Cour d'appel de Lyon, 27 novembre 2015, n° 14/07681

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Lyon, 27 nov. 2015, n° 14/07681
Juridiction : Cour d'appel de Lyon
Numéro(s) : 14/07681
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Bourg-en-Bresse, 1er septembre 2014, N° F13/00323

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE PRUD’HOMALE

C

R.G : 14/07681

SARL Y

C/

A

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOURG-EN-BRESSE

du 02 Septembre 2014

RG : F 13/00323

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE B

ARRÊT DU 27 NOVEMBRE 2015

APPELANTE :

SARL Y

XXX

25000 E

représentée par Me Karine GAYET de la SELARL ALART & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

INTIMÉ :

W-AA A

né le XXX à XXX

XXX

XXX

comparant en personne, assisté de Me Nadège BERTHIER, avocat au barreau de LYON

Parties convoquées le : 20 février 2015

Débats en audience publique du : 21 octobre 2015

Présidée par Michel SORNAY, Président magistrat C, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Lindsey CHAUVY, Greffier placé.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

— Michel SORNAY, président

— Didier JOLY, conseiller

— Natacha LAVILLE, conseiller

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 27 novembre 2015 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

Signé par Michel SORNAY, Président et par Lindsey CHAUVY, Greffier placé à la Cour d’Appel de LYON suivant ordonnance du Premier Président de la Cour d’Appel de LYON en date du 16 septembre 2015, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

********************

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Monsieur W-AA A a été embauché le 2 juillet 2007 en qualité de directeur de l’agence de Genas (69) par la société Y, filiale du Groupe JEANTET implanté à E, ayant pour activité le transport routier .

Il était assisté de Monsieur Z X.

Il a été nommé concomitamment cogérant de la S.A.R.L. AC U-I, autre filiale du groupe.

A la suite de plaintes de salariés mettant en cause ses méthodes managériales, Monsieur A a été licencié pour faute grave le 3 mars 2011.

Il a saisi le conseil de prud’hommes pour contester son licenciement et obtenir parallèlement la requalification de son mandat de gérant en contrat de travail.

L’audience de conciliation du 23 juin 2011 n’ayant pas abouti, les parties ont entamé des discussions par l’intermédiaire de leurs conseils respectifs qui ont permis la conclusion le 30 novembre 2011 d’un accord transactionnel valant désistement d’instance et d’action entre la société Y, la société AC H-I et Monsieur A.

Aux termes du protocole signé par les parties, Monsieur A a perçu une indemnité transactionnelle forfaitaire globale et définitive de 70.000 € nette de CSG/CRDS.

En contrepartie, il s’est engagé à se désister des instances et actions qu’il avait engagées à l’encontre des sociétés signataires du protocole, ainsi qu’à une obligation de loyauté prévue par l’article 3 de ce protocole, ainsi rédigé :

« monsieur A s’interdit de porter atteinte aux sociétés Y et AC H-I ou aux différentes sociétés du groupe TRANSPORTS JEANTET, en refusant ainsi de se joindre à toutes actions éventuellement engagées à l’encontre des intérêts des sociétés Y et AC H-I ou de l’une ou l’autre société du groupe TRANSPORTS JEANTET, soit en qualité de témoin, soit en attestant de quelques faits dont il aurait eu connaissance. Par cet engagement contraignant, Monsieur A conditionne le présent accord, sachant que sans cet engagement, les sociétés Y et AC U-I n’auraient jamais accepté de conclure ».

Il s’est en outre astreint à une obligation de confidentialité envers les deux sociétés, ainsi définies à l’article 5 :

« Monsieur A respectera la discrétion et le secret le plus absolu sur tout ce qui concerne les renseignements à caractère confidentiel et plus généralement sur toutes les informations de toute nature dont il aurait pu avoir connaissance du fait ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.

Monsieur A s’engage pour l’avenir à ne jamais faire état de ce qu’il a été amené à connaître au sein des sociétés Y et AC U-I comme au sein des différentes sociétés du groupe TRANSPORTS JEANTET, et ce à quelque titre que ce soit, tant au niveau de l’organisation qu’au niveau des relations avec la clientèle, les fournisseurs'

Plus particulièrement, Monsieur A peut avoir eu connaissance, au travers de sa collaboration salariée ou au titre du mandat social, d’un certain nombre de dossiers confidentiels. Monsieur A reconnaît qu’il n’est pas autorisé à en faire état, notamment vis-à-vis des institutionnels, des administrations, des partenaires commerciaux ou de tout partenaire du groupe.

Tout manquement de sa part à cette obligation générale de secret et de confidentialité serait de nature à remettre en cause immédiatement la présente transaction et justifierait une action judiciaire de la part des sociétés Y et AC U-I et des autres sociétés du groupe . »

Dans le cadre d’un litige prud’homal opposant Monsieur X à la société Y sur le bien-fondé de son licenciement, Monsieur A, qui était ami de Monsieur X qui le secondait, a échangé avec lui des correspondances électroniques relatives à l’organisation des tâches au sein de la société Y lorsqu’ils travaillaient ensemble. L’une de ces transmissions a ensuite été produite par Monsieur X devant le conseil de prud’hommes de Lyon, qui a par la suite convoqué Monsieur A à la barre en qualité de témoin.

