Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 5 février 2021, n° 20/10037

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 4-1, 5 févr. 2021, n° 20/10037
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 20/10037
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Marseille, 7 octobre 2020, N° F20/00080
Dispositif : Annule la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 05 FÉVRIER 2021

N° 2021/65

Rôle N° RG 20/10037 – N° Portalis DBVB-V-B7E-BGNFF

S.A.S. MAIN SECURITE

C/

D Y

Copie exécutoire délivrée le :

05 FEVRIER 2021

à :

Me Géraud DE MAINTENANT de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

Me Roger VIGNAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 08 Octobre 2020 enregistré au répertoire général sous le n° F 20/00080.

APPELANTE

S.A.S. MAIN SECURITE agissant poursuites et diligences de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège, demeurant […]

représentée par Me Géraud DE MAINTENANT de la SELAS GRAVIER FRIBURGER AVOCATS, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur D Y, demeurant […]

représenté par Me Roger VIGNAUD, avocat au barreau de MARSEILLE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 Novembre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame P Q, Conseiller faisant fonction de Président, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame P Q, Conseiller faisant fonction de Président

Mme F FRENOY, Conseiller

Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Février 2021.

ARRÊT

Contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Février 2021

Signé par Madame P Q, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

La société MAIN SECURITE a formé appel, par déclaration d’appel du 20 octobre 2020, à l’encontre de la décision du bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Marseille en date du 8 octobre 2020 lui ayant ordonné de délivrer à Monsieur D Y :

Les bulletins de paie afférents aux années 2017 à 2019 des salariés suivants :

— E Z

— F C

— G H

— I J

— K L

[…]

— D M

— N O

— Madame X

en laissant apparaître clairement :

— la qualification

— la fonction

— l’ensemble des éléments composant la totalité du salaire brut

au plus tard le 08 novembre 2020,

passé ce délai, ordonné une astreinte de 50 euros par jour de retard jusqu’au 30 janvier 2021, le Conseil se réservant le droit de liquider ladite astreinte, réservé les dépens, dit que la présente décision insusceptible de voie de recours est exécutoire par provision en application de l’article R.1454-16 du code du travail, dit que la notification de la présente ordonnance vaut convocation des parties à la prochaine audience et renvoyé l’affaire à la mise en état du 25 février 2021 à 14 heures, avec calendrier de procédure ainsi que suit :

— pour le demandeur avant le 20.11.2020

— réplique défendeur avant le 20.02.2020.

L’affaire a été fixée à bref délai, par ordonnance modificative du 2 novembre 2020, à l’audience du 23 novembre 2020 à 9 heures.

La SAS MAIN SECURITE demande à la Cour, aux termes de ses conclusions en appel nullité récapitulatives notifiées par voie électronique le 18 novembre 2020, de :

Vu les articles L1454-1 et suivants du Code du travail,

Vu les articles R1454-1 et suivants du Code du travail,

Vu les articles 133 et suivants du Code de procédure civile,

Vu les articles 143 et suivants du Code de procédure civile,

Vu l’article R1454-14 du Code du travail,

Vu l’article 9 du Code civil,

Vu l’article L1121-1 du Code du travail,

Vu l’article 9 du Code de procédure civile,

Vu l’article 146 du Code de procédure civile,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu la jurisprudence citée,

Recevoir la concluante en ses écritures, l’y dire bien fondée et :

-A TITRE PRINCIPAL, ANNULER la décision rendue par le Bureau de conciliation et d’orientation du Conseil de Prud’hommes de Marseille le 8 octobre 2020.

-A TITRE SUBSIDIAIRE, LIMITER la production en autorisant la société MAIN SECURITE à biffer l’ensemble des éléments composant la totalité du salaire brut;

-EN TOUT ETAT DE CAUSE, CONDAMNER Monsieur Y à verser à la société MAIN SECURITE la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

Monsieur D Y demande à la Cour, aux termes de ses conclusions sur appel nullité notifiées par voie électronique le 3 novembre 2020, de :

Vu l’appel nullité interjeté par la société MAIN SECURITE de la décision du Bureau de Conciliation du 8 octobre 2020 rendu par le Conseil de prud’hommes de Marseille,

CONSTATER que les mesures prises par le Bureau de Conciliation en application de l’article R.1454-14-3° du Code du travail entrent bien dans les pouvoirs accordés au Bureau de Conciliation par le législateur

Vu la jurisprudence

DIRE et JUGER que le Bureau de Conciliation n’a commis aucun abus de pouvoir

En conséquence

JUGER irrecevable l’appel nullité interjeté par la société MAIN SECURITE

DEBOUTER purement et simplement la société appelante de l’ensemble de ses arguments et prétentions.

CONDAMNER la société MAIN SECURITE à payer à Monsieur Y la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du CPC

CONDAMNER la société MAIN SECURITE au paiement des entiers dépens.

