Cour d'appel de Dijon, Chambre sociale, 22 décembre 2016, n° 15/00145

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Dijon, ch. soc., 22 déc. 2016, n° 15/00145
Juridiction : Cour d'appel de Dijon
Numéro(s) : 15/00145
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Haute-Marne, 27 janvier 2015, N° 21400024
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

GL / JA

SAS FORGES DE BOLOGNE

C/

X THIEBAUT veuve Y

Z Y

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Haute-Marne (CPAM)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE
FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE DIJON

CHAMBRE SOCIALE

ARRÊT DU 22 DECEMBRE 2016

RÉPERTOIRE GÉNÉRAL N° 15/00145

Décision déférée à la Cour :
Jugement Au fond, origine Tribunal des Affaires de
Sécurité Sociale de

HAUTE-MARNE, décision attaquée en date du 28
Janvier 2015, enregistrée sous le n° 21400024

APPELANTE :

SAS FORGES DE BOLOGNE

XXX

XXX

représentée par Me Juliana KOVAC de la SCP FLICHY
GRANGE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Lucy GAUDEMET-TOULEMONDE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉES :

X THIEBAUT veuve Y

XXX

XXX

XXX

XXX

XXX

XXX

représentées par Me A
B de la SCP TEISSONNIERE – TOPALOFF
-
B, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Guillaume BERNARD, avocat au barreau de PARIS

Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Haute-Marne (CPAM)

XXX Lattre de
Tassigny

CS 22028

XXX

représenté par Mme C
D d’audience Caisse primaire d’assurance maladie de la Côte d’Or) munie d’un pouvoir en date du 22 Novembre 2016

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Novembre 2016 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame ROUX, Conseiller et Monsieur LAUNOY, Conseiller, chargés d’instruire l’affaire. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :

Marie-Françoise ROUX, Conseiller, président,

Gérard LAUNOY, Conseiller,

Marie-Aleth TRAPET, Conseiller,

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Josette
ARIENTA,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ par Marie-Françoise ROUX, Conseiller, et par Josette ARIENTA, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PRÉTENTIONS DES
PARTIES

Embauché le 2 janvier 1975 par la société
Forges de Bologne, M. E Y a successivement occupé à son service les postes suivants':

— contrôleur des activités d’hydroformage jusqu’au 31 décembre 1978 (avec une interruption entre le 30 mai 1975 et 1er juin 1976 durant son service militaire),

— chef d’équipe dans le service contrôle du 1er janvier 1979 au 31 août 1982,

— contremaître du 1er septembre 1982 au 1er mars 1989, toujours au service de contrôle,

— adjoint du responsable des achats jusqu’au 31 août 1991,

— administrateur des ventes du 1er septembre 1991 à son licenciement pour motif économique le 14 décembre 1992.

Le 13 juin 2010, alors âgé de 51 ans, il a souscrit une déclaration de maladie professionnelle fondée sur un certificat médical, daté du 26 mai 2010, qui décrivait un mésothéliome pleural malin épithéloïde, en invoquant une exposition au risque lorsqu’il était au service de la société Forges de
Bologne.

Estimant que la condition relative à la liste limitative des travaux, telle qu’elle résultait du tableau n° 30 bis des maladies professionnelles, n’était pas remplie, la
Caisse primaire d’assurance-maladie de la
Haute-Marne a saisi un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Suivant l’avis de ce comité, elle a notifié à M. Y, le 18 mai 2011, un refus de prise en charge, confirmé par sa commission de recours amiable.

Après le décès de M. Y, survenu le 25 août 2011 des suites de la maladie déclarée, sa veuve, Mme X Y, et sa fille, Mme Z Y, ont saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Marne d’une action en reconnaissance de maladie professionnelle.

Statuant le 14 juin 2013 sur l’appel interjeté par cette société, la cour d’appel de Dijon a, après avoir fait usage de son pouvoir d’évocation, reconnu le caractère professionnel de la maladie, au titre du tableau n° 30 D, tout en déclarant inopposable à la société des Forges de Bologne toute décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de la maladie en cause.

Le 17 décembre 2013, les ayants-droit précitées de M. Y ont saisi la Caisse primaire d’une demande tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable commise par la société des Forges de
Bologne.

