Cour d'appel de Dijon, 1re chambre civile, 22 novembre 2022, n° 21/00204

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Dijon, 1re ch. civ., 22 nov. 2022, n° 21/00204
Juridiction : Cour d'appel de Dijon
Numéro(s) : 21/00204
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône, 7 décembre 2020, N° 18/00734
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Date de dernière mise à jour : 29 novembre 2022
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Sur les parties

Texte intégral

SD/IC

[P] [S]

[B] [L] épouse [S]

S.A.R.L. [S]

C/

[G] [H]

S.E.L.A.R.L. [H] ARGAUD

expédition et copie exécutoire

délivrées aux avocats le

COUR D’APPEL DE DIJON

1ère chambre civile

ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2022

N° RG 21/00204 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FUEK

MINUTE N°

Décision déférée à la Cour : jugement du 08 décembre 2020,

rendu par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône – RG : 18/00734

APPELANTS :

Monsieur [P] [S]

né le [Date naissance 4] 1968 à [Localité 12] (71)

[Adresse 6]

[Localité 9]

Madame [B] [L] épouse [S]

née le [Date naissance 5] 1966 à [Localité 10] (71)

[Adresse 6]

[Localité 9]

S.A.R.L. [S] agissant par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège :

[Adresse 3]

[Localité 8]

représentés par Me Sophie LITTNER-BIBARD, membre de la SCP LITTNER-BIBARD, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

INTIMÉS :

Monsieur [G] [H]

[Adresse 1]

[Localité 9]

S.E.L.A.R.L. [H] ARGAUD

[Adresse 1]

[Localité 9]

représentés par Me Eric BRAILLON, membre de la SELARL BLKS & CUINAT AVOCATS ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 septembre 2022 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, et Sophie DUMURGIER, Conseiller, chargée du rapport. Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la cour étant alors composée de :

Viviane CAULLIREAU-FOREL, Président de chambre, Président,

Sophie DUMURGIER, Conseiller,

Leslie CHARBONNIER, Conseiller,

qui en ont délibéré.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Aurore VUILLEMOT, Greffier

DÉBATS : l’affaire a été mise en délibéré au 22 Novembre 2022,

ARRÊT : rendu contradictoirement,

PRONONCÉ : publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

SIGNÉ : par Viviane CAULLIREAU-FOREL, président de chambre, et par Aurore VUILLEMOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par acte authentique reçu le 26 août 2011 par Me [H], notaire associé à [Localité 9], M. et Mme [P] [S] ont acquis de M. et Mme [I] [F] une parcelle non bâtie et des bâtiments situés sur la commune de [Localité 13], cadastrés section C n° [Cadastre 7] et n° [Cadastre 2], au prix de 205 000 euros financé à l’aide d’un prêt souscrit auprès de la Caisse de Crédit Mutuel.

Par acte sous seing privé du 5 janvier 2012, l’ensemble immobilier a été donné à bail à la SARL [S] pour une durée de neuf ans, en vue de son exploitation en gîtes et chambres d’hôtes.

Le 1er mars 2013, M. [S] a déposé un permis de construire en vue de l’aménagement du bien immobilier acquis en gîtes et chambres d’hôtes.

Par arrêté du 30 mai 2013, la demande de permis de construire a été rejetée au visa de l’arrêté du 9 janvier 1975 au motif que les constructions projetées sont situées dans le périmètre de protection de l’étang de la Sorme et qu’elles comportent des installations incompatibles avec les règles de l’arrêté préfectoral.

Reprochant au notaire, dont ils soutiennent qu’il avait connaissance de leur projet d’aménagement de l’ensemble immobilier vendu, d’avoir manqué à son devoir d’information et de conseil en s’abstenant de les informer de l’existence de l’arrêté préfectoral du 9 janvier 1975 et de la situation juridique de l’immeuble, les époux [S] ont fait assigner la SELARL [H]-Argaud et Me [G] [H] devant le tribunal de grande instance de Chalon sur Saône, par acte du 24 avril 2018, afin d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

Par conclusions notifiées le 20 février 2019, la SARL [S] est intervenue volontairement à la procédure pour obtenir l’indemnisation de ses préjudices.

