Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 17 octobre 2019, n° 15/04729

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Lyon, 1re ch. civ. a, 17 oct. 2019, n° 15/04729
Juridiction : Cour d'appel de Lyon
Numéro(s) : 15/04729
Décision précédente : Cour d'appel de Lyon, 13 novembre 2013
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

N° RG 15/04729

N° Portalis DBVX – V – B67 – JWUL

Décisions :

— du tribunal de commerce de Saint-Etienne (2e chambre)

Au fond du 25 avril 2012

RG : 2002/754

— de la cour d’appel de Lyon (3e chambre A) en date du 14 novembre 2013

RG : 12/03968

— de la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) en date du 12 mai 2015

pourvois n° T 13-28.059 et

M 14/10.370 jonction

arrêt n° 428 F-D

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

1re chambre civile A

ARRET DU 17 Octobre 2019

statuant sur renvoi après cassation

APPELANTE :

SARL SOLUTIONS FINANCIERES POUR LES ENTREPIRSES (SOFIPE)venant aux droits de SAS ARTIMON, venant aux droits de la SA Y

[…]

01220 DIVONNE-LES-BAINS

représentée par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON (toque : 1547) avocat postulant

et pour avocat plaidant la SAS ANALYSE DROIT ET STRATÉGIES A.D.S., avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

INTIMES :

M. B Y

né le […] à SAINT-ETIENNE (LOIRE)

[…]

42000 SAINT-ETIENNE

représenté par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON (toque : 475) avocat postulant

et pour avocat plaidant Me Anne TESTON, avocat au barreau de LYON

M. Z Y

né le […] à SAINT-ETIENNE (LOIRE)

décédé le […]

Mme E Y épouse F, prise en sa qualité d’ayant cause de son père K X Y

née le […] à SAINT-ETIENNE (LOIRE)

[…]

[…]

représentée par la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON (toque : 938) avocat postulant

et pour avocat plaidant la SELARL SBKG ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS

M. A Y, pris en sa qualité d’ayant cause à titre universel de son père, K X Y

née le […] à SAINT-ETIENNE (LOIRE)

[…]

[…]

représentée par la SCP BAULIEUX-BOHE-MUGNIER-RINCK, avocat au barreau de LYON (toque : 719) avocat postulant

et pour avocat plaidant la SELARL CABINET RIONDET, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEES ET INTERVENANTES VOLONTAIRES

Mme H L I, ès qualité d’héritière de Z Y

née le […] à BAYONNE (PYRÉNÉES-ATLANTIQUES)

[…]

42000 SAINT-ETIENNE

Mme C N Y, ès qualité d’héritière de Z Y

née le […] à […]

[…]

42000 SAINT-ETIENNE

Mme J O Y, ès qualité d’héritière de Z Y

née le […] à […]

[…]

42000 SAINT-ETIENNE

représentées la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON (toque : 475) avocat postulant

et pour avocat plaidant Me Anne TESTON, avocat au barreau de LYON

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 12 juin 2018

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 11 septembre 2019

Date de mise à disposition : 17 octobre 2019

Audience présidée par Annick ISOLA, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Nacera SAHRAOUI, greffier.

Composition de la Cour lors du délibéré :

— Aude RACHOU, président

— Françoise CLEMENT, conseiller

— Annick ISOLA, conseiller

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Aude RACHOU, président, et par Elsa MILLARY, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

La société anonyme Y SA, ayant pour administrateurs X et Z Y ainsi que M. B Y, ce dernier étant en outre président de la société, était une société holding qui détenait la quasi-totalité des parts représentant le capital de la société à responsabilité limitée Y Frères, celle-ci ayant une activité industrielle dans le secteur du textile (de fabrication d’étiquettes tissées et

de rubans imprimés).

Le conseil d’administration de la société Y SA, réuni le 26 novembre 1998, a convoqué les actionnaires en assemblée générale afin qu’ils se prononcent sur un 'projet d’alliance industrielle et de restructuration du capital’ de la société Y frères et qu’ils autorisent, en conséquence, la cession des parts de cette dernière.

L’assemblée des actionnaires ayant donné cette autorisation, l’intégralité de la participation de la société Y SA dans la société Y frères, transformée en société anonyme en janvier 1999, a été cédée le 14 avril 1999 à la société Rocade, constituée à cette fin par les consorts Y, et dont le capital était détenu, à la suite de son augmentation, à hauteur de 60% par ces derniers et de 40% par la société JBH, opérant dans le même secteur que la société Y frères.