Saisi le 28 janvier 2014 après vaine tentative de conciliation, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Marne a, par jugement du 28 janvier 2015':

— dit que la maladie professionnelle en cause était la conséquence de la faute inexcusable de la société Forges de Bologne,

— débouté cette société de sa demande d’inopposabilité des conséquences de la faute inexcusable à son égard,

— avant dire droit, ordonné une expertise sur pièces confiée à la caisse primaire d’assurance maladie aux fins de déterminer si M. Y remplissait, avant son décès, les conditions d’attribution de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,

— réservé le surplus des demandes.

La société Forges de Bologne a interjeté appel de cette décision.

Par conclusions contradictoirement échangées, visées par le greffier et soutenues oralement à l’audience,

* Mmes X et Z Y demandent à la Cour de':

— confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré leur action recevable et dit que la maladie professionnelle en cause était la conséquence de la faute inexcusable de la société Forges de
Bologne,

— évoquer le litige relatif à l’indemnisation des préjudices subis par M. E
Y et du préjudice moral de ses ayants-droit,

— fixer au maximum légal la majoration de la rente de conjoint survivant servie à Mme X
Y,

— allouer aux ayants-droit de M. Y l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,

— fixer comme suit l’indemnisation des préjudices complémentaires':

' au titre de l’action successorale': 120.000 pour la réparation de la souffrance physique, 120.000 en réparation de la souffrance morale, 120.000 en réparation du préjudice d’agrément,

' au titre du préjudice moral personnel des ayants-droit': 100.000 pour Mme X
Y, 35.000 pour Mme Z Y,

— condamner la société Forges de Bologne à payer à chacune d’elle la somme de 2.000 sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile';

* la Caisse primaire prie la Cour de':

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

— prendre acte de ce qu’elle s’en remet à la décision de la cour sur la qualification de la faute et l’indemnisation éventuelle,

— condamner en tant que de besoin la société Forges de Bologne couvrant le risque considéré,

— condamner cette société à lui payer 1.500 par application de l’article 700 du code de procédure civile';

* la société Forges de Bologne demande à la
Cour, avec l’infirmation du jugement, de':

— rappeler que la décision de prise en charge de la maladie de M. Y lui est inopposable en application de l’arrêt précité du 18 avril 2013,

— dire en conséquence que la Caisse primaire n’aura pas la faculté de recouvrer auprès d’elle les sommes versées aux ayants-droit de M. Y,

— constater qu’elle n’a commis aucune faute inexcusable et débouter les consorts Y de l’intégralité de leurs demandes,

— à titre subsidiaire, ordonner une expertise afin d’évaluer les préjudices subis par M. Y, réduite le montant des indemnisations demandées,

— en tout état de cause, débouter ses adversaires de leurs demandes formulées au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux conclusions précitées pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties.

SUR QUOI

Attendu que selon l’attestation établie le 6 septembre 2011 par Maître F G, notaire à
Chaumont, M. E Y a laissé pour lui succéder d’une part son épouse Mme X H, par ailleurs bénéficiaire d’une donation portant sur la plus forte quotité disponible entre époux,

d’autre part sa fille unique Mme Z Y'; qu’elles sont ainsi recevables à agir';

Attendu qu’il résulte des articles L. 452-1 et L. 461-1 du code de la sécurité sociale que si, en raison de l’indépendance des rapports entre la caisse et la victime ou ses ayants droit et de ceux entre la caisse et l’employeur, le fait que le caractère professionnel de la maladie ne soit pas établi entre la caisse et l’employeur ne prive pas la victime ou ses ayants droit du droit de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, il appartient toutefois à la juridiction saisie d’une telle demande, de rechercher, après débat contradictoire, si la maladie a un caractère professionnel et si l’assuré a été exposé au risque dans des conditions constitutives d’une faute inexcusable ;

Sur le caractère professionnel de la maladie

Attendu qu’il résulte des dispositions des articles L.
461-1 et L. 461-2 que, pour bénéficier de la présomption d’imputabilité, la victime doit établir qu’elle est atteinte d’une maladie considérée comme professionnelle, inscrite à l’un des tableaux annexés au code de la sécurité sociale, qu’elle a été exposée de façon habituelle à l’action des agents nocifs, dans l’exercice de sa profession, à l’occasion d’une activité susceptible, selon les tableaux de maladies professionnelles, d’entraîner la maladie en question, et que la date de cessation de l’exposition au risque ne dépasse pas le délai de prise en charge fixé par le tableau';

