Cour d'appel d'Amiens, 1re chambre civile, 21 avril 2022, n° 21/00600

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Sur la décision

Référence :
CA Amiens, 1re ch. civ., 21 avr. 2022, n° 21/00600
Juridiction : Cour d'appel d'Amiens
Numéro(s) : 21/00600
Importance : Inédit
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Date de dernière mise à jour : 29 septembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

ARRET

S.A. ORANGE

C/

TRIOLET

[D]

DEMACHY

[S]

S.C.M. SCM [X] [D] [K] & ASSOCIES ENS [K] ET ASSOCIES

VBJ/SGS

COUR D’APPEL D’AMIENS

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU VINGT ET UN AVRIL

DEUX MILLE VINGT DEUX

Numéro d’inscription de l’affaire au répertoire général de la cour : N° RG 21/00600 – N° Portalis DBV4-V-B7F-H7OJ

Décision déférée à la cour : JUGEMENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE SAINT QUENTIN DU DIX SEPT DECEMBRE DEUX MILLE VINGT

PARTIES EN CAUSE :

S.A. ORANGE

78 rue Olivier de Serres

75015 PARIS

Représentée par Me Samuel COTTINET, avocat au barreau D’AMIENS

Plaidant par Me Patrice PAUPER de la SELARL CAPA, avocat au barreau de l’ESSONNE

APPELANTE

ET

Monsieur [M] [X]

de nationalité Française

2 Bis rue Albert Thomas

02100 SAINT QUENTIN

Monsieur [J] [D]

de nationalité Française

2 bis rue Albert Thomas

02100 SAINT QUENTIN

Madame [U] [K]

de nationalité Française

2, Rue Albert Thomas

02100 SAINT QUENTIN

Monsieur [R] [S]

de nationalité Française

2 Bis Rue Albert Thomas

02100 SAINT QUENTIN

S.C.M. SCM [X] [D] [K] & ASSOCIES ENS [K] ET ASSOCIES

2 bis Rue Albert Thomas

02100 SAINT QUENTIN

Représentés par Me Christophe DONNETTE de l’ASSOCIATION DONNETTE-LOMBARD, avocat au barreau de SAINT-QUENTIN

INTIMES

DÉBATS & DÉLIBÉRÉ :

L’affaire est venue à l’audience publique du 24 février 2022 devant la cour composée de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, Madame Christina DIAS DA SILVA, Présidente de chambre et M. Pascal MAIMONE, Conseiller, qui en ont ensuite délibéré conformément à la loi.

A l’audience, la cour était assistée de Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

Sur le rapport de Mme Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL et à l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré et la présidente a avisé les parties de ce que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 avril 2022, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

PRONONCÉ :

Le 21 avril 2022, l’arrêt a été prononcé par sa mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Madame Véronique BERTHIAU-JEZEQUEL, Présidente de chambre, et Madame Sylvie GOMBAUD-SAINTONGE, greffière.

*

* *

DECISION :

M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] chirurgiens dentistes exercent au sein de la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés.

Le 24 juillet 2017, était conclu entre la société Orange et « [X]-[D] » un contrat « Optimale pro multi lignes » correspondant à une offre téléphonique via Internet avec 2 numéros de téléphone associés.

Le 26 juillet 2017, M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] concluaient avec Orange Lease un contrat de location d’un standard téléphonique e-diatonis. L’installation était effectuée le 28 septembre 2017.

La société Orange adressait les factures à compter du mois de décembre 2017 à la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés qui les réglait.

Le 22 mai 2018, les accès téléphoniques et Internet de la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés étaient interrompus.

Par acte du 28 mai 2018, M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés ont fait assigner la société Orange devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Saint-Quentin aux fins qu’il soit enjoint à la société Orange de rétablir sous astreinte le fonctionnement des lignes téléphoniques et de l’accès Internet.

Après plusieurs renvois, l’affaire était évoquée à l’audience du 6 septembre 2018 lors de laquelle la société Orange confirmait l’interruption des accès du 22 mai au 29 mai 2018.

La ligne téléphonique et l’accès Internet ayant été rétablis le 30 mai 2018, les demandeurs sollicitaient une provision de 20 000 euros.

La société Orange soutenait que M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K], avec lesquels elle n’avait aucune relation contractuelle n’avaient pas d’intérêt à agir. Elle faisait valoir que la provision ne pouvait être supérieure à la somme de 1265,98 euros, contractuellement prévue, le surplus de la demande se heurtant à une contestation sérieuse tirée de l’application des clauses exonératoire et limitative de responsabilité prévues au contrat.