Considérant que ce dernier n’avait pas respecté ses obligations nées de la signature du protocole d’accord transactionnel en intervenant en faveur de Monsieur X, la société Y a saisi le 18 novembre 2013 la juridiction prud’homale afin de faire juger que Monsieur A avait violé les obligations contractuelles contenues aux articles 3 et 5 du protocole et obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 70 000,00 € correspondant à l’indemnisation qu’il avait perçue à titre transactionnel, outre un montant de 5 000,00 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Monsieur A s’est opposé à la demande et a sollicité l’octroi de la somme de 5 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile .

Par jugement rendu le 2 septembre 2014, le conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse a :

— Dit et jugé que Monsieur A n’a pas violé les obligations contractuelles du protocole ;

— Débouté chacune des parties de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— Laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par lettre recommandée en date du 26 septembre 2014 enregistrée au greffe le 29 septembre 2014, la société Y a régulièrement interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 4 septembre 2014. Elle en demande l’infirmation par la cour en reprenant oralement à l’audience du 21 octobre 2015 par l’intermédiaire de son conseil les conclusions qu’elle a fait déposer le 4 juin 2015 et auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé de ses prétentions et moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, et tendant à :

A titre principal :

Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse du 2 décembre 2014 en toutes ses dispositions ;

Constater la régularité du protocole conclu entre la société Y et Monsieur A;

Dire et juger que Monsieur A a violé les obligations contractuelles contenues aux articles 3 et 5 du protocole ;

En conséquence,

Dire et juger que la société Y est bien fondée à solliciter une indemnisation au titre de la violation des obligations contractuelles d’un montant de 70.000,00 € correspondant à l’indemnité transactionnelle perçue ;

A titre subsidiaire :

Infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse du 2 décembre 2014 en toutes ses dispositions ;

Constater l’existence d’une clause de confidentialité dans le contrat de travail de Monsieur A, toujours en vigueur nonobstant son départ de l’entreprise ;

Dire et juger que Monsieur A a violé cette clause de confidentialité ;

En conséquence,

Dire et juger que la société Y est bien fondée à solliciter une indemnisation au titre de la violation des obligations contractuelles d’un montant de 70.000,00 € en compensation du préjudice subi.

Monsieur A a pour sa part fait reprendre à cette audience par l’intermédiaire de son conseil les conclusions qu’il a fait déposer le 14 octobre 2015 et auxquelles il est pareillement référé pour l’exposé de ses prétentions et moyens, aux fins de voir :

Constater qu’il a respecté l’ensemble de ses obligations ;

Confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en toutes ses dispositions ;

Condamner la société Y à lui payer la somme de 4.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

À titre subsidiaire, il soulève la nullité tant de la clause d’interdiction de témoigner que de la clause de confidentialité, sollicitant en conséquence le débouté de la société Y de toutes ses prétentions à son encontre.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le protocole transactionnel conclu entre les parties le 30 novembre 2011 fait loi entre les parties par application de l’article 1134 du code civil.

Il énonce expressément à la charge de W AA A une obligation de loyauté et de confidentialité qu’il s’oblige à respecter en contrepartie notamment de la somme de 70.000,00 € perçue à titre d’indemnité transactionnelle.

Aux termes des articles 3 et 5 du protocole, il lui est ainsi fait interdiction de se joindre à toute action éventuellement engagée à l’encontre des intérêts de la société Y soit en qualité de témoin soit en attestant de faits dont il aurait eu à connaître au sein des différentes sociétés du groupe et ce, à quelque titre que ce soit, notamment au niveau de l’organisation.

La société Y verse toutefois aux débats le bordereau de communication de pièces qui lui a été transmis le 12 novembre 2013 par le conseil de Monsieur X dans la procédure prud’homale l’opposant à ce dernier, ainsi que la pièce numérotée 12 sur ce bordereau constituée d’une correspondance électronique envoyée le 7 novembre 2013 par Monsieur A à Monsieur X avec pour objet « Définition de fonction Monsieur X / Y ».

La société Y estime que ce courriel et l’utilisation qui en a été faite constitue en premier lieu une violation de l’article 3 du protocole du 30 novembre 2011, puisque par ce document monsieur A se joindrait par son témoignage à l’action de monsieur X à l’encontre de leur ancien employeur commun.

Il apparaît toutefois que la pièce ainsi litigieuse ne constitue pas un manquement aux obligations de l’article 3, qui ne peuvent être étendues au-delà du sens littéral des termes du protocole.

Or, il ne s’agit ici ni d’un témoignage en justice, ni d’une attestation destinée à être communiquée à la juridiction saisie du litige : Il s’agit d’une correspondance électronique privée destinée à « nourrir » en substance les conclusions de M. X.