Attendu que le tableau n° 30 envisage en sa rubrique D, avec un délai de prise en charge de 40 ans, le mésothéliome malin primitif de la plèvre associé à une liste indicative des principaux travaux susceptibles de le provoquer qui comporte notamment les travaux exposant à l’inhalation de poussières d’amiante';

Attendu qu’à la suite de l’apparition d’une pleurésie persistante, des investigations par thoracoscopie et Tep scan ont permis au docteur Bildstein de diagnostiquer, le 26 février 2010, une maladie décrite soit comme un mésothéliome pleural malin, soit comme la localisation métastatique d’un carcinome peu différencié au niveau de la plèvre droite'; que les certificats ultérieurs de ce médecin traitant spécialiste n’ont ensuite fait état que de soins et consultation pour mésothéliome pleural malin jusqu’à son décès lié à une rechute de cette affection après une amélioration temporaire de son état de santé';

Attendu qu’il est constant que jusqu’au 1er mars 1989, M. Y a travaillé au sein du département hydroformage de la société Forges de Bologne où il effectuait des travaux de contrôle qualité’qui l’amenaient à sa déplacer dans divers ateliers';

Attendu que l’agent enquêteur assermenté de la
Caisse primaire a, à l’issue de son enquête réalisée de juillet à septembre 2010, estimé que M. Y n’avait pas effectué de travaux directement liés à la production de matériaux contenant de l’amiante, tout en faisant état d’une exposition potentielle à l’amiante qui «'concerne le fait de s’être déplacé dans les différents secteurs de l’usine dont certains se sont avérés contenir de l’amiante de façon partielle'»';

Attendu que selon l’attestation de Michel Willaume, le comité d’hygiène et de sécurité (Chsct) de l’entreprise, dont il était secrétaire, a fait part à l’employeur, entre 1980 et 2000, de ses craintes liées à la présence de composants à base de fibres d’amiante dans des presses, des embrayages, des dispositifs d’isolation thermique et des joints, ainsi que dans le fibro-ciment des toitures et des sols soumis à de fortes vibrations provenant des installations voisines de forge';'que Jean-Louis Larcelet, ancien technicien de méthodes en maintenance, a confirmé que jusqu’à la fin de la décennie 1980, les joints de haute température, les garnitures de frein, les embrayages et les limiteurs de couple des machines étaient souvent à base d’amiante tandis que
Roland Pernot, ancien responsable de travaux, a constaté entre 1990 et 1996 que les disques à base d’amiante qui équipaient toutes les presses à embrayage diffusaient de la poussière à chaque opération de marche ou d’arrêt';

que le sérieux de ces attestations n’est pas remis en cause par le courrier de la société Imv Galli selon

lequel il n’y a pas d’amiante dans le groupe embrayage frein de la presse modèle CT80 alors que ce document, daté du 16 octobre 1998, n’établit pas qu’une telle presse était déjà en service à l’époque où M. Y a exercé ses fonctions de contrôle';

Attendu que les témoins Michel Willaume, déjà cité, et Denis Pecheur ont corroboré les dires de M. Y selon lesquels ce dernier était amené à se déplacer et à traverser fréquemment la forge’pour contrôler régulièrement les activités de fabrication, notamment le traitement thermique, le grenaillage et le décriquage des pièces'; que E Tinchaut a précisé que l’accès aux locaux du service contrôle fabrication et finition ne se faisait qu’en traversant la forge, ce que confirment les photographies produites par la société Forges de
Bologne'; que selon Gérard Magni, ancien contremaître à l’atelier hydroformage entre 1976 et 1986, un système de chauffage ventilation par air pulsé remettait les particules en suspension à l’intérieur des locaux';

Attendu qu’il résulte suffisamment de ces faits que même si l’amiante n’entrait pas dans la composition des produits fabriqués par la société
Forges de Bologne et même si M. Y n’était pas agent de fabrication, il a été exposé de façon régulière à l’inhalation des poussières d’amiante produites par les machines de l’entreprise dès lors que d’une part, il ne pouvait accéder aux locaux qui lui étaient spécialement attribués qu’en traversant les ateliers qui utilisaient ces machines, d’autre part ses fonctions l’amenaient pas nature à se déplacer fréquemment dans ces ateliers pour y contrôler la production';

qu’eu égard à la date d’apparition de la maladie, toutes les conditions prévues par le tableau n° 30 sont réunies de sorte que cette maladie a bien un caractère professionnel';

