Cour d'appel d'Angers, Troisième chambre, 17 décembre 2020, n° 18/00677

  • Rapport d'activité·
  • Licenciement·
  • Véhicule·
  • Travail·
  • Brasserie·
  • Cause·
  • Sociétés·
  • Demande·
  • Salarié·
  • Grief

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Angers, troisième ch., 17 déc. 2020, n° 18/00677
Juridiction : Cour d'appel d'Angers
Numéro(s) : 18/00677
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Angers, 12 septembre 2018, N° 17/00455
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/00677 – N° Portalis DBVP-V-B7C-EMS4.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 13 Septembre 2018, enregistrée sous le n° 17/00455

ARRÊT DU 17 Décembre 2020

APPELANTE :

SAS JCDECAUX FRANCE Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]

représentée par Me RUBINEL, avocat substituant Maître Benoit GEORGE de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, avocat au barreau d’ANGERS

INTIME :

Monsieur C X

[…]

[…]

représenté par Me Sarah TORDJMAN de la SCP ACR AVOCATS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 30180207 et par Maître Alexis LASSEGUES, avocat plaidant au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 26 Octobre 2020 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame R, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Q R

Conseiller : Monsieur Yannick BRISQUET

Conseiller : Madame Marie-Christine DELAUBIER

Greffier lors des débats : Madame O P

ARRÊT :

prononcé le 17 Décembre 2020, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame R, conseiller faisant fonction de président, et par Madame O P, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

M. C X, né le […], a été embauché, à durée indéterminée, par la société JC Decaux France le 4 août 2008 en qualité d’agent d’exploitation secteur, statut employé, à temps complet, pour une rémunération brute mensuelle de 1569,05 euros.

La convention collective applicable est celle de la publicité et assimilés.

Par avenant du 13 septembre 2010, M. X a été affecté au poste d’agent d’exploitation polyvalent, statut employé. Cette qualification correspond à la catégorie 1- niveau 4 de la convention collective. Le salaire brut mensuel moyen en dernier lieu de la relation contractuelle était de 1985,50 euros.

Par lettre en date du 14 mars 2016, M. X a été convoqué à un entretien précisant qu’il était envisagé une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 22 avril 2016 et réceptionnée le 27 avril 2016, M. X a été licencié pour cause réelle et sérieuse par la société JC Decaux France avec une date de sortie effective fixée au 28 juin 2016.

Les motifs invoqués dans la lettre de licenciement tiennent notamment à des pauses déjeuner trop longues, des pauses non déclarées et des clés laissées sur le contact du véhicule de société.

M. X a saisi le conseil de prud’hommes d’Angers le 22 septembre 2017 d’une contestation de son licenciement et d’une demande de condamnation de son ancien employeur à lui verser les indemnités afférentes, sous le bénéfice de l’exécution provisoire.

Par jugement du 13 septembre 2018, le conseil de prud’hommes d’Angers a :

— dit le licenciement de M. X privé de cause réelle et sérieuse ;

— condamné la SAS JC Decaux France à payer à M. X la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

— dit que cette somme produira des intérêts au taux légal à compter du 13 septembre 2018, date du prononcé de la décision, avec anatocisme ;

— condamné la SAS JC Decaux France à rembourser à Pôle Emploi les éventuelles aides au retour à l’emploi versées à M. X dans la limite de 2 mois ;

— condamné la SAS JC Decaux France à payer à M. X la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

— débouté la SAS JC Decaux France de sa demande à ce même titre ;

— débouté M. X de sa demande d’exécution provisoire ;

— condamné la SAS JC Decaux France aux entiers dépens.

Par déclaration électronique en date du 16 octobre 2018, la société JC Decaux France a interjeté appel de cette décision.

L’intimé a constitué avocat le 20 novembre 2018.

L’instruction de ce dossier a été clôturée par ordonnance fixée au 7 octobre 2020.

