF fondée sur le MMoU par

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décisions n°2014-DCM-0023 et 2014-ENQ-0015 du 28 février 2014. Elle a désigné, dans ce cadre, deux enquêteurs québécois. Par courrier du 8 août 2014, la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF a sol icité l’organisation par l’AMF Québec de l’audition de plusieurs employés d’Ubisoft résidant au Québec, dont MM. F, D et E. Ces derniers, convoqués par l’AMF Québec en vue de leur audition dans ses locaux de Montréal, ont été entendus les 15 et 16 octobre 2014.

Il résulte de la combinaison de l’article 239, 4° de la loi sur les valeurs mobilières du Québec ainsi que des articles 7 et 33, alinéa 2, et de l’annexe 1 de la loi sur l’Autorité des marchés financiers du Québec que cette dernière peut ouvrir une enquête dans le cadre de l’exécution d’un accord tel que le MMoU en vue de favoriser l’application d’une loi étrangère prévoyant et réprimant les manquements d’initié.

L’article 7 d) du MMoU envisage expressément la réalisation d’auditions ou le recueil de témoignages sous serment dans le cadre de la coopération internationale entre autorités.

Les dispositions précitées de la loi sur l’Autorité des marchés financiers ou de la loi sur les valeurs mobilières, notamment celles invoquées par les mis en cause énonçant que l’accord conclu en vue de favoriser l’application d’une loi étrangère « peut permettre la communication de tout renseignement personnel », n’ont pas pour objet ou pour effet de limiter les pouvoirs d’enquête dont dispose l’AMF Québec dans un tel cadre et, partant, d’interdire la tenue d’auditions.

En conséquence, les auditions ont été menées par les enquêteurs de l’AMF Québec conformément aux textes ci-dessus visés.

D’autre part, l’AMF Québec a désigné les enquêteurs français « pour la conduite de l’enquête instituée par l’Autorité des marchés financiers dans sa décision n°2014-DCM-0023 » par décisions du 30 septembre 2014, prises au visa de l’article 247 de la loi québécoise sur les valeurs mobilières qui dispose que « L’Autorité désigne le membre de son personnel chargé de la conduite de l’enquête » et « peut aussi charger de la conduite de l’enquête une personne qui ne fait pas partie de son personnel », laquelle « prête serment devant un juge de la Cour du Québec ou devant un membre de l’Autorité […] ». Les enquêteurs français désignés ont prêté serment le 14 octobre 2014 devant le directeur principal des enquêtes de l’AMF Québec.

Il résulte de leurs enregistrements et de leur transcription que les auditions de MM. F, D et E ont été conduites par les enquêteurs québécois et français désignés par l’AMF Québec dans le cadre de l’enquête ouverte pour répondre à la demande d’assistance de l’AMF. Plus précisément, un enquêteur québécois a rappelé à chacune des personnes entendues ses obligations ainsi que les droits constitutionnels dont elle bénéficiait puis lui a demandé de prêter serment, conformément à la procédure applicable devant l’AMF Québec, avant, ces formalités effectuées, de « céder la parole » aux enquêteurs français qui ont directement posé des questions.

Les auditions de MM. F, D et E ont donc été conduites sous l’égide de l’AMF Québec, avec la participation des enquêteurs français expressément habilités à cet effet, de sorte qu’il n’est pas établi que ces derniers ont, comme le soutiennent les mis en cause, effectué ès qualités des actes d’enquête au Québec.

Par ail eurs, les dispositions de la deuxième phrase de l’article 9 d) du MMoU précité invoquées par les mis en cause, qui prévoient la faculté pour le représentant de l’Autorité requérante d’assister aux auditions et prises de témoignages réalisées par l’Autorité requise, n’interdisent pas au droit de la juridiction de l’Autorité requise de prévoir une implication plus importante du représentant de l’Autorité requérante.

En conséquence, les auditions ont été menées avec la participation des enquêteurs de l’AMF conformément aux textes ci-dessus visés.

Le moyen pris des excès de pouvoir commis par l’AMF Québec et l’AMF à l’occasion des auditions de MM. F, D et E, sera écarté.

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Sur l’irrégularité des auditions par les enquêteurs de M. F, M. D et M. E

Pour soutenir que leurs auditions au Québec ont été recueil ies et utilisées dans des conditions irrégulières, MM. F, D et E affirment, d’une part, qu’en leur faisant prêter serment, les enquêteurs ont violé le principe de légalité dans l’administration de la preuve, le code monétaire et financier n’autorisant pas une telle pratique, d’autre part, que le fait de faire prêter serment, lors d’une audition, à la personne entendue est contraire, en soi, aux principes de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CESDH »), et enfin, que l’AMF ne peut, sans méconnaître le principe de loyauté et violer les droits des mis en cause, utiliser les procès-verbaux d’audition de M. D, M. E et M. F, alors qu’il leur avait été expressément indiqué que cela ne se produirait pas.

Il résulte des pièces de la procédure que les enquêteurs québécois ont, le 9 septembre 2014, invité MM. F, D et E à se présenter volontairement pour être entendus puis, le 23 septembre suivant, à la demande de leurs conseils, leur ont ordonné de comparaître par voie d’ « assignation à un témoin » (subpoena). En préambule de leurs auditions respectives, il leur a été indiqué par les enquêteurs québécois qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’ils avaient été en possession d’informations privilégiées lors de transactions boursières réalisées sur le titre Ubisoft, en violation des articles 621-1 et suivants, 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF France relatifs au manquement d’initié, et qu’ils étaient convoqués en qualité de témoins et, à ce titre, protégés par la charte canadienne des droits et libertés et la charte des droits et libertés de la personne, ce dont il résultait que leurs déclarations ne pourraient être retenues contre eux « lors d’éventuelles procédures criminel es ou pénales, sauf en cas de parjure ou de témoignage contradictoire », et qu’ils étaient tenus de répondre aux questions sous peine d’outrage. Il leur a ensuite été demandé de prêter serment de dire « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ».

Les lettres circonstanciées adressées aux mis en cause le 16 mars 2015 qui ont précédé le rapport d’enquête reproduisent par extraits les termes des procès-verbaux de ces auditions. Il en est de même du rapport d’enquête. Les notifications de griefs adressées aux mis en cause le 24 septembre 2015 renvoient au rapport d’enquête.

D’une part, il résulte de l’article 9 d) précité du MMoU et de l’absence de décision contraire, notamment dans l’accord de coopération et d’échange d’informations du 31 janvier 1992 liant l’AMF et l’AMF Québec, que la régularité des actes accomplis par l’AMF Québec doit être appréciée au regard du droit québécois, seul applicable. Le moyen fondé sur la violation des dispositions du code monétaire et financier est donc inopérant.

D’autre part, si les modalités de recueil d’informations et de documents dans le cadre de la coopération internationale sont gouvernées par le droit de l’autorité requise, il est cependant nécessaire de vérifier si ces éléments n’ont pas été obtenus dans des conditions qui méconnaîtraient les droits fondamentaux garantis par la Constitution française ou la CESDH, à laquelle la France est partie.

L’article 6 de la CESDH consacre le droit de toute personne à un procès équitable, qui recouvre notamment celui de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination.

En l’espèce, lors de leurs auditions par les enquêteurs, les personnes entendues au Québec, dont M. F, M. D et M. E, ont été tenues de répondre sous serment à l’ensemble des questions posées et de dire la vérité sous peine de sanctions pénales.

Une tel e obligation, de surcroît sous la menace de poursuites pénales, méconnaît à l’évidence le droit des personnes poursuivies de se taire et de ne pas contribuer à leur propre incrimination protégé par l’article 6 précité.

A la lumière de ces éléments et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens, il y a lieu de déclarer nulles les auditions de M. F, M. D et M. E, mis en cause dans le cadre de la présente procédure, et d’écarter des débats les procès-verbaux de ces auditions.

Enfin, si les lettres circonstanciées adressées à M. F, M. D et M. E ainsi que le rapport d’enquête reproduisent une partie des déclarations faites par ces derniers devant les enquêteurs au Québec, ces extraits, classés par thème

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et littéralement retranscrits, peuvent en être cancel és sans difficulté dans les lettres circonstanciées et le rapport d’enquête versés aux débats.

Ni les notifications de griefs ni le rapporteur dans son rapport ne se fondent sur les auditions litigieuses de M. F, M. D et M. E pour apprécier la caractérisation des manquements.

Les documents communiqués par M. F, M. D et M. E consécutivement aux auditions litigieuses l’ont été de façon volontaire.

Il importe de noter que les mis en cause ont pu faire valoir, tout au long de la procédure de sanction, les moyens de fait et de droit qu’ils jugeaient utiles à leur défense, notamment en réponse aux notifications de griefs, au rapport du rapporteur et enfin au cours de la séance de la Commission, de sorte que les éléments à décharge qui résulteraient des procès-verbaux annulés ont pu être développés ultérieurement.

Il n’y a donc pas lieu de prononcer la nullité de l’ensemble de la procédure.

II. Sur l’impossibilité d’avoir accès à certains éléments du dossier d’enquête invoquée par M. G et [Mme A et M. B]

M. G, Mme A et M. B soutiennent que l’absence de communication, par les enquêteurs puis par le rapporteur, des boîtes de messagerie électronique de M. C, M. […], M. […], M. […], M. […], M. […], Mme C, Mme A, M. G, M. […], M. […], M. […] et M. […], remises par Ubisoft aux enquêteurs le 10 mars 2015, méconnaît tout à la fois les principes du contradictoire, de l’égalité des armes, de loyauté de l’enquête et les droits de la défense. Ils soulignent notamment qu’à défaut de pouvoir consulter ces boîtes de messagerie, ils n’ont pas été en mesure d’identifier les éléments à décharge éventuellement occultés par les enquêteurs. Ils reprochent également à ces derniers de ne pas avoir exploité certaines de ces boîtes.

Le principe du contradictoire n’est pas applicable durant la phase d’enquête qui doit, en revanche, être conduite de manière loyale afin de ne pas compromettre irrémédiablement les droits de la défense.

Les enquêteurs doivent ainsi verser au dossier tous les éléments à charge et à décharge, qui seront ensuite mis à disposition des mis en cause à compter de la notification de griefs.

Sous cette réserve, les services d’enquête de l’AMF déterminent librement la nature et l’étendue des investigations auxquelles ils décident de procéder dans le cadre de l’enquête qui leur est confiée, ainsi que le sort des actes effectués et des pièces examinées à l’occasion de cette enquête.

Le principe d’égalité des armes implique que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de désavantage par rapport à son adversaire.

En l’espèce, les enquêteurs se sont rendus au siège social d’Ubisoft les 10 et 13 mars 2014 pour se faire remettre divers documents et supports informatiques énumérés dans les procès-verbaux correspondants, parmi lesquels figuraient les boîtes de messagerie électronique en cause.

Par pli du 6 mai 2014, Ubisoft a fait parvenir aux enquêteurs, en complément, les boîtes de messagerie électroniques de Mme […] et de M. […].

A l’issue d’un examen du contenu de l’ensemble des boîtes, les enquêteurs ont extrait les correspondances qui leur paraissaient entrer dans le champ de l’enquête et les ont versées au dossier.

Dans ce cadre les enquêteurs ont notamment retenu une conversation intervenue par messagerie instantanée le 11 octobre 2013, de 14h22 à 14h26, entre M. […] et M. G.

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Une fois leurs démarches d’analyse et d’extraction effectuées, les enquêteurs ont restitué à Ubisoft l’intégralité des éléments qui leur avaient été remis, dont les boîtes de messagerie litigieuses. Les éléments réclamés par les mis en cause à l’AMF ne sont donc plus à sa disposition depuis le 24 juil et 2014 et ne figurent pas au dossier soumis à la Commission des sanctions.

Les mis en cause, qui invoquent la violation des droits de la défense, n’expliquent pas l’utilité que présenteraient pour leur défense les boîtes de messagerie électroniques de tiers, mis en cause ou non, dans la procédure et ne soutiennent pas avoir été dans l’impossibilité d’accéder à leurs propres boîtes de messagerie électronique durant l’enquête, ou même ultérieurement s’agissant de M. G qui demeure salarié d’Ubisoft.

