Cour d'appel d'Amiens, 4 juin 2013, n° 12/00254

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Amiens, 4 juin 2013, n° 12/00254
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 12/00254
Décision précédente : Tribunal de grande instance d'Amiens, 19 décembre 2011

Texte intégral

ARRET

Y

C/

SAS A

Organisme CPAM DE LA SOMME

XXX

COUR D’APPEL D’AMIENS

1re chambre – 2e section

ARRET DU 04 JUIN 2013

RG : 12/00254

APPEL D’UN JUGEMENT du TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE D’AMIENS du 20 décembre 2011

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame M – N Y épouse I

Née le XXX à XXX

XXX

XXX

Représentée par Me N GUIHENEUF, avocate au barreau d’AMIENS, constituée et plaidante

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2012/010658 du 09/10/2012 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AMIENS)

ET :

INTIMES

SAS A (activité : commerce de gros de produits phamaceutiques)

XXX

XXX

Représentée par Me Virginie CANU RENAHY de la SELAS CANU – DEBRUYNE ET ASSOCIES SELAS, avocate au barreau d’AMIENS, constituée

Plaidant par Me Emmanuel GARNIER, avocat au barreau de PARIS

Organisme CPAM DE LA SOMME

XXX

XXX

Assignée à personne le 17 Juillet 2012 – Non présente – Non représentée

DEBATS :

A l’audience publique du 19 Mars 2013, devant :

M. RINUY, Président,

Mme F et Mme B, Conseillères,

qui en ont délibéré conformément à la Loi, le Président a avisé les parties à l’issue des débats que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 04 Juin 2013

GREFFIER : Mme E

PRONONCE :

Le 04 Juin 2013 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, M. RINUY Président, a signé la minute avec Mme E, Greffier.

*

* *

DECISION :

Le 27 août 1992, Mme M-N Y a accouché par césarienne au sein du Centre de Gynécologie et d’Obstétrique du CHU d’AMIENS. Un saignement étant survenu en fin d’intervention dans l’espace situé entre la vessie et l’utérus, le chirurgien a posé une compresse hémostase résorbable, dite Surgicel pour stopper l’hémorragie

Se plaignant de douleurs persistantes, Mme Y a subi, à compter du 3 janvier 1993, différents examens et des interventions chirurgicales au sein du CHU d’AMIENS et de la Polyclinique de Picardie.

Soutenant que les complications rencontrées depuis son accouchement sous césarienne du 27 août 1992 résultaient d’un défaut de résorption de la compresse Surgicel, Mme J a saisi le Tribunal Administratif d’AMIENS d’une action en responsabilité dirigée contre le CHU d’AMIENS. Dans le cadre de cette instance, elle a obtenu la désignation d’un expert par une ordonnance du 7 avril 1999.

L’expert judiciaire désigné, le Docteur H, a déposé un rapport le 5 décembre 1999.

Par un jugement du 26 juin 2011, le Tribunal Administratif d’AMIENS a débouté Mme J de ses demandes en considérant que le CHU d’AMIENS n’avait commis aucune faute.

N’ayant pas obtenu de proposition d’indemnisation de ce laboratoire qu’elle présente comme étant le fournisseur de la compresse défectueuse, Mme Y a fait assigner la société A en référé devant le Président du Tribunal de Grande Instance d’AMIENS.

Par une ordonnance du 28 décembre 2005, le juge des référés a désigné le Docteur G en qualité d’expert et a débouté Mme Y de sa demande de provision.

Le Docteur C ' L, désigné en remplacement du Docteur G, a déposé son rapport le 5 janvier 2007.

Par un acte d’huissier du 9 février 2009, Mme Y a fait assigner la société A devant le Tribunal de grande Instance d’AMIENS pour obtenir la réparation de son préjudice corporel.

La CPAM de la Somme a été appelée à cette instance. Elle n’a pas constitué avocat.