MOYENS ET PRÉTENTIONS :

Par conclusions n°3 notifiées au greffe le 24 septembre 2020, régulièrement communiquées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SAS JC Decaux France demande à la cour de la recevoir en son appel, la déclarer recevable et bien fondée et :

— d’infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

— de juger que le licenciement de M. X repose sur une cause réelle et sérieuse ;

— de dire et juger que les demandes de M. X présentées dans le cadre de son appel incident au titre d’une prétendue irrégularité de procédure et d’un prétendu préjudice moral en raison d’un licenciement vexatoire sont des demandes nouvelles ;

en conséquence :

— de débouter M. X de son appel incident et de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ou à défaut les ramener à de plus justes proportions ;

— de déclarer irrecevables les demandes nouvelles de M. X ;

— de condamner M. X à verser à la société JC Decaux la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— de condamner M. X aux entiers dépens de première instance et d’appel en cela compris les frais de signification de l’arrêt à intervenir.

La SAS JC Decaux France fait valoir au soutien de ses prétentions que :

— M. X manipulait le système de contrôle pour se rendre dans un bar sur son temps de travail alors qu’il était interdit à M. X ainsi qu’à ses collègues de stationner à plusieurs devant un café ce qui n’a pas été respecté ;

— M. X ne respectait aucunement ses obligations et faisait parvenir des rapports d’activité à la société ne correspondant pas à ses horaires de travail ;

— aucune tolérance n’existait quant à l’absence de mention des temps de pause sur les rapports d’activité ;

— le licenciement de M. X est une sanction proportionnée et n’est en aucun cas lié au mouvement de grève ;

— en tout état de cause le préjudice de M. X n’est pas justifié quant au montant de ses demandes ;

— les demandes nouvelles de M. X concernant le caractère vexatoire de son licenciement et l’irrégularité de procédure sont irrecevables.

Par conclusions récapitulatives notifiées au greffe le 30 septembre 2020, régulièrement communiquées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, M. X demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers en ce qu’il a :

* dit le licenciement privé de cause réelle et sérieuse ;

* condamné la SAS JC Decaux France à rembourser à Pôle Emploi les éventuelles aides au retour à l’emploi versées dans la limite de 2 mois ;

* condamné la SAS JC Decaux France à lui payer la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

* débouté la SAS JC Decaux France de sa demande à ce même titre ;

* condamné la SAS JC Decaux France aux entiers dépens.

M. X demande également à la cour de :

— le recevoir en son appel incident et de déclarer recevable et bien fondé l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

— infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la SAS JC Decaux France à lui payer la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts ;

statuant à nouveau sur ce point :

— condamner la société JC Decaux France à lui verser la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

— condamner la société JC Decaux France à lui verser la somme de 6000 euros en réparation du préjudice moral subi compte tenu du caractère vexatoire de son licenciement;

— condamner la société JC Decaux à lui verser la somme de 2000 euros en réparation du préjudice moral subi compte tenu de l’irrégularité de procédure ;

en tout état de cause :

— débouter la SAS JC Decaux France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

— condamner la société JC Decaux France à lui verser la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

— dire et juger que les intérêts dus pour une année seront eux-mêmes productifs d’intérêts au taux légal conformément à l’article 1154 du code civil ;

— condamner la société JC Decaux France aux entiers dépens en cause d’appel, en cela compris les frais de signification de l’arrêt à intervenir, dont distraction au profit de la SCP ACR, agissant par Me Sarah Tordjman.

M. X fait valoir que :

— son licenciement est la conséquence de sa participation à un mouvement de grève de 24h le mercredi 13 janvier 2016, à l’instar de 3 de ses collègues, MM. Y, B et A; ces 2 derniers, salariés protégés, ont vu leur licenciement refusé par l’inspection du travail comme étant disproportionné ;

— la sanction prononcée contre lui est également disproportionnée ;

— aucune pause déjeuner trop longue ne saurait lui être reprochée, au vu des disques chronotachygraphes de son véhicule ;

— les salariés n’ont d’autre choix que de laisser les clés sur le contact du véhicule de service lorsqu’ils travaillent afin que cela soit décompté comme du travail effectif ;

— sur les pauses non déclarées, il n’est pas produit de constat d’huissier mais des procès-verbaux de dépôt ;

— il n’a jamais eu aucun avertissement ou rappel au respect des consignes de sa hiérarchie;

— il ressort des pièces versées aux débats que l’employeur avait d’ores et déjà pris sa décision de le licencier, bien avant de le convoquer à l’entretien préalable, ce qui constitue une irrégularité de procédure ;

— les conditions du licenciement sont vexatoires en ce qu’il a été dispensé de réaliser son préavis de deux mois sans que cela ne soit justifié ;

— ces deux dernières demandes ne sont pas nouvelles en cause d’appel et sont recevables.