Sur la faute inexcusable

Attendu qu’en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L .452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ;

Attendu qu’il appartient au juge du fond de rechercher, compte tenu notamment de son importance, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels était affecté le salarié, si l’employeur devait avoir conscience du danger auquel il était exposé ;

Attendu qu’il ressort de ce qui précède que dès 1980, le Chsct a alerté la société Forges de Bologne sur les risques de la présence d’amiante, notamment dans des machines et dans des dispositifs d’isolation thermique'; que compte tenu de son importance, alors qu’elle occupait déjà plusieurs centaines de salariés (environ 600 actuellement), cette société avait nécessairement conscience des dangers liés à l’inhalation de l’amiante qui avaient été très anciennement reconnus, en vertu d’un décret du 31 août 1950, par la prise en compte de l’asbestose due à ce matériau dans un tableau des maladies professionnelles n° 30'; que les mésothéliomes et les cancers broncho-pulmonaire ont ensuite été envisagés, dès 1951, comme des complications pulmonaire de l’asbestose'; que la société rappelle elle-même que le décret n° 77-949 du 17 août 1977, publié deux ans seulement après l’embauche de M. Y, a institué des mesures particulières d’hygiène et de sécurité applicables dans les établissements où le personnel est exposé aux poussières d’amiante';

Attendu qu’il était manifeste qu’au sein du département hydroformage de la société, étaient exposés au risque d’inhalation de poussières contenant de l’amiante non seulement ses agents de fabrication qui utilisaient les machines contenant de l’amiante, mais aussi tous les salariés qui, comme M. Y, étaient amenés à séjourner régulièrement dans les locaux empoussiérés pour y remplir leur mission';

Attendu que la société Forges de Bologne ne démontre pas avoir pris des mesures destinées à protéger ses salariés avant la mutation de M. Y dans un service de nature commerciale à partir de 1989'; qu’elle indique seulement qu’elle a remplacé le revêtement du sol du service de contrôle et a remplacé une presse de marque Borel, en situant ces faits dans les années 1990'; qu’un dossier technique «'amiante'» établi par le bureau d’études Envirotech ne fait état de diagnostics relatifs à l’amiante qu’à partir du 13 novembre 1997'; qu’aucun document n’évoque l’existence de dispositif de désempoussiérage, le témoin Gérard Magni ayant au contraire souligné que le dispositif de chauffage ventilation par air pulsé dispersait les poussières dans les ateliers';

qu’en conséquence, les premiers juges ont exactement apprécié la situation en décidant que la société
Forges de Bologne avait commis une faute inexcusable à l’origine de la maladie professionnelle subie par M. Y';

Sur l’indemnisation du préjudice subi par M. Y

Attendu que la cour est en mesure de statuer sur la réparation des préjudices sans qu’il soit besoin de recourir à une mesure d’expertise'; qu’elle estime donc de bonne justice de faire usage, sur ces points, de son pouvoir d’évocation conformément à l’article 568 du code de procédure civile';

Sur les souffrances physiques

Attendu qu’il résulte des documents médicaux soumis à l’appréciation de la cour que M. Y a':

— présenté en décembre 2009 une toux avec douleurs de la base droite et forte fièvre en raison d’une pleurésie de grande abondance, encore prolongées en février 2010 par des douleurs thoraciques modérées,

— enduré ensuite des douleurs d’intensité variable': sans douleurs particulières jusqu’à octobre 2010 (compte rendu du 20 octobre 2010), paresthésies des mains et des pieds après la 9e cure de chimiothérapie en janvier 2011, douleurs thoraciques droites mal calmées par les médicaments à la suite d’une évolution défavorable des troubles à partir de mars 2011, douleurs persistantes décrites les 18 juillet et 3 août 2011 malgré de fortes doses de morphine, meilleur contrôle de la douleur au 11 août 2011, dégradation ensuite avec nécessité de mettre en place, en milieu hospitalier, une thérapeutique anti-douleur par morphine, conséquences douloureuses d’un état d’anémie et d’une anorexie à partir de juillet 2011,