Au soutien de son allégation de déloyauté des enquêteurs, M. G fait valoir qu’ils ont joint à la procédure une version tronquée de sa conversation du 11 octobre 2013 par messagerie instantanée avec M. […]. Il produit au soutien de son argumentation une copie de cette conversation intégrant des échanges postérieurs intervenus entre eux entre 15h06 et 15h57.

Il résulte de pièces produites que les premiers échanges entre M. […] et M. G sont strictement identiques dans les deux versions.

Les échanges postérieurs, uniquement contenus dans la seconde version, sont dénués de lien avec l’objet de l’enquête, comme avec les faits visés dans la notification de griefs adressée à M. G. Ils ne sont donc pas des éléments à décharge.

Ainsi, la seule circonstance qu’il existait une version de la conversation du 11 octobre 2013 postérieure à celle sélectionnée par les enquêteurs n’est, en l’absence de tout autre élément, pas de nature à établir la déloyauté de ces derniers à l’égard de M. G.

Les époux A et B, qui se bornent à se prévaloir de la pièce produite par M. G, ne démontrent pas davantage que ce dernier la déloyauté des enquêteurs.

Par ail eurs, au cours de l’enquête, M. G et les époux A et B ont pu transmettre des documents et faire valoir des arguments, notamment en réponse à la lettre circonstanciée qui exposait les principaux éléments retenus par les enquêteurs. Une fois les griefs notifiés, ils ont obtenu la copie de l’intégralité du dossier soumis à la Commission, ont été entendus par le rapporteur et ont pu présenter des observations à plusieurs stades de la procédure et en dernier lieu lors de la séance de la Commission.

Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que le moyen tiré de l’absence d’accès à certains éléments du dossier d’enquête en violation des principes du contradictoire, de l’égalité des armes et de loyauté de l’enquête ainsi que de leurs droits de la défense, mal fondé, doit être écarté.

III. Sur la transmission et / ou l’utilisation d’une information privilégiée reprochées à Mme C, M. F, M. D, M. E, M. G, Mme A et M. B

Il est fait grief à Mme C, M. F, M. D, M. E, M. G, Mme A et M. B d’avoir manqué à leurs obligations d’abstention de communication ou d’utilisation d’une information privilégiée « relative à la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs », en violation des dispositions des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF.

Sur les textes applicables

Les faits reprochés aux mis en cause se sont déroulés entre le 18 septembre et le 10 octobre 2013. Ils seront donc examinés à la lumière des textes alors applicables sous réserve de l’application rétroactive d’éventuel es dispositions plus douces entrées en vigueur ultérieurement.

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Définition de l’information privilégiée

Aux termes de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF, dans sa rédaction issue de l’arrêté du 12 novembre 2004 transposant la directive 2003/6 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initié et manipulations de marché et la directive 2003/124 du Parlement européen et du Conseil du 22 décembre 2003 portant modalités d’application de la directive 2003/6 : « Une information privilégiée est une information précise qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui si elle était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés […]. / Une information est réputée précise si el e fait mention d’un ensemble de circonstances ou d’un événement qui s’est produit ou qui est susceptible de se produire et s’il est possible d’en tirer une conclusion quant à l’effet possible de ces circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers concernés […]. / Une information, qui si el e était rendue publique, serait susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concernés […] est une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme l’un des fondements de ses décisions d’investissement ».

Le règlement n°596/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 sur les abus de marché (ci-après le « règlement MAR »), entré en application le 3 juillet 2016, dispose, en son article 7 : « 1. Aux fins du présent règlement, la notion d’« information privilégiée » couvre les types d’information suivants : / a) une information à caractère précis qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers concernés […] ; / 2. Aux fins de l’application du paragraphe 1, une information est réputée à caractère précis si elle fait mention d’un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement qui s’est produit ou dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira, si elle est suffisamment précise pour qu’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers […]. […]. / 3. […] / 4. Aux fins du paragraphe 1, on entend par information qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments financiers […], une information qu’un investisseur raisonnable serait susceptible d’utiliser comme faisant partie des fondements de ses décisions d’investissement.».

Mme C et MM. F, D et E soutiennent que le règlement MAR contient des dispositions plus douces que le règlement général de l’AMF en ce qu’il retient une définition moins large de l’information privilégiée, destinée à la distinguer de simples rumeurs. Ils se prévalent à cet égard du considérant 18 du règlement MAR, qui fait état d’« une définition plus fine de deux des éléments essentiels de la définition de l’information privilégiée, à savoir le caractère précis de cette information et I’importance de son impact potentiel sur les cours des instruments financiers […] », de la référence faite par l’article 7.2 de ce règlement pour définir l’information réputée précise « à un ensemble de circonstances qui existe ou dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira » et à une information « suffisamment précise pour qu’on puisse en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances ou de cet événement sur le cours des instruments financiers » ainsi que de l’arrêt Geltl de la Cour de justice de l’Union européenne du 28 juin 2012 selon lequel « la notion « d’un ensemble de circonstances […] dont on peut raisonnablement penser qu’il existera ou d’un événement […] dont on peut raisonnablement penser qu’il se produira » vise les circonstances ou les événements futurs dont il apparaît, sur le fondement d’une appréciation globale des éléments disponibles, qu’il y a une réelle perspective qu’ils existeront ou se produiront ».

Cependant, si certaines dispositions de l’article 7 du règlement MAR donnent une « définition plus fine » de l’information privilégiée que la directive 2003/6 du 28 janvier 2003 telle que précisée par la directive 2003/124 du 22 décembre 2003, tel n’est pas le cas de celles citées par les mis en cause, qui reprennent à l’identique les dispositions de l’article 1, point 1, de cette dernière directive.

Les définitions de l’information privilégiée prévues par dispositions précitées des articles 621-1 du règlement général de l’AMF et 7 du règlement MAR sont rédigées en des termes très proches. Ces rédactions apparaissent équivalentes.

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Il est donc sans incidence que, pour caractériser la précision de l’information, le règlement MAR se réfère à un ensemble de circonstances « dont on peut raisonnablement penser » qu’il existera et à une information « suffisamment précise » pour pouvoir en tirer une conclusion quant à l’effet possible de cet ensemble de circonstances sur le cours des instruments financiers, tandis que le règlement général de l’AMF mentionne un ensemble de circonstances qui est « susceptible » de se produire et dont « il est possible de tirer une conclusion » quant à son effet possible sur le cours des instruments financiers concernés.

L’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt Geltl du 28 juin 2012 des dispositions de l’article 1, point 1, de la directive 2003/124 du 22 décembre 2003, loin de créer, comme semblent le soutenir les mis en cause, une discordance entre le règlement MAR et l’article 621-1 du règlement général de l’AMF quant au degré de plausibilité requis de « l’ensemble de circonstances » dont fait mention l’information réputée précise, contribue au contraire à en permettre une appréciation convergente dès lors que le considérant 16 du règlement MAR en reprend la substance et que l’article 621-1 du règlement général de l’AMF transpose les dispositions de l’article 1, point 1, de la directive.

Les dispositions en cause du règlement MAR qui définissent l’information privilégiée ne sont donc pas plus douces et, dès lors, ne peuvent être appliquées rétroactivement.

Définition des opérations d’initié

Aux termes de l’article 622-1 du règlement général de l’AMF, dans sa version issue de l’arrêté du 30 décembre 2005 : « Toute personne mentionnée à l’article 622-2 doit s’abstenir d’utiliser l’information privilégiée qu’elle détient en acquérant ou en cédant, ou en tentant d’acquérir ou de céder, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, soit directement soit indirectement, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments sont liés. / El e doit également s’abstenir de : 1° Communiquer cette information à une autre personne en dehors du cadre normal de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ou à des fins autres que cel es à raison desquelles el e lui a été communiquée […] » ; qu’aux termes de l’article 622-2 du même règlement, dans sa version issue de l’arrêté du 12 novembre 2004 : « Les obligations d’abstention prévues à l’article 622-1 s’appliquent à toute personne qui détient une information privilégiée en raison de : 1° Sa qualité de membre des organes d’administration, de direction, de gestion ou de surveil ance de l’émetteur ; […] / 3° Son accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière ; […] / Ces obligations d’abstention s’appliquent également à toute autre personne détenant une information privilégiée et qui sait ou qui aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée ».

Le règlement MAR dispose, en son article 8 : « 1. Aux fins du présent règlement, une opération d’initié se produit lorsqu’une personne détient une information privilégiée et en fait usage en acquérant ou en cédant, pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers, directement ou indirectement, des instruments financiers auxquels cette information se rapporte […] / 4. Le présent article s’applique à toute personne qui possède une information privilégiée en raison du fait que cette personne : a) est membre des organes d’administration, de gestion ou de surveil ance de l’émetteur […] ; / c) a accès aux informations en raison de l’exercice de tâches résultant d’un emploi, d’une profession ou de fonctions ; […] / Le présent article s’applique également à toute personne qui possède une information privilégiée dans des circonstances autres que celles visées au premier alinéa lorsque cette personne sait ou devrait savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée » ; que l’article 10 du même règlement prévoit quant à lui : « 1. Aux fins du présent règlement, une divulgation il icite d’informations privilégiées se produit lorsqu’une personne est en possession d’une information privilégiée et divulgue cette information à une autre personne, sauf lorsque cette divulgation a lieu dans le cadre normal de l’exercice d’un travail, d’une profession ou de fonctions. / Le présent paragraphe s’applique à toute personne physique ou morale dans les situations ou les circonstances visées à l’article 8, paragraphe 4 ».

Les dispositions en cause des articles 622-1 et 622-2 du règlement de l’AMF et 8 du règlement MAR définissent les opérations d’initié en des termes très proches.

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Les faits de la présente affaire n’entrent pas dans les prévisions de l’article 9 du règlement MAR, relatif aux comportements légitimes.

Il s’ensuit qu’aucune disposition plus douce n’est, en l’espèce, susceptible de recevoir une application rétroactive.

Sur le caractère privilégié de l’information relative à la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs

Les notifications de griefs adressées à Mme C, M. F, M. D, M. E, M. G, Mme A et M. B retiennent que l’information relative à la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs a revêtu un caractère privilégié au plus tard le 18 septembre 2013, dans la mesure où el e était, à cette date :

— Précise, en raison de :  la demande de M. C, formulée par courriel du 18 septembre 2013, d’étudier trois scénarios prévoyant le report de la sortie du jeu Watch Dogs soit entre le 5 et le 10 décembre pour la version « Next Gen » et « sans doute » le 17 décembre pour la version « Current Gen », soit à fin février 2014, soit au début d’avril 2014, demande qui avait été précédée d’interrogations croissantes, exprimées dès la fin du mois d’août 2013, sur le respect du calendrier initial, d’une première proposition de modification du scénario de sortie du jeu communiquée à M. C le 6 septembre 2013 et d’un « Closing report » reçu par M. F le 9 septembre 2013 concluant au report de la sortie de la version « Next Gen »,  la possibilité de tirer de cette information, au plus tard le 18 septembre 2013, une conséquence, en l’occurrence négative, sur l’évolution du cours du titre Ubisoft ;

— Confidentielle : dès lors qu’avant le 15 octobre 2013, date du communiqué ayant annoncé le décalage de la sortie du jeu, initialement attendue les 19 et 21 novembre 2013, aucune information sur le risque d’un tel décalage n’avait été portée à la connaissance du public ;

— Susceptible d’avoir une influence sensible, en l’occurrence négative, sur le cours du titre Ubisoft, en raison de :  la sensibilité du cours au respect du calendrier annoncé de sortie des jeux et de la baisse anticipée des ventes,  la date de sortie initiale, à savoir fin novembre 2013, correspondant à une période cruciale des ventes, les scénarios envisagés prévoyant une sortie soit après la période de Thanksgiving soit après Noël ;

étant relevé que l’annonce du report du jeu Watch Dogs et de l’avertissement sur résultats associé ont d’ail eurs donné lieu, le 16 octobre 2013, à une baisse du cours du titre de 26%.