— son préjudice de perte d’emploi justifie des dommages et intérêts à hauteur de 30 000 euros.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

I – Sur la rupture du contrat de travail

A – Sur la recevabilité des demandes nouvelles en appel : le caractère vexatoire du licenciement et l’irrégularité de la procédure

Le code du travail prévoyait en son article R.1452-7, abrogé par décret du 20 mai 2016, que les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel.

L’abrogation de cette disposition dérogatoire au droit commun de la procédure civile entraîne un retour au principe posé par les dispositions de l’article 564 du code de procédure civile selon lequel, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

Selon l’article 565 de ce même code, 'les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent'.

Enfin, selon l’article 566, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge 'toutes les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément'.

Ces dispositions sont applicables aux instances introduites postérieurement au 1er août 2016 devant le conseil de prud’hommes.

En l’espèce, il est parfaitement constant que M. X présente ces deux demandes pour la première fois en cause d’appel.

Il s’agit là de deux prétentions nouvelles donnant lieu à un examen distinct des conditions du licenciement et à des demandes de dommages et intérêts différentes de celle formulée au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans ces conditions, elles ne peuvent pas être considérée comme 'l’accessoire, la conséquence ou le complément' de l’action en contestation du licenciement pour défaut de cause réelle et sérieuse.

Elles doivent donc être déclarées irrecevables.

B – Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

L’ article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.

Il est de principe que pour être réelle, la cause doit être objective, c’est-à-dire reposer sur des faits matériellement vérifiables, doit exister c’est-à-dire que le motif invoqué doit être établi, et doit être exacte c’est-à-dire que le motif invoqué doit être la véritable raison du licenciement.

La cause doit également être sérieuse : les griefs invoqués doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement.

L’article 1235-1 du même code prévoit que 'le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Il justifie dans le jugement qu’il prononce le montant des indemnités qu’il octroie. Si un doute subsiste, il profite au salarié.'

La lettre de licenciement du 22 avril 2016 qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

'Monsieur,

Conformément à la législation en vigueur, nous vous avons convoqué par courrier en date du 14 mars 2016 à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’au licenciement qui s’est tenu le 31 mars 2016, en présence de Madame F G, Directrice Technique Régionale, et Monsieur H I, Responsable Ressources Humaines, dans nos bureaux de Nantes situés au 14/[…], […].

Au cours de cet entretien, auquel vous vous êtes fait assister par Monsieur L-M N, représentant du personnel, nous vous avons fait part des griefs qui vous étaient reprochés.

Le lundi 18 janvier 2016, votre responsable, J Z, Adjoint d’Exploitation, vous a vu à la Brasserie ' Le Lorette’ située boulevard Joseph Bédier à Angers entre 7h30 et 8h avec d’autres salariés de l’entreprise. Or, sur votre rapport d’activité de la semaine 3 (correspondant à la semaine du 18 au 22 janvier), vous avez indiqué avoir commencé à travailler à 7h sans faire mention d’une quelconque pause.

Force est de constater que vous avez délibérément inscrit de fausses indications sur votre rapport d’activité en indiquant une prise de poste de travail à 7h alors que tel n’était pas le cas.

Des photographies prises par Monsieur J Z, à 7h37 à 8h04 et attestées par acte d’Huissier de Justice viennent accréditer ce constat.

Par ailleurs, les relevés du chronotachygraphe 'FM 100" effectués sur votre véhicule de société, immatriculé

CX-010-FH, aperçu devant le café, confirment que votre véhicule était bien à l’arrêt entre 7h23 et 8h05.

Ce même jour, vous avez déclaré sur votre rapport d’activité une pause déjeuner d’une heure, entre 12h et 13h. Or, les relevés du chronotachygraphe de votre véhicule révèlent une toute autre situation puisque votre véhicule est resté à l’arrêt entre 11h27 et 12h49, correspondant manifestement à votre pause déjeuner.