Par ordonnance en date du 24 septembre 2018, le juge des référés déclarait M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] recevables à agir et condamnait la société Orange à leur verser ainsi qu’à la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés, unis d’intérêts, la somme provisionnelle de 1265,98 euros à valoir sur l’indemnisation de leur préjudice. Le juge rejetait le surplus de la demande provisionnelle au visa de l’existence d’une contestation sérieuse et renvoyait la procédure au fond.

La procédure au fond s’est poursuivie devant le tribunal judiciaire de Saint-Quentin qui par jugement du 17 décembre 2020 a ainsi statué :

— déclare M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés recevables en toutes leurs demandes;

— condamne la société anonyme Orange à payer à M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés, unis d’intérêts, la somme de vingt mille neuf cent soixante-huit euros et quarante-sept centimes (20 968,47 euros ) au titre de leur préjudice ;

— dit que cette somme portera intérêts au taux légal à compter 24 septembre 2018;

— condamne la société anonyme Orange à payer à M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés, unis d’intérêts, la somme de la somme de trois mille euros (3 000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamne la société anonyme Orange au paiement des entiers dépens de la présente instance y compris les frais d’assignation et de constat d’huissier.

— rejette toute autre demande plus ample ou contraire.

La société Orange a interjeté appel de cette décision le 29 janvier 2021.

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 15 octobre 2021, la société Orange demande à la cour d’infirmer le jugement et de:

— Voir juger irrecevables M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] en leurs demandes dirigées contre la société Orange, en l’absence de qualité à agir.

Sur le fond

Vu les articles 1101 et suivants du code civil

Vu le contrat et les conditions spécifiques d’abonnement

Vu la jurisprudence,

— Voir subsidiairement juger que ni M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] ni la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés ne rapportent pas la preuve d’une faute personnelle et dolosive de la société Orange,

— Voir en conséquence débouter M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés de leurs demandes.

Plus Subsidiairement

— Juger que la faute commise ne peut être constitutive d’une faute lourde,

— Juger que la société Orange est dès lors bien fondée à opposer à M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés ses clauses contractuelles et en particulier celles relatives à une limitation de responsabilité.

— Juger que M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés ont d’ores et déjà été remplis de leur droit par le versement de la somme de 1.265,98 €, correspondant au plafond de garantie,

En conséquence les débouter de leur demande d’indemnisation au-delà de ce plafond.

— Voir plus subsidiairement juger que M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés ne rapportent pas la preuve certaine des préjudices allégués, ni le lien de causalité entre la faute et le dommage.

— En conséquence les débouter de leur demande de dommages et intérêts.

— Rejeter la demande d’expertise judiciaire.

— Voir débouter M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés de leurs demandes plus amples ou accessoires.

— Voir condamner M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés à régler in solidum à la société Orange une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile.

— Voir condamner M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés in solidum aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions en date du 16 juillet 2021, M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés demandent à la cour de confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la société Orange à verser à la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés à titre de dommages et intérêts la somme de prêt. 20.968,47 euros et ce avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation introductive d’instance,

Subsidiairement,

Vu les dispositions des articles 1240 et suivants du Code Civil,

— Condamner la société Orange à verser à M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] la somme de 25.255,00 €,

Très subsidiairement

— Sursoir à statuer sur l’estimation du préjudice,

— Nommer tel expert-comptable qu’il appartiendra afin de déterminer la perte de bénéfice générée par les disfonctionnements constitués par les disfonctionnements du standard et des accès internet du 22 au 30 Mai 2018

— En tout état de cause, condamner la société Orange à régler aux demandeurs la somme de 4.000 € en applications des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

— Condamner la société Orange en tous les dépens qui comprendront notamment les frais de convocation et de constat de Maître [Y], huissier instrumentaire.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 novembre 2021 et l’affaire évoquée à l’audience des débats du 24 février 2022.

