Cour d'appel d'Agen, Chambre sociale, 20 octobre 2020, n° 19/00630

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Agen, ch. soc., 20 oct. 2020, n° 19/00630
Juridiction : Cour d'appel d'Agen
Numéro(s) : 19/00630
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Agen, 26 mai 2019, N° F17/00117
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT DU

20 OCTOBRE 2020

XG / NaC**


N° RG 19/00630

— N° Portalis DBVO-V- B7D-CWIY


Y E F A

C/

S.A.R.L. ALIENOR GESTION


ARRÊT n° 159/2020

COUR D’APPEL D’AGEN

Chambre Sociale

Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d’appel d’Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le vingt octobre deux mille vingt par Xavier GADRAT, conseiller faisant fonction de président de chambre, assisté de Sandra DEBUYSER, adjointe administrative placée faisant fonction de greffière

La COUR d’APPEL D’AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l’affaire

ENTRE :

Y E F A

né le […] à […]

de nationalité française

agent de maîtrise

[…]

[…]

Représenté par Me Renaud DUFEU, avocat au barreau d’AGEN

APPELANT d’un jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AGEN en date du 27 mai 2019 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. F17/00117

d’une part,

ET :

S.A.R.L. ALIENOR GESTION agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège

61, rue Denfert-Rochereau

[…]

Représentée par Me Arnaud DARRIEUX, SELARL LEGIGARONNE, avocat au barreau D’AGEN

INTIMÉE

d’autre part,

A rendu l’arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 23 juin 2020 devant Xavier GADRAT, Conseiller, faisant fonction de Président de Chambre, assisté de Nicole CUESTA, Greffière, les parties ayant été avisées de ce que l’arrêt serait rendu le 22 septembre 2020, puis prorogé au 20 octobre 2020 par mise à disposition au greffe. Le magistrat rapporteur en a, dans son délibéré, rendu compte à la Cour, composée, outre de lui-même, de Marie-Paule MENU, Conseillère, et Benjamin FAURE, Conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 786 du Code de Procédure Civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus mentionnés.

* *

*

FAITS ET PROCÉDURE

Selon contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en date du 9 décembre 2014, Monsieur Y A a été embauché par la société Aliènor Gestion en qualité de responsable des agents de service et auxiliaires de vie de la maison de retraite qu’elle exploitait à Agen, emploi classé au niveau 4 échelon 2 de la classification fixée par la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants.

En avril 2017, l’employeur a procédé à une réorganisation, en fusionnant deux services de l’établissement, celui des infirmières coordonnatrices et celui des services à la personne, et a confié la responsabilité de coordonnateur de ce service unique à Monsieur Y A à compter du 2 mai 2017.

Le 1er mai 2017, l’épouse de Y A a adressé un message électronique à Madame D Z, directrice de la maison de retraite dans laquelle travaillait celui-ci, pour lui demander de cesser de harceler son mari, dans les termes suivants :

'C’est X , la femme de Y. Je gaspille de mon temps pour te ré-expliquer 2, 3 trucs que t’as pas l’air de saisir. Du haut de mes 29 ans , j’ai attendu patiemment jusque là, pensant qu’à 40 ans on est quand même capable de comprendre certaines choses, relativement 'basiques'. Apparemment non. Plus de 2 ans que je suis spectatrice d’un harcèlement permanent de ta part envers Y. Des messages pour les 3/4 complètement aberrants. Sache que je garde tout. Sache que Y (de son bon vouloir) me montre tout. Portable perso, portable pro. Tu n’es ni son amie ou quoi que ce soit dans le genre. On est pour te dire 'surgavés’ de ce cirque.

Je sais pas à quoi tu joues exactement, je me demande à quel moment tu vas comprendre et surtout à quel moment tu vas arrêter. Les bons rapports professionnels n’autorisent personne à jouer de sa position, ni à manquer de respect. Mais sache une chose, c’est que jouer avec moi va s’avérer très compliqué pour toi. Si tu veux continuer à être intrusive dans notre vie, pas de problème, je t’informe juste que je vais prendre les mesures nécessaires à partir de maintenant si tu n’arrêtes pas'.