Le lundi 25 janvier 2016, vous avez été de nouveau vu, avec d’autres salariés, par votre responsable dans la Brasserie 'Le Lorette’ entre 7h30 et 8h35 alors que votre rapport d’activité (Semaine 4) indique une prise de poste à 7h. Une nouvelle fois, nous constatons que vous vous êtes octroyé le droit de prendre une pause d’une heure sur vos heures de travail sans la déclarer comme telle.

Une photographie, attestée par acte d’Huissier de Justice datée de ce matin-là à 8h19 ainsi que les relevés FM 100 prouvent que vous étiez effectivement en pause entre 7h27 et 8h37.

Ce même jour, Monsieur J Z vous a contacté à 11h10 sans parvenir à vous joindre pour vous signaler une panne sur un mobilier digital de votre secteur. Vous n’avez dépanné ce mobilier qu’à 15h36. Pourtant et comme vous le savez vous vous devez de répondre à votre téléphone professionnel pendant vos horaires de travail.

Le 1er février 2016, Monsieur J Z vous a une nouvelle fois vu à la Brasserie 'Le Lorette’ entre 7h40 et 8h50 telles qu’en attestent des photos, constatées par acte d’Huissier de justice, prises à 7h57 et 8h31. Encore une fois le relevé FM 100 effectué sur votre véhicule montre un temps de pause entre 7h37 et 8h52. Or, vous avez une nouvelle fois faussé votre rapport d’activité en indiquant pour ce jour là que vous aviez commencé le travail à 7h30 ce qui constitue un nouveau détournement de vos rapports d’activité.

De plus, Monsieur J Z vous avait demandé d’effectuer en priorité ce lundi-là une tournée de remplacement de faces blanches que vous n’avez, de fait, pas faite en premier.

Le 1er février 2016, toujours, vous avez déclaré sur votre rapport d’activité une pause déjeuner d’une heure, alors que selon le relevé de votre chronotachygraphe, celle-ci a duré de 11h44 à 13h12, soit 1 heure 28.

Le lendemain, le 2 février 2016, votre responsable vous a vu, avec d’autres collègues, dans le bar 'Le Saint Germain’ situé […] à Angers entre 5h30 et 6h30. Ces faits ont une nouvelle fois été constatés par des photos prises à 5h45 et 6h21, attestées par acte d’Huissier de Justice.

Une nouvelle fois, votre rapport d’activité (Semaine 5) indique que vous avez commencé à travailler dès 5h30, sans mentionner une quelconque pause.

Ce jour-là, Monsieur J Z a constaté que vous aviez laissé sur le contact les clefs du véhicule. Ainsi, votre camion, stationné sur la voie publique et donc visible de tous, n’était pas fermé. Vous n’êtes pas sans savoir que n’importe qui aurait pu le voler sans que vous soyez en capacité de l’en empêcher.

La pratique de laisser les clefs d’un véhicule à portée de tous serait parfaitement incompréhensible et incohérente si elle ne vous permettait pas de falsifier vos relevés FM 100. En effet, la clef sur le contact de votre véhicule permet au FM 100 d’enregistrer une activité semblable à celle qui pourrait être enregistrée en cas d’affichage ou de maintenance. A l’inverse, retirer la clef, fait cesser l’enregistrement du FM 100 ce qui caractérise le plus souvent une véritable pause. Cette pratique est absolument inadmissible.

Par celle-ci, vous avez cherché à tromper votre hiérarchie, altérant indéniablement la relation de confiance que nous devons avoir avec vous dans le cadre de vos fonctions.

A ce sujet, vous avez fait valoir pendant l’entretien une 'mauvaise habitude'. Pourtant, vous ne laissez pas les clefs sur le contact de votre véhicule lorsque celui-ci est au dépôt. Il s’agit donc bien d’un acte délibéré et non d’un mauvais réflexe.

Le 22 février 2016, comme les autres lundis de chaque semaine, votre responsable vous a vu, accompagné d’autres salariés de l’entreprise, prendre une pause entre 7h30 et 8h05 dans la Brasserie 'Le Lorette’ (photo attestée par acte d’Huissier de Justice prise à 7h42) alors que votre rapport d’activité (Semaine 8) indique que vous avez commencé le travail à 7h30. A nouveau, les relevés FM 100 confirment ces faits et attestent que vous étiez en pause entre 7h33 et 8h09.