La clause de l’article 3 n’ayant pas été enfreinte, il n’y a pas lieu de statuer sur sa validité.

*

En second lieu, la société Y invoque la violation par monsieur A, à travers ce courriel, de la clause de confidentialité que lui imposait l’article 5 du protocole du 30 novembre 2011.

Si le caractère personnel et amical de cette transmission apparaît tout d’abord, en ce que son auteur commence sa lettre par les termes « Bonjour Z, je suis content d’avoir de tes nouvelles depuis tout ce temps écoulé », la finalité de la lettre apparaît immédiatement ensuite dans la mesure où Monsieur A écrit :

« J’ai relu les 22 pages des conclusions de Maître L M représentant la société Y. J’ai acté plusieurs erreurs, je vais dire incohérences concernant des tâches professionnelles attribuées à ton poste lors de ma présence dans l’entreprise ».

S’ensuit un certain nombre de « constatations » portant sur des inexactitudes relevées dans les conclusions de l’avocat et ayant trait à la répartition des tâches dans la société non seulement entre Messieurs A et X mais également d’autres salariés dont Monsieur D, R L T, P Q et J K, des actions de Monsieur A telles le lancement d’une procédure de recrutement d’un responsable d’exploitation pour remplacer Monsieur X absent mais qui n’a pu aboutir du fait de son licenciement, ou l’organisation des services de la société pour ce qui concerne notamment « le traitement des informations indispensables à l’établissement de la facturation », le chiffrage de la rentabilité des navettes, le suivi des livraisons par les responsables de quai, le difficile remplacement de Monsieur X, responsable d’exploitation, par Monsieur N O, agent d’exploitation, la gestion de maintenance de la structure, la gestion de la partie commerciale, de la partie facturation et de la partie administrative.

Monsieur A a enfin conclu sa correspondance en faisant part à Monsieur X de l’excellent travail qu’il avait accompli pendant leurs quatre années de collaboration, tout en ajoutant qu’il avait pris beaucoup de plaisir à travailler avec lui et qu’il restait à sa disposition.

Ainsi, en rédigeant et envoyant électroniquement le 7 novembre 2013 à Monsieur X ce courriel destiné à servir la défense de ses intérêts dans la procédure prud’homale l’opposant à la société Y, courriel dans lequel il jetait le discrédit sur cette dernière et son organisation interne en révélant un certain nombre d’informations dont il avait eu connaissance du fait de sa qualité d’ancien directeur d’agence, W AA A a effectivement violé l’article 5 précité du protocole d’accord transactionnel.

*

Monsieur A soulève toutefois la nullité de la clause de discrétion et de confidentialité ainsi stipulée, au motif qu’elle porterait une atteinte anormale au droit à la liberté d’expression rappelé par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, précité.

Il est toutefois constant que des restrictions peuvent être apportées à la liberté d’expression consacrée par ce texte pour assurer la protection de la réputation et des droits d’autrui, dès lors que ces restrictions sont proportionnées au but recherché.

En l’espèce, la restriction à la liberté d’expression de monsieur A imposée par cette stipulation contractuelle apparaît suffisamment précise et légitime au regard du but, ici poursuivi par l’employeur, de protéger sa réputation et la confidentialité de son activité et de son organisation.

Cette clause est donc valable, et il est incontestable que sa violation par monsieur A dans le mail précité a causé à la société Y un préjudice direct et certain, du fait du discrédit jeté publiquement sur son organisation interne susceptible de lui nuire dans la procédure prud’homale l’opposant à Monsieur X, est fondée à en obtenir la réparation par l’octroi de dommages-intérêts à hauteur de la somme de 25 000,00 €, que monsieur A sera donc condamné à lui payer.

*

Les dépens de première instance et d’appel, suivant le principal, seront intégralement supportés par W AA A.

Vu les données du litige, il ne parait par contre pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge intégrale des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu’elles ont exposé pour la présente instance.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

CONFIRME le jugement rendu le 2 septembre 2014 par le conseil de prud’hommes de Bourg-en-Bresse , en ce qu’il a retenu l’absence de violation par le courriel litigieux envoyé par monsieur A de la clause insérée à l’article 3 du protocole conclu entre les parties le 30 novembre 2011 ;

INFIRME ce jugement pour le surplus de ses dispositions

et, statuant à nouveau,

DÉCLARE VALABLE la clause figurant à l’article 5 de ce même protocole, imposant à monsieur W AA A une obligation de discrétion au bénéfice des sociétés Y et PÔLE H I ;

DIT que Monsieur W-AA A a violé l’obligation contractuelle de discrétion et de confidentialité contenue en cet article 5 ;

CONDAMNE Monsieur W-AA A à payer à la S.A.R.L. Y la somme de 25 000,00 € (VINGT CINQ MILLE EUROS) à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par la société Y en suite de ce manquement contractuel ;

DIT n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

LE CONDAMNE enfin aux entiers dépens d’instance et d’appel.

Le Greffier, Le Président,

CHAUVY Lindsey SORNAY Michel

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Textes cités dans la décision

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