Le 2 juin 2017, l’employeur, représenté par Mme Z, et Y A ont signé une rupture conventionnelle du contrat de travail et le 18 juin, à l’expiration du délai de rétractation, les documents de fin de contrat ont été remis au salarié.

Le 15 septembre 2017 Y A a saisi le conseil des prud’hommes d’Agen pour contester la validité de la convention de rupture conventionnelle signée le 2 juin 2017 en soutenant qu’il avait été victime de harcèlement sexuel de la part de Mme Z et que le SMS adressé le 1er mai par son épouse à celle-ci a déclenché des mesures de rétorsion qui ont abouti à la rupture de son contrat de travail.

Par jugement en date du 27 mai 2019, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties en première instance et des motifs énoncés par les premiers juges, le conseil des prud’hommes d’Agen a débouté Y A de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux dépens et au paiement d’une indemnité de procédure de 700 euros, en considérant que les faits de harcèlement n’étaient pas établis et que la rupture conventionnelle signée entre les parties était parfaitement licite.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 27 juin 2009, Y A a régulièrement relevé appel de l’intégralité des dispositions de ce jugement, dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.

La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance du 18 juin 2020. L’affaire a été fixée et plaidée à l’audience du 23 juin 2020.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

I . Moyens et prétentions de Monsieur Y A, appelant

Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la cour le 20 mai 2020, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’appelant, Y A conclut à l’infirmation du jugement et demande à la cour :

1°) de dire et juger nulle et non avenue la rupture conventionnelle du contrat de travail en soutenant :

' qu’il a été victime de harcèlement sexuel de la part de sa supérieure hiérarchique, Madame D Z, directrice de l’établissement, ainsi que le démontre amplement la lecture des messages électroniques qu’elle lui a adressés, malgré les nombreuses demandes implicites ou explicites qu’il a formulées pour que cela cesse ;

' que la directrice n’a pas fait un usage normal de son pouvoir de direction et de son pouvoir d’organisation et de gestion de l’entreprise, lui adressant sans cesse, jour et nuit, durant les jours de congé, le week-end, les jours de repos ou de récupération, des messages électroniques, et le relançant alors qu’il demeurait taisant, que cette utilisation abusive des nouvelles technologies est constitutive de harcèlement ;

' que la plupart des messages électroniques adressés par Madame Z en dehors des horaires de travail ont contribué à le mettre sous pression, tout comme les différentes décisions prises durant les deux années d’activité, et démontre l’absence de consentement de sa part ;

' qu’il est difficile de comprendre comment le conseil des prud’hommes a pu considérer que les messages électroniques étaient peu nombreux alors que ce sont plusieurs centaines de SMS que Madame Z lui a adressé, textos qui ont eu pour conséquence de le mettre sous pression continuelle et permanente, leur contenu mélangeant systématiquement un dessein inavouable et des questions professionnelles ;

' que ce n’est pas la démission de deux infirmières qui a amené l’employeur à envisager la rupture des relations contractuelles mais le message électronique adressé par son épouse à Madame Z, qu’après l’intervention de sa compagne, Mme Z a cessé immédiatement et définitivement les envois de SMS, mais qu’en guise de rétorsion il a été isolé et dépouillé des attributs du poste qu’il occupait, cet isolement et l’absence de convocation en réunion constituant des actes de harcèlement conduisant à une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité et ayant nécessairement dégradé sa santé ;

' que par leur nombre, leur contenu et les relances adressées pour lui reprocher de ne pas répondre, ces messages rituels et permanents sont constitutifs d’un harcèlement moral ayant conduit à une dégradation de ses conditions de travail ;

' que par ailleurs l’employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat, dès lors que le Document Unique d’Evaluation des Risques(DUER) prévu par l’article R.4121-1 du code du travail n’a été mis en place que tardivement, le 16 janvier 2017, que les dispositions concernant le harcèlement sexuel et moral n’ont été intégrées au règlement intérieur qu’après la réunion du 14 mars 2017, que l’employeur n’a mis en place aucune formation sur les dispositions légales applicables et n’est pas davantage intervenu pour mettre fin aux situations de harcèlement qui s’y sont développées ;