CECI EXPOSE:

Sur la recevabilité :

Pour déclarer M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] recevables à la procédure, le tribunal a retenu :

— qu’il n’est pas contesté que M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] exercent tous au sein du même cabinet l’activité de dentiste et sont associés au sein de la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés,

— qu’il s’en déduit que ces quatre personnes ainsi que la personne morale sont toutes utilisatrices des moyens téléphoniques et Internet fournis par la société Orange dans le cadre du contrat liant les parties à la procédure et à ce titre toutes susceptibles d’être parties au contrat,

— qu’il appartient à la société Orange de prouver que le contrat a été exclusivement conclu avec la SCM,

— qu’aucun contrat signé n’est produit aux débats, qu’il n’est pas possible de déduire des éléments imprécis versés aux débats que ce contrat aurait été conclu avec la seule SCM existant entre les demandeurs personnes physiques, à l’exclusion de ceux-ci,

— que la société Orange ne rapporte donc pas la preuve de son allégation en ce sens.

La société Orange soutient que M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] sont irrecevables à agir en l’absence de qualité à agir. Elle fait valoir pour l’essentiel :

— qu’elle n’a de relations contractuelles qu’avec la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés: le contrat d’abonnement téléphonique versé aux débats par les intimés a été souscrit au nom de la personne morale et les factures ont toutes été émises au nom de cette société, de même que le mandat SEPA,

— que le tribunal a renversé la charge de la preuve en énonçant que c’était elle qui ne rapportait pas la preuve de son allégation alors que c’est à M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] de rapporter la preuve qu’ils étaient liés par un contrat avec la société Orange, ce qu’ils ne font pas,

— qu’étant tiers au contrat ils ne sont pas recevables à engager une action fondée sur la responsabilité contractuelle de la société Orange,

— que si un tiers au contrat peut invoquer le fondement de la responsabilité délictuelle si un manquement contractuel lui a causé un dommage, il appartient à ce tiers d’établir la preuve du manquement contractuel et que ce manquement constitue une faute quasi délictuelle à son égard: le débiteur étant en droit de lui opposer tous les moyens de défense qu’il pourrait opposer à son propre cocontractant et notamment une limitation de garantie.

M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] soutiennent qu’aucune irrecevabilité ne peut leur être opposée dans leur action à titre individuel qui se fonde sur la responsabilité délictuelle de la société.

Sur quoi:

L’article 31 du code de procédure civile prévoit que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention.

En l’espèce, tout en concluant que M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] sont irrecevables à agir à son encontre sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la société Orange admet également dans ses conclusions qu’un tiers au contrat peut invoquer la responsabilité délictuelle si le manquement au contrat constitue à son égard une faute quasi délictuelle, tout en excluant avoir commis une faute.

Il s’en déduit qu’elle reconnaît, à tout le moins, à M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] qualité à agir en qualité de tiers au contrat.

Le jugement sera donc confirmé, par substitution de motifs, en ce qu’il a rejeté l’exception d’irrecevabilité.

Sur les parties au contrat:

Le tribunal a retenu:

— qu’il n’est pas contesté que M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] exercent tous au sein du même cabinet l’activité de dentiste et sont associés au sein de la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés,

— qu’il s’en déduit que ces quatre personnes ainsi que la personne morale sont toutes utilisatrices des moyens téléphoniques et Internet fournis par la société Orange dans le cadre du contrat liant les parties à la procédure et à ce titre toutes susceptibles d’être parties au contrat,

— qu’il appartient à la société Orange de prouver que le contrat a été exclusivement conclu avec la SCM,

— qu’aucun contrat signé n’est produit aux débats, qu’il n’est pas possible de déduire des éléments imprécis versés aux débats que ce contrat aurait été conclu avec la seule SCM existant entre les demandeurs personnes physiques, à l’exclusion de ceux-ci,

Sur quoi:

Il appartient à celui qui réclame l’application d’un contrat de le prouver.

Contrairement à ce qu’a retenu le tribunal c’est à M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] qui sollicitent l’engagement de la responsabilité contractuelle d’établir la preuve de l’existence d’un contrat entre eux et la société Orange.

En l’espèce la société Orange conteste avoir conclu un contrat avec M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K]. Elle soutient que le contrat a été conclu avec la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés et relève que c’est le cabinet dentaire qui est attributaire des lignes téléphoniques et de l’accès à internet et que les factures sont émises au nom de la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés qui les régle depuis la signature du contrat.

M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] ne versent aux débats aucun contrat qu’ils auraient eux mêmes en leur nom propre conclu avec la société Orange.

Dès lors en considération de ce que les lignes téléphoniques et l’accès internet sont attribuées à la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés qui régle les factures qui sont adressées à l’adresse du cabinet dentaire, il n’est nullement établi que chaque membre de la SCM a individuellement conclu un contrat avec la société Orange.