Par un jugement du 20 décembre 2011, le Tribunal de Grande Instance d’AMIENS, relevant que les écritures de Mme Y ne visaient aucun exposé des moyens en droit, que, sans être contredit sur ce point par Mme Y, la société A a déduit de ces écritures que la demanderesse fondait sa demande sur la responsabilité des produits défectueux telle que résultant de la Directive CE du 25 juillet 1985, et relevant que Mme Y n’établissait pas la preuve certaine que la compresse SURGICEL avait été fournie au CHU d’AMIENS par ce laboratoire, l’a déboutée de ses demandes et l’a condamnée à supporter les dépens incluant les frais de l’expertise.

Mme Y a formé appel de ce jugement par une déclaration d’appel du 19 janvier 2012.

Vu les ultimes conclusions du 14 août 2012, aux termes desquelles Mme Y prie la Cour par infirmation du jugement en toutes ses dispositions de :

— retenir la responsabilité du laboratoire A ;

— condamner le laboratoire A à lui payer les sommes suivantes à titre de dommages et intérêts :

* 45.000 euros au titre du préjudice moral

* 20.000 euros au titre du préjudice esthétique

* 20.000 euros au titre du pretium doloris

* 15.000 euros au titre du préjudice d’agrément ;

— condamner le laboratoire A à lui payer la somme de 5.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner le laboratoire A aux dépens.

Vu les conclusions du 15 juin 2012 aux termes desquelles la société A prie la Cour, au visa des articles 1147 et 1382 du code civil, de l’article 1315 du code civil et à la lumière de la Directive CE de 1985 relative aux produits défectueux, de débouter Mme Y de ses demandes et de la condamner à supporter les entiers dépens et à lui régler une indemnité de 3.000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

La CPAM de la Somme a été assignée devant la Cour par un acte d’huissier remis le 18 juillet 2012 à une personne habilitée à recevoir un tel acte.

L’affaire a été clôturée en cet état et a été fixée à l’audience du 19 mars 2013 par une ordonnance du conseiller de la mise en état du 12 décembre 2012.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait expressément référence aux conclusions des parties visées ci-dessus pour l’exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.

Pour l’essentiel, Mme Y, qui invoque dans ses écritures d’appel les dispositions des articles 1147 et 1382 du code civil et l’article 6 de la directive européenne 85-374 du 25 juillet 1985 sur les produits défectueux, soutient que le laboratoire A était le seul fournisseur de compresses au CHU d’AMIENS et qu’il existe un lien de causalité entre le caractère défectueux de la compresse mise en place lors de la césarienne pratiquée le 27 août 1992, laquelle ne s’est pas résorbée, les complications médicales rencontrées à compter de cette date et les nombreuses interventions chirurgicales ayant abouti à une ménopause précoce.

La société A fait valoir que Mme Y ne rapporte :

— ni la preuve que le produit utilisé était bien un produit fabriqué par A justifiant la mise en cause du laboratoire ;

— ni la preuve d’un lien causal entre l’utilisation alléguée d’une compresse Surgicel et l’existence des troubles allégués par la demanderesse ;

— ni la preuve d’un défaut du produit ;

— ni la preuve d’un lien de causalité entre ce défaut et le dommage dont il est demandé réparation.

En premier lieu, la société A prétend que Mme Y affirme que le laboratoire aurait fourni la compresse Surgicel sans en établir la preuve, cette preuve ne pouvant résulter des courriers de son conseil, en particulier le courrier du 10 avril 2002 qui ne précise pas d’où proviendrait l’information selon laquelle le laboratoire A aurait fourni la compresse litigieuse. Il souligne que le Directeur de la Qualité et de la Clientèle du CHU d’AMIENS a indiqué que, selon toute vraisemblance, la firme Etnor Johnson Johnson, devenue A, était le fournisseur du produit mais que cette information n’était toutefois pas vérifiable et n’était donc pas d’une totale fiabilité, les archives en matière d’achats n’étant pas conservées sur une si longue période.

Elle fait observer que l’emploi du terme Surgicel ne saurait à lui seul désigner un produit fabriqué par le laboratoire A, s’agissant d’un terme générique passé dans la langue technique et utilisé par les professionnels de santé.