Le 5 juillet 1999, la société Artimon a acquis, pour le prix de 17 619 053 francs, l’intégralité des actions représentant le capital de la société Y SA, dont les capitaux propres s’élevaient alors à 19 496 864 francs à la suite de l’encaissement du prix de vente des parts de la société Y frères, soit la somme de 14 999 000 francs.

Le 12 octobre 2001, l’administration fiscale a notifié à la société Artimon, qui avait, le 28 décembre 2000, absorbé la société Y SA, un redressement au titre de l’impôt sur les sociétés, motivé par l’insuffisance, par rapport à leur valeur vénale, du prix des parts de la société Y frères retenu par les parties à l’acte du 14 avril 1999.

Le 12 avril 2002, la société Artimon, faisant valoir que les consorts Y avaient, notamment en cédant les actions de la société Y frères à la société Rocade à un prix anormalement bas, commis des fautes de gestion préjudiciables à la société Y SA, les a assignés en paiement de dommages-intérêts.

X Y étant décédé en cours d’instance, Mme E Y épouse F et M. A Y, ses héritiers, ont été appelés en cause.

L’instance ainsi introduite devant le tribunal de commerce de Saint-Etienne a été suspendue dans l’attente de l’issue du contentieux opposant l’administration fiscale à la société Artimon, qui avait contesté le redressement.

Ce contentieux a pris fin le 16 mars 2010 par la décision du Conseil d’Etat de ne pas admettre le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour administrative d’appel ayant confirmé le jugement du tribunal administratif qui avait rejeté le recours de la société Artimon.

Par jugement du 25 avril 2012, le tribunal de commerce a rejeté l’intégralité des demandes de la société Artimon et rejeté les demandes reconventionnelles des consorts Y.

La société Artimon a relevé appel de cette décision le 25 mai 2012.

Par arrêt du 14 novembre 2013, la cour d’appel de Lyon a :

— dit que Z, X et B Y ont violé les dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes et ont commis des fautes de gestion engageant leur responsabilité,

— condamné in solidum, Z Y, B Y, A et E Y (venant aux droits de X Y) à payer à la société Artimon venant aux droits de la société Y :

* la somme de 327 680 euros au titre du préjudice résultant du redressement fiscal subi,

* la somme de 1 378 304 € au titre du préjudice résultant de la cession à prix bas,

— dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 12 avril 2002, date de l’assignation,

— dit que les intérêts produiront eux-mêmes intérêts par année entière, conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil,

— débouté la société Artimon, venant aux droits de la société Y SA, de ses autres demandes indemnitaires,

— condamné in solidum, Z Y, B Y, A et E Y (venant aux droits de X Y) à payer à la société Artimon, venant aux droits de la société Y SA, la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— rejeté toute autre demande plus ample ou contraire des parties,

— condamné, in solidum, Z Y, B Y, A et E Y (venant aux droits de X Y) aux entiers dépens, ceux d’appel pouvant être distraits conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

M. Z Y, M. B Y et Mme E Y, d’une part, M. A Y, d’autre part, ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision.

La société Artimon a formé un pourvoi incident.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Lyon, sauf en ce qu’il rejette la demande de la société Artimon tendant au paiement de la somme de 26 711 euros au titre des frais et honoraires engagés lors des procédures administratives (Com., 12 mai 2015, n° 13-28.059 et 14-10.370).

La Cour de cassation a considéré que :

— pour évaluer l’indemnité allouée à la société Artimon au titre de la cession de la participation de la société Y SA dans la société Y frères, il appartenait à la cour d’appel de rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si l’insuffisance du prix de cette cession, en ce qu’elle s’était répercutée sur le montant du prix payé par la société Artimon pour acquérir les titres représentant le capital de la société Y SA, n’avait pas influé sur l’étendue du préjudice résultant de la faute imputée aux consorts Y, dès lors que les patrimoines des sociétés Y SA et Artimon étaient confondus,

— la cour d’appel ne pouvait pas condamner MM. Z, B et A Y et Mme E Y à payer à la société Artimon une indemnité au titre du préjudice résultant du redressement fiscal subi sans répondre aux conclusions faisant valoir que le préjudice ainsi invoqué n’était pas directement en relation avec les fautes qui leur étaient reprochées dès lors que la société Artimon avait accepté de courir le risque d’avoir à supporter les conséquences d’un redressement fiscal en renonçant à solliciter une garantie de passif, afin d’obtenir un prix d’acquisition des actions de la société Y SA qui ne représentait qu’une fraction des capitaux propres de cette dernière.

La société Artimon a saisi la cour de renvoi par déclaration du 5 juin 2015.

Z Y étant décédé le […], Mme H I et Mmes C et J Y, ses héritières sont intervenues en la cause.