Mme C et MM. F, D et E soutiennent que l’information litigieuse n’était pas précise le 18 septembre 2013 au motif que le décalage de la sortie du jeu résultant des scénarios évoqués dans le courriel de M. C ne constituait qu’une hypothèse de travail demeurée « hautement improbable » jusqu’au 11 octobre 2013. Ils ajoutent que cette information n’était pas non plus susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre Ubisoft en raison de la fréquence des reports de commercialisation dans l’industrie du jeu vidéo.

M. G, Mme A et M. B font valoir, pour leur part, que les rumeurs d’avertissement sur résultats avaient conféré à l’information un caractère public dès le 3 octobre 2013.

Les mis en cause observent qu’Ubisoft n’a pas fait l’objet d’un grief fondé sur l’article 223-2 du règlement général de l’AMF, qui fait obligation à tout émetteur de porter « dès que possible » toute information privilégiée à la connaissance du public. Mais, étant donné qu’en application du principe de l’opportunité des poursuites, le Collège

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décide de la nature et de l’étendue des griefs qu’il notifie, il ne peut être tiré aucune conséquence de l’absence de notification de grief à l’encontre d’Ubisoft.

Il convient donc de rechercher si l’information relative à la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs présentait, au plus tard le 18 septembre 2013, les caractéristiques d’une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF.

Sur le caractère précis de l’information

Il résulte des pièces de la procédure et des auditions non annulées les éléments suivants :

Ubisoft a développé deux versions du jeu Watch Dogs, l’une destinée aux consoles de la génération actuelle (« Current Gen ») et l’autre aux consoles de génération future (« Next Gen »), toutes deux d’une grande importance car elle escomptait faire de Watch Dogs le jeu emblématique des consoles « Next Gen » et réaliser l’essentiel des ventes de l’exercice 2013 / 2014 avec la version « Current Gen ». Des notes au moins égales à 90/100 pour les deux versions, correspondant à l’objectif classique d’Ubisoft pour ses superproductions, étaient attendues.

En raison de l’importance de la période de la fin de l’année pour les ventes de jeux vidéo et de la sortie, à la même époque, des consoles de jeux vidéo « Next Gen », la commercialisation des deux versions du jeu avait été initialement fixée au 19 novembre 2013 pour les Etats-Unis et au 21 novembre 2013 pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique. Le respect de ce calendrier impliquait de soumettre les maquettes du jeu aux constructeurs de consoles en principe à la mi-octobre 2013.

A compter de l’été 2013, la phase de bouclage (le closing), du jeu Watch Dogs a été amorcée. Cette phase a pour objet, d’une part, de prendre en compte les commentaires de l’équipe éditoriale et les résultats des tests effectués auprès de joueurs et, d’autre part, de corriger les erreurs de programmation et dysfonctionnements techniques (les

bugs) jugés les plus problématiques dans le but d’obtenir des notes élevées.

Dès le 25 juil et 2013, des collaborateurs expérimentés d’Ubisoft venus renforcer les équipes existantes pour les besoins de la phase de closing ont fait état, auprès de M. F, président-directeur général d’Ubisoft studio Montréal au sein duquel était développé le jeu Watch Dogs, de leurs « très grosses craintes » quant à la capacité d’Ubisoft à maintenir la date de sortie de la version « Current Gen ».

Le 26 juil et 2013, le vice-président responsable du contenu créatif au sein d’Ubisoft studio Montréal a confirmé l’existence d’un risque pesant sur la livraison de cette version, qui ne lui apparaissait « pas jouable » en l’état.

Le 21 d’août 2013, les résultats des tests effectués auprès des joueurs sur les deux versions du jeu ont fait apparaître une chute des notes à 77/100.

Le 23 août 2013, M. C […] a réaffirmé l’importance d’obtenir une note de 90+ « sur les Next Gen (quitte à louper le launch [lancement] PS4 – Thanksgiving à sécuriser) ».

Le 24 août 2013, l’équipe de closing du jeu a émis un premier rapport jugé « alarmant » par M. F.

Le 5 septembre 2013, le producteur exécutif du jeu Watch Dogs a indiqué au responsable du closing qu’il convenait de « reparler de décalage » des dates de sortie des versions « Next Gen » et « Current Gen ».

Le lendemain, l’un des membres de l’équipe de production internationale, constatant que le jeu était « encore très instable et la quantité de bugs totale […] encore inconnue », a suggéré à son tour un tel report au président d’Ubisoft. L’un des scénarios alors « proposés par l’équipe pour garantir la sortie du jeu » prévoyait la commercialisation de la version « Next Gen » « juste avant Thanksgiving, soit le mardi 26 novembre (US) » et celle de la version « Current Gen » en février 2014.

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En réponse aux interrogations de M. C sur ces dates qui posaient de son point de vue « un énorme problème », M. F a expliqué que « si on veut coûte que coûte tenir les dates (avec faible garantie), on ne livre pas un 90+ » et précisé que, selon l’équipe de closing, il fallait « encore un mois pour arriver à une version de soumission, uniquement sur Next Gen ».

Le 9 septembre 2013, cette équipe a établi un rapport concluant que « reporter la date de sortie de la NG [Next Gen] semble être la seule option qui fonctionnera ». M. C a indiqué le même jour, notamment à Mme C et M. F, qu’ils al aient devoir faire tout ce qu’ils pouvaient pour compenser les baisses de ventes du jeu Watch Dogs, puis décidé, le 11 septembre 2013, d’ajuster le calendrier du jeu

Watch Dogs en reportant au 26 novembre 2013 la sortie de la version « Current Gen » et en avançant au 15 novembre 2013 cel e de la version « Next Gen » aux Etats- Unis.

Le 18 septembre 2013, les principaux protagonistes ont reçu un nouveau rapport de closing qui concluait au caractère « irréaliste » du plan de sortie envisagé s’il était tenu compte de l’aspect qualitatif, au regard du nombre de bugs affectant encore le jeu et de l’ampleur du travail restant à accomplir sur son contenu. Commentant ce document, le responsable du closing a indiqué à Mme C et M. F : « Désolé mais effectivement on n’est pas en train d’y arriver. On est dessus […] mais ça commence vraiment en sentir le sapin qd même ».

Dans un courriel du même jour, M. C a rappelé au directeur du contenu éditorial monde qu’ils avaient, comme déjà discuté, les « trois options » suivantes : « Cas 1 Next Gen 90+ current 85. Pour cela pouvoir envoyer pour approbation jusqu’au 10/11 next gen (sortie entre le 5 et le 10/12) (à vérifier avec Nicolas). Pour Cu[r]rent 24/11 maxi pour approbation (sortie sans doute le 17/12) aussi à Vérifier avec Nicolas ; / Cas 2 Next Gen / 92+ et current 90+ sortie fin 02 2014 / Cas 3 next Gen 92+ et current 92 + Début 04 2014 », et l’a interrogé sur leur faisabilité et leur impact éventuel sur les autres productions d’Ubisoft.

Il résulte des éléments relevés plus haut que le 18 septembre 2013, le report de la sortie des versions « Current Gen » et « Next Gen » du jeu Watch Dogs avait déjà été jugé inévitable par dif érents responsables, que, dans son courriel du 18 septembre 2013, M. C ne mentionnait plus le calendrier révisé arrêté

le 11 septembre 2013, à savoir une commercialisation du jeu aux Etats-Unis avant Thanksgiving le 15 novembre 2013 et en Europe une dizaine de jours plus tard, mais trois options prévoyant une sortie, au plus tôt, au cours de la première quinzaine du mois de décembre 2013 (scénario n°1) et, au plus tard, au début du mois d’avril 2014, soit à l’exercice suivant (scénario n°3), et enfin qu’à cette date, il restait à remédier à de nombreux dysfonctionnements techniques affectant les versions « Current Gen » et « Next Gen » et un important travail à effectuer sur le contenu pour espérer atteindre la note de 90/100, dans un contexte commercial marqué par la sortie d’un jeu directement concurrent de Watch Dogs qui venait d’obtenir la note de 97/100.

Ainsi, loin d’être une simple hypothèse de travail comme le soutiennent les mis en cause, une sortie du jeu au-delà des 19 et 21 novembre 2013, dates initialement prévues, était fortement probable dès le 18 septembre 2013, peu important, les notifications de griefs se référant à une « forte probabilité » et non à une certitude, qui n’est pas exigée par les textes, que le report n’ait été décidé que le 11 octobre 2013, date à laquelle M. C s’est formel ement prononcé en faveur du troisième scénario.

Les textes applicables n’exigent pas, pour caractériser la précision de l’information, que soit établie la nature exceptionnel e ou inédite de l’ensemble de circonstances ou de l’événement auquel elle se rapporte. Le fait que les dates de soumission soient en général « compressibles » et les négociations habituelles pour chaque jeu produit par Ubisoft n’est donc pas de nature à lui seul à enlever à l’information en cause son caractère précis.

Comme il a été dit, le choix des dates initiales de sortie du jeu Watch Dogs avait notamment été dicté par l’importance, pour les éditeurs de jeux vidéo, de tenir leurs produits à la disposition du public avant Thanksgiving et les fêtes de Noël, période au cours de laquelle ils réalisent historiquement une partie substantielle de leur chiffre d’affaires annuel. Dans ce contexte, le décalage de la sortie du jeu Watch Dogs était de nature à remettre en cause la capacité d’Ubisoft à tenir ses objectifs financiers pour l’exercice 2013 / 2014. Il était possible de tirer de ces circonstances une conclusion quant à l’effet possible de l’information relative à la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs sur le cours du titre Ubisoft.

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L’information relative à « la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs » a donc présenté, au plus tard le 18 septembre 2013, le caractère de précision requis par l’article 621-1 du règlement général de l’AMF.

Sur le caractère non public de l’information

Certains des mis en cause invoquent des rumeurs davertissement sur résultats concernant Ubisoft qui auraient circulé dès le 3 octobre 2013. Mais de telles rumeurs, à les supposer établies, ne peuvent être regardées comme ayant porté à la connaissance du public la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs.

Le public a été informé par un communiqué du 15 octobre 2013 que les jeux « Watch Dogs et The Crew, précédemment prévus pour l’exercice fiscal 2013-14, viendr[aient] dorénavant renforcer l’exercice 2014-15 » d’Ubisoft. Avant cette date, aucune information publique ne faisait état du décalage, certain ou probable, de la sortie du jeu, qui était toujours attendue les 19 et 21 novembre 2013. Il est indifférent que dans l’intervalle, le 11 octobre 2013, M. C ait pris la décision de reporter la sortie du jeu Watch Dogs à l’exercice suivant.

L’information relative à « la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs » revêtait donc, le 18 septembre 2013 et jusqu’au 15 octobre 2013, un caractère non public au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF.

Sur l’influence sensible de l’information sur le cours du titre Ubisoft

Historiquement 60 à 70% du chiffre d’affaires d’Ubisoft est réalisé durant le troisième trimestre, correspondant aux mois d’octobre, de novembre et de décembre. Un chif re d’affaires se situant entre 1 420 et 1 450 mil ions d’euros était anticipé pour l’exercice 2013/2014. Les dates de sortie des deux versions du jeu initialement prévues, à savoir le 19 novembre 2013 pour les Etats-Unis et le 21 novembre 2013 pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, étaient proches de Thanksgiving (26 novembre) et des fêtes de Noël. Selon les prévisions établies en interne, les ventes de jeux Watch Dogs, dont la majorité était attendue en novembre 2013, devaient représenter environ 20% du chiffre d’affaires annuel.

Dans son document de référence pour l’exercice 2012/2013, déposé auprès de l’AMF le 25 juin 2013, Ubisoft a mentionné le décalage de la sortie d’un jeu phare parmi les facteurs importants de risque pour la société en précisant que « dans un contexte très concurrentiel, et surtout saisonnier, marqué de plus en plus par l’obligation de sortir des “hits”, l’annonce du décalage d’un jeu attendu peut avoir des impacts négatifs sur les revenus, les résultats futurs du Groupe et donc sur la fluctuation du cours à la baisse ».

Ainsi, un investisseur raisonnable au fait de la forte probabilité du report de la sortie du jeu Watch Dogs au-delà des dates attendues des 19 et 21 novembre pouvait en déduire qu’Ubisoft risquait de ne pas respecter ses objectifs annuels et, partant, prendre la décision de céder des titres Ubisoft afin de se prémunir contre une baisse prévisible du cours de bourse.