SUR CE :

La décision du bureau de conciliation et d’orientation est intervenue suite à la saisine par Monsieur D Y du conseil de prud’hommes de Marseille de demandes en paiement de rappel de prime de gratification de fin d’année, de prime de vacances et de rappel équivalant aux tickets restaurant sur le fondement d’une violation du principe d’égalité de traitement.

Le bureau de conciliation et d’orientation, par décision du 8 octobre 2020, a accédé à la demande de Monsieur D Y de production de bulletins de paie de 9 salariés de l’entreprise sur les années 2017 à 2019 sous astreinte, selon la motivation suivante :

« En application des dispositions de l’article R 1452-4 Code du TravaiL. le greffe du Conseil a convoqué la partie défenderesse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, devant le Bureau de Conciliation et d’orientation du 08 Octobre 2020 pour se concilier sur les chefs de demande repris dans la requête.

La convocation a informé également la partie défenderesse que des décisions exécutoires à titre provisoire pourraient. même en son absence. être prises contre elle par le Bureau de Conciliation et d’orientation. au vu des seuls éléments fournis par son adversaire.

Vu les dispositions de l’article R 1454-14 et suivants du Code du Travail.

Vu les explications fournies par les parties.

Au vu des éléments des articles sus-visés, il s’avère nécessaire et indispensable pour permettre au Conseil de connaître l’exacte vérité des situations relatives aux diverses demandes salariales, d’ordonner la production des bulletins de paie afférents aux années 2017 à 2019 des salariés suivants:

-E Z

-F C

-G H

-I J

-K L

[…]

-D M

-N O

-Madame X

en laissant apparaître clairement :

-la qualification

-la fonction

-l’ensemble des éléments composant la totalité du salaire brut

au plus tard le 08 novembre 2020.

Dépasser ce délai, le Conseil ordonne une astreinte de 50 euros par jour de retard jusqu’au 30 janvier 2021, le présent Conseil se réservant le droit de liquider ladite astreinte ».

La SAS MAIN SECURITE conteste la décision rendue et en sollicite l’annulation au motif qu’elle constitue un excès de pouvoir et ce, à plusieurs titres :

I- Premier excès de pouvoir : les conseillers ne pouvaient rendre une ordonnance sans se prononcer sur la conciliation ou la non conciliation :

Le conseil de prud’hommes n’a pas dressé de procès verbal de conciliation ou de non conciliation et a, en outre, en violation des textes, assuré la mise en état de l’affaire sans faire le constat de l’échec de la conciliation.

II- Deuxième excès de pouvoir : les conseillers ne disposaient pas du pouvoir d’ordonner la communication de pièces sous astreinte :

Le Bureau de conciliation et d’orientation, en vertu des articles R.1454-1 et R.1454-2 du code du travail qui dérogent aux articles 133 et suivants du code de procédure civile, n’a pas le pouvoir d’assortir ses demandes de production de documents d’une astreinte, sauf pour les documents visés à l’article R.1454-14 du code du travail.

III- Troisième excès de pouvoir : les conseillers ne pouvaient constater l’absence d’éléments suffisants au stade de la conciliation :

Ce n’est que lorsqu’une partie ne comparaît pas que le bureau de conciliation et d’orientation peut statuer en tant que bureau de jugement (article L.1454-1-3 du code du travail) et ce n’est qu’en cas d’échec de la conciliation que le bureau de conciliation et d’orientation assure la mise en état de l’affaire (article R.1454-1 du code du travail). D’autre part, sauf à préjuger des explications qu’entendait fournir la société MAIN SECURITE en défense, les conseillers ne pouvaient constater, au stade de la mise en état, disposer d’éléments "non suffisants" alors même que la défenderesse n’avait pas conclu au fond.

IV- Quatrième excès de pouvoir : les conseillers ne pouvaient inverser la charge de la preuve et pallier à la carence probatoire d’une partie :

En matière d’égalité de traitement :

— si la différence de traitement ne résulte pas d’un accord, le salarié doit avant toute chose démontrer qu’il est dans une situation identique au salarié auquel il se compare,

— si la différence de traitement résulte d’un accord, elle est présumée justifiée et le salarié, pour faire valoir ses droits, doit prouver que la différence de traitement est étrangère à toute considération de nature professionnelle,

en sorte que, dans les deux cas, c’est sur le salarié que pèse la charge de la preuve.

Une mesure d’instruction ne peut permettre de pallier la carence probatoire d’une partie.

Le conseil de prud’hommes dans sa décision du 8 octobre 2020 a excédé son pouvoir en inversant la charge de la preuve.

V- Cinquième excès de pouvoir : les conseillers ne pouvaient ordonner la production de documents ne concourant pas à la résolution du litige :

La société MAIN SECURITE n’a jamais contesté que les salariés cités bénéficiaient des avantages dont Monsieur Y se prévaut. Par ailleurs, la condamnation à produire les bulletins de salaire ne concourt en rien à la résolution du litige, ces salariés étant manifestement placés dans une situation différente.