Aux termes de ses dernières conclusions du 5 mars 2018, la société Solutions financières pour les entreprises (la Sofipe), venant aux droits de la société Artimon, demande à la cour d’appel de':

— infirmer le jugement du tribunal de commerce de Saint-Etienne du 25 avril 2012 ;

— constater que MM. Z Y, X Y et B Y ont violé les dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes et ont commis des fautes de gestion engageant leur responsabilité ;

— constater que ces manquements ont occasionné des préjudices à la société Y SA, aux droits de laquelle vient aujourd’hui la société Sofipe ;

— constater l’intervention volontaire de Mme H I, Mme C Y et Mme J Y, ayants droit de Z Y ;

En conséquence,

— condamner solidairement M. B Y, M. A Y, Mme E Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y à verser à la société Sofipe, venant aux droits de la société Y SA, les sommes suivantes :

—  1 448 418 € au titre du prix de cession anormalement bas

—  327 680 € au titre du redressement fiscal subi

outre intérêts au taux légal à compter de l’assignation en date du 12 avril 2002 ;

— dire que les intérêts produiront eux-mêmes intérêts en application de l’article 1154 du code civil des intérêts ;

— rejeter l’intégralité des demandes fins et conclusions de M. B Y, M. A Y, Mme E Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y ;

— condamner solidairement M. B Y, M. A Y, Mme E Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y à verser à la société Sofipe, venant aux droits de la société Y SA, la somme de 40 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— condamner solidairement M. B Y, M. A Y, Mme E Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y aux entiers dépens de première instance, d’appel et de cassation, ceux d’appel distraits au profit de la SCP Baufume Sourbe, avocat sur son affirmation de droit en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Au termes des leurs dernières conclusions du 20 mars 2018, M. B Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y demandent, en substance, à la cour d’appel de':

— déclarer la société Artimon irrecevable en sa demande comme étant prescrite,

— la débouter en conséquence de l’intégralité de ses demandes,

En tout état de cause,

— donner acte aux ayants droit de Z Y, intervenant volontairement à la présente instance, de ce qu’ils reprennent purement et simplement l’instance engagée par leur époux et père,

— donner acte aux ayants droit de ce que les demandes formées par ces derniers à l’encontre de la

société Artimon seront réparties entre eux, conformément aux règles découlant de l’option dont bénéficie son épouse, Mme H I en vertu de l’acte de notoriété, dressé le 28 juillet 2017,

— constater, dire et juger que la société Artimon ne justifie pas de l’existence d’un lien de causalité avec le préjudice prétendument subi au titre du prix de cession et/ou du redressement fiscal,

— constater en toute hypothèse que le principe de réparation intégrale du préjudice exclut le bien-fondé de toute demande de réparation quels qu’en soient la nature et/ou le montant, de la société Artimon,

— débouter en conséquence la société Artimon de l’intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

— ordonner une expertise,

En tous les cas,

— condamner la société Artimon sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à payer aux ayants droit de Z Y la somme de 30 000 € et à M. B Y la somme de 10 000 €,

— la condamner à supporter les entiers dépens d’instance, d’appel et de pourvoi supportés par les ayants droit de Z Y et M. B Y.

Aux termes de ses dernières conclusions du 8 juin 2018, Mme E Y demande principalement à la cour de :

— dire prescrite l’action de la Sofipe, venant aux droits de la société Artimon,

— en conséquence, la dire irrecevable ses demandes,

— débouter la Sofipe, venant aux droits de la société Artimon, de toutes ses demandes, fins et conclusions,

— subsidiairement, ordonner une expertise, aux frais avancés de la Sofipe,

En tout état de cause

— condamner la Sofipe, venant aux droits de la société Artimon, à lui payer une somme de 15 000 € par application de l’article 700 du code de procédure civile,

— la condamner aux entiers dépens, et autoriser Me Romain Laffly, avocat constitué, à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions du 5 juin 2018, M. A Y demande, en substance, à la cour de :

— dire et juger que le point de départ de la prescription étant fixé au 17 décembre 1998, l’action était prescrite au jour de l’assignation signifiée le 12 avril 2002,

— juger irrecevable l’action indemnitaire intentée par la société Artimon, venue aux droits de la société Y SA, aux droits de laquelle vient désormais la société Sofipe dès lors qu’elle se contredit au détriment des intimés,

— apprécier que l’équité ne commande pas de faire droit à la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile présentée par Sofipe, venue aux droits d’Artimon, et reconventionnellement octroyer à M. A Y une indemnité de 40 000 € au titre des frais irrépétibles exposés,