Au terme de leurs dernières écritures saisissant le tribunal, les époux [S] et la société [S] ont demandé à la juridiction de :

— débouter la SELARL [H]-Argaud et Me [H] de leurs contestations et réclamations,

— recevoir l’intervention volontaire de la SARL [S],

— condamner in solidum la SELARL [H]-Argaud et Me [H] à leur payer les sommes suivantes :

' 79 714,28 euros au titre des frais financiers liés à l’acquisition immobilière,

' 20 000 euros au titre de leur préjudice moral,

' 100 000 euros au titre de l’indemnité à servir au preneur, la SARL [S],

— condamner in solidum la SELARL [H]-Argaud et Me [H] à payer à la SARL [S] la somme de 109 338 euros à titre de dommages et intérêts,

— condamner les mêmes in solidum à leur payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction,

— ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Excipant, d’une part, du défaut d’intérêt à agir des époux [S] au motif que les travaux dont l’indemnisation est réclamée ont été réalisés par la SARL [S] et, d’autre part, de la prescription de l’action de cette dernière, et, au fond, contestant avoir manqué à leur devoir d’information et de conseil aux motifs qu’ils n’étaient pas informés du projet d’aménagement des acquéreurs et que les certificats d’urbanisme annexés à l’acte de vente visaient le périmètre de protection des eaux potables du barrage de la Sorme, les défendeurs ont demandé au tribunal de :

— déclarer les époux [S] irrecevables en leurs demandes,

— déclarer que l’action en responsabilité intentée le 20 février 2019 par la SARL [S] est prescrite,

Plus subsidiairement,

— débouter les demandeurs de leurs prétentions,

En tout état de cause,

— condamner in solidum les époux [S] et la SARL [S] à leur payer la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par jugement rendu le 8 décembre 2020, le tribunal judiciaire a :

— reçu l’intervention volontaire de la SARL [S],

— déclaré irrecevables comme prescrites les demandes formées par la SARL [S] à l’encontre de la SELARL [H]-Argaud et de Me [H],

— déclaré recevables les demandes des époux [S] à l’encontre de la SELARL [H]-Argaud et Me [H],

— condamné in solidum la SELARL [H]-Argaud et Me [H] à payer à Mme [B] [L] épouse [S] et M. [P] [S] la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice moral,

— débouté les époux [S] de leurs autres demandes indemnitaires,

— condamné in solidum la SELARL [H]-Argaud et Me [H] à payer à Mme [B] [L] épouse [S] et M. [P] [S] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné in solidum la SELARL [H]-Argaud et Me [H] aux entiers dépens,

— ordonné l’exécution provisoire du présent jugement.

M. et Mme [P] [S] ont relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 17 février 2021, limité aux chefs de dispositif du jugement ayant déclaré prescrites les demandes de la SARL [S], ayant réduit leur demande d’indemnisation de leur préjudice moral à la somme de 5 000 euros et les ayant déboutés de leurs autres demandes indemnitaires.

La SARL [S] a également relevé appel du jugement par déclaration reçue au greffe le 15 mars 2021, limité aux mêmes chefs de dispositif de la décision.

Les deux procédures d’appel ont été jointes par ordonnance du 14 octobre 2021.

Au terme de leurs conclusions n°2 notifiées le 27 octobre 2021, auxquelles il est référé pour l’exposé des moyens au soutien de leurs prétentions, les appelants demandent à la Cour de :

Rejetant toutes conclusions contraires,

Vu les articles 1240 et suivants du code civil, anciennement numérotés 1382 et suivants du même code,

— réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :

' déclaré irrecevables comme prescrites les demandes formées par la SARL [S] à l’encontre de la SELARL [H]-Argaud et de Me [H],

' débouté la SARLGautheron de sa demande de condamnation in solidum de la SELARL [H]-Argaud et de Me [G] [H] à lui payer la somme de 109 338 euros à titre de dommages intérêts,

' réduit les demandes d’indemnisation formées au nom des époux [S] à la somme de 5 000 euros alors qu’était demandé celle de 20 000 euros,

' rejeté les autres demandes indemnitaires des époux [S], qui étaient les suivantes : 79 714,28 euros au titre des frais financiers liés à l’acquisition immobilière, 100 000 euros au titre de l’indemnité à servir au preneur, la SARL [S],

— confirmer le jugement rendu en ce qu’il a :

' dit et jugé que Me [H] a commis une faute et l’a condamné in solidum avec la SELARL [H]-Argaud à réparer les conséquences de cette faute,

' condamné in solidum Me [H] et la SELARL [H]-Argaud à payer à M. et Mme [S] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

' condamné in solidum Me [H] et la SELARL [H]-Argaud aux entiers dépens de première instance,

En conséquence, statuant à nouveau,

— débouter la SELARL [G] [H]-Philippe Argaud et Me [G] [H] de toutes leurs contestations et réclamations,