' que la rupture du contrat de travail quelques semaines à peine après sa promotion tend à démontrer que l’employeur était informé des agissements de Madame Z et qu’il n’a mis en 'uvre aucune mesure préventive, ni aucune mesure pour faire cesser le harcèlement dont il était victime,

' enfin qu’aucune négociation collective n’a été mise en place dans l’entreprise pour prendre en compte la prévention du harcèlement ou le nécessaire équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, domaines entrant dans le champ conventionnel défini par l’article L.2221- 1 du code du travail ;

' qu’il se trouvait au moment de la signature de la rupture conventionnelle dans une situation de violence morale du fait du harcèlement sexuel et moral et des troubles psychologiques en résultant, que son consentement a été vicié puisqu’il était sous pression depuis de nombreux mois et qu’il n’avait aucune raison, alors qu’il venait d’être promu, de quitter l’entreprise dans le cadre d’une rupture conventionnelle, que ce n’est pas parce qu’il n’a pas utilisé son droit de rétractation qu’il n’est pas fondé à invoquer ultérieurement la nullité de la convention pour vice du consentement ;

2°) de dire et juger que du fait de la nullité de la rupture conventionnelle, il s’agit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner en conséquence la société Aliénor Gestion à lui verser les sommes de :

' 5 168,10 € à titre au titre du préavis, ainsi que les congés payés sur préavis de 516 081 €

' 646,01 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement

' 25 840 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

' 15 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de harcèlement sexuel et moral

' 8 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat

3°) d’ordonner la compensation légale des condamnations à concurrence de la somme de 1 292,02 € ;

4°) d’ordonner la publication du dispositif du jugement dans deux journaux régionaux, aux frais de l’employeur conformément à l’article L 1155-2 du code du travail ;

5°) de dire que les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine de la juridiction prud’homale et que les intérêts seront capitalisés ;

6°) de condamner la SARL Aliénor Gestion aux dépens et au paiement d’une indemnité de procédure de 4 500 €.

II . Moyens et prétentions de la SARL Aliénor Gestion, intimée

Selon dernières écritures enregistrées au greffe de la Cour le 17 mars 2020, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l’intimée, la SARL Aliénor Gestion conclut à la confirmation de l’intégralité des dispositions du jugement déboutant Y A de ses prétentions et à la condamnation de celui-ci aux dépens et au paiement d’une indemnité de procédure de 1 500 € en faisant valoir :

1°) que les messages électroniques produits par Y A s’inscrivent dans un fil de conversation, c’est-à-dire de messages mutuels se répondant les uns aux autres et que l’appelant a pris le soin d’occulter ses propres réponses, ainsi qu’il l’a d’ailleurs reconnu lors de son audition par les services de gendarmerie le 20 novembre 2018 ;

— que contrairement à ce qu’il voudrait faire croire pour se prévaloir du statut de victime, Y A n’a pas subi en silence pendant deux ans un flot de messages émanant de Madame Z et que c’est parce qu’il y a eu échange de messages que Madame Z a continué à lui écrire ;

— qu’il a vidé ses téléphones de tout le contenu susceptible de nuire à son statut de victime et que cette supercherie n’a pas trompé le conseil de prud’hommes ;

— que le harcèlement sexuel allégué n’est absolument pas caractérisé, en l’absence de propos ou de comportement à connotation sexuelle émanant de Madame Z, l’attitude de celle-ci n’ayant porté aucune atteinte à sa dignité, ni créé une situation intimidante ou offensante pour l’appelant ;

— que non seulement Y A n’a jamais manifesté sa désapprobation à la réception des messages reçus, mais qu’il a encouragé ceux-ci en répondant régulièrement à sa prétendue harceleuse ;

— que les échanges de messages s’inscrivaient dans un jeu de séduction réciproque, attesté par de nombreux témoignages de salariés ;