L’information relative à « la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs » était donc susceptible d’avoir une influence sensible sur le cours du titre Ubisoft.

Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent que l’information relative à « la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs » a présenté, à compter du 18 septembre 2013, les caractéristiques d’une information privilégiée au sens de l’article 621-1 du règlement général de l’AMF.

Sur la détention et l’utilisation de l’information privilégiée par Mme C

Il est reproché à Mme C d’avoir procédé, le 27 septembre 2013, à un arbitrage sur son compte Amundi de l’intégralité de ses parts de FCPE Ubi Actions pour les placer sur le support Pacteo Monétaire alors qu’elle détenait l’information privilégiée du fait de ses fonctions, de surcroît sans informer Ubisoft de cette opération, en violation des règles internes auxquelles elle était astreinte du fait de son statut d’initiée permanente.

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Mme C fait valoir qu’el e n’avait pas une connaissance précise des obligations découlant de son statut d’initié et que l’arbitrage critiqué a porté sur une part très réduite, de l’ordre de […], de son portefeuil e total lié au titre Ubisoft. El e ajoute que cet arbitrage était motivé par des raisons objectives tenant à l’évolution favorable du cours de bourse, à l’imminence d’une fenêtre négative interdisant la réalisation d’opérations liées au titre Ubisoft et à l’arrivée à échéance de la période d’exercice de ses bons de souscription d’actions

(ci-après « BSA ») Ubisoft, ainsi qu’à des motifs personnels en lien avec des projets d’acquisition immobilière et de donation-partage. Enfin, elle conteste que les règles internes applicables au sein d’Ubisoft lui aient fait l’obligation de procéder à une déclaration préalable des opérations litigieuses auprès de son employeur et, partant, avoir méconnu celles-ci.

Mme C a procédé, le 27 septembre 2013, à un arbitrage sur ses parts du FCPE Ubi Actions pour un montant de 164 520,90 euros.

Il résulte des documents qu’elle a communiqués le 20 septembre 2016 qu’après cette opération, le solde de sa position dans le FCPE Ubi Actions, d’un montant de 3 748,76 euros, était indisponible. L’arbitrage critiqué a donc porté sur l’intégralité de ses parts disponibles du FCPE Ubi Actions.

Le FCPE Ubi Actions est composé en permanence de 90% minimum d’actions Ubisoft et ses parts constituent des « parts ou actions d’organismes de placement collectif », catégorie classée par le II de l’article L. 211-1 du code monétaire et financier parmi les titres financiers. Ces titres sont qualifiés d’instruments financiers par le I du même article. Les parts du FCPE Ubi Actions s’analysent dès lors en des instruments financiers liés aux actions Ubisoft et, partant, entrent dans le champ d’application des obligations d’abstention prévues par les articles 622-1 et 622- 2 du règlement général de l’AMF.

A l’époque des faits, Mme C était membre du comité exécutif d’Ubisoft. Elle exerçait les fonctions de directrice de la production internationale, qui lui conféraient la responsabilité de l’ensemble des fonctions dites « support » pour les studios de production, incluant la gestion des ressources humaines et des opérations studio, dont la coordination des projets de jeux vidéo. A ce dernier titre, elle figurait sur la liste des initiés permanents de la société en raison de son accès régulier « à des informations stratégiques globales » concernant Ubisoft.

Dès la fin du mois de juil et 2013, Mme C a été informée par M. F de l’existence d’un « gros risque » pesant sur la livraison de la version « Current Gen » du jeu Watch Dogs puis, à la fin du mois d’août 2013, du rapport alarmant établi par l’équipe de closing du jeu. El e a en outre été destinataire,

le 6 septembre 2013, d’un courriel de M. F expliquant que les objectifs de qualité ne pouvaient, en l’état, être atteints. Trois jours plus tard, el e a reçu un courriel de M. C indiquant qu’il anticipait des baisses de revenus sur le jeu Watch Dogs. Le 18 septembre 2013, le responsable du closing du jeu lui a écrit que « ça commen[çait] vraiment en sentir le sapin qd même ».

Enfin et surtout, el e a été informée, le 19 septembre 2013, que M. C avait demandé d’analyser trois scénarios alternatifs de sortie du jeu Watch Dogs qui ne prévoyaient plus sa sortie pour Thanksgiving.

Il est dès lors établi que Mme C détenait, au plus tard le 19 septembre 2013, l’information privilégiée relative à la forte probabilité de report de la sortie du jeu Watch Dogs.

En sa qualité d’initiée primaire, Mme C est présumée avoir indûment utilisé l’information privilégiée qu’elle détenait lorsqu’el e a effectué, le 27 septembre 2013, une demande de rachat de l’intégralité de ses parts disponibles du FCPE Ubi Actions. Il lui appartient de rapporter la preuve contraire.

La circonstance que l’arbitrage litigieux n’ait porté que sur une faible partie du portefeuil e de titres lié à Ubisoft de Mme C, de même que sa prétendue ignorance des obligations découlant de son statut d’initié est indif érente pour apprécier le caractère indu de l’utilisation de l’information privilégiée.

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La fenêtre négative sur le titre Ubisoft, mise en place chaque année durant la première quinzaine de novembre, soit plus d’un mois après l’opération litigieuse, n’était pas imminente.

L’arrivée à échéance des BSA détenus par Mme C ne présentait aucun lien avec les parts de FCPE Ubi Actions.

Le projet de donation-partage qu’el e envisageait portait seulement sur ses stock-options Ubisoft. Son projet immobilier n’était toujours pas concrétisé à la fin de l’année 2014. La prise en compte de l’évolution favorable du cours du titre Ubisoft, qui démontre seulement la volonté de Mme C de préserver ses intérêts financiers, ne suffit pas à justifier l’opération.

La connaissance de la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs a permis à Mme C de prendre une décision d’investissement – en l’occurrence, de demander le rachat de l’intégralité de ses parts disponibles du FCPE Ubi Actions – sans s’exposer aux mêmes risques que les autres intervenants sur le marché.

Ainsi, la présomption d’utilisation indue, par Mme C, de l’avantage que procurait la détention de l’information privilégiée n’est pas écartée.

Le manquement aux dispositions des articles 621-1, 622-1 et 622-2 du règlement général de l’AMF reproché à Mme C est donc caractérisé.

Par ail eurs, en se bornant à faire état des raisons évoquées ci-avant, Mme C n’établit pas avoir été contrainte de procéder à l’arbitrage litigieux avant le 15 octobre 2013, date à laquel e le marché a été informé du report de la sortie du jeu Watch Dogs. El e ne justifie donc pas d’un motif impérieux de nature à l’exonérer de sa responsabilité.

On observera enfin que la violation des règles internes applicables aux initiés ne figure pas parmi les éléments constitutifs du grief de violation de l’obligation de s’abstenir d’utiliser une information privilégiée, seul notifié. Il n’y a donc pas lieu de l’examiner.

Sur la détention et l’utilisation de l’information privilégiée par M. F

Il est reproché à M. F d’avoir cédé, le 26 septembre 2013, 54 609 actions Ubisoft issues de la levée de trois plans de stock-options alors qu’il détenait l’information privilégiée du fait de ses fonctions.

M. F souligne qu’il n’avait pas une connaissance précise de son statut d’initié, que la cession critiquée était motivée par des raisons objectives tenant à l’évolution favorable du cours de bourse, à l’imminence d’une fenêtre négative interdisant la réalisation d’opérations liées au titre Ubisoft et à l’arrivée à échéance de la période d’exercice de ses BSA Ubisoft, auxquelles s’ajoutait un projet immobilier personnel. Il fait également valoir que cette cession lui avait été recommandée par son conseil er financier dans les jours précédant sa réalisation.

M. F a passé le 26 septembre 2013 des ordres de levée-vente portant sur l’intégralité de ses stock-options exerçables, soit 54 609 actions Ubisoft.

A l’époque des faits, M. F exerçait les fonctions de président des studios d’Ubisoft Montréal et Ubisoft Toronto, au titre desquelles il supervisait les activités des studios, notamment la production des jeux vidéo. Il figurait alors sur la liste des initiés occasionnels en raison de l’accès épisodique que lui procuraient ses fonctions « à des informations financières segmentées, ou globales autres que financières » concernant Ubisoft.

Dès la fin du mois de juil et 2013, M. F a été averti de l’existence d’un risque affectant la livraison de la version « Current Gen » du jeu Watch Dogs malgré le renforcement des équipes. Il a ensuite été régulièrement destinataire de rapports de closing soulignant l’instabilité des deux versions du jeu ainsi que leur niveau de bugs élevé.

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Le 6 septembre 2013, il a lui-même proposé à M. C de décaler la sortie du jeu au motif que « si on veut coûte que coûte tenir les dates (avec faible garantie) on ne livre pas un 90+ ». Il a réitéré cette suggestion quelques jours plus tard auprès du responsable du closing du jeu.

Il a été destinataire, le 9 septembre 2013, d’un courriel de M. C indiquant que des baisses de revenus sur Watch Dogs étaient anticipées.

Enfin et surtout, il a été informé, le 19 septembre 2013, que M. C avait demandé d’analyser trois scénarios alternatifs de sortie du jeu Watch Dogs qui ne prévoyaient plus sa sortie pour Thanksgiving.

Il est donc établi que M. F détenait, au plus tard le 19 septembre 2013, l’information relative à l’existence d’une forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs.

En sa qualité d’initié primaire, M. F est présumé avoir indûment utilisé l’information privilégiée qu’il détenait lorsqu’il a passé les ordres de levée-vente litigieux, à charge par lui de rapporter la preuve contraire.

L’ignorance de son statut d’initié occasionnel invoquée par M. F ainsi que les raisons objectives et personnelles relatives à l’évolution du cours du titre Ubisoft, à l’imminence d’une fenêtre négative sur le titre Ubisoft et à l’arrivée à échéance des BSA, appel ent la même appréciation que celle portée lors de l’examen des arguments identiques avancés par Mme C. Il en est de même du projet immobilier, également non concrétisé à la fin de l’année 2014.

Le conseil de vendre éventuellement donné le 19 septembre 2013 à M. F par son conseil er financier ne peut être regardé comme ayant déterminé la cession réalisée le 26 septembre 2013, soit une semaine plus tard, dès lors que, de l’aveu même du mis en cause, ce conseil er lui dispensait le même conseil lors de chacune de leurs entrevues.

La connaissance de la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs a permis à M. F de prendre une décision d’investissement, en l’occurrence, de céder l’intégralité des actions Ubisoft issues de ses stock-options exerçables, sans s’exposer aux mêmes risques que les autres intervenants sur le marché.

Il résulte de ce qui précède que la présomption d’utilisation indue, par M. F, de l’avantage que procurait la détention de l’information privilégiée n’est pas écartée. Le manquement qui lui est reproché est donc caractérisé.

Par ail eurs, les raisons invoquées par M. F n’établissent pas qu’il était contraint de procéder aux opérations en cause avant le 15 octobre 2013, date à laquelle le marché a été informé du report de la sortie du jeu Watch Dogs.

Il ne justifie donc pas d’un motif impérieux de nature à l’exonérer de sa responsabilité.

Sur la détention et l’utilisation de l’information privilégiée par M. D

Il est reproché à M. D d’avoir cédé, les 23 septembre et 7 octobre 2013, « en [son] nom et pour le compte de [sa]

conjointe, Madame […] », 11 299 actions Ubisoft issues de la levée de leurs

stock-options respectives alors qu’il détenait l’information privilégiée du fait de ses fonctions.

M. D fait valoir que les cessions critiquées s’expliquent par des raisons objectives tenant à l’évolution favorable du cours de bourse, à l’imminence d’une fenêtre négative interdisant la réalisation d’opérations liées au titre Ubisoft et à l’arrivée à échéance de la période d’exercice de ses BSA Ubisoft, auxquelles s’ajoutent des motifs personnels résidant principalement dans la volonté de reconstituer sa trésorerie après un achat immobilier.