— subi divers soins et investigations plus ou moins douloureux': ponction de liquide pleural et thoracoscopie en janvier 2010, 12 séances de kinésithérapie respiratoire en février 2010, radiothérapie des orifices de thoracoscopie à partir de mars 2010, cure de chimiothérapie bien tolérée en mars 2010, tomodensitométrie et tomographie les 4 mai et 3 août 2010, 5 janvier, 1er mars 2011, seconde chimiothérapie, troisième chimiothérapie en mai 2010 bien tolérée avec plusieurs accès de toux, prises de sang multiples, 6e chimiothérapie en juillet-août 2010 dans un contexte de bonne évolution, 3 autres chimiothérapies suivies de deux cures avec des nouveaux produits en juillet 2011, transfusion sanguine et oxygénothérapie en juillet 2011 en raison d’une insuffisance respiratoire';

Attendu que son pharmacien a attesté du fait que la quantité d’antalgiques prescrits témoignaient, surtout dans les dernières semaines de sa vie, de douleurs insupportables tournant à la lutte permanente pour seulement avoir moins mal';

Attendu que compte tenu des périodes durant lesquelles la douleur a été modérée avant de devenir très importante, il y a lieu de fixer à 45.000 l’indemnité propre à réparer ce chef de préjudice';

Sur les souffrances morales

Attendu que les éléments médicaux ci-dessus analysés montrent qu’après un diagnostic initial de pleurésie, une pathologie plus grave a été suspectée en janvier 2010 jusqu’à l’objectivation, quelques semaines plus tard, d’une atteinte cancéreuse et la confirmation, en mars 2010, qu’il s’agissait d’un mésothéliome pleural malin';

que si M. Y a conservé dans un premier temps, jusqu’à mars 2011, la presque totalité de sa capacité respiratoire, les nombreux examens pratiqués ont révélé dès janvier 2011 une évolution péjorative de la maladie, qualifiée de reprise, caractérisée par un épaississement pleural et une progression de la tumeur au delà du poumon, avec lésion secondaire hépatique';

qu’en mai 2011, sa dyspnée à l’effort s’est aggravée au stade 2, soit la montée d’un étage ou la marche rapide en terrain plat'; qu’elle s’est progressivement accrue jusqu’à devenir permanente et au moindre effort, rendant nécessaire une oxygénothérapie à domicile en juillet 2011 selon son médecin spécialiste traitant, qui le décrivait jusque là comme allant bien'; que son état général a continué à s’altérer jusqu’à son décès le 25 août 2011';

Attendu que cette dégradation a notamment abouti, selon les attestations de Martine Tassin et du docteur Petifourt, à lui rendre difficile même de parler avec ses proches';

Attendu qu’entre janvier 2010 et août 2011, M. Y a ainsi vécu dans la crainte de son avenir, puis a dû constater que l’aggravation de son état, avec l’extension du champ de la tumeur, devenait irrémédiable et réduisait de plus en plus le champ de ses relations sociales et même de son autonomie, en dépit des nombreux soins auxquels il s’était prêté';

que ce préjudice de nature morale justifie réparation sous forme d’une indemnité de 75.000 ';

Sur le préjudice d’agrément

Attendu que le préjudice d’agrément est celui qui résulte d’un trouble spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs';

Attendu qu’il ressort de documents émanant de la
Fédération française de vol libre que M. Y, titulaire depuis 2003 du brevet de pilote confirmé de parapente et de la qualification biplace associée à ce brevet, était encore licencié auprès de cette fédération au cours des années 2007 à 2010'; que
Louis Bouscail et Denis Delestrai, président et membre d’un club de parapente que M. Y avait précédemment présidée, ont attesté qu’il s’était orienté vers la formation pour mieux faire partager sa passion';

que selon l’attestation de Frédéric H, alors qu’il conservait en permanence sa voile dans le coffre de sa voiture pour pouvoir voler le soir, la fatigue l’a ensuite empêché de porter son sac et les douleurs, installées petit à petit, ont fini par rendre impossible même le trajet en voiture pour aller voler'; que Louis Bouscail a de même indiqué qu’après avoir volé un temps en biplace, sans piloter, il avait dû se résoudre à regarder voler ses camarades avant de devoir renoncer à tout investissement dans son club';

Attendu que la nécessité dans laquelle s’est trouvé M. Y de renoncer partiellement, puis complètement à cette activité sportive et de loisir qu’il pratiquait de façon régulière et soutenue constitue un préjudice d’agrément'; qu’une indemnité';de 25.000 constituera une exacte réparation de ce dommage