De plus, vous avez déclaré sur votre rapport d’activité une pause déjeuner d’une heure alors que, selon le relevé de votre chronotachygraphe, celle-ci a duré de 11h29 à 12h49, soit 20 minutes de plus que ce que vous avez indiqué.

Enfin, ayant constaté cette habitude parfaitement inadmissible sur de nombreuses semaines, votre Directrice Technique, Madame F G s’est rendue, avec Monsieur J Z à la Brasserie 'Le Lorette’ le 29 février 2016. Sans surprise, elle vous y a trouvé, avec d’autres collègues, en pause pendant 40 minutes (photos prises et attestées par acte d’Huissier de Justice à 7h40, 7h58 et 8h10). Ces éléments ont, comme à chaque fois été confirmés par les relevés FM 100 (arrivée à 7h24).

Vos responsables sont venus à votre rencontre alors que vous terminiez votre pause. Conscient de votre faute, vous n’avez pas cherché à vous justifier.

L’ensemble des faits relatés ci-dessus sont absolument intolérables.

A six reprises en moins de deux mois et avec une régularité qui tend à démontrer une habitude plus ancienne encore, vous avez pris des pauses d’une durée conséquente sur votre temps de travail en faussant de façon extrêmement manifeste vos rapports d’activité.

Ce comportement et cet état d’esprit ne reflètent en rien la confiance que nous donnons à nos salariés et que nous attendons légitimement d’eux compte tenu de la nature même de nos métiers qui nécessitent autant d’autonomie que de responsabilité. Ils sont contraires à vos engagements contractuels et aux valeurs de notre entreprise.

Pourtant, vous connaissez parfaitement les règles en la matière puisque qu’au cours de deux réunions d’équipe en dates des 30 septembre 2013 et 24 février 2014, auxquelles vous étiez présent, Monsieur J Z vous a rappelé l’interdiction formelle d’effectuer des pauses sans les inscrire dans le rapport d’activité.

De plus, la prise de ces pauses avec plusieurs autres salariés va à l’encontre des règles en vigueur dans l’entreprise connues de tous et rappelées par une note de 2003 interdisant le regroupement de camions siglés 'JCDecaux’ en dehors des agences et dépôts.

Enfin, le fait de contourner le fonctionnement du FM 100 pour pouvoir fausser vos rapports est particulièrement inadmissible. Plus encore, il met en péril le véhicule de société mis à votre disposition en ce qu’il peut être volé par toute personne mal intentionnée.

De tels faits révèlent sans conteste votre manque d’implication dans vos missions et votre manque de respect des règles fixées par l’entreprise. Une telle attitude est constitutive d’un manquement grave à vos obligations contractuelles.

Nous vous rappelons que dans l’exécution de vos fonctions, vous vous devez de remplir un rapport d’activité reflétant la réalité de votre travail quotidien et hebdomadaire.

Ces faits fautifs remettent en cause la bonne marche de votre Direction et perturbent incontestablement le bon fonctionnement de l’entreprise.

Au cours de l’entretien préalable du 31 mars 2016, nous vous avons entendu sur d’éventuelles justifications. Cependant les explications recueillies auprès de vous lors de notre entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits mentionnés, faits que nous reprochons également à trois autres salariés de l’entreprise.

Ainsi, nous avons le regret, par la présente, de vous notifier notre décision de vous licencier pour faute simple.

Votre préavis, que nous vous dispensons d’effectuer, mais qui vous sera toutefois indemnisé, débutera à la date de première présentation de cette lettre et se terminera à l’issue d’un délai de deux mois, date à laquelle vous cesserez de faire partie de nos effectifs. […]'

Il ressort de cette lettre de licenciement, que M. X a été licencié pour cause réelle et sérieuse en raison principalement de temps de pause non déclarés, de pauses déjeuner trop longues et pour avoir laissé sur le contact les clés du véhicule d’entreprise, ouvert et stationné sur un parking public.

La société JC Decaux France a ainsi relevé 8 anomalies dans les rapports d’activité établis par M. X entre le 18 janvier et le 29 février 2016, entre les pauses matinales et les pauses à l’heure du déjeuner.