A l’époque des faits, M. D exerçait les fonctions de vice-président chargé des opérations d’Ubisoft studio Montréal et était, à ce titre, responsable des aspects technologiques, des achats et des services administratifs, financiers, logistiques et techniques. Il dirigeait notamment le département « play tests » du studio de Montréal qui supervise « l’organisation de tests dans [les] locaux [d’Ubisoft] lors desquels des joueurs sont invités à venir tester [les]

différents jeux » d’Ubisoft et, à ce titre, recueil e l’avis de ces joueurs sur le jeu. Il a ainsi été informé, au cours de la période considérée, des retours contrastés des joueurs sur les versions testées du jeu Watch Dogs. A raison de

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ses fonctions, M. D était destinataire des quotas d’affectation prévisionnelle des ressources humaines aux différents projets développés par Ubisoft studio Montréal qui permettaient aux responsables concernés d’anticiper les ressources humaines dont ils disposeraient au cours des mois à venir. Ces quotas, mis à jour trimestriellement, connaissent en principe une baisse progressive à l’approche de la date de sortie des jeux vidéo. D’une manière générale, les fonctions de M. D lui procuraient un accès épisodique « à des informations financières segmentées, ou globales autres que financières » concernant Ubisoft, qui avait justifié son inscription sur la liste des initiés occasionnels.

Plus précisément, le 19 septembre 2013, M. D a reçu un courriel du responsable de l’affectation des ressources humaines aux différents projets indiquant : « Avec les discussions sur WD [Watch Dogs] et d’un possible décalage, je propose de décaler la communication sur le nouveau KOTA [quota d’affectation des ressources] jusqu’à ce qu’on [ait] une décision (fin de semaine prochaine) », auquel il a répondu en ces termes : « Tu y crois à une décision annonçable (important car qui dit KOTA dit tout le monde le sait) à la fin de la semaine prochaine ? ». Interrogé par le rapporteur sur la décision attendue à laquel e son interlocuteur faisait référence, M. D a déclaré : « il s’agit selon moi, et à la lecture du courriel […] d’une décision sur le décalage des dates de soumission ».

Ces éléments établissent que M. D savait, dès le 19 septembre 2013, que les dates de soumission du jeu Watch Dogs, qui avaient déjà fait l’objet d’un ajustement une semaine plus tôt, allaient faire l’objet d’un nouveau décalage, ce dont il ne pouvait que déduire une forte probabilité de décalage de la sortie du jeu

Watch Dogs par rapport au calendrier initial. L’incertitude quant à la date à laquel e le président d’Ubisoft communiquerait une « décision annonçable » sur ces dates de soumission ne remet pas en cause la portée de l’échange reproduit ci-dessus. La circonstance qu’aucune modification des quotas d’affectation de ressources entre les différents jeux n’ait été communiquée aux équipes du studio de Montréal à cette époque est, contrairement à ce que soutient le mis en cause, indifférente dès lors qu’el e s’explique par la volonté d’éviter tout risque de fuite d’informations (« important car qui dit KOTA dit tout le monde le sait ») dans l’attente de la prise de position définitive de M. C sur la date de sortie du jeu Watch Dogs.

Au demeurant, M. D a assisté, le 20 septembre 2013, à une réunion hebdomadaire entre les différents vice- présidents et le président d’Ubisoft studio Montréal, dont le courriel de compte rendu indique, au sujet d’un projet porté par M. E présenté lors de cette réunion « […] est positif pour l’annonce [du projet présenté] car de toute manière vue que c’est sur 7 ans, il n’y a pas d’impact ($) majeur et ce même si WD [Watch Dogs] sort du fiscal ». Pour contester la force probante de ce compte rendu, M. D se fonde notamment sur une attestation de son auteur selon laquelle il serait « impossible d’attribuer une valeur à ces courriels alors que le contenu est le fruit de [s]on interprétation » et affirme ne pas se souvenir que la question du jeu Watch Dogs ait été évoquée lors de cette réunion. Cependant, la portée de cette attestation, également produite par M. E et M. F, doit être relativisée au regard des liens hiérarchiques unissant son auteur à ce dernier, d’autant que le report de la sortie du jeu Watch Dogs au « fiscal » suivant était l’un des trois scénarios évoqués par M. C deux jours plus tôt, de sorte que le mis en cause ne peut sérieusement soutenir que la mention correspondante dans le compte rendu de réunion résulterait d’une invention ou d’une erreur de compréhension.

Il est établi par ce qui précède que M. D détenait dès le 19 septembre 2013, et a fortiori

le 20 septembre 2013, soit avant les opérations litigieuses, l’information privilégiée relative à la forte probabilité de report de la sortie du jeu Watch Dogs.

En sa qualité d’initié primaire, M. D est présumé avoir indûment utilisé l’information privilégiée lorsqu’il a passé, le 21 septembre puis le 7 octobre 2013, pour son compte personnel, deux ordres de levée-vente portant 8 169 actions Ubisoft issues de l’exercice de ses stock-options, sauf à rapporter la preuve contraire.

L’ignorance de son statut d’initié occasionnel invoquée par M. D ainsi que les raisons tenant à l’évolution du cours du titre Ubisoft, à l’imminence d’une fenêtre négative sur le titre Ubisoft et à l’arrivée à échéance des BSA, appellent la même appréciation que celle portée lors de l’examen des arguments identiques avancés par Mme C.

L’objectif poursuivi par M. D de reconstitution de sa trésorerie plusieurs mois après un achat immobilier, à le supposer avéré, relève d’un choix personnel.

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La connaissance de la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs a permis à M. D de prendre une décision d’investissement – en l’occurrence, de céder une partie des actions Ubisoft issues de ses stock- options exerçables – sans s’exposer aux mêmes risques que les autres intervenants sur le marché.

Il résulte de ce qui précède que la présomption d’utilisation indue, par M. D, de l’avantage que procurait la détention de l’information privilégiée n’est pas utilement combattue.

Le manquement relatif aux opérations réalisées par ce dernier pour son compte personnel les 23 septembre et 7 octobre 2013 est donc caractérisé.

Par ail eurs, les raisons invoquées par M. D n’établissent pas qu’il a été contraint de procéder aux opérations en cause avant le 15 octobre 2013, date à laquelle le marché a été informé du report de la sortie du jeu Watch Dogs. Il ne justifie donc pas d’un motif impérieux de nature à l’exonérer de sa responsabilité.

Il est également reproché à M. D d’avoir indûment utilisé l’information privilégiée qu’il détenait en procédant, le 7 octobre 2013, à la cession de 3 160 actions Ubisoft issues de l’exercice des stock-options de Mme […].

Mme […] a indiqué lors de son audition par les enquêteurs avoir échangé sur l’opportunité de l’opération en cause avec M. D qui a déclaré au rapporteur disposer des codes d’accès au compte de sa compagne ouvert dans les livres de la Banque Transatlantique, et avoir réalisé des opérations pour son propre compte le jour où celle concernant Mme […] a été effectuée.

Cependant, d’une part, M. D soutient que sa compagne a procédé seule à la cession litigieuse et cette dernière a déclaré aux enquêteurs avoir « techniquement » réalisé l’opération litigieuse en prenant d’abord attache avec un employé de la Banque Transatlantique auquel elle a redemandé ses codes, perdus, puis en finalisant l’opération sur le site Internet de la banque. D’autre part, il n’est pas démontré que M. D bénéficiait d’une procuration ou d’un mandat l’autorisant à intervenir sur le compte de Mme […] ouvert dans les livres de la Banque Transatlantique.

Il n’est donc pas établi que M. D a passé l’ordre correspondant à l’opération effectuée pour le compte de Mme […]. Le grief d’utilisation d’une information privilégiée se rapportant à cette opération doit en conséquence être écarté.

Sur la détention et l’utilisation de l’information privilégiée par M. E

Il est reproché à M. E d’avoir cédé, le 25 septembre 2013, 18 203 actions Ubisoft issues de la levée de ses stock- options alors qu’il détenait l’information privilégiée du fait de ses fonctions.

M. E soutient qu’il n’avait pas connaissance de son statut d’initié et que son opération s’expliquait par des raisons objectives fondées sur l’évolution favorable du cours de bourse, l’imminence d’une fenêtre négative sur le titre Ubisoft et l’arrivée à échéance de la période d’exercice des BSA, auxquelles s’ajoutaient des motifs personnels tenant à la nécessité de couvrir des dépenses de travaux et d’ameublement effectuées durant l’été 2013. Il fait également valoir qu’il a passé, le 18 septembre 2013, soit avant la date à laquel e l’information est devenue privilégiée, un ordre de vente portant sur la même quantité de titres Ubisoft, assorti d’une limite de cours à 11,95 euros, qu’il a annulé à défaut d’exécution, le 24 septembre 2013, afin de le repasser sans limite de prix.

M. E exerçait, à l’époque des faits, les fonctions de vice-président Affaires Corporatives d’Ubisoft studio Montréal. Ces fonctions consistent à nouer et entretenir des relations avec les Gouvernements ainsi qu’avec les principaux acteurs institutionnels dans le domaine des jeux vidéo. M. E n’était donc pas directement associé, à ce titre, au développement du jeu Watch Dogs. Néanmoins, il participait à certaines réunions au cours desquelles les différents vice-présidents d’Ubisoft studio Montréal évoquaient ensemble leurs projets respectifs. L’accès épisodique à des « informations financières segmentées, ou globales autres que financières » concernant Ubisoft dont il bénéficiait alors en raison de ses fonctions avait justifié son inscription sur la liste des initiés occasionnels.

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Il est établi que M. E a participé, le 20 septembre 2013, à la même réunion de vice-présidents que M. D, dont le courriel de compte rendu indique : « […] est positif pour l’annonce [du projet présenté par M. E] car de toute manière vue que c’est sur 7 ans, il n’y a pas d’impact ($) majeur et ce même si WD sort du fiscal ».

Pour contester la force probante de ce compte rendu, M. E produit la même attestation que M. D et M. F et fait en outre valoir que le jeu Watch Dogs n’a été évoqué que brièvement et de manière anecdotique, en lien avec une question portant sur la viabilité du projet qu’il était venu présenter si la sortie de l’une des superproductions d’Ubisoft devait être décalée. Cependant, il apparaît que la portée de cette attestation doit, pour les raisons déjà exposées, être relativisée et que les explications de M. E ne sont pas convaincantes dès lors que l’hypothèse d’une sortie de Watch Dogs à l’exercice fiscal suivant correspondait précisément à l’un des trois scénarios évoqués par M. C trois jours plus tôt.

La détention par M. E de l’information privilégiée, au plus tard le 20 septembre 2013, est donc établie.

En sa qualité d’initié primaire, M. E est présumé avoir indûment utilisé l’information privilégiée qu’il détenait lorsqu’il a passé, le 24 septembre 2013, un ordre de levée vente portant sur 18 203 actions Ubisoft issues de l’exercice de ses stock-options.

L’ignorance prétendue de son statut d’initié occasionnel ainsi que les raisons invoquées par M. E tenant à l’évolution du cours du titre Ubisoft, à l’imminence d’une fenêtre négative sur le titre Ubisoft et à l’arrivée à échéance des BSA appellent la même appréciation que cel e portée lors de l’examen des arguments identiques avancés par Mme C.

Les documents justificatifs produits par le mis en cause établissent que la majeure partie des dépenses de travaux et d’ameublement invoquées par lui sont intervenues entre le mois de mai et la fin du mois d’août 2013.

Le fait que l’opération critiquée ait été précédée d’un ordre de vente passé le 18 septembre 2013, avant que l’information ne devienne privilégiée, n’est pas de nature à la justifier, d’autant qu’il résulte des éléments du dossier que l’ordre de vente passé le 18 septembre 2013 était assorti d’une limite de cours de 11,95 euros et d’une date de validité fixée par défaut à la fin du mois en cours, soit le 30 septembre 2013, et que

le 24 septembre 2013, soit moins d’une semaine après avoir passé le premier ordre, sans attendre qu’il expire, et deux jours ouvrables seulement après la réunion de vice-présidents du 20 septembre 2013 au cours de laquel e a été évoquée la possibilité d’un report de Watch Dogs hors « du fiscal », M. E a annulé cet ordre pour le repasser sans limite de prix.

La connaissance de la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs a permis à M. E de prendre une décision d’investissement – en l’occurrence, d’annuler son ordre initial stipulant une limite de cours pour le repasser au marché afin de s’assurer qu’il puisse être exécuté dans les plus brefs délais – sans s’exposer aux mêmes risques que les autres intervenants sur le marché.