— débouter l’appelante de sa demande de condamnation solidaire au paiement des dépens de première instance et d’appel, et reconventionnellement condamner la société Sofipe, venue aux droits d’Artimon, au paiement des entier dépens de première instance et d’appel, ces derniers étant distraits au profit de la SCP Baulieu – Bohé – Mugnier – Rinck, sur son affirmation de droit,

— déclarer irrecevable la société Sofipe, venue aux droits d’Artimon. en sa demande de condamnation au titre des dépens de cassation, qui se heurte à l’autorité de la chose jugée par l’arrêt rendu le 12 mai 2015 par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, qui a condamné l’appelante aux dépens de l’instance en cassation,

— subsidiairement, débouter la société Sofipe, venue aux droits d’Artimon, elle même venue aux droits de la société Y SA, de ses demandes indemnitaires en les disant mal fondées,

— très subsidiairement, liquider le préjudice de la société Artimon au titre du manque à gagner allégué à la somme de 49 867 €,

— dire et juger que cette somme ne sera productrice d’intérêt qu’à compter de l’arrêt à intervenir,

— débouter la Sofipe de sa demande au titre du préjudice constitué par la perception d’un prix de cession de la filiale insuffisant,

— très subsidiairement, liquider l’indemnité due à Sofipe venue aux droits d’Artimon à 5 % du montant du redressement fiscal réglé au Trésor public après mise en recouvrement de l’impôts, soit à la somme de 16 384 €,

— dire et juger que cette somme ne sera productrice d’intérêt qu’à compter de l’arrêt à intervenir,

— subsidiairement, dire et juger que cette condamnation ne peut être productrice d’intérêts avant la date de paiement de cette somme au Trésor public en 2004, alors que l’assignation introductive d’instance est du 12 avril 2002.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 12 juin 2018.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité de l’action de la Sofipe

Les intimés soutiennent que l’action de la Sofipe est irrecevable et soulèvent à ce titre plusieurs moyens.

La société Sofipe réplique que la question de la responsabilité de consorts Y a été définitivement tranchée par la Cour de cassation dès lors que les moyens portant sur ce point ont été rejetés, ce dont elle déduit qu’il ne peut être soutenu devant la cour de renvoi que son action est prescrite.

Il est constant que, dans son arrêt du 14 novembre 2013, la cour d’appel de Lyon avait, notamment, dit que 'Z, X et B Y ont violé les dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes et ont commis des fautes de gestion engageant leur responsabilité'.

Les premiers moyens des pourvois des consorts Y, qui portaient sur ce chef de dispositif, ont été rejetés par la Cour de cassation, qui, écartant les critiques émises, a jugé que la cour d’appel avait pu décider que les consorts Y avaient commis des fautes dans la gestion de la société Y SA et avaient commis une faute en méconnaissant les dispositions des articles L. 225-38 et L. 225-40 du code de commerce.

Dans leurs écritures, M. B Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y indiquent que 'compte tenu du rejet du pourvoi sur le premier moyen, les concluants ne peuvent plus contester l’existence de la faute de gestion qu’ils auraient commise. lls peuvent en revanche rediscuter devant la Cour du lien de causalité et du préjudice susceptible d’être invoqué' (§ 104 et 105), tandis que Mme E Y indique que, la Cour de cassation ayant rejeté les moyens de cassation visant les dispositions de l’arrêt du 14 novembre 2013 relatives à la faute de gestion, elle ne voit pas l’utilité de revenir sur une discussion juridiquement close.

Pour sa part, M. A Y conteste certaines des fautes alléguées par la société Sofipe, tout en admettant l’existence de certains manquements.

Aux termes de l’article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce.

Force est de constater que, si la Cour de cassation a rejeté les moyens portant sur la faute commise par Z, X et B Y, elle n’a exclu de la cassation que le rejet de la demande de la société Artimon tendant au paiement de la somme de 26 711 euros, ce dont il se déduit le chef de dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Lyon relatif aux fautes commises est atteint par la cassation prononcée.

Ainsi, contrairement à ce que soutient la société Sofipe, la décision relative à la responsabilité de MM. Z, X et B Y n’est pas passée en force de chose jugée.

Il ressort de l’article 632 du code de procédure civile que, devant la cour de renvoi, les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l’appui de leurs prétentions.

Enfin, aux termes de l’article 123 du même code, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause.

Il convient en conséquence d’examiner les causes d’irrecevabilité de son action opposées à la société Sofipe.

* sur la prescription :

Les intimés concluent tous à la prescription de l’action de la Sofipe au visa de l’article L. 225-254 du code de commerce.

Ce texte dispose que l’action en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général, tant sociale qu’individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s’il a été dissimulé, de sa révélation. Toutefois, lorsque le fait est qualifié crime, l’action se prescrit par dix ans.