2°) que le harcèlement moral allégué n’est pas davantage caractérisé dès lors que le nombre de SMS à caractère professionnel reçus en dehors de ses heures de travail était réduit, qu’ils n’avaient pas entraîné une altération de la santé physique ou mentale de Monsieur A qui n’a jamais fait l’objet d’aucun arrêt de travail ni d’un quelconque suivi ou traitement médical, enfin que Y A n’a été victime d’aucune dégradation de ses conditions de travail et que c’est tout le contraire puisqu’il a été nommé responsable coordinateur du service à la personne le 2 mai 2017 sur proposition de Madame Z ;

3°) que Mme Z n’a joué aucun rôle actif pour obtenir sa tête (sic) et qu’il existait des motifs

parfaitement étrangers au message de la compagne de Y A pour proposer à celui-ci un départ négocié, tenant à la démission de deux infirmières coordinatrices les 10 et 12 mai 2017 lorsqu’elles ont appris la promotion de Y A au poste de responsable, qui faisait de lui leur supérieur hiérarchique, et au renoncement de l’appelant à assumer sa nouvelle mission ;

4°) qu’aucun manquement de l’employeur à son obligation de sécurité n’est caractérisé dès lors d’une part, qu’aucun fait de harcèlement sexuel ou moral n’est établi, d’autre part, que l’employeur avait mis en 'uvre les mesures nécessaires à la prévention de la problématique de harcèlement, au travers d’une note, d’une réunion, d’une modification du règlement intérieur et de l’établissement d’un document unique d’évaluation des risques ;

5°) que la rupture conventionnelle est parfaitement valable dès lors d’une part, que les allégations de l’appelant relatives au harcèlement sont infondées, d’autre part, qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de Cassation que l’existence de faits de harcèlement n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture en l’absence de vice du consentement ;

6°) qu’aucune indemnité de rupture n’est due au salarié puisqu’il en a bénéficié à l’occasion de la rupture conventionnelle, ni aucune indemnité compensatrice de préavis ;

7°) subsidiairement, que l’appelant ne peut solliciter l’application de l’article L 1235-3-1 du code du travail résultant de la loi du 29 mars 2018 et qu’il ne démontre pas l’existence d’un préjudice particulier qui justifierait l’allocation de dommages et intérêts au-delà des 6 mois prévus par l’article L 1235-3 ancien ;

8°) que rien n’est juridiquement recevable dans le fatras de dommages et intérêts sollicités et qu’en toute hypothèse l’appelant ne peut cumuler des dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et d’autres dommages et intérêts pour les faits de harcèlement sexuel puisque les premiers viennent réparer l’entier préjudice, que la seconde demande est non seulement irrecevable mais mal fondée en l’absence de toute motivation du préjudice allégué.

MOTIFS DE L’ARRÊT

I. SUR LE HARCÈLEMENT SEXUEL

L’article L.1153-1 du code du travail dispose que « Aucun salarié ne doit subir des faits :

1°) soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

2°) soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».

Pour confirmer les dispositions du jugement entrepris énonçant que le harcèlement sexuel invoqué par M. A n’est pas établi et le déboutant de sa demande en dommages et intérêts en tant qu’elle visait la réparation du préjudice en résultant, il suffira de relever :

— que le harcèlement sexuel se caractérise soit par des propos ou comportements à connotation sexuelle portant atteinte à la dignité de celle (ou celui) qui en est la victime ou créant pour elle (ou lui) une situation intimidante, hostile ou offensante, soit par le but spécifique qui anime son auteur d’obtenir à son profit ou au profit de tiers des faveurs de nature sexuelle ;

— qu’il se distingue d’une entreprise de séduction qui recouvre un ensemble d’agissements qui ne font

qu’exprimer un sentiment amoureux ;

— que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement sexuel, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et dans l’affirmative d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