La présomption d’utilisation indue, par M. E, de l’avantage que procurait la détention de l’information privilégiée n’est pas contredite par les éléments qui précèdent. Le manquement reproché à M. E est donc caractérisé.

Par ail eurs, les raisons analysées ci-dessus n’établissent pas que M. E a été contraint de procéder aux opérations en cause avant le 15 octobre 2013, date à laquelle le marché a été informé du report de la sortie du jeu Watch Dogs. Il ne justifie donc pas d’un motif impérieux de nature à l’exonérer de sa responsabilité.

Sur la détention et l’utilisation de l’information privilégiée par M. G

Il est reproché à M. G d’avoir cédé, le 3 octobre 2013, 4 045 actions Ubisoft issues de la levée de ses stock-options alors qu’il détenait l’information privilégiée du fait de ses fonctions.

Pour établir cette détention, la notification de griefs relève que M. G avait accès à des informations sur l’état d’avancement du jeu Watch Dogs du fait de ses fonctions, que le 1er octobre 2013, il a eu un échange avec un

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collègue de travail d’Ubisoft sur l’impact qu’un décalage du jeu pourrait avoir sur le cours et que l’opération litigieuse était atypique au regard de ses habitudes de gestion de son plan de stock-options.

M. G soutient que ses fonctions n’ont aucun lien avec la sortie du jeu Watch Dogs, que son collègue de travail s’est borné à lui donner son opinion sur la sortie de ce jeu, que la faculté d’exercer ses stock-options ne lui avait jamais été ouverte auparavant, ce qui explique qu’il n’en ait pas fait usage par le passé, et que l’opération litigieuse s’inscrivait dans le contexte d’un achat immobilier antérieur tant à celle-ci qu’à l’apparition de l’information privilégiée.

M. G exerçait à l’époque des faits les fonctions de Brand Development Director au sein d’Ubisoft. Ces fonctions, essentiellement prospectives, consistent à « regarde[r] la manière dont évoluent le marché ainsi que les technologies pour déterminer les orientations qui doivent être prises et, notamment, [à] donner un avis sur les jeux qui devraient être développés, à horizon de trois ou quatre ans ». Elles n’impliquent donc pas de suivi direct des jeux développés par Ubisoft et aucun élément du dossier n’établit qu’il en allait dif éremment s’agissant du jeu Watch Dogs.

Cependant, M. G a reçu, le 1er octobre 2013, un message instantané d’un collègue de travail, M. […], lui indiquant : « hey / fais gaffe au cours de l’action elle risque de dévisser si WD décale », à la suite duquel il a demandé à son correspondant : « quand on annoncerait cela ? », ce à quoi ce dernier lui a répondu : « ben vu que WD est censé sortir en novembre, je dirais bientôt ». Loin de manifester l’expression fortuite d’une simple opinion sur une situation hypothétique, les propos de ce collègue permettaient de comprendre qu’il existait des chances sérieuses d’annonce prochaine d’un report de la sortie du jeu Watch Dogs, susceptible d’entraîner une baisse importante du cours de bourse du titre Ubisoft.

La détention de l’information privilégiée par M. G, au plus tard le 1er octobre 2013, est ainsi établie.

M. G n’entre pas dans la catégorie des initiés primaires mentionnée au 3° de l’article 622-2 du règlement général de l’AMF qui applique l’obligation d’abstention à toute personne ayant eu accès à l’information du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions ainsi que de sa participation à la préparation et à l’exécution d’une opération financière, mais dans la dernière catégorie visée par ce texte, cel e de toute personne détenant une information privilégiée et qui sait ou aurait dû savoir qu’il s’agit d’une information privilégiée. Il convient donc de rechercher si M. G savait ou aurait dû savoir que l’information qu’il détenait était privilégiée.

Le cours du titre Ubisoft était, contrairement à ce que prétend le mis en cause, supérieur depuis le mois d’octobre 2011 au prix d’exercice du plan de stock-options considéré, qui s’élevait à 3,64 euros, de sorte que M. G pouvait lever ses stock-options depuis plus de deux ans en obtenant une plus-value.

Moins de trois heures après l’échange, évoqué ci-dessus, qu’il a eu avec son collègue de travail le 1er octobre 2013, il s’est adressé un courriel à lui-même afin de se rappeler de contacter le « département stockplan corporate » de la Banque Transatlantique pour obtenir les codes d’accès nécessaires à la réalisation en ligne de la cession projetée.

Le 3 octobre 2013, dès réception de ces informations, il a donné l’ordre de céder l’intégralité des actions Ubisoft issues de l’exercice de ses stock-options. A la suite de la réalisation de cette opération, il en a informé le même collègue qui lui a adressé, le 11 octobre 2013, un message instantané ainsi rédigé : « bon je crois que tu as vendu à temps / lundi [ç]a va secouer ».

Il résulte de ces éléments que M. G a parfaitement appréhendé la portée de l’information obtenue le 1er octobre 2013 et, partant, savait que l’information sur la forte probabilité de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs était privilégiée au sens de l’article 622-2 du règlement général de l’AMF.

A la fin du mois d’août 2013, M. G a identifié un bien immobilier correspondant à ses recherches et dans un courriel envoyé à l’agence immobilière le 1er octobre 2013, avant l’échange évoqué ci-dessus, lui-même et son épouse ont « confirmé [leur] intérêt sur ce bien » et, « sous réserve de la vente de [leur] appartement à un bon prix et l’obtention

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du prêt adéquat », ont « propos[é] une première offre » à un certain prix. Une promesse synallagmatique de vente portant sur ce bien a été signée le 12 octobre 2013.

Il en résulte que le 1er octobre 2013, seule une première proposition de prix doublement conditionnel e avait été formulée par les époux [ …]F. En outre, l’épargne de ces derniers permettait de couvrir le montant de la consignation à verser en cas de signature d’une promesse de vente, le paiement du prix d’achat pouvant être assuré par la vente de leur appartement et par la souscription d’un prêt bancaire et non de la levée de ses stock-options.

Dans ces conditions, le projet immobilier invoqué par M. G n’est pas de nature à justifier le calendrier de l’opération en cause.

Cette opération ne pouvant ainsi s’expliquer que par la détention de l’information privilégiée, le manquement reproché à M. G est caractérisé.

Par ail eurs, en se bornant à faire état de son projet d’acquisition immobilière, dont les conditions de mise en œuvre ont été analysées ci-avant, M. G n’établit pas avoir été contraint de procéder aux opérations en cause avant le 15 octobre 2013, date à laquelle le marché a été informé du report de la sortie du jeu

Watch Dogs. Il ne justifie donc pas d’un motif impérieux de nature à l’exonérer de sa responsabilité.

Sur la détention et la transmission de l’information privilégiée par Mme A et son utilisation par M. B

Il est reproché à Mme A d’avoir transmis à son époux, M. B, l’information privilégiée à laquel e elle avait eu accès du fait de ses fonctions chez Ubisoft et à ce dernier d’avoir effectué, entre le 24 septembre et le 10 octobre 2013, plusieurs opérations sur le titre Ubisoft et les parts du FCPE Ubi Actions « en son nom [personnel] et pour [le]

compte [de son épouse] » alors qu’il détenait cette information privilégiée.

Pour considérer que ces opérations ne peuvent s’expliquer que par la détention de l’information privilégiée par M. B, transmise par son épouse, les notifications de griefs se fondent sur le rattachement hiérarchique de Mme A à Mme C, elle-même informée de l’état d’avancement du jeu Watch Dogs, sur un échange intervenu avec une collègue de travail le 11 octobre 2013 et sur le caractère atypique des opérations en cause au regard des habitudes de gestion respectives des deux époux.

Les époux A et B contestent la pertinence de chacun des éléments invoqués par la poursuite. Ils font notamment valoir que les opérations des 24 et 27 septembre 2013 étaient destinées à financer leur train de vie et que cel es des 7 et 10 octobre 2013 s’inscrivaient dans un processus d’investissement récurrent ainsi que dans un contexte boursier particulier caractérisé, après plusieurs années moroses, par une hausse ponctuelle du cours du titre à un niveau atteignant celui de 12 euros qu’ils s’étaient fixés pour se désengager partiellement afin de procéder au remboursement anticipé de leur prêt immobilier.

Comme il a été dit lors de l’examen du grief notifié à Mme C, les parts du FCPE Ubi Actions constituent des instruments financiers liés au titre Ubisoft.

Il n’est pas démontré que Mme A, qui occupait à l’époque des faits le poste de

Global Talent Acquisition Manager avait, du fait de son travail, de sa profession ou de ses fonctions, vocation à être tenue informée de l’évolution du jeu Watch Dogset.

Le lien hiérarchique entre Mme A et Mme C, la seconde étant à deux niveaux hiérarchiques au-dessus de la première, ainsi que la localisation de leur lieu de travail au même endroit dans l’établissement de Montreuil d’Ubisoft, ne suffisent pas à établir l’existence de contacts réguliers entre el es dès lors que Mme C disposait d’une équipe de près de trente personnes ayant chacune un nombre important de collaborateurs et que plus de 1 300 personnes travail aient dans les locaux de Montreuil.

En revanche, il est constant que le 11 octobre 2013, Mme A a indiqué à l’une de ses collègues de travail, Mme […],

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par messagerie instantanée, à 14h22 : « hello / j’ai dit à c que c’était chaud / pq watch dogs / risque detre reporte / ne sortira pas avant noel » et, à 14h23, « mais c confidentiel attention » puis : « impact = profit warning / du coup motus de chez motus ».

Il n’est pas contesté que la personne prénommée « C » à laquel e le premier message précité de Mme A fait référence, correspond à Mme C, qui détenait l’information privilégiée relative à la forte probabilité du décalage de la sortie du jeu Watch Dogs au plus tard le 19 septembre 2013. Ainsi, les deux intéressées avaient évoqué entre elles ce jour-là le risque de décalage de la sortie du jeu Watch Dogs.

Contrairement aux affirmations des époux A et B, ces messages, qui font explicitement référence à la possibilité d’un report de la sortie du jeu Watch Dogs après Noël entraînant un avertissement sur résultats, ne relèvent pas de simples conjectures entre collègues sur les différentes hypothèses de décalage des jeux. Il en résulte que Mme A détenait l’information privilégiée le 11 octobre 2013.

M. B, qui prenait les décisions d’investissement du couple A et B et passait les ordres correspondants, a effectué, les 24 et 27 septembre 2013, deux demandes de rachat portant sur les parts détenues par Mme A dans le FCPE Ubi Actions. Il est plausible, comme le soutiennent les époux A et B, que ces opérations, qui portaient sur un total de 499,7 parts et ont été réalisées à une valeur liquidative moyenne de 16,79 euros, soit pour un montant total de 8 390 euros, aient, compte tenu de leur date et de leur montant, été destinées à financer leurs dépenses courantes.

M. B a également passé, le 7 octobre 2013, deux ordres de vente à plage de déclenchement portant sur des titres Ubisoft qui ont été exécutés le 9 octobre suivant à un cours de 10,80 euros, pour des montants respectifs de 106 879,61 euros et 150 203,53 euros. Le premier portait sur 9 917 actions Ubisoft du PEA de son épouse et le second sur 13 950 actions Ubisoft de son propre PEA. M. B a ensuite effectué, le 10 octobre 2013, une troisième demande de rachat portant sur 9 023,7 parts du FCPE Ubi Actions détenues par son épouse à une valeur liquidative de 14,97 euros, pour un montant de 135 084,83 euros.

Les deux ordres passés le 7 octobre 2013 portaient, respectivement, sur 99% et 55% des actions Ubisoft détenues par M. B et par Mme A. La demande de rachat du 10 octobre suivant portait sur 96% des parts du FCPE Ubi Actions de Mme A. Mme A et M. B ont réinvesti, le 30 septembre 2013, le produit de la vente de leurs BSA en actions Ubisoft en acquérant, respectivement, 252 et 447 titres.

Cependant, il convient de retenir que ces opérations sont antérieures aux messages électroniques du 11 octobre 2013, seuls éléments qui permettent d’établir la détention par Mme A de l’information privilégiée.