VI- Sixième excès de pouvoir : les conseillers ne pouvaient ordonner la production de documents contenant des données personnelles dont la production n’est pas proportionnée au but recherché :

Le conseil de prud’hommes a ordonné la production des bulletins de salaire de 9 salariés sur 3 années (36 bulletins de salaire par salarié) sans justifier que la mesure était proportionnée au but recherché, alors justement qu’elle ne l’était pas.

Monsieur D Y réplique qu’il se trouve dans l’incapacité de démontrer l’inégalité dont il sait être l’objet, car ses collègues de travail refusent de communiquer leurs contrats de travail et bulletins de paie qui permettraient de constater ce qu’il en est des primes qu’ils perçoivent, par peur de représailles, que l’employeur refuse également de produire ces preuves et, en tout cas, de démontrer la réalité des primes perçues, que le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Marseille n’a commis aucun abus de droit dans la décision qu’il a rendue le 8 octobre 2020, celui-ci disposant du pouvoir d’ordonner toute mesure d’instruction y compris sous astreinte, la production de ces bulletins devant permettre au salarié de démontrer la réalité de l’inégalité de traitement dont il est l’objet, qu’en effet, seuls les renseignements portés sur ces

bulletins peuvent permettre de vérifier si le requérant dispose ou pas de la même classification, exerce un travail de valeur égale et est placé dans la même situation juridique que les titulaires des bulletins produits au regard des avantages sollicités, que l’employeur se contente d’affirmer que les salariés dont les bulletins de paie sont demandés disposent de qualifications, classifications et responsabilités différentes de celles de Monsieur Y, que selon les indications fournies par l’employeur, Monsieur Y peut valablement se comparer à Messieurs Z et A, que par ailleurs, Monsieur Y relève de la catégorie des agents de maîtrise et possède donc un statut supérieur à ceux des employées administratives et malgré cela, il ne perçoit pas les primes dont les assistantes administratives nommées (Mesdames B, X et C) bénéficient, que c’est la raison pour laquelle il est plus que nécessaire que la production des bulletins de paie de l’ensemble des personnes susmentionnées soit ordonnée, qu’en effet, si l’appel nullité de la société MAIN SECURITE était recevable, le requérant se trouverait manifestement dans l’impossibilité de démontrer l’inégalité de traitement dont il est l’objet, que la production de ces bulletins de paie, qui pourrait porter atteinte à la vie privée des titulaires des bulletins de paie, est néanmoins indispensable à l’exercice du droit que détient Monsieur Y de mettre un terme à l’inégalité de traitement dont il est l’objet, alors qu’il ne dispose pas d’autres moyens de preuve pour démontrer cette inégalité et que la Cour jugera irrecevable l’appel nullité interjeté par la SAS MAIN SECURITE.

***************

En vertu de l’article R. 1454-16 du code du travail, les décisions du bureau de conciliation et d’orientation prises en application des articles R.1454-14 et R.1454-15 du même code ne peuvent être frappées d’appel qu’en même temps que le jugement sur le fond. Il n’en va autrement qu’en cas d’excès de pouvoir consistant pour le juge à méconnaître l’étendue de son pouvoir de juger.

L’article R.1454-10 du code du travail dispose que le bureau de conciliation et d’orientation entend les explications des parties et s’efforce de les concilier et qu’un procès verbal est établi, constatant un accord total ou partiel des parties ou le désaccord persistant entre elles.

En l’espèce, cette pièce ne figure pas dans le dossier transmis à la Cour par le conseil de prud’hommes de Marseille et, de plus, la décision rendue le 8 octobre 2020 par le bureau de conciliation et d’orientation ne mentionne pas l’accomplissement de cette formalité.

Il n’est pas établi, dans ces conditions, que le préliminaire de conciliation a été observé, l’omission de cette formalité substantielle étant sanctionnée par une nullité d’ordre public.

Il convient de préciser qu’aux termes de l’article R.1454-1 du code du travail, ce n’est qu’en cas d’échec de la conciliation que le bureau de conciliation et d’orientation assure la mise en état de l’affaire jusqu’à la date qu’il fixe pour l’audience de jugement.

Le bureau de conciliation et d’orientation ne pouvait donc assurer la mise en état de l’affaire en mettant notamment en demeure l’employeur de produire des documents avant d’avoir procédé à la tentative de conciliation des parties.

Il s’ensuit que le bureau de conciliation et d’orientation a ainsi commis un excès de pouvoirs. En conséquence, il convient d’annuler l’ordonnance déférée.

Enfin, l’équité n’impose pas qu’il soit fait application, au cas d’espèce, des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à

disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud’homale,

Reçoit l’appel nullité interjeté par la SAS MAIN SECURITE,

Ordonne l’annulation de la décision du bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Marseille en date du 8 octobre 2020,

Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que chaque partie conservera à sa charge ses dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

P Q faisant fonction

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