Sur l’indemnité forfaitaire

Attendu que l’article L. 452-3 alinéa 1er du code de la sécurité sociale subordonne l’octroi de cette indemnité, égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation, à

l’existence d’un taux d’incapacité permanente de 100 %';

Attendu que le taux d’incapacité est en principe celui qui résulte de la décision de la caisse attribuant un taux d’incapacité susceptible de recours devant le tribunal du contentieux de l’incapacité et n’est pas celui résultant des seuls éléments tirés soit de la gravité estimée de la pathologie, soit de la prise en charge du décès par la caisse'; qu’en revanche, lorsque le décès de la victime est intervenu sans que la caisse se soit prononcée sur la date de consolidation et l’état d’incapacité permanente de la victime, il incombe aux juridictions du contentieux général de la sécurité sociale de déterminer le taux d’incapacité, dès lors qu’elles ne sont pas saisies d’une contestation relative à l’état ou au degré d’incapacité ou d’invalidité de la victime d’une maladie professionnelle, mais d’une demande d’indemnisation complémentaire en raison de la faute inexcusable de l’employeur';

Attendu que la date de consolidation initiale s’entend de celle où l’état de la victime est stabilisé définitivement, même s’il subsiste encore des troubles';

Attendu qu’il n’est pas allégué que la Caisse primaire ait statué sur l’état d’incapacité permanente de M. Y'; qu’elle a seulement décidé d’attribuer à Mme X Y une rente d’ayant droit calculée sur une fraction du salaire que percevait la victime';

Attendu qu’après la demande de reconnaissance de maladie professionnelle présentée le 13 juin 2010, M. Y a subi plusieurs cures de chimiothérapie'; que le 4 août 2010, tout en constatant un aspect de bonne évolution de la maladie en raison de la disparition de l’hypermétabolisme initial, le docteur Meneroux a estimé douteuse la signification de cette évolution, se demandant si elle était imputable à la chimiothérapie ou à la diminution d’une inflammation secondaire à un talcage'; que le 20 octobre 2010, le docteur Bildstein a relaté le choix du patient d’accepter trois autres cures de chimiothérapie avant de rediscuter une éventuelle chirurgie'; qu’en janvier 2011, des examens ont révélé une évolution qualifiée de reprise de la maladie avec nécessité de modifier l’effort chimiothérapeutique (certificat du 10 janvier 2011)'; que la cour a décrit ci-dessus l’aggravation continuelle des symptômes et la dégradation de l’état de M. Y malgré la modification du traitement'; qu’encore le 11 août 2011, deux semaines avant son décès, il a été hospitalisé pour l’application de la troisième séance de sa deuxième cure de chimiothérapie par Gemzar';

Attendu qu’il résulte de ces faits que M. Y a bénéficié jusqu’à son décès d’actes thérapeutiques qui ne se limitaient pas à des soins d’entretien ou préventifs d’aggravation'; qu’aucune consolidation n’étant intervenue entre le début de sa maladie et son décès, l’indemnité forfaitaire demandée ne peut pas être allouée';

Sur l’indemnisation des ayants droit

Attendu que Mme X Y a droit à la majoration au maximum légal de la rente de conjoint survivant qui lui est servie';

Attendu qu’il résulte des attestations de Georges
Testevuide et Bernadette H que Mme X
Y a vécu avec son mari durant tout le temps de sa maladie et a assisté à ses souffrances et à la dégradation progressive de son état';

que Mme Z Y, bien qu’habitant à Dijon, a fréquemment rendu visite à son père et a ainsi partagé, de façon moins permanente, le trouble subi par sa mère';

qu’en réparation de leur préjudice moral découlant tant de l’accompagnement de M. Y que de son décès, il y a lieu d’allouer à':

— Mme X Y, actuellement âgée de 62 ans, une indemnité de 35.000 ,

— Mme Z Y, actuellement âgée de 36 ans, une indemnité de 10.000 ';

Sur le recouvrement des indemnités auprès de la société Forges de Bologne

Attendu qu’aux termes de l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale, susceptible d’application en la cause dès lors que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable a été introduite postérieurement au 31 décembre 2012, quelles que soient les conditions d’information de l’employeur par la caisse au cours de la procédure d’admission du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l’obligation pour celui-ci de s’acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L. 452-1 à L.
452-3';