En conséquence, il n’est pas établi que les opérations effectuées par M. B les 7 et 10 octobre 2013 ne peuvent s’expliquer que par la détention de l’information privilégiée transmise par son épouse.

Les époux A et B seront donc mis hors de cause.

IV. SUR L’ABSENCE DE DECLARATION D’OPERATIONS SUSPECTES REPROCHEE A LA BANQUE TRANSATLANTIQUE

Il est reproché à la Banque Transatlantique, en violation des dispositions de l’article L. 621-17-2 du code monétaire et financier, précisé par les articles 315-42 à 315-44 du règlement général de l’AMF, de ne pas avoir procédé aux déclarations à l’AMF des opérations de cession de titres Ubisoft réalisées « notamment » par

MM. […], D, E, […], F, […], […] et G au cours des mois de septembre et d’octobre 2013 à l’occasion de l’exercice de leurs stock-options, alors qu’elle avait des raisons de suspecter que ces opérations pourraient constituer des opérations d’initié. Selon la notification de griefs, ces opérations revêtaient un caractère suspect au regard des habitudes d’investissement des personnes concernées, de l’importance des cessions, de la qualité de certains de leurs auteurs qui, du fait de leurs fonctions, avaient potentiel ement un accès régulier à des informations privilégiées, et d’un avertissement sur résultats, émis peu après par Ubisoft, qui avait eu un impact particulièrement significatif sur le cours du titre.

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La Banque Transatlantique fait valoir qu’elle s’était dotée d’un dispositif de détection et d’analyse conforme à la réglementation, qui portait sur les opérations d’un montant supérieur à 100 000 euros et dont la mise en œuvre ne l’avait pas conduite, à la lumière des informations dont elle disposait à l’époque, à regarder comme suspectes les opérations en cause. El e ajoute que celles-ci n’étaient pas isolées, quarante-cinq salariés d’Ubisoft étant intervenus au cours de cette période, et étaient de surcroît conformes aux habitudes d’investissement des intéressés. Elle souligne que si certaines des opérations litigieuses ont fait l’objet d’alertes à raison de leur montant, elle ne disposait d’aucune information sur les fonctions exercées par leurs auteurs de nature à lui faire penser qu’ils pouvaient détenir une information privilégiée. Enfin, elle considère qu’el e n’avait pas de raisons d’attacher de l’importance au communiqué de presse du 15 octobre 2013, qui s’était borné à annoncer le report à l’exercice suivant du chiffre d’affaires attendu du jeu Watch Dogs.

Aux termes de l’article L. 621-17-2 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n°2010-1249 du 22 octobre 2010 : « Les établissements de crédit, les entreprises d’investissement et les membres des marchés réglementés non prestataires de services d’investissement sont tenus de déclarer sans délai à l’Autorité des marchés financiers toute opération sur des instruments financiers ou des actifs mentionnés au II de l’article L. 421- 1, effectuée pour compte propre ou pour compte de tiers, dont ils ont des raisons de suspecter qu’el e pourrait constituer une opération d’initié […] au sens des dispositions du règlement général de l’Autorité des marchés financiers. / Les instruments financiers mentionnés au premier alinéa sont les instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d’admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers, ainsi que les instruments financiers qui leur sont liés ».

L’article 315-42 du règlement général de l’AMF, dans sa rédaction issue de l’arrêté du 15 mai 2007, décide : « La déclaration prévue aux articles L. 621-17-2 à L. 621-17-7 du code monétaire et financier peut être effectuée par courrier électronique, lettre, télécopie ou téléphone. Dans ce dernier cas, elle est confirmée par écrit. / La déclaration écrite prend la forme du modèle type défini dans une instruction de l’AMF ».

L’article 315-43 du règlement général de l’AMF, dans sa rédaction issue du même arrêté précise : « Les opérations à notifier par application de l’article L. 621-17-2 du code monétaire et financier comprennent également les ordres de bourse ».

L’article 315-44 du règlement général de l’AMF, dans sa rédaction issue du même arrêté, indique : « Les personnes mentionnées à l’article L. 621-17-2 du code monétaire et financier se dotent d’une organisation et de procédures permettant de répondre aux prescriptions des articles L. 621-17-2 à L. 621-17-7 du code monétaire et financier et des articles 315-42 et 315-43. / Cette organisation et ces procédures ont notamment pour objet, en tenant compte des recommandations formulées par le Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières, d’établir et de mettre à jour une typologie des opérations suspectes permettant de déceler cel es qui doivent donner lieu à notification ».

L’article 16 du règlement MAR, entré en application le 3 juil et 2016, dispose : « 1. […] / 2. Toute personne qui organise ou exécute des transactions à titre professionnel établit et maintient des mesures, systèmes et procédures efficaces en vue de la détection et de la déclaration des ordres et des transactions suspects. Lorsque cette personne a des motifs raisonnables de suspecter qu’un ordre ou une transaction portant sur tout instrument financier, que cet ordre ait été passé ou cette transaction exécutée sur ou en dehors d’une plate-forme de négociation, pourrait constituer une opération d’initié […] ou une tentative d’opération d’initié […], elle le notifie sans retard à l’autorité compétente visée au paragraphe 3. / 3. Sans préjudice de l’article 22, les personnes qui organisent ou exécutent des transactions à titre professionnel sont soumises aux règles de notification de l’État membre dans lequel el es ont leur siège social ou leur administration centrale ou, dans le cas d’une succursale, de l’État membre où celle-ci est située. La notification est adressée à l’autorité compétente de cet État membre. ».

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Il résulte de la comparaison des dispositions en cause de l’article L. 621-17-2 du code monétaire et financier et du règlement MAR, que ces dernières ne sont pas moins sévères et, partant, qu’elles ne sont pas susceptibles de recevoir une application rétroactive.

Seules les opérations réalisées par les huit salariés nommément visés par la notification de griefs seront examinées.

Contrairement à ce qu’el e soutient, la Banque Transatlantique aurait dû accorder une attention particulière au communiqué de presse publié par Ubisoft le 15 octobre 2013 en raison de son contenu, à savoir l’annonce d’une révision à la baisse des objectifs financiers de l’exercice due principalement au report de la sortie jeu Watch Dogs à l’exercice suivant, et de son effet sur le cours du titre Ubisoft, en baisse de 26% lors de la séance du lendemain, compte tenu du nombre et de l’importance des cessions de titres Ubisoft réalisées par des employés d’Ubisoft au cours des semaines précédentes.

Le 13 septembre 2013, M. […] a cédé 25 990 actions Ubisoft issues de l’exercice de trois plans de stock-actions, représentant 43% du total de ses droits, pour un montant de 306 686,10 euros.

L’ignorance dans laquelle se trouvait la Banque Transatlantique des éventuelles opérations sur ses stock-options effectuées par M. […] avant qu’il ne devienne son client le 13 février 2008 devait la conduire à considérer que l’historique d’investissement de ce dernier débutait à cette date.

La cession litigieuse est intervenue à peine plus d’un mois avant lavertissement sur résultats émis par Ubisoft, a porté sur un volume très important de titres, représentait une part significative des droits de l’intéressé (43%), a été le fait d’une personne qui n’avait jamais, auparavant, réalisé d’opérations sur ses stock-options par l’intermédiaire de la Banque Transatlantique, et dont la fonction laissait supposer d’importantes responsabilités lui permettant d’avoir accès à des informations privilégiées sur Ubisoft. Ainsi, la Banque Transatlantique avait des raisons de suspecter qu’une tel e opération pourrait constituer une opération d’initié.

Le 23 septembre 2013, M. D, vice-président opérations d’Ubisoft studio Montréal, a cédé 3 366 actions Ubisoft issues de l’exercice de ses stock-options représentant 5,22% du total de ses droits, pour un montant de 39 483,18 euros.

Cette cession a été suivie, le 7 octobre 2013, d’une autre de même nature portant sur 4 803 actions Ubisoft, représentant 7,46% du nombre total de droits détenus par l’intéressé, pour un montant de 53 313,30 euros. Cette opération n’est pas visée par la notification de griefs adressée à la Banque Transatlantique mais peut être prise en compte pour apprécier le caractère suspect de celles qui le sont.

Si l’opération du 23 septembre 2013 était en apparence conforme aux habitudes d’investissement de l’intéressé, le fait qu’elle a été suivie 15 jours plus tard d’une autre cession, qu’elle est intervenue, comme la suivante, dans un temps proche de l’avertissement sur résultats, à savoir trois semaines et une semaine avant, et qu’elle a été réalisée par une personne dont les fonctions laissaient supposer d’importantes responsabilités lui permettant d’avoir accès à des informations privilégiées sur Ubisoft, aurait dû conduire la Banque Transatlantique à considérer qu’elle pourrait constituer une opération d’initié.

Le 25 septembre 2013, M. E, vice-président Af aires Corporatives d’Ubisoft studio Montréal, a cédé 18 012 actions Ubisoft issues de l’exercice de deux plans de stock-options d’actions, représentant l’intégralité de ses droits alors disponibles et 30% de son portefeuil e total de stock-options Ubisoft, pour un montant de 207 237,50 euros.

La date de la cession, intervenue trois semaines avant lavertissement sur résultats, l’ampleur de l’opération, qui portait sur un volume très important de titres représentant l’intégralité des droits disponibles de l’intéressé, le caractère inédit de celle-ci, s’agissant d’un premier exercice de stock-options, le mode opératoire atypique mis en œuvre, M. E ayant annulé l’ordre de vente assorti d’une limite de cours qu’il avait initialement passé sans attendre son expiration pour repasser immédiatement un ordre similaire « au marché », et, enfin, les fonctions de ce dernier qui laissaient supposer d’importantes responsabilités lui permettant d’avoir accès à des informations privilégiées

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sur Ubisoft, auraient dû conduire la Banque Transatlantique à considérer que l’opération en cause pourrait constituer une opération d’initié.

Le 25 septembre 2013, M. […] a cédé 8 100 actions Ubisoft issues de l’exercice de deux plans de stock-options, représentant 59% de l’ensemble de ses droits, pour un montant de 92 357,88 euros.

Réalisée trois semaines avant lavertissement sur résultats et correspondant à un premier exercice des stock- options de l’intéressé à concurrence d’une proportion importante de ses droits (59%), cette opération aurait dû être considérée par la Banque Transatlantique comme pouvant constituer une opération d’initié.

Le 26 septembre 2013, M. F, président d’Ubisoft studio Montréal a cédé l’intégralité des actions Ubisoft issues de la levée de ses stock-options exerçables à l’époque, soit 54 609 titres issus de deux plans de stock-options, pour un montant de 621 849,07 euros, représentant 12,66% des actions Ubisoft échangées sur le marché au cours de cette journée.

A la même date, il a également procédé à une cession portant sur 14 000 actions gratuites Ubisoft pour un montant de 159 422,20 euros, opération qui, bien que non comprise dans le champ du grief, peut, comme il a été dit plus haut, être prise en compte pour apprécier le caractère suspect de cel es visées par la poursuite.

La cession visée par la notification de griefs est intervenue moins de trois semaines avant lavertissement sur résultats, représentait l’intégralité des stock-options exerçables de l’intéressé et historiquement la plus importante opération sur ses stock-options, dont la dernière remontait au mois de février 2013 et portait sur 26 292 titres. La quantité de titres cédés le 26 septembre 2013, déjà très élevée au titre de cette seule opération, l’était encore davantage en tenant compte de la seconde cession intervenue. En outre, la cession litigieuse a été réalisée par une personne dont la fonction laissait supposer d’importantes responsabilités lui permettant d’avoir accès à des informations privilégiées sur Ubisoft. Ainsi, la Banque Transatlantique avait des raisons de suspecter qu’une telle opération pourrait constituer une opération d’initié.

Le 26 septembre 2013, M. […] a cédé 10 308 actions Ubisoft issues de l’exercice de trois plans de stock-options, représentant 45% de ses stock-options, pour un montant de 117 451,70 euros.

Réalisée moins trois semaines avant lavertissement sur résultats par une personne qui n’était pas intervenue depuis plus de 5 ans sur ses stock-options, représentant près de la moitié (45%) de ses droits et portant sur un volume important de titres, en valeur absolue et au regard de la dernière opération réalisée par l’intéressé sur ses stock-options, qui portait sur 2 058 titres, cette cession aurait dû être considérée par la Banque Transatlantique comme pouvant constituer une opération d’initié.