Elle fait encore valoir que Mme Y ne peut se prévaloir de « la présence non résorbée d’une compresse Surgicel » laissée en place lors de la césarienne du 27 août 1992, dès lors que ni les comptes-rendus opératoires, ni les analyses cyto pathologiques n’indiquent de façon claire la présence d’un tel produit et que le Docteur C rejette cette affirmation en indiquant « le nodule péritonéal avec débris de fil retiré lors de la laparotomie de février 1995, de par sa localisation, son aspect macroscopique ne peut être relié de façon claire à la compresse Surgicel ».

Elle ajoute que Mme Y ne peut utilement se prévaloir de propos qu’aurait tenus le Docteur X devant son mari à la suite de la laparotomie exploratrice de 1995 pour contester les constatations de l’expert judiciaire, lequel a recueilli l’avis du Docteur D, anatomopathologiste qui n’a pu confirmer que le prélèvement correspondrait à du Surgicel.

Elle soutient en second lieu que Mme Y ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité direct et certain entre la pose de la compresse et les troubles persistants. Elle se réfère au rapport du Docteur C qui a constaté que cette relation de cause à effet entre la compresse Surgicel et les symptômes douloureux n’est pas établie de façon formelle et qu’il existe de nombreux autres facteurs pouvant expliquer les infections et les kystes ayant justifié des traitements postérieurs à la césarienne pratiquée en août 1992.

Elle prétend en troisième lieu que Mme Y ne rapporte pas la preuve d’un défaut du produit, un tel défaut, défini à l’article 1386-4 du code civil, ne pouvant être présumé, ni se déduire de la seule implication du produit dans la survenue du dommage.

Elle souligne qu’elle n’a pas été partie à l’instance devant la juridiction administrative, ni appelée aux opérations d’expertise du Docteur H qui a indiqué que la responsabilité du laboratoire pourrait être évoquée dans la mesure où ce type d’anomalie est lié à un vice de fabrication. Tout en rappelant que cette expertise ne lui est pas opposable, elle conteste une telle analyse en faisant valoir que la survenance d’une complication ou d’un effet indésirable ne peut suffire à caractériser la défectuosité d’un produit.

Elle rappelle que cette hypothèse n’a pas été reprise par le Docteur C qui relève que le laboratoire signale dans les effets secondaires du Surgicel des « réactions aux corps étrangers ». Elle ajoute que sa notice mentionne également que la résorption dépend entre autres du site d’implantation, du degré de saturation dans le sang et de la quantité de gaze utilisée.

Elle en déduit qu’à supposer que les complications présentées par Mme Y puissent être imputables à une compresse Surgicel fabriquée par A, cette seule constatation ne suffit pas à démontrer que le produit serait défectueux.

Enfin, elle fait valoir que Mme Y ne rapporte pas la preuve d’un lien de causalité entre la défectuosité d’une compresse Surgicel et les troubles qu’elle allègue. Elle souligne que le Docteur C a constaté dans son rapport d’expertise que « dans tous les cas, ce kyste a été retiré dans sa totalité » et que, malgré le retrait intégral des endométrioses en 1993, les douleurs physiques de la patiente n’ont pas cessé. Elle déduit de ces éléments que la prétendue défectuosité de la compresse litigieuse ne peut être la source des maux physiques et psychologiques persistants de Mme Y.

Elle soutient que la désignation d’un nouvel expert n’est pas opportune et ne se justifie nullement dès lors que Mme Y a déjà obtenu la désignation de deux experts et qu’aucune des expertises ne conclut que le laboratoire A devait être tenu responsable des troubles allégués par la demanderesse.

CECI EXPOSE,

La CPAM de la Somme, défaillante à l’instance devant la Cour, ayant été assignée à personne, il convient de statuer par arrêt réputé contradictoire par application de l’article 474 alinéa 1er du code de procédure civile.

— Sur la responsabilité du Laboratoire A :

Dans le corps de ses conclusions d’appel, Mme Y invoque les articles 1147 et 1382 du code civil et l’article 6 de la directive européenne 85-374 du 25 juillet 1985 sur les produits défectueux.

Le Laboratoire A est fondé à faire valoir que la mise en 'uvre de sa responsabilité sur l’un quelconque de ces fondements juridiques suppose l’administration préalable par Mme Y de la preuve que le produit utilisé était bien un produit fabriqué par A.