Il convient donc d’infirmer le jugement en ce qu’il a considéré que M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] étaient parties au contrat conclu par la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés avec la société Orange.

Sur l’engagement de la responsabilité contractuelle de la société Orange à l’égard de la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés:

Le tribunal a retenu:

— qu’il était constant que la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés avait été privée de ligne téléphonique et d’accès au réseau Internet du 22 mai au 29 ou 30 mai 2018, une discussion s’élevant entre les parties sur un rétablissement de la liaison téléphonique dès le 29 mai 2018,

— que le 22 mai 2018 la ligne téléphonique du cabinet dentaire a été attribuée à un autre abonné,

— que la société expose que ce dysfonctionnement a pour cause un « bug » informatique,

— qu’ainsi en échouant à remettre le service en complet état de fonctionnement avant le 30 mai 2020 et en ne fournissant qu’une solution de dépannage très limitée, la société Orange a commis une faute dans l’exécution de son obligation contractuelle,

— que dès lors qu’il n’est pas établi par la société Orange que ce « bug » informatique lui serait exogène, elle ne peut utilement invoquer la clause d’exonération contractuelle prévue à l’article 7-2 du contrat aux termes duquel « la responsabilité d’Orange ne pourra être engagée qu’en cas de faute prouvée de sa part »,

— que cette faute commise au préjudice d’un cabinet dentaire auquel l’accès à Internet est essentiel (accès aux service de la CPAM, au paiement en ligne et aux cartes vitales des patients) constitue une faute lourde justifiant que soit écartée la clause limitative d’indemnisation contractuellement prévue,

— que s’agissant d’un cabinet dentaire dont les charges sont fixes et n’ont pas disparu pendant la période de privation de téléphone et d’internet il n’y a pas lieu de retenir, comme le soutient la société Orange, les pertes de marge subies mais bien la perte de chiffre d’affaires,

— qu’il convient de retenir le chiffre de 750 euros de pertes journalières de chiffre d’affaires par praticien euros, outre 800 euros au titre de deux matinées de garde soit 21 800 euros et une demi-journée de travail de salariée par jour durant la période de dysfonctionnement soit au total pour cette salariée 434,45 euros.

* Sur la faute:

La société Orange soutient pour l’essentiel qu’elle n’a pas commis de faute et que sa responsabilité ne saurait être engagée dès lors :

— qu’elle a immédiatement pris en charge cette réclamation qui lui a été faite le 22 mai en fin de matinée : un de ses techniciens est intervenu le 22 mai après-midi et a constaté l’absence de défaut technique et la nécessité d’une expertise,

— qu’en accord avec M.[D] et l’assistante du cabinet, elle a mis en place un transfert des appels reçus vers le téléphone mobile du Dr [D] afin que les patients puissent continuer à joindre le cabinet dentaire,

— qu’un nouveau technicien est intervenu le 25 mai pour vérifier si l’origine de l’incident ne venait pas des équipements mis à disposition,

— que la cellule d’expertise nationale a été saisie le 28 mai 2018 afin d’identifier l’origine de l’incident,

— qu’il était ainsi constaté un bug informatique et l’attribution du numéro de la SCM à un nouvel abonné,

— que les services Internet fonctionnaient à nouveau à compter du mardi 29 mai après-midi et que la ligne téléphonique était rétablie le 30 mai en début d’après-midi,

— qu’il se déduit de l’ensemble de ces éléments qu’il n’y a aucune faute personnelle et volontaire de sa part dès lors qu’elle a mis tous les moyens pour solutionner le problème et rétablir dans les meilleurs délais au moins partiellement la ligne téléphonique.

Subsidiairement elle conteste que le tribunal ait qualifié la faute commise en faute lourde laquelle, selon la jurisprudence, est caractérisée par un comportement d’une extrême gravité confinant au dol et dénotant l’inaptitude du débiteur de l’application à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée, une telle faute ne pouvant résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fut-elle essentielle mais devant se déduire de la gravité du comportement débiteur. Or en l’espèce les demandeurs n’ont subi qu’une interruption de service de six jours avec prise en compte immédiate de la difficulté et transfert des appels reçus vers une mobile ce qui ne constitue nullement une faute lourde.

Sur quoi :

Il résulte des dispositions de l’article 1134 ancien et 1103 et 1104 du Code civil que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutes de bonne foi.