Attendu que la société Forges de Bologne fait valoir qu’alors que ce texte n’envisage pas les hypothèses autres que l’inopposabilité judiciairement prononcée pour non-respect du principe de la contradiction à l’égard de l’employeur durant la phase d’instruction, la cour d’appel de Dijon s’est fondée, pour lui déclarer inopposable la décision de reconnaissance de maladie professionnelle prise par la Caisse primaire, sur le principe d’indépendance des rapports entre la caisse et la victime ou ses ayants droit et de ceux entre la caisse et l’employeur';

Attendu que la cour a énoncé, dans les motifs de son arrêt précité du 18 avril 2013, que':

— la Caisse primaire ne saurait se soustraire à son obligation, résultant des dispositions impératives de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale, de notifier à l’employeur sa décision de refus de prise en charge de l’affection déclarée par le salarié,

— que si elle avait notifié à M. Y, par lettre du 18 mai 2011, sa décision de refuser la prise en charge de sa maladie au titre de la législation professionnelle, elle n’avait procédé à une semblable notification ni à l’égard du dernier employeur, ni à l’égard de la société Forges de Bologne, qui n’avait été informée de la situation et de la contestation en cours que par sa réception, le 17 octobre 2011, d’une convocation à comparaître devant le tribunal des affaires de sécurité sociale et n’avait été associée à la procédure qu’à compter de cette dernière date,

— «'le fait que la caisse ait été défaillante dans l’obligation de notification qui était la sienne et n’ait pas tenu l’employeur informé de la contestation formée par le salarié, n’est de nature à préjudicier ni au dernier employeur ni à ceux chez lesquels la victime a été précédemment exposée au risque';
que l’appelante, nonobstant l’absence de notification du refus de prise en charge, est en droit de se prévaloir du principe d’indépendance des relations entre l’assuré social et la caisse d’une part et entre l’employeur et la caisse d’autre part'»';

qu’en réalité, la décision d’inopposabilité qui résulte de ces motifs n’a été fondée que sur le non-respect par la caisse de son obligation de notification, la cour n’ayant évoqué le principe de l’indépendance des relations qu’à titre informatif pour l’avenir';

Attendu qu’en conséquence, l’article L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale doit s’appliquer en l’espèce de sorte que la Caisse primaire est en droit de récupérer auprès de la société Forges de
Bologne, conformément à l’article L. 452-3 du même code, les sommes qu’elle aura à verser au titre de ce dernier texte';

Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Attendu que les dépens doivent incomber à la société Forges de Bologne, partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civil';

qu’il y a lieu à application de l’article 700 du même code au profit des intimées et de la
Caisse

primaire';

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement rendu le 28 janvier 2015 par le Tribunal des Affaires de Sécurité sociale de la
Haute-Marne en ce qu’il a dit que la maladie professionnelle subie par M. E Y était la conséquence de la faute inexcusable de la société
Forges de Bologne,

Y ajoutant,

Fixe au maximum légal la majoration de la rente de conjoint survivant servie à Mme X
H (nom d’usage marital Y),

Fixe comme suit les indemnités destinées à réparer les préjudices complémentaires prévus par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale':

— pour la souffrance physique': quarante cinq mille euros (45.000 ),

— pour la souffrance morale': soixante quinze mille euros (75.000 ),

— pour le préjudice d’agrément': vingt cinq mille euros (25.000 ),

— pour le préjudice moral personnel de Mme X Y': trente cinq mille euros (35.000 ),

— pour le préjudice moral personnel de Mme Z Y': dix mille euros (10.000 ),

Déboute Mmes X et
Z Y de leur demande tendant à l’allocation de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale,

Dit qu’en application des articles L. 452-3-1 et L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la Caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne est en droit de récupérer auprès de la société Forges de Bologne les sommes qu’elle aura à verser au titre de ce dernier texte';

Condamne la société Forges de Bologne, par application de l’article 700 du code de procédure civile, à payer à':

— Mme X Y, la somme de mille euros (1.000 ),

— Mme Z Y, la somme de mille euros (1.000 ),

— la Caisse primaire d’assurance maladie de la Haute-Marne, la somme de cinq cents euros (500 ),

Condamne cette société à payer les dépens de première instance et d’appel.

Le greffier Le président

Josette ARIENTA Marie-Françoise ROUX

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Cour d'appel de Dijon, Chambre sociale, 22 décembre 2016, n° 15/00145