Les consorts Y soutiennent que le point de départ du délai de prescription triennale se situe à la date du fait dommageable et non à celle de la manifestation de ses conséquences préjudiciables.

Ils en déduisent qu’en l’absence de toute dissimulation, le point de départ de l’action à l’encontre des administrateurs de la société Y SA se situe à la date de l’assemblée générale des actionnaires de cette société, qui s’est tenue le 17 décembre 1998, au cours de laquelle a été autorisée la cession des actions de la société Y frères au prix de 14 999 000 francs, qui constitue le fait dommageable.

La société Sofipe réplique, d’une part, que la cession d’actions étant intervenue le 14 avril 1999, son action intentée le 12 avril 2002 n’était pas prescrite, d’autre part, que les consorts Y ont dissimulé à la société Y SA et à ses actionnaires le fait dommageable.

Il sera rappelé que la société Sofipe, ainsi qu’elle l’indique dans ses conclusions, sollicite l’indemnisation du préjudice subi par la société Y SA, aux droits de laquelle elle se trouve, du fait de la cession à bas prix des titres qu’elle détenait dans la société Y frères.

Les fautes reprochées à MM. Z, X et B Y consistaient en la cession des titres de la société Y frères à la société Rocade :

— à bas prix

— dans leur seul intérêt, au mépris de l’intérêt social et sans une information totale et transparente des actionnaires

— en méconnaissance du formalisme des conventions réglementées.

Il est établi par les pièces produites que l’assemblée générale des actionnaires autorisant la cession des actions de la société Y frères s’est tenue le 17 décembre 1998 et que cette cession est intervenue le 14 avril 1999.

Il ressort du procès-verbal d’assemblée générale du 17 décembre 1998 que celle-ci 'donne mandat au conseil d’administration, et plus particulièrement au président du conseil d’administration, de mener à bien les négociations en vue de céder la totalité des titres détenus par la SARL 'Y frères et cie’ aux meilleures conditions qu’il avisera et pour un montant égal à la valeur comptable du titre de participation sans garantie de situation nette ou passif'.

Dès lors que les conditions de la cession n’avaient pas été précisément déterminées par l’assemblée générale, il convient de retenir que le fait dommageable se situe à la date à laquelle la cession est intervenue, soit le 14 avril 1999.

La société Artimon, aux droits de laquelle vient la société Sofipe, ayant introduit son action le 12 avril 2002, il convient de dire que celle-ci n’est pas prescrite.

* sur la renonciation :

M. A Y soutient que la société Sofipe a implicitement mais nécessairement renoncé à l’action dès lors que les nouveaux dirigeants et actionnaires de la société Y SA ont approuvé, sans aucune réserve, l’exercice clos le 31 décembre 1999 en toute connaissance de cause puisqu’ils étaient informés de ce que le prix de cession était inférieur au montant des capitaux propres et de l’absence d’autorisation préalable de cette convention réglementée.

Cependant, la renonciation implicite à un droit suppose que soient relevés des actes ou des faits manifestant nécessairement et sans équivoque la volonté d’y renoncer.

Au surplus, aux termes de l’article L. 225-253 du code de commerce, aucune décision de l’assemblée générale ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les administrateurs ou contre le directeur général pour faute commise dans l’accomplissement de leur mandat

Ainsi, l’approbation des comptes d’une société anonyme et le quitus donné aux administrateurs ne font pas obstacle à ce que soit recherchée la responsabilité de ces derniers pour leur gestion.

La société Sofipe n’a nullement renoncé, fût-ce implicitement, à une action en responsabilité contre les administrateurs de la société Y SA et il convient d’écarter cette fin de non-recevoir.

* sur la contradiction au détriment des intimés :

M. A Y soutient encore que la société Sofipe se contredit au détriment des intimés dès lors que, devant les juridictions administratives, elle avait défendu le prix de cession convenu entre les sociétés Y SA et Rocade.

Cependant, l’action engagée devant les juridictions administratives étant distincte de celle portée devant la juridiction judiciaire contre les administrateurs de la société Y SA, il n’y a eu aucun changement de position de la part de la société Sofipe, au cours de l’instance, avec la volonté de tromper les attentes des consorts Y et les ayant induit en erreur sur ses intentions.

Par suite, il convient de dire que la société Sofipe ne s’est pas contredite au détriment des consorts Y et de rejeter cette fin de non-recevoir.

Il y a lieu en conséquence de déclarer recevable l’action de la société Sofipe.