Aux termes de l’article 3 des conditions spécifiques du contrat « Optimale pro multi lignes », la société Orange s’engage à fournir au client un accès au réseau et aux services téléphoniques, un service d’accès Internet, un service de téléphone par Internet outre différents services.

L’article 4 précise que Orange met en place les moyens techniques nécessaires au bon fonctionnement des services.

L’article 7.2 indique que « la société Orange est responsable de la mise en place des moyens nécessaires à la bonne marche des services de l’offre. Elle prend les mesures nécessaires au maintien de la continuité de la qualité des services de l’offre sur le réseau. (..) La responsabilité d’Orange ne pourrait être engagée quelque soit le fondement et la nature de l’action, qu’en cas de faute prouvée de sa part ayant causé un préjudice personnel direct et certain au client.».

Ainsi la société Orange est tenue d’une obligation de résultat consistant en la fourniture à son client d’un accès au réseau téléphonique et à Internet.

La société Orange ne conteste pas l’interruption de service qui s’est produite le 22 mai 2018 l’attribution du numéro de téléphone de la SCM à un nouvel abonné et que les services Internet ont été rétablis le mardi 29 mai après-midi et la ligne téléphonique le 30 mai en début d’après-midi, un transfert de ligne ayant été instauré durant cette période vers le téléphone mobile du Dr [D].

Il n’est pas plus contesté que deux interventions de techniciens ont eu lieu les 22 mai après-midi et 25 mai, en vain, et que la cellule d’expertise nationale a été saisie le 28 mai 2018 afin d’identifier l’origine de l’incident qui s’avère, selon les termes mêmes des conclusions de la société Orange, être un bug informatique.

La société Orange n’allègue ni n’établit à hauteur de cour que ce bug informatique lui serait étranger et qu’il constituerait un cas de force majeure.

C’est donc par des motifs que la cour entend adopter que le premier juge a justement considéré que la société Orange, en attribuant à un autre abonné le 22 mai 2018 la ligne téléphonique du cabinet dentaire, en échouant à remettre le système en complet état de fonctionnement pendant huit jours et en ne fournissant qu’une solution de dépannage très limitée, avait commis une faute dans l’exécution de son obligation contractuelle.

L’attribution de la ligne téléphonique un autre abonné, l’arrêt puis le renvoi de l’autre ligne téléphonique sur le téléphone portable d’un des chirurgiens-dentistes du cabinet et la privation pendant plusieurs jours de l’accès Internet, alors que celui-ci permet l’accès au service de la caisse primaire d’assurance-maladie, au système des cartes vitales des patients et au paiement en ligne, constitue comme l’a relevé le premier juge pour la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés un trouble dans l’exercice de son activité à l’origine d’un préjudice personnel et certain.

En application de l’article 7-2 des conditions spécifiques du contrat « Optimale pro multi lignes », la responsabilité contractuelle de la société Orange se trouve donc engagée à l’égard de la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés.

*Sur la demande de réparation:

Le tribunal a retenu que la société Orange a commis dans l’exécution de ses obligations contractuelles une faute lourde justifiant que soit écartée la clause contractuelle limitative d’indemnisation et l’a condamnée à verser à la SCM des Docteurs Triolet, Ardens, Demachy et Associés la somme de 20968,47 euros.

La société Orange fait valoir pour l’essentiel :

— qu’en application de l’article 1231- 3 du Code civil elle ne peut être tenue que des dommages-intérêts prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l’exécution est due à une faute lourde ou dolosive,

— que le préjudice subi par M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] n’était pas prévisible pour elle dans la mesure où elle ignore le nombre de membres de la SCM, qui a évolué depuis la date du contrat,

— que l’article 7-2 du contrat exclut de l’indemnisation la perte de chiffre d’affaires: qu’elle ne peut donc être tenue d’indemniser un tel préjudice dès lors que cette clause est licite,

— qu’en outre aux termes des conditions spécifiques d’abonnement il est prévu que sa responsabilité ne peut être engagée qu’en cas de faute prouvée ayant causé un préjudice personnel direct et certain au client: sont donc exclus les tiers au contrat et l’indemnisation de la perte de chiffre d’affaires,

Subsidiairement, la société Orange oppose la clause stipulée au contrat limitant le montant des dommages-intérêts au total des factures des 6 derniers mois précédents l’incident: clause déclarée licite par plusieurs cours d’appel et par la Cour de cassation dans un arrêt du 15 janvier 2020. Elle précise avoir réglé cette somme en exécution de l’ordonnance de référé du 25 septembre 2018.