— que force est de constater tout d’abord qu’il n’est pas allégué par l’appelant qu’une ou des pressions auraient été exercées sur lui par Mme Z dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle ; que par ailleurs aucun élément, aucun témoignage, aucun écrit ne permet de présumer et à fortiori d’établir l’existence de pressions exercées par Mme Z dans le but spécifique d’obtenir de son subordonné un acte de nature sexuelle ; que l’examen attentif et complet des messages téléphoniques (« short message service » ou SMS) envoyés par Mme Z ne met en évidence aucune proposition de nature sexuelle ; qu’à cet égard c’est vainement que l’appelant invoque les termes d’un SMS du 4 mai 2016 dans lequel Mme Z lui indiquait qu’elle se reposait au 5e étage de l’établissement et que si l’appelant venait la chercher en arrivant dans l’entreprise, elle ne l’attendrait pas en petite tenue ; qu’en effet il ne saurait être déduit des termes utilisés ni une pression sur le salarié, ni une proposition implicite à caractère sexuel ;

— que par ailleurs , pour établir la matérialité de faits constitutifs selon lui de harcèlement sexuel, M. A invoque, d’une part, des attestations de son épouse et de sa soeur, d’autre part l,es multiples SMS que lui a adressés Mme Z pendant près de deux ans ;

— que l’attestation de la soeur de l’appelant ne fait état que d’une familiarité excessive de Mme Z à son égard, lors d’une unique rencontre, sans évoquer aucun fait précis de harcèlement dont son frère aurait été victime, ni même les rapports de Mme Z avec son frère, dont elle ne pouvait avoir une connaissance personnelle, ne travaillant pas dans l’entreprise ;

— que si l’attestation de l’épouse de M. A confirme la réalité des innombrables messages adressés par Mme Z à son compagnon, devenu son mari, elle n’apporte aucune information autre que celles résultant de la lecture des SMS produits ;

— que si la matérialité des faits invoqués par M. A, à savoir l’envoi par Mme Z de multiples SMS sur son téléphone, aussi bien durant qu’en dehors des heures de travail, portant tantôt sur des sujets professionnels, tantôt sur des sujets privés, est établie, cet élément et la lecture des SMS litigieux ne permettent pas de présumer l’existence d’un harcèlement sexuel ;

— que, ainsi que l’ont justement retenu les premiers juges, les nombreux SMS adressés par celle-ci à M. A traduisent un sentiment amoureux de la directrice envers celui-ci, que les termes et le comportement de Mme Z n’étaient pas de nature à porter atteinte à la dignité de M. A, en l’absence de tout caractère dégradant ou humiliant, qu’ils n’ont pas davantage créé pour celui-ci une situation intimidante, offensante ou hostile, les attestations de plusieurs salariés de l’entreprise, dont M. B, faisant état d’une grande complicité entre eux et du fait que M. A apparaissait aux yeux de ses collègues comme épanoui et sans problème ;

— que les conditions fixées par l’article L.1153-1 du code du travail n’apparaissent pas réunies, que le harcèlement sexuel n’est donc pas caractérisé et que par suite la demande d’indemnisation du préjudice en résultant ne peut qu’être rejetée .

II. SUR LE HARCÈLEMENT MORAL

L’article L.1152-1 du code du travail dispose que 'Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés

de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel'.

Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient là encore au juge d’examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et dans l’affirmative d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, M. A soutient qu’il a été victime de harcèlement moral dans la mesure où Mme Z, directrice de l’établissement, lui a envoyé pendant près de deux années des SMS non seulement pendant mais également en dehors des heures de travail, comportement ayant conduit à une dégradation de ses conditions de travail.

La matérialité des agissements invoqués par le salarié n’est pas discutée par l’employeur et se trouve établie par la production de la copie de multiples SMS reçus sur le téléphone portable personnel de M. A, selon procès-verbal de constat dressé le 10 juillet 2018 par Me Mellado-Prost, huissier de justice à Agen.

L’examen de ces SMS met en évidence qu’il ne s’agissait pas seulement de messages touchant à la sphère privée, mais que nombre d’entre eux (près de 10 %) présentait un caractère professionnel et avait été adressé à M. A en dehors des heures de travail à des heures tardives, durant les week-ends et les jours de congé.

En raison de leur nombre, qualifié à tort de peu important par les premiers juges, et de leur contenu professionnel, ces messages adressés en dehors des heures de travail et sur le téléphone portable personnel du salarié laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral ayant conduit à une dégradation des conditions de travail du salarié.