Sur les fautes reprochées aux administrateurs

S’il admet que des fautes peuvent être imputées à son auteur ainsi qu’aux autres administrateurs de l’époque, relativement au non-respect des règles légales afférentes à l’autorisation préalable d’une convention réglementée et à l’information des administrateurs et actionnaires concernés, M. A Y conteste l’existence d’une faute ayant consisté à céder à un prix anormalement bas la participation que détenait la société Y SA dans la société Y frères pour prendre frauduleusement le contrôle de la société cédée.

La société Sofipe fait valoir que la cession des titres de la société Y frères à la société Rocade, par les consorts Y, alors administrateurs de la société Y SA, a été faite, d’une part, à bas prix et dans le seul intérêt des intimés, au mépris de l’intérêt social et sans une information totale et transparente des actionnaires, d’autre part, sans avoir été régularisée selon les règles légales, s’agissant d’une convention réglementée.

Elle se réfère expressément aux motifs de l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 14 novembre 2013 qu’elle reprend à son compte.

* sur le prix anormalement bas :

L’administration fiscale, aux termes du redressement de la société Artimon, notifié le 12 octobre 2001, a fait valoir que le prix de cession des titres de la société Y frères intervenue le 14 avril 1999 entre la société Y SA et la société Rocade était sous-évalué de 9 041 086 F puisque la société Y frères devait être valorisée à la somme de 24 040 086 F et que les titres n’ont été cédés que pour la somme de 14 999 000 francs.

L’administration fiscale a ajouté que « la valeur de 14 999 000 F retenue lors de la cession des titres de la société Y Frères par la holding SA Y correspond à l’estimation par les parties de la valeur de l’entreprise en 1989 lors de l’apport partiel d’actif. Or, depuis cette date la société a dégagé régulièrement des bénéfices ».

A la suite de l’avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre

d’affaires du 24 juin 2003, la valeur vénale de la totalité des titres a été ramenée à 20 163 863 francs par l’administration.

Le tribunal administratif de Lyon, dans son jugement du 27 juin 2006, a considéré également que le prix de cession était anormalement bas et a insisté sur le fait que « la valeur vénale d’actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue » et qu’en l’espèce l’administration avait utilisé trois méthodes d’évaluation des titres en fonction de la valeur mathématique des actions, de la valeur de productivité et de la marge brute d’autofinancement.

Cet argumentaire a été repris par la cour administrative d’appel de Lyon dans son arrêt du 11 décembre 2008, devenu irrévocable à la suite de la non-admission du pourvoi par le Conseil d’Etat le 16 mars 2010.

Ainsi, contrairement à ce qu’ont écrit les premiers juges, l’évaluation de l’administration fiscale n’a pas pris en compte des « critères très éloignés de la réalité économique », mais a, au contraire, cherché à s’en rapprocher le plus possible, en utilisant des méthodes différentes d’évaluation et en recherchant une valorisation aussi voisine que possible de ce qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande.

En outre l’administration fiscale a démontré que le bénéfice net comptable de la société Y frères a augmenté de façon importante de 1996 à 1998 et qu’il y a eu une quasi-stabilité du chiffre d’affaires hors taxe de 1993 à 1998.

Ainsi, même si la crise économique a indéniablement touché le secteur textile, ces éléments comptables objectifs établissent que la société Y frères y a été moins sensible que d’autres entreprises, la « pérennité de la relation avec les clients » n’étant manifestement pas affectée, contrairement à ce qu’ont écrit les premiers juges.

Le rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale extraordinaire du 17 décembre 1998 de la société Y SA démontre que X, Z et B Y Y étaient conscients du prix particulièrement bas de l’opération qu’ils souhaitaient mettre en place puisqu’ils indiquaient : « L’offre que nous avons pu recueillir (…14 999 000 F) ne constitue sans doute pas le meilleur des prix que nous pourrions trouver compte tenu des capitaux propres de notre filiale…».

Il est donc indéniable que le prix de cession des participations était anormalement bas contrairement à l’analyse qu’en ont faite les premiers juges.

Il ressort du dossier que les intimés s’étaient rapprochés, dès 1998, de la société JBH ce qui permettait la signature d’un « protocole d’association », le 29 janvier 1999, entre cette société et X, Z et B Y, agissant chacun « en son nom personnel » et en qualité d’actionnaires de la société Y SA et, pour X Y, en qualité de président de la société Y frères et, pour B Y, en qualité de président de la société Y SA.

Il ressort notamment de ce protocole que :

— la société JBH devait injecter 7 000 000 F pour détenir 40 % de la société Rocade dont le seul actif était constitué des titres de la société Y Frères,

— la société Rocade avait une dette initiale de 12 500 000 F constituée par un prêt relais contracté pour acquérir les titres de la société Y frères,

— des dividendes de la société Y frères devaient être immédiatement versés pour 5 504 633 F.