Très subsidiairement, la société Orange conteste:

— le principe même d’une perte de chiffre d’affaires et d’une baisse de plus de 20 % d’activité immédiate alors que par principe le carnet de rendez-vous d’un cabinet dentaire est complété plusieurs semaines à l’avance

— l’évaluation du préjudice allégué relevant que le tribunal s’est contenté d’une attestation d’expert-comptable qui reconnaît avoir procédé à l’évaluation à partir des déclarations de demandeurs,

— le nombre de jours retenus alors qu’en réalité le cabinet n’a été privé de réseau téléphonique et Internet que durant cinq jours ouvrables,

— l’évaluation du préjudice en se référant à la perte de chiffre d’affaires alors que seule est indemnisable la perte de chance de réaliser une marge qui implique, selon la jurisprudence, la disparition actuelle certaine d’une éventualité favorable, ce qui n’est pas caractérisé en l’espèce,

— il n’est pas sérieux de prétendre que l’assistant du cabinet à passer la moitié de ses journées à régler le problème,

— en tout état de cause l’existence d’un lien de causalité faute de lien direct entre la baisse supposée du chiffre d’affaires allégués et l’interruption du service.

Elle s’oppose à la demande d’expertise comptable formée à titre subsidiaire par les intimés dès lors qu’une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve.

La SCM conclut à la confirmation du jugement qui a retenu l’existence d’une faute lourde et a condamné la société Orange à l’indemniser.

Sur quoi :

L’article 7-2 des conditions spécifiques du contrat « Optimale pro multi lignes » prévoit:

— les parties conviennent expressément que la typologie suivante de dommages et/ou préjudices ne pourra donner lieu à indemnisation, que ces derniers aient été raisonnablement prévisibles non : manque-à-gagner, perte de chiffre d’affaires, perte de clientèle, atteinte à l’image et/ou réputation et perte de données

— la responsabilité d’Orange ne pourrait être engagée que dans la limite d’un montant de dommages intérêts ne pouvant excéder le montant facturé au titre des six derniers mois au moment de la survenance de l’événement ayant engendré le préjudice.

Non critiqué sur ce point par les intimés dans le dispositif de leurs conclusions,, le tribunal a exclu l’application à ces dispositions de la prohibition des clauses abusives dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs prévue par l’article L 212-1 du code de la consommation: il a justement relevé que la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés avait agi à des fins professionnelles, l’installation de lignes téléphoniques et d’un accès à Internet étant directement liée avec l’activité du cabinet dentaire.

L’article 1231-3 du Code civil prévoit que le débiteur d’une obligation contractuelle n’est tenu que des dommages qui ont été prévus ou qui pourraient être prévus lors de la conclusion du contrat sauf lorsque l’inexécution est due à une faute lourde ou dolosive.

La faute lourde est comme une négligence d’une extrème gravité, confinant au dol, dénotant l’inaptitude du débiteur à l’accomplissement de la mission contractuelle qu’il avait acceptée. Cette faute ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle. L’extrème gravité de la faute ne se déduit pas de l’importance de ses conséquences.

En l’espèce, il est établi que les services de la société Orange sont intervenus dès le signalement de la panne et à plusieurs reprises pour rechercher les causes et réparer la coupure de la ligne téléphonique et de l’accès internet du cabinet dentaire et qu’a été mis en place un report de ligne pour maintenir le lien téléphonique du cabinet avec sa patientèle.

Ainsi, et nonobstant les conséquences de la panne sur le fonctionnement du cabinet, dès lors que la société Orange a mobilisé ses services pour réparer, il ne saurait être considéré que cette rupture des communication dont la cause demeure indéterminée (un bug informatique') soit constitutive d’une faute lourde.

Il convient donc d’infirmer le jugement qui a retenu l’existence d’une faute lourde et a condamné la société Orange à verser à la SCM des Docteurs Triolet, Ardens, Demachy et Associés la somme de 20968,47 euros.

Dès lors en application de l’article 7-2 des conditions spécifiques du contrat « Optimale pro multi lignes », la responsabilité d’Orange est engagée dans la limite d’un montant de dommages intérêts ne pouvant excéder le montant facturé au titre des six derniers mois au moment de la survenance de l’événement ayant engendré le préjudice soit en l’espèce la somme de 1265,98 euros qui a été été réglée à la suite de l’ordonnance de référé.