L’employeur soutient vainement, pour contester l’existence d’un harcèlement moral, que les agissements de Mme Z n’ont provoqué aucune dégradation des conditions de travail du salarié et n’ont pas altéré sa santé physique ou mentale, ni compromis son avenir professionnel.

En effet, l’envoi par un supérieur hiérarchique, en dehors des heures de travail, à des heures tardives et durant les week-ends et les congés, sur le téléphone personnel du salarié de multiples messages présentant un caractère professionnel ne constitue pas, en l’absence d’urgence démontrée, un exercice normal du pouvoir de direction et d’organisation, mais caractérise bien un harcèlement moral dès lors qu’il entraîne une dégradation des conditions de travail du salarié portant atteinte à ses droits, et notamment à celui de bénéficier d’un juste repos en dehors de ses heures de travail, peu important qu’il n’ait pas porté atteinte à sa santé physique ou mentale.

Dès lors, il y a lieu d’infirmer le jugement de ce chef, de dire et juger que M. A a été victime de harcèlement moral et de faire droit à sa demande en réparation du préjudice en résultant, étant rappelé que même sans faute de sa part, l’employeur, tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, doit répondre des agissements des personnes qui exercent une autorité sur les salariés et donc être tenu pour responsable des faits de harcèlement commis par l’un de ses collaborateurs à l’égard d’un autre salarié.

Compte tenu de la nature et de la durée du harcèlement moral dont a été victime M. A, ce préjudice sera justement réparé par l’allocation d’une indemnité de 6 500 euros, que l’employeur sera condamné à lui verser.

III. SUR L’OBLIGATION DE SÉCURITÉ

Selon les dispositions de l’article L. 4121-1 du code du travail, « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels ;

2° Des actions d’information et de formation ;

3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».

L’article L.4121'2 dudit code précise que « L’employeur met en 'uvre les mesures prévues à l’article L.4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Éviter les risques ;

2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu’il est défini à l’article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».

En application de ces dispositions, l’employeur est tenu d’une obligation de sécurité dont il doit assurer l’effectivité en prenant toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement moral, étant rappelé que satisfait à cette obligation l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 précités.

En l’espèce, M. A, à l’appui de sa demande en dommages et intérêts, soutient que l’employeur a manqué à l’obligation de sécurité découlant de ces textes pour, d’une part, n’avoir pas pris des mesures préventives suffisantes pour prévenir le harcèlement moral dont il a été victime, d’autre part, n’avoir rien mis en place pour mettre fin à la situation harcelante lorsqu’il a été informé de la

situation.

Pour écarter cette prétention et confirmer de ce chef les dispositions du jugement entrepris déboutant M. A de sa demande en dommages et intérêts, il suffira de relever :

— que M. A ne justifie pas avoir, avant la rupture conventionnelle de son contrat de travail, informé son employeur qu’il faisait l’objet de harcèlement moral de la part de Mme Z, que c’est vainement qu’il affirme que la rupture du contrat de travail quelques semaines après sa promotion professionnelle tend (sic) à démontrer que l’employeur avait connaissance de cette situation, l’écrit qu’il a adressé à son employeur le 11 mai 2016 pour lui faire part de ses difficultés professionnelles ne faisant aucunement mention de faits de harcèlement moral ;

— que les premiers juges ont justement retenu que l’employeur justifie avoir satisfait à son obligation de sécurité en prenant les mesures d’information et de prévention nécessaires : établissement et affichage en décembre 2015 d’une note attirant l’attention du personnel sur la problématique du harcèlement, organisation à la même époque d’une réunion avec l’ensemble du personnel, plus particulièrement dédiée au harcèlement, mise en place en 2013 au sein de l’entreprise d’une procédure de médiation des conflits entre salariés, notamment en cas d’alerte ou de suspicion de harcèlement, établissement, après intervention d’un spécialiste extérieur, du Document Unique d’Evaluation des Risques rappelant notamment les dispositions relatives au harcèlement sexuel et au harcèlement moral, intégration dans le règlement intérieur, en mars 2017 des dispositions relatives au harcèlement sexuel, au harcèlement moral et aux comportements sexistes.