Ainsi la société JBH, membre du réseau Synextile et ayant une bonne connaissance du marché du textile, valorisait la société Rocade à la somme minimum de 17 500 000 F et était prête à investir 6 995 367 F (12 500 000 F- 5 504 633 F), ce qui signifie que sa propre valorisation de la société Y frères était de 24 495 387 F (17 500 000 + 6 995 367), somme assez proche de l’évaluation initiale de l’administration fiscale (24 040 086 F).

Si M. A Y soutient qu’il était impossible de trouver un repreneur au prix de 20 163 863 francs, il ne l’établit par aucune des pièces versées aux débats.

La faute de gestion relative au prix de cession apparaît ainsi caractérisée.

* sur le non-respect de l’intérêt social et l’absence d’information totale et transparente :

Les attestations versées aux débats démontrent que les actionnaires de la société Y SA avaient été informés que la société Rocade était détenue par Z, X et B Y ainsi que du prix prévu pour la cession.

Il n’est en revanche nullement prouvé que les actionnaires de la société Y SA aient été informés du contenu précis des négociations avec la société JBH, notamment de sa valorisation de la société Y frères, ou de la signature du protocole du 29 janvier 1999.

Il ressort en revanche du rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale extraordinaire du 17 décembre 1998 de la société Y SA que les consorts Y ont indiqué : « Les négociations en cours qui portent sur les conditions de cession des titres de la société Y Frères ET CIE à une holding d’accueil pour notre partenaire industriel achoppent sur un point, celui de la garantie de passif ».

Cependant cette allégation n’était pas fondée au regard du caractère anecdotique de ladite garantie de passif exigée.

En effet, en premier lieu, les consorts Y savaient que la société Y frères n’avait aucun passif particulier, de sorte que les risques n’étaient pas importants.

En deuxième lieu l''accord de garantie’ du 27 mai 1999, versé aux débats, démontre que la société JHB n’avait exigé qu’une garantie limitée au seul passif « de nature fiscale et sociale » et de surcroît pour les seuls exercices clos au 31 décembre 1996, 31 décembre 1997 et 31 décembre 1998.

En troisième lieu, l’indemnisation était plafonnée à un montant tel que « le garant demeure majoritaire dans la société Rocade, c’est à dire que par le jeu des présentes, la cession ne pourra porter sur plus de 6 499 actions sur un total de 65 000 actions ».

Ainsi rien ne permet de comprendre comment les intimés, en possession d’une offre de reprise par la société JHB à hauteur de 24 500 000 F assortie d’une garantie de passif extrêmement limitée et en outre plafonnée, auraient mieux servi l’intérêt social en lui préférant une cession à 14 999 000 F sans garantie de passif.

Rien ne permet davantage d’expliquer pourquoi ils n’ont pas complètement informé le conseil d’administration de l’alternative qui s’offrait à lui alors qu’il est constant que la dissimulation aux cédants d’une information de nature à influer sur leur consentement constitue un manquement au devoir de loyauté.

Il sera enfin relevé que :

— le 14 avril 1999, est intervenue la cession des participations pour une somme de 14 999 000 F

— le 29 avril 1999, une assemblée générale de la société Y frères a approuvé une distribution de dividendes de 5 505 110,10 F à la société Rocade,

— le 27 mai 1999, la société JHB a versé 7 000 000 F en augmentation du capital de la société Rocade pour en détenir 40 % des parts.

Les consorts Y n’ont eu, dans la même période, qu’à verser une somme de 250 000 F, capital social de la société Texinvest, qui a constitué la société Rocade, laquelle a acheté les titres de la société Y frères, somme qui leur a suffi à détenir 60% des parts.

Au surplus, si la société Artimon a acheté, en juillet 1999, la société holding Y SA pour 17 619 953 F, Z, X et B Y, qui disposaient de 6 550 titres sur les 54 000 de la société Y SA, ont perçu à cette occasion la somme de 325 813 F.

Ainsi les consorts Y ont pu devenir détenteurs, sans investissement réel, de 60 % des parts de la société Y frères, société industrielle à fort potentiel, tandis que la société Y SA perdait son actif principal (les titres de la société Y Frères) pour le prix de cession anormalement bas de 14 999 000 F.

Par suite, l’intérêt qu’ils prétendaient défendre est davantage le leur que celui de la société Y frères, puisque cette opération a servi leur intérêt personnel.

Ceci constitue indéniablement une faute de gestion au sens de l’article L. 225-251 du code de commerce.