Pour le lundi 18 janvier 2016, l’employeur justifie des griefs reprochés à M. X en produisant aux débats les photographies prises par M. Z du regroupement de camions de la société ce jour-là, le chronotachygraphe du véhicule faisant apparaître une immobilisation de ce dernier entre 7h23 et 8h05 et le rapport d’activité rempli par le salarié ne faisant apparaître aucun temps de pause avec un début de prise de poste à 7h.

Cependant, le grief concernant la pause déjeuner n’est pas justifié. Il est établi une immobilisation du véhicule entre 11h32 et 12h35. Il n’y a pas de différence notable avec ce qui est mentionné dans le rapport d’activité, soit une pause entre 12h et 13h.

Pour la journée du 25 janvier 2016, la société JC Decaux France justifie du grief reproché à M. X. Le véhicule a bien été immobilisé entre 7h27 et 8h37 alors que M. X indique, dans son rapport d’activité, avoir débuté à son poste de travail à 7h. Il n’a pas mentionné l’existence d’une pause. S’agissant du dépannage tardif, s’il est bien noté sur l’activité du véhicule une intervention à 15h36, il n’est pas en revanche justifié d’une demande d’intervention formulée à 11h10 par M. Z. Ce dernier grief n’est donc pas établi.

Pour la journée du 1er février 2016, il est à nouveau justifié par l’employeur de l’immobilisation du véhicule de société entre 7h37 et 8h52 pour un début d’activité mentionné par M. X à 7h30. Cela signifie qu’en réalité M. X a pris son poste près d’une heure et demi après l’horaire invoqué. Dans ces conditions, le grief relatif au non respect des consignes doit être considéré comme établi. Il est versé aux débats le SMS par lequel M. Z a demandé à M. X, après avoir réglé les pannes, de procéder 'en priorité à la tournée pour les faces blanches' sur certains quartiers de la ville d’Angers. En prenant son service avec un tel retard, il convient de considérer que cette consigne n’a pas pu être respectée. En revanche, le grief concernant la pause déjeuner n’est pas fondé: M. X a déclaré une pause déjeuner entre 12h et 13h et son véhicule a été immobilisé de 12h01 à 12h57. M. X a parcouru près de 18 kms entre 11h44 et 12h01 et 17 kms entre 12h57 et 13h12.

Pour la journée du 2 février 2016, M. X a mentionné dans son rapport d’activité avoir pris son poste à 5h30 alors qu’il est établi que son véhicule a été immobilisé de 5h32 à 6h30. M. X n’a pas mentionné avoir réalisé une pause ce matin-là. Il est également parfaitement établi à la lecture du rapport de chronologie d’activité du véhicule que les clés ont bien été laissées sur le contact. Cette anomalie est caractérisée par l’existence d’un relevé d’activité continue. Comme le souligne M. X, il apparaît que ces agissements sont isolés car cette anomalie n’est pas retrouvée lors des 5 autres journées litigieuses. Mais le grief doit être néanmoins considéré comme établi, sauf en son caractère habituel.

Pour la journée du 22 février 2016, il est justifié que M. X a bien pris une pause non déclarée de 7h33 à 8h09, alors qu’il était censé débuter sa journée de travail à 7h30. En revanche, il n’est pas établi un temps de pause déjeuner trop long par rapport à ce qui a été déclaré (de 11h35 à 12h35 au lieu de 11h45 à 12h45 comme mentionné dans le rapport d’activité).

Pour la journée du 29 février 2016, il est également parfaitement démontré que M. X a pris un temps de pause de 7h24 à 8h15. Mais à la suite de l’intervention inopinée de ses supérieurs hiérarchiques dans la brasserie 'Le Lorette', ce temps de pause a été noté par M. X dans son rapport d’activité. En revanche, il est noté une prise de poste à 8h ce qui est manifestement inexact car le véhicule a été en intervention entre 7h04 et 7h24. Il y a là une volonté délibérée de M. X de dissimuler la longueur de cette pause pour la faire correspondre avec le temps de tolérance de la société. Ce grief parfaitement établi peut donc venir à l’appui du licenciement.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que l’existence de temps de pause pris par M. X avant sa prise effective de poste ou juste après et non déclarés à au moins six reprises dans ses rapports d’activité, est parfaitement établie. A l’exception de celui du 29 février 2016, ces temps de pause ne sont d’ailleurs pas vraiment contestés par l’intéressé. Les photographies prises par M. Z les matins litigieux n’ont pas lieu d’être remises en cause. Elles ne font que confirmer les éléments techniques recueillis auprès du véhicule de service.