IV. SUR LA RUPTURE CONVENTIONNELLE

M. A sollicite la nullité de la rupture conventionnelle du contrat de travail en soutenant que son consentement a été vicié du fait de la violence morale résultant des faits de harcèlement sexuel et moral dont il a été victime.

A titre liminaire, il convient de rappeler que le harcèlement sexuel a été précédemment écarté, que l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité d’une convention de rupture du contrat de travail intervenue en application de l’article L.1237- 11 du code du travail et que la nullité de celle-ci ne peut être prononcée que si la situation de harcèlement moral a exercé sur le salarié une violence morale telle qu’elle a vicié son consentement.

En l’espèce, force est de constater que la situation de harcèlement a perduré sur une longue période, sans que M. A juge que la situation devenait totalement insupportable, qu’il n’a jamais été placé en arrêt de travail et ne justifie d’aucun trouble psychologique ou physique ayant nécessité un quelconque suivi médical, qu’il n’établit d’aucune manière s’être trouvé dans une situation de violence morale ou de fragilité psychologique telle qu’il ait pu croire n’avoir d’autre choix que d’accepter la rupture du contrat de travail proposé par l’employeur.

Par ailleurs le compte rendu d’entretien qu’il a adressé au gérant de l’entreprise, M. C, le 11 mai 2016, fait état de difficultés, y compris relationnelles de l’intéressé avec le service infirmier et l’attachée de direction à la suite de la mise en oeuvre d’un nouveau projet d’établissement qu’il pilotait dans ses nouvelles fonctions et d’une altercation verbale avec la dite attachée de direction, difficultés ayant conduit à la démission de deux infirmières n’acceptant pas d’être placée sous son autorité du fait de la réorganisation et rendant totalement crédible l’affirmation de l’employeur selon laquelle c’est en raison de ces difficultés qu’il a proposé à M. A une rupture conventionnelle du contrat de travail.

Dès lors, en l’absence de preuve de l’existence de pressions ou de violence morale ayant vicié le consentement de M. A, la demande d’annulation de la rupture conventionnelle et les demandes subséquentes de payement d’indemnité compensatrice de préavis, d’indemnité

conventionnelle de licenciement et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ont été à bon droit rejetées par les premiers juges, dont la décision mérite pour ces motifs confirmation de ce chef.

V. SUR LA PUBLICATION DE L’ARRÊT

M. A sollicite l’insertion de la décision dans un journal d’annonces légales en application de l’article L1155-2 du code du travail.

Pour confirmer le rejet de cette demande par les premiers juges, il suffira de rappeler que l’article L1155-2 précité édicte des sanctions pénales, la publication étant une peine complémentaire, et que la Cour est saisie dans le cadre du présent litige en matière prud’homale et non pas pénale.

VI. SUR LES FRAIS NON RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS

La société Aliénor Gestion, dont la succombance est dominante, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.

L’équité justifie l’allocation à l’appelant d’une indemnité de procédure de 3 000 euros pour les frais non répétibles exposés à hauteur de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant contradictoirement, par arrêt prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

INFIRME le jugement entrepris en ses dispositions déboutant M. A de sa demande en dommages et intérêts pour harcèlement moral et le condamnant aux dépens de première instance et au payement d’une indemnité de procédure de 700 euros,

Statuant à nouveau de ce chef,

DIT et JUGE que M. A a été victime de harcèlement moral ;

CONDAMNE la société Aliénor Gestion à payer à M. A une somme de 6 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de ce harcèlement moral ;

DÉBOUTE la société Aliénor Gestion de sa demande en payement d’une indemnité de procédure au titre des frais non-répétibles exposés en première instance ;

CONDAMNE la société Aliénor Gestion aux dépens de première instance ;

CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris,

Ajoutant au jugement,

CONDAMNE la société Aliénor Gestion à payer à M. A une indemnité de procédure de 3 000 euros au titre des frais non-répétibles exposés en première instance et en appel ;

CONDAMNE la société Aliénor Gestion aux entiers dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Xavier GADRAT, conseiller faisant fonction de président de chambre, et par Sandra DEBUYSER, greffière.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel d'Agen, Chambre sociale, 20 octobre 2020, n° 19/00630