Le 27 septembre 2013, M. […] a cédé 16 938 actions Ubisoft issues de l’exercice de deux plans de stock-options, soit 45% de ses droits, pour un montant de 196 949,98 euros.

Réalisée moins de trois semaines avant lavertissement sur résultats par une personne qui n’était pas intervenue depuis plus de 5 ans sur ses stock-options, représentant près de la moitié (45%) de ses droits et portant sur un volume important de titres, en valeur absolue et au regard de la dernière opération réalisée par l’intéressé sur ses stock-options, qui portait sur 2 274 titres, cette cession aurait dû être considérée par la Banque Transatlantique comme pouvant constituer une opération d’initié.

Le 3 octobre 2013, M. G, Brand development director au siège social d’Ubisoft, a cédé 4 045 actions Ubisoft issues de l’exercice de ses stock-options, soit 38% de ses droits, 64% de ceux disponibles et la totalité des droits dont le prix d’exercice était supérieur au cours de l’époque, pour un montant de 45 142,20 euros.

Réalisée 12 jours avant lavertissement sur résultats par une personne qui n’était jamais intervenue sur ses stock- options, représentant près des deux tiers de ses droits et la totalité de ceux dont le prix d’exercice était supérieur au cours de l’époque, cette cession aurait dû être considérée par la Banque Transatlantique comme pouvant constituer une opération d’initié.

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Il résulte de ce qui précède que le manquement de la Banque Transatlantique à l’obligation posée par l’article L. 621-17-2 du code monétaire et financier et précisée par les articles 315-42 à 315-44 du règlement général de l’AMF est caractérisé s’agissant des opérations visées par la notifications de griefs effectuées par MM. […], E, F, D, […], […], […] et G.

SANCTIONS ET PUBLICATION DE LA DECISION I. SUR LES SANCTIONS

L’article L. 621-15 du code monétaire et financier, dans sa version issue de la loi n°2013-672 du 26 juil et 2013, prévoit en son III a) que les sanctions applicables au prestataire de services d’investissement sont « l’avertissement, le blâme, l’interdiction à titre temporaire ou définitif de l’exercice de tout ou partie des services fournis, la radiation du registre mentionné à l’article L. 546-1 ; la commission des sanctions peut prononcer soit à la place, soit en sus de ces sanctions une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 mil ions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ».

Aux termes du III c) de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier dans sa version issue de la loi n°2013-672 du 26 juil et 2013, toute autre personne que celles mentionnées au II de l’article L. 621-9 encourt « une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 mil ions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ».

Le montant de la sanction doit être fixé en fonction de la gravité des manquements commis, en relation avec les avantages ou les profits éventuellement tirés de ces manquements et en tenant compte de la situation personnelle des mis en cause.

Les mis en cause contestent les éléments retenus par les notifications de griefs pour calculer l’avantage économique retiré par chacun d’eux, à savoir, selon le cas, le cours du titre Ubisoft ou la valeur liquidative du FCPE Ubi Actions à la date du 16 octobre 2013.

Mme C, M. F, M. D et M. E font valoir, d’une part, qu’ils n’auraient jamais réalisé les opérations critiquées à des conditions financières aussi défavorables que celles du 16 octobre 2013 et, d’autre part, que le calcul de l’avantage économique retiré devrait reposer sur la valeur liquidative moyenne du FCPE Ubi Actions entre le 16 octobre 2013 et le 15 mai 2014, date de la publication par Ubisoft de ses résultats au titre de l’exercice 2013 / 2014 à laquel e il a été possible d’appréhender l’impact réel du report de la sortie du jeu Watch Dogs .

M. G soutient que seule la baisse du cours de bourse imputable au report du jeu Watch Dogs peut être prise en compte.

Cependant, les modalités de calcul de l’avantage économique doivent refléter de manière concrète les conséquences de l’asymétrie d’information existant entre l’utilisateur de l’information privilégiée et le reste du marché, ce qui implique de comparer les opérations effectuées par les mis en cause et celles qui auraient pu être réalisées si l’information avait été rendue publique.

En l’espèce, il convient de relever que près de 8,5 mil ions de titres Ubisoft ont été échangés lors de la séance de bourse du 16 octobre 2013 consécutive à la publication, par Ubisoft, de son avertissement sur résultats. Le cours de clôture s’est établi à 8,19 euros, soit une baisse de 26% par rapport à la séance précédente. Il est indifférent que cette baisse ne soit pas exclusivement imputable à l’annonce du report du jeu Watch Dogs et que les mis en cause n’aient pas réalisé les opérations critiquées aux conditions de marché du 16 octobre 2013.

Il y a donc lieu de retenir les calculs proposés par les enquêteurs dans les notifications de griefs.

—  31 -

Au demeurant, l’avantage économique retiré par les mis en cause des opérations réalisées ne constitue que l’un des éléments pertinents pour déterminer le montant de la sanction qui sera prononcée à leur encontre.

Le manquement commis par Mme C à son obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée lui a permis de bénéficier d’un avantage économique évalué à 50 809 euros en se fondant sur la valeur liquidative des parts du FCPE Ubi Actions au 16 octobre 2013 et revêt, en raison de ses fonctions de directrice de la production internationale et de membre du comité exécutif de d’Ubisoft, une particulière gravité. Mme C a déclaré lors de son audition par le rapporteur percevoir annuellement un salaire brut d’un montant de X euros environ ainsi qu’un bonus discrétionnaire pouvant représenter jusqu’à 46% de cette rémunération, détenir un portefeuil e financier d’une valeur approximative de X euros et disposer d’un patrimoine immobilier évalué à X euros, déduction faite des sommes empruntées et restant à rembourser. Il lui sera en conséquence infligé une sanction pécuniaire de 200 000 euros.

Le manquement commis par M. F à son obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée lui a permis de bénéficier d’un avantage économique évalué à 174 202,71 euros en se fondant sur le cours de bourse du titre Ubisoft du 16 octobre 2013 et revêt, en raison de ses fonctions de président d’Ubisoft studio Montréal, une particulière gravité. M. F a déclaré lors de son audition par le rapporteur percevoir annuellement un salaire brut de X euros environ ainsi qu’un bonus discrétionnaire pouvant représenter jusqu’à 46% de cette rémunération, disposer d’une épargne investie en fonds commun de placement d’un montant de X euros environ et de X stock-options Ubisoft à des prix d’exercice compris entre 6,65 et 12,92 euros, et posséder un patrimoine immobilier d’une valeur de X. Il lui sera en conséquence infligé une sanction pécuniaire de 700 000 euros.

Le manquement commis pour son compte personnel par M. D à son obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée lui a permis de bénéficier d’un avantage économique évalué à 25 892,37 euros en se fondant sur le cours de bourse du titre Ubisoft du 16 octobre 2013, et revêt une gravité certaine en raison de l’accès que lui procuraient ses fonctions à des informations confidentielles. Lors de son audition par le rapporteur, M. D a indiqué percevoir annuellement un salaire brut d’un montant de X assorti d’un bonus discrétionnaire représentant de 20 à 40% de cette rémunération, disposer d’une épargne investie en fonds commun de placement, dont la valeur se situe entre X et X euros, ainsi que d’un nombre d’un nombre indéterminé de stock-options Ubisoft, et posséder en propre une résidence secondaire d’une valeur de X euros et deux biens immobiliers en indivision d’une valeur cumulée de X euros financés au moyen d’emprunts non soldés. Il lui sera en conséquence infligé une sanction pécuniaire de 100 000 euros.

Le manquement commis par M. E à son obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée lui a permis de bénéficier d’un avantage économique évalué à 58 113,06 euros en se fondant sur le cours de bourse du titre Ubisoft du 16 octobre 2013 et revêt une gravité certaine en raison de l’accès que lui procuraient ses fonctions à des informations confidentielles. M. E a déclaré, lors de son audition par le rapporteur, percevoir annuel ement un salaire brut d’un montant de X euros ainsi qu’un bonus susceptible de représenter entre 20 et 40% de cette rémunération, détenir un portefeuil e financier composé de liquidités et d’épargne investie en parts de fonds communs de placement, pour un montant total de X euros, ainsi qu’un nombre indéterminé de stock-options Ubisoft et posséder un patrimoine immobilier d’une valeur de X euros, financé au moyen d’emprunts immobiliers non soldés. Il sera en conséquence prononcé à son encontre une sanction pécuniaire de 200 000 euros.

Le manquement commis par M. G à son obligation d’abstention d’utilisation d’une information privilégiée lui a permis de bénéficier d’un avantage économique évalué à 12 013,65 euros en se fondant sur le cours de bourse du titre Ubisoft du 16 octobre 2013. M. G a déclaré, lors de son audition par le rapporteur, percevoir annuellement un salaire de X euros brut accompagné de deux primes correspondant environ à un mois de salaire chacune, détenir un portefeuil e financier d’une valeur de X euros et posséder une résidence principale d’une valeur de X euros en indivision avec son épouse, financée au moyen d’un emprunt en cours de remboursement, ainsi que des parts dans une résidence secondaire familiale. Il lui sera infligé une sanction pécuniaire de 15 000 euros.

Le respect, par les prestataires de services d’investissement, de leur obligation de déclaration des opérations suspectes est essentiel pour permettre la détection et la répression des opérations d’initié. La Banque Transatlantique a manqué de vigilance. Il convient cependant de tenir compte des contraintes

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inhérentes à l’activité de gestion de l’actionnariat salarié qui rendaient plus complexe le travail d’analyse lui incombant. La banque a réalisé, au titre de l’exercice clos le 31 décembre 2015, un produit net bancaire de l’ordre de 100 millions d’euros, dans lequel le poids de l’activité de gestion de l’actionnariat salarié est d’environ 20%, et un résultat net de 35 367 000 euros. Il lui sera en conséquence infligé une sanction pécuniaire de 60 000 euros.

II. SUR LA PUBLICATION

La publication de la présente décision ne risque ni de perturber gravement les marchés financiers, ni de causer un préjudice disproportionné aux personnes mises en cause, que sa publication sera donc ordonnée en ce qui la concerne.

En revanche, elle risque de causer un préjudice disproportionné aux personnes physiques qui sont mises hors de cause. El e sera faite sous une forme préservant leur anonymat.

PAR CES MOTIFS,

Et après en avoir délibéré, sous la présidence de Mme Marie-Hélène Tric, par Mme Edwige Belliard, MM. Bernard Field, Bruno Gizard et Mme Sophie Schil er, membres de la 1ère section de la Commission des sanctions, en présence du secrétaire de séance,

Constate la nullité des auditions de M. F, M. D et M. E réalisées les 15 et 16 octobre 2014 ;

Ordonne la cancellation des parties des lettres circonstanciées et du rapport d’enquête reproduisant tout ou partie ou mentionnant les auditions nul es ; Met hors de cause Mme A et de M. B ;

Prononce :
- à l’encontre de Mme C une sanction pécuniaire de 200 000 € (deux cent mil e euros) ;

- à l’encontre de M. F une sanction pécuniaire de 700 000 € (sept cent mil e euros) ;

- à l’encontre de M. D une sanction pécuniaire de 100 000 € (cent mil e euros) ;

- à l’encontre de M. E une sanction pécuniaire de 200 000 € (deux cent mil e euros) ;

- à l’encontre de M. G une sanction pécuniaire de 15 000 € (quinze mille euros) ;

- à l’encontre de la Banque Transatlantique une sanction pécuniaire de 60 000 € (soixante mil e euros) ;

DIT que la présente décision sera publiée sur le site Internet de l’Autorité des marchés financiers, sous forme anonymisée en ce qui concerne les personnes mises hors de cause.

À Paris, le 7 décembre 2016,

Le Secrétaire de séance La Présidente

Marc-Pierre Janicot Marie-Hélène Tric

Cette décision peut faire l’objet d’un recours dans les conditions prévues à l’article R. 621-44 du code monétaire et financier.

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Décision de la Commission des sanctions du 7 décembre 2016 à l'égard de Mme C, M. D, M. E, M. F, M. G, Mme A, M. B, et la BANQUE TRANSATLANTIQUE