— condamner in solidum la SELARL [G] [H]-Philippe Argaud et Me [G] [H] à payer à M. et Mme [P] [S] les sommes de :

' 79 714,28 euros au titre des frais financiers liés à l’acquisition immobilière,

' 20 000 euros au titre de leur préjudice moral,

' 100 000 euros au titre de l’indemnité à servir au preneur, la SARL [S],

— déclarer recevable la SARL [S] en son recours,

— condamner in solidum la SELARL [G] [H]-Philippe Argaud et Me [G] [H] à lui payer la somme de 109 338 euros à titre de dommages et intérêts,

Y ajoutant,

— condamner in solidum la SELARL [G] [H]-Philippe Argaud et Me [G] [H] à payer à M. et Mme [P] [S] et à la SARL [S] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— les condamner in solidum en tous les dépens.

Au terme de conclusions notifiées le 2 août 2021, auxquelles il est référé pour l’exposé des moyens au soutien de leurs prétentions, la SELARL [G] [H]-Philippe Argaud et Me [G] [H] demandent à la Cour de :

— infirmer le jugement dont appel en ce qu’il a déclaré recevable l’action formée par les époux [S] et a condamné le notaire au règlement d’une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu’au règlement d’une indemnité procédurale de 2 500 euros et aux entiers dépens, et en ce qu’il a rejeté leur demande d’indemnité procédurale,

— déclarer les époux [S]-[L] irrecevables et non fondés en leurs demandes à leur encontre,

— les en débouter,

— condamner in solidum M. [P] [S], Mme [B] [L] épouse [S] et la SARL [S] à leur payer une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance, ainsi qu’au règlement d’une somme de 3 500 euros au titre des frais exposés à hauteur de cour,

— condamner sous la même solidarité M. [P] [S], Mme [B] [L] épouse [S] et la SARL [S] aux entiers dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 23 juin 2022.

SUR CE

1. Sur l’action en responsabilité des époux [S]

Sur la recevabilité de l’action

Les intimés, appelants incidents, concluent à l’infirmation du jugement en ce qu’il a déclaré recevables les demandes indemnitaires des époux [S] et arguent, au soutien de leur fin de non recevoir, du défaut de qualité à agir de ces derniers.

Ils font valoir que les appelants sollicitent la réparation de préjudices financiers alors qu’il résulte de leurs pièces que les travaux dont ils réclament l’indemnisation ont été réalisés par la SARL [S], qui les a financés à l’aide d’un prêt de 300 000 euros souscrit auprès du Crédit agricole.

Ils considèrent, qu’au delà de leur qualité de propriétaires, les époux [S] ne démontrent pas l’existence d’un préjudice personnel, alors qu’ils ont, avant même la réalisation du projet d’aménagement par un architecte, donné les locaux à bail commercial à la SARL [S], à charge pour elle de les aménager.

Ainsi que l’a retenu le tribunal, les époux [S] ont, en leur qualité d’acquéreurs du tènement immobilier et de parties à l’acte de vente reçu par Me [H], qualité pour agir en responsabilité délictuelle à l’encontre du notaire rédacteur de l’acte, l’existence d’un préjudice subi par ces derniers étant une condition de fond de l’action en responsabilité et non une condition de sa recevabilité.

Le jugement déféré mérite donc confirmation en ce qu’il a déclaré recevables leurs demandes formées contre Me [H] et la SELARL [H]-Argaud.

Sur la faute du notaire

Les appelants prétendent démontrer qu’ils avaient fait part de leur projet dans toutes ses composantes au notaire auquel ils reprochent de ne pas avoir rempli son devoir de conseil au regard des éléments portés à sa connaissance.

Ils se prévalent de nombreuses attestations de témoins, parmi lesquels les vendeurs de l’immeuble, qui déclarent tous que Me [H] avait pleinement connaissance de leur projet d’aménagement du tènement immobilier en gîtes et chambres d’hôtes, et considèrent que c’est à tort que les intimés invoquent les dispositions de l’ancien article 1341 du code civil pour s’opposer à ce qu’ils apportent cette preuve par voie testimoniale, alors qu’il ne s’agit pas de prouver contre le contenu de l’acte.

Les notaires maintiennent en cause d’appel que les époux [S] ne démontrent pas qu’ils avaient envisagé une autre destination des lieux qu’un usage d’habitation, laquelle n’était stipulée ni dans l’acte authentique ni dans le compromis de vente, ni que Me [H] était informé de leur intention d’aménager, pour l’établissement professionnel ultérieur de leur fils autiste, des gîtes, chambres d’hôtes et un commerce dans l’ensemble immobilier vendu.