Sur l’engagement de la responsabilité de la société Orange à l’égard de M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K]:

Au visa de l’article 1240 du code civil, M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] demandent à la cour de condamner la société Orange à leur verser la somme de 25.255 euros correspondant à leurs pertes de chiffre d’affaire car la faute contractuelle de la société Orange à l’égard de la SCM est constitutive d’une faute délictuelle à l’égard de chacun des associés.

M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] soutiennent que cette faute leur a causé un préjudice qui a été évalué par l’expert comptable. Cette somme correspond à la perte d’honoraires moyenne par jour évaluée par comparaison entre les mois de mai 2017 et mai 2018 pour l’ensemble des chirurgiens dentistes du cabinet outre le temps consacré, par leur assistante salariée, à la coupure d’Orange, évalué à ¿ journée par jour pendant la période des 8 jours de coupure.

Sur quoi:

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Il appartient au juge de déterminer l’étendue du dommage subi par la victime afin d’ordonner une juste réparation de son préjudice, celui-ci devant condamner l’auteur d’un dommage à la réparation intégrale du préjudice sans qu’il ne puisse y avoir pour la victime ni perte ni profit.

En l’espèce, sans aucune individualisation de leurs demandes, M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] demandent à la cour une condamnation de la société Orange à leur verser, ensemble, la somme totale de 25 255 euros alors que selon le tableau établi par l’expert comptable, les pertes alléguées sont extrèmement variables selon les praticiens, voir même inexistantes pour Mme [K] et M.[S]: les écarts de 230 et 240 Euros ne pouvant être considérés comme significatifs d’une perte d’honoraires liée à la coupure.

En outre ils sollicitent ensemble l’indemnisation du coût salarial de l’assistante du cabinet dentaire sans justifier qu’ils sont, ensemble, ses employeurs, ni qu’ils lui versent, ensemble, un salaire.

Enfin, la cour relève, ainsi que le conclut la société Orange, qu’il n’est nullement établi par la seule attestation de l’expert comptable, que la coupure de la ligne téléphonique et d’internet soit à l’origine de la baisse d’activité alléguée. En effet en considération de ce que l’activité des cabinets dentaires est programmée plusieurs semaines à l’avance, il en résulte nécessairement que sur la période de panne, les patients ont honoré leurs rendez vous déjà fixés. Ainsi sans autre élément que la seule comparaison comptable, il n’est pas justifié que la baisse d’activité alléguée soit la conséquence de la coupure.

Faute pour chacun d’entre eux de solliciter l’indemnisation de son propre préjudice dont l’existence n’est en outre pas justifiée, la cour ne peut que rejeter la demande de «  condamner la société Orange à verser aux Docteurs [X], [S], [D] et [K] la somme de 25 500 euros ».

Sur les demandes accessoires:

Le sens du présent arrêt justifie que le jugement soit confirmé en ce qu’il a condamné la société Orange aux dépens de première instance et que la SCM des Drs [X], M.[S], M.[D] et Mme [K] soit condamnée aux dépens de la procédure d’appel.

L’équité ne justifie pas qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Il convient donc:

— d’infirmer le jugement en ce q’il a condamné la société anonyme Orange à payer à M.[X], M.[S], M.[D] et Mme [K] et la SCM des Docteurs [X], [D], [K] et Associés, unis d’intérêts, la somme de la somme de trois mille euros (3 000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

— de débouter les parties de leurs demandes de ce chef pour la procédure de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Infirme le jugement rendu entre les parties le 17 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Saint Quentin sauf en ce qu’il a condamné la société Orange aux dépens de première instance,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:

Condamne la société Orange à verser à la SCM des Docteurs Triolet, Ardens, Demachy et Associés la somme de 1265,98 euros,

Constate que cette somme déjà a été réglée par provision par la société Orange,

Déboute la SCM des Docteurs Triolet, Ardens, [K] et Associés du surplus de ses demandes,

Déboute M.[S], M.[D] et Mme [K] de l’ensemble de leurs demandes,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SCM des Drs [X], M.[S], M.[D] et Mme [K] aux dépens de la procédure d’appel.

LA GREFFIERELA PRESIDENTE

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Cour d'appel d'Amiens, 1re chambre civile, 21 avril 2022, n° 21/00600