Le grief lié aux clés laissées sur le contact du véhicule de société est lui aussi parfaitement établi même s’il apparaît isolé et ne pas constituer 'une habitude’ comme l’indique l’employeur.

Le grief lié aux pauses déjeuner trop longues n’est lui pas établi.

La société JC Decaux France insiste dans la lettre de licenciement sur le fait que M. X était parfaitement informé des consignes à respecter : l’interdiction formelle d’effectuer des pauses sans les inscrire dans le rapport d’activité et l’interdiction des regroupements de camions signés 'JC Decaux’en dehors des agences et des dépôts. Elle invoque ainsi deux réunions d’équipe en date des 30 septembre 2013 et 24 février 2014. Même si les comptes-rendus de ces réunions établis par M. Z sont bien versés aux débats et font mention d’un temps de pause 'café’ toléré de 10 à 15 minutes, il n’est pas démontré que M. X était présent à ces deux réunions et que les comptes rendus lui ont bien été transmis. De même, il n’est pas versé aux débats par l’employeur d’éléments permettant d’affirmer que M. X était informé de l’interdiction de regroupement des véhicules en un même lieu en dehors des agences et des dépôts.

Quoiqu’il en soit, il est établi sur 6 journées et dans un temps relativement court que M. X a été amené à prendre des temps de pause non déclarés longs voire très longs bien au-delà de ce qui peut être admis ou toléré, et ce nécessairement au détriment de son temps de travail, des interventions à effectuer et de son employeur. M. X ne pouvait bien évidemment pas ignoré les conséquences de telles pratiques dont la fréquence laissait craindre leur caractère habituel. Il ne pouvait pas non plus ignorer que dans ces conditions, il ne faisait pas un rapport fidèle de son activité de la journée, alors qu’il bénéficiait sur son poste d’une grande autonomie dans l’organisation de sa journée de travail et justifiait par simple déclaration de la réalité de son activité professionnelle.

M. X prétend que ces pauses comprenaient en partie l’étude du planning hebdomadaire. Cette allégation n’est nullement établie et en tout état de cause ne peut justifier des temps de pause aussi conséquents.

M. X prétend également que le véritable motif du licenciement est sa participation à une journée de grève en janvier 2016. Il fait encore valoir la disproportion de la sanction au regard de la mise à pied disciplinaire de 5 jours infligée à MM. A et B, présents lors des pauses, pour des faits similaires. Le licenciement de ces deux salariés protégés a ainsi été refusé par l’inspection du travail, sans que ce refus soit contesté par la société JC Decaux.

Si effectivement le licenciement de M. X intervient dans un contexte social tendu au sein de la société, tous les développements précédents démontrent que le grief le plus grave reproché à M. X est parfaitement établi et que l’employeur n’a usé d’aucune manoeuvre discutable pour justifier du licenciement. Il n’est pas établi d’autres motifs au licenciement que le seul comportement du salarié lui-même. L’inspectrice du travail dans ses décisions du 24 juin 2016 concernant les deux salariés protégés, MM. B et A, reconnaît elle-même que 'la prise de pause sur le temps de travail sans le rapporter sur le rapport d’activité' caractérise un 'comportement fautif'. Mais elle ne motive en rien sa décision de refus d’autorisation du licenciement.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le licenciement de M. X repose sur une cause réelle et sérieuse. La demande de dommages et intérêts présentée par M. X de ce chef doit être rejetée.

Le jugement de première instance doit être infirmé en toutes ses dispositions.

II – Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. X est condamné au paiement des dépens de première instance et d’appel.

Il convient de rejeter les demandes présentées par les parties sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, en première instance et en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS :

La COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

DECLARE irrecevables les demandes de dommages et intérêts présentées par M. X pour licenciement vexatoire et irrégularité de procédure ;

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers du 13 septembre 2018 ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement de M. X repose sur une cause réelle et sérieuse ;

REJETTE la demande de dommages et intérêts présentée par M. X pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

REJETTE les demandes présentées par les parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d’appel ;

CONDAMNE M. X au paiement des dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

O P Q R

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel d'Angers, Troisième chambre, 17 décembre 2020, n° 18/00677