Ils soutiennent, à cet égard, que la preuve testimoniale est irrecevable en application des dispositions de l’ancien article 1341 du code civil, devenu l’article 1359, selon lesquelles il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique que par un autre écrit, sous signatures privées ou authentiques, ce principe s’appliquant non seulement au prix stipulé dans l’acte mais encore à l’étendue des obligations des parties.

Il ne s’agit pas pour les appelants d’apporter la preuve d’une erreur dans le contenu de l’acte authentifié par Me [H] relative à la désignation du bien vendu ou à l’étendue des obligations respectives des parties, mais de démontrer que le notaire rédacteur avait connaissance de la destination qu’ils envisageaient de donner à l’immeuble et cette preuve ne répond donc pas aux exigences des dispositions légales invoquées par les intimés.

Il ressort des témoignages produits par les époux [S], et notamment de ceux établis par M. [I] [F], M. [X] [F], M. [R] [F] et Mme [F] [E], vendeurs de l’immeuble litigieux, présents lors de la signature de l’acte de vente, que les époux [S] les ont informés qu’ils allaient créer des gîtes à l’intérieur des murs, projet que Me [H] a validé sans émettre une seule mise en garde, et qu’ils ont demandé à ce dernier si le paragraphe relatif à leur deuxième projet de faire des gîtes, chambres d’hôtes et brocante, était bien dans l’acte.

Le tribunal a donc pu valablement déduire de ces témoignages que Me [H] ne pouvait pas prétendre ignorer l’intention des époux [S] d’aménager les bâtiments acquis en gîtes et chambres d’hôtes.

En application de l’article 1240 du code civil, le notaire, qui, prêtant son concours à l’établissement d’un acte, doit veiller à l’utilité et à l’efficacité dudit acte, est également tenu, à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde, en ce qui concerne notamment les conséquences et risques des stipulations convenues.

Le devoir de conseil du notaire l’oblige à se faire préciser les besoins de son client de manière à pouvoir l’alerter des limites de l’acte par rapport à ceux-ci.

Il est tenu de rapporter la preuve qu’il a satisfait à son obligation de conseil impliquant les explications utiles à assurer la pleine information des parties à l’acte qu’il dresse, sur la portée et les conséquences des engagements qu’elles prennent.

Les notaires intimés considèrent qu’ils apportent la preuve que Me [H] a satisfait à cette obligation dès lors que l’acte notarié fait référence aux deux certificats d’urbanisme d’information n° 071 038 11 M0003 et 071 038 11 M0007 dont les termes étaient expressément rappelés, et qui étaient annexés à l’acte authentique avec les dispositions du PLU applicable et avec le descriptif de la servitude AS1 intitulée « servitude résultant de l’instauration de périmètre de protection des eaux potables », renvoyant au texte qui avait permis de l’instituer et détaillant l’arrêté préfectoral du 9 janvier 1975.

Ils en déduisent que les acquéreurs ne pouvaient pas ignorer l’existence de restrictions résultant de l’implantation du bâtiment acquis dans le périmètre de protection de l’Etang de la Sorme puisqu’ils ont paraphé tous ces documents et qu’il leur appartenait de demander à leur architecte de s’enquérir des possibilités de réaliser des aménagements, notamment un assainissement ou des voies de circulation dans le périmètre protégé.

Ils ajoutent que, si les époux [S] avaient eu un projet défini lors de la signature du compromis de vente, ils avaient la possibilité de subordonner leur acquisition à la condition suspensive d’obtention d’un permis de construire purgé de tout recours.

Il est effectivement fait référence, en page 17 de l’acte de vente paraphée par les acquéreurs, dans la rubrique urbanisme, à deux certificats d’urbanisme d’information :

— le n° 071 038 11 M0003 délivré par le maire de la commune de [Localité 13] le 5 mai 2011, stipulant en son article 1 : plan local d’urbanisme de la communauté urbaine [Localité 11] [Localité 9], zone N, par ailleurs le terrain n’est pas situé dans une zone de préemption, et en son article 2 : les servitudes suivantes sont applicables : terrain situé sur un site de protection archéologique et situé dans le périmètre de protection des eaux potables du barrage de la Sorme,

— le n° 071 038 11 M0007 délivré par le maire de la commune de [Localité 13] le 1er juillet 2011, stipulant en son article 1 : plan local d’urbanisme de la communauté urbaine [Localité 11] [Localité 9], zone A, N, par ailleurs le terrain n’est pas situé dans une zone de préemption, et en son article 2 : les servitudes suivantes sont applicables : terrain situé sur un site de protection archéologique, servitude AS1 : périmètre immédiat de protection des eaux potables.