La Cour relève que les premiers juges, qui ont rappelé cette règle de preuve, ont parfaitement analysé les documents médicaux et les pièces produites aux débats et justement retenu que la preuve de la fourniture par le laboratoire ETHNOR, devenu société A, au CHU d’Amiens de la compresse litigieuse ne pouvait résulter ni des courriers du conseil de Mme Y, qui n’a pas fourni les sources de cette information, ni du courrier en date du 20 avril 2010 aux termes duquel le directeur de la qualité et de la clientèle du CHU d’Amiens, interrogé sur ce point, a répondu que « selon toute vraisemblance » la firme ETHNOR était le fournisseur pour ce produit, mais que « cette information n’était pas vérifiable et n’était donc pas d’une totale fiabilité, les archives en matière d’achats n’étant pas conservées sur une si longue période ».

Mme Y n’a produit en appel aucun élément permettant de retenir avec certitude que ce laboratoire aurait été le fournisseur de la compresse défectueuse.

Au surplus, à supposer cette provenance retenue, Mme Y n’apporte la preuve ni d’une faute du laboratoire de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1147 ou celui de l’article 1382 du code civil, ni d’un défaut du produit.

En effet, les experts successivement désignés par la juridiction administrative et la juridiction civile retiennent que la pose d’une compresse hémostatique résorbable de type « surgicel » constituait un acte médical indiqué pour ce type d’intervention, qu’il ne s’agit nullement d’une compresse oubliée par le chirurgien, comme pourraient le laisser supposer les attestations produites aux débats, et que ce type de produit se résorbe en principe dans les semaines qui suivent son application.

La présence résiduelle de fils découverts dans un kyste de très petite taille lors de l’intervention réalisée à la Polyclinique de Picardie le 24 mars 1993 dont le compte-rendu mentionne « une formation enkystée de deux centimètres faisant sourdre une substance correspondant à une compresse surgicel mal résorbée » et à l’occasion de l’analyse de ce nodule par le Docteur Z qui décrit « une formation nodulaire d’un centimètre dans son plus grand diamètre correspondant histologiquement à une coque fibreuse ou fibro inflammatoire chronique circonscrite par des débris étrangers paraissant correspondre à des débris de fils de contact », constitue l’un des effets secondaires du produit décrits dans la notice qui signale en page 20 que « la résorption dépend, entre autre, du site d’implantation, du degré de saturation en sang et de la quantité de gaz utilisée » et en page 22 « l’encapsulation de fluide et des réactions aux corps étrangers ».

Ainsi, à supposer que le nodule prélevé lors de l’intervention chirurgicale du 24 mars 1993 corresponde bien à l’enkystement de fils provenant de la compresse surgicel, ce que le Docteur C L n’a pu affirmer avec certitude soulignant en ce qui concerne le nodule péritonéal avec débris de fils retiré lors de laparatomie de février 1995, « son aspect macroscopique ne peut être de façon claire relié à la compresse surgicel », il s’agit d’une réaction de l’organisme de Mme Y à la présence de débris de ce corps étranger, entrant dans les prévisions de la notice relatives aux effets secondaires, impropre à caractériser un défaut du produit de nature à engager la responsabilité de son fournisseur.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu’il déboute Mme Y de toutes ses demandes.

— Sur les dépens :

En considération de la solution retenue par le présent arrêt, le jugement doit être confirmé en ce qu’il condamne Mme Y à supporter les dépens de première instance et les frais de l’expertise ordonnée en référé, de condamner l’appelante à supporter les dépens d’appel et de la débouter de sa demande d’indemnité fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité commande de faire droit à hauteur de 1.500 euros à la demande d’indemnité formée par la société A sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,

— Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 décembre 2011 par le Tribunal de Grande Instance d’Amiens ;

— Condamne Mme M-N Y épouse I à verser à la SAS LABORATOIRE A la somme de 1.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Déboute Mme M-N Y épouse I de sa demande d’indemnité fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Condamne Mme M-N Y épouse I aux dépens d’appel avec distraction au profit de la SELARL CANU DEBRUYNE conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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