Ces certificats d’urbanisme, annexés à l’acte de vente et paraphés par les époux [S], étaient complétés par les dispositions du PLU applicable, définissant les caractéristiques de la zone N et les constructions autorisées dans cette zone, mais également par le contenu de la servitude AS1 résultant de l’instauration du périmètre de protection des eaux potables, ayant pour objet la protection de la réserve d’eau potable de la Sorme.

Ces documents informatifs ne dispensaient toutefois pas le notaire, informé du projet d’aménagement en gîtes de l’immeuble objet de la vente, d’attirer l’attention des acquéreurs, de manière complète et circonstanciée, d’une part, sur la portée et les effets de la servitude AS1 et du classement du terrain situé dans le périmètre de protection des eaux potables du barrage de la Sorme en zone N sur la destination qu’ils envisageaient de donner à l’immeuble acquis, mais également sur les dispositions de l’arrêté préfectoral du 9 janvier 1975, auquel il était fait référence en une seule ligne sur le feuillet relatif à la servitude AS1, sans aucun détail de son contenu, alors que cet arrêté interdit notamment

l’installation de canalisations d’eaux usées de toute nature ainsi que la création de voie de circulation des véhicules automobiles, ces réglementations pouvant les exposer à un refus de permis de construire.

Il y a lieu en outre de relever que le compromis de vente, également conclu par l’intermédiaire de Me [H], comportait des annotations de la main des acquéreurs relatives à l’implantation d’une piscine ou des travaux de mise aux normes de l’installation d’assainissement, de nature à contrevenir aux dispositions de l’arrêté du 9 janvier 1975.

C’est donc à bon droit que le tribunal a considéré que, faute par le notaire d’apporter la preuve qu’il avait dûment informé les époux [S] sur les conséquences de la servitude résultant de l’instauration du périmètre de protection des eaux potables sur les possibilités d’aménager le site et d’obtenir un permis de construire, celui-ci avait manqué à son devoir de conseil et engagé sa responsabilité délictuelle.

Sur l’indemnisation des préjudices des époux [S]

Les appelants exposent que, depuis la signature de l’acte de vente, ils ont réalisé de multiples travaux dans l’ensemble immobilier et ont investi, sur leurs deniers personnels, la somme de 21 620 euros, ayant par ailleurs emprunté une somme de 205 000 euros pour acquérir l’immeuble, ce qui leur a occasionné des frais d’un montant de 79 714,28 euros incluant les intérêts, les frais de dossier, les cotisations d’assurance et le coût des garanties.

Ils ajoutent, qu’aujourd’hui, ils n’ont pas d’autre choix que de revendre l’ensemble immobilier, craignant de subir une perte en raison de la situation de l’immeuble, dont ils informeront l’acquéreur.

Ils estiment que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, leur préjudice n’est pas qu’éventuel puisqu’ils démontrent que s’ils avaient eu connaissance de la situation juridique de l’immeuble, ils ne l’auraient pas acquis car il ne leur permettait pas de réaliser leur projet.

Ils en déduisent que leur préjudice financier est constitué par l’ensemble des frais exposés pour l’acquisition qu’ils n’auraient pas faite si le notaire avait rempli son devoir de conseil.

Les notaires objectent que les époux [S] ne justifient pas avoir personnellement déboursé les sommes dont ils sollicitent l’indemnisation, les prêts invoqués n’ayant pas été souscrits par les appelants.

Ils soutiennent que ces derniers ne supportent que le coût du prêt qui a permis de financer l’acquisition de l’immeuble, dont la valeur vénale n’a pas été affectée par l’échec du projet d’aménagement porté par la SARL [S].

Les appelants ne justifient par aucune pièce la dépense de travaux de 21 620 euros qu’ils invoquent, le récapitulatif de dépenses de travaux qui constitue leur pièce 26 indiquant clairement que la dépense de 142 819 euros a été engagée par la SARL [S].

Le préjudice constitué par le coût du prêt qui a financé l’acquisition de l’immeuble litigieux n’est ni certain ni actuel, ainsi que l’a retenu le tribunal, puisqu’il ne pourra être apprécié que lors de la revente de l’immeuble, au regard de la plus ou moins value que pourront retirer les époux [S], étant observé que la valeur vénale actuelle du bien n’est pas précisée.

Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu’il a débouté les appelants de leur demande d’indemnisation d’un préjudice financier.

Les époux [S] sollicitent également l’indemnisation du préjudice constitué par l’indemnité dont ils seront redevables en fin de bail envers la SARL [S], au titre des travaux qu’elle a réalisés, après amortissement, à laquelle pourrait s’ajouter une demande d’indemnisation complémentaire du preneur au titre de l’impossibilité d’exercer l’activité prévue au bail, préjudice qu’ils évaluent à 100 000 euros.

Cependant, l’indemnité dont sont redevables les bailleurs envers le preneur au titre des travaux réalisés par ce dernier, prévue par le bail commercial, n’est en rien imputable à la faute du notaire.

L’indemnisation complémentaire dont il est réclamé réparation est purement éventuelle, aucune des pièces produites ne justifiant de réclamations formulées par la SARL [S] envers les bailleurs relatives à une impossibilité d’exercer l’activité commerciale prévue, et le jugement mérite confirmation en ce qu’il a débouté les époux [S] de ce chef.

Les appelants considèrent que l’indemnisation du préjudice moral des époux [S] par le tribunal est dérisoire et contredite par la motivation du jugement qui tient compte de l’importance de leur projet au regard de leur situation familiale, et ils réclament en réparation de ce préjudice la somme de 10 000 euros pour chacun.

Le premier juge a parfaitement caractérisé le préjudice moral subi par les époux [S] dont le projet d’aménagement de l’ensemble immobilier acquis, tel qu’ils l’envisageaient, a été rendu impossible, faute d’avoir eu connaissance de la réglementation qui en limitait la réalisation, alors que ce projet revêtait une grande importance en raison de la situation de handicap de leur fils.

Toutefois, rien ne démontre que l’aménagement de l’immeuble en gîtes est impossible, sous réserve du respect de la réglementation, le refus de permis de construire portant uniquement sur le non respect de deux obligations particulières en terme d’assainissement et d’aménagement de stationnements, et ce préjudice a donc été justement évalué à 5 000 euros par les premiers juges, le jugement méritant également confirmation sur ce point.

2. Sur l’action en responsabilité de la SARL [S]

Pour conclure à l’infirmation du jugement qui a déclaré irrecevables les demandes de la société [S] pour cause de prescription, les appelants font valoir que l’acte introductif d’instance a été délivré par M. [S] en son nom personnel mais également en sa qualité de gérant de la société, titulaire d’un bail sur l’ensemble immobilier depuis le 5 janvier 2012, ce que contredit l’acte délivré aux notaires qui ne mentionne pas que M. [S] agit également en cette qualité et qui contient des demandes formées au profit exclusif des époux [S].

Ils prétendent également que cette demande en justice a interrompu le délai de forclusion en application de l’article 2241 du code civil, l’action intentée par la société étant la même, et que cette dernière bénéficie d’une interruption de la prescription.

C’est à bon droit que le tribunal, conformément aux dispositions de l’article 2224 du code civil, a fixé le point de départ du délai quinquennal de prescription à la date à laquelle le rejet de la demande de permis de construire a été porté à la connaissance de la SARL [S], le 30 mai 2013, ce qui n’est pas remis en cause par les parties.

S’il résulte des dispositions de l’article 2241 du code civil que la demande en justice interrompt le délai de prescription, cette demande n’est interruptive de prescription qu’à l’égard de son auteur.

Ainsi que l’a exactement retenu le premier juge, l’action initiée par les époux [S] à l’encontre des notaires n’a pas eu d’effet interruptif à l’égard de la SARL [S], qui jouit d’une personnalité juridique distincte.

Le jugement sera donc également confirmé en ce qu’il a déclaré irrecevables les demandes de la société [S].

Sur les frais et dépens

Les époux [S] qui succombent en leur appel seront condamnés aux entiers dépens de la procédure d’appel.

Il est en revanche équitable de ne pas faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit des intimés.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 8 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Chalon sur Saône,

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de Me [H] et de la SELARL [H]-Argaud,

Condamne M. [P] [S], Mme [B] [L] épouse [S] et la SARL [S] aux dépens de la procédure d’appel et dit que les dépens pourront être recouvrés directement, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile, par la SELARL BKS & Cuinat, avocats, pour ceux des dépens dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

Le Greffier, Le Président,

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour d'appel de Dijon, 1re chambre civile, 22 novembre 2022, n° 21/00204