* sur la violation du formalisme des conventions réglementées :

Les intimés admettent tous l’existence de cette faute.

Il suffit de rappeler que les acquéreurs des titres de la société Y frères auprès de la société Y SA étant, par l’intermédiaire de la societé Rocade, X, B et Z Y, lesquels étaient administrateurs de la société Y SA, cette cession était soumise aux dispositions des articles L. 225-38 et L. 225-40 du code de commerce, dans leur version en vigueur à l’époque, qui nécessitaient une autorisation préalable du conseil d’administration de la société Y SA, s’agissant d’une convention réglementée.

Or, la cession s’est faite sans autorisation préalable du conseil d’administration et sans que ce dernier et l’assemblée générale des actionnaires aient été informés du contenu exact et précis de la convention, contrairement à ce que soutient M. A Y.

En particulier, la lecture du rapport du conseil d’administration à l’assemblée générale extraordinaire de la société Y SA du 17 décembre 1998 démontre qu’il n’a pas été donné d’information sur :

— le protocole d’accord signé avec la société JBH, au moins en tous ses aspects,

— la garantie de passif limitée et plafonnée qui lui était attachée,

— la valorisation par la société JBH de la société Y Frères à la somme de 24 495 367 F,

— toutes les conditions précises de la cession,

— la distribution de dividendes aux nouveaux acquéreurs.

Les attestations d’anciens actionnaires, tardivement datées de septembre et octobre 2011, n’apportent

aucune précision quant à la date de l’information qui leur aurait été donnée sur le fait que la société Rocade était détenue par Z, B et X Y, et qui ne disent rien des conditions d’intervention de la société JBH, de la valeur réelle de la société Y frères ou de la distribution de dividendes à venir.

En ne respectant pas le formalisme prévu par les textes susvisés, B Y, ainsi que X et Z Y, aux droits desquels se trouvent les autres intimés, ont commis une faute.

Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que les consorts Y ont organisé la cession des titres de la société anonyme Y frères à la société Rocade à un prix anormalement bas, au mépris de l’intérêt social, sans information totale et transparente des différentes opportunités qui s’offraient aux actionnaires, et en violation du formalisme des conventions réglementées, ce qui constitue des fautes de gestion.

Sur les préjudices

A titre liminaire, il sera rappelé que le chef de dispositif de l’arrêt de la cour d’appel de Lyon du 14 novembre 2013 ayant rejeté la demande de la société Artimon tendant au paiement de la somme de 26 711 euros, au titre des frais et honoraires engagés lors des procédures administratives, n’ayant pas été atteint par la cassation, il est irrévocable.

Par ailleurs, les pièces versées aux débats permettent de statuer sur les préjudices, sans qu’il soit nécessaire de recourir à une expertise.

* sur l’insuffisance du prix de cession :

Contrairement à ce qu’affirme M. A Y, le préjudice allégué est en lien de causalité directe avec les fautes retenues à l’encontre des administrateurs, dès lors qu’il est établi que les titres de la société Y Frères ont été cédés à un prix anormalement bas.

La société Sofipe soutient que les titres de la société Y SA, valorisés à 24 500 000 francs n’ayant été cédés que pour la somme de 14 999 000, cette dernière, aux droits de laquelle elle se trouve, a subi une sous-évaluation de 9 501 000 francs, soit 1 448 418 euros, ce qui constitue son préjudice.

Elle précise qu’elle réclame l’indemnisation du préjudice subi par la société Y SA et non l’indemnisation de son propre préjudice en qualité d’acquéreur et que s’il n’y avait pas eu de fusion absorption entre la société Artimon et la société Y SA,cette dernière aurait pu directement réclamer la condamnation de ses anciens dirigeants à lui verser cette différence de prix.

A titre liminaire, l’on observera avec les intimés que l’administration fiscale a retenu en définitive une valeur vénale des titres de la société Y Frères de 20 163 863 francs (3 073 961,10 euros), soit une sous-évaluation de 5 164 863 francs (787 378,29 euros).

En l’état des négociations ayant existé, il n’est pas certain que la société JBH aurait, en définitive, acquis les titres de la société Y Frères pour la somme de 24 500 000 francs, il convient en conséquence de retenir que les titres de la société Y Frères avaient une valeur de 20 163 863 francs (3 073 961,10 euros).

Les intimés concluent à juste titre que la cession des titres à ce prix aurait donné lieu à un supplément d’impôt sur les sociétés, ce dont il se déduit que, compte tenu d’un taux d’imposition de 33,33 %, les capitaux propres de la société Y SA auraient en réalité été augmentés de 3 443 242 francs (soit 524 918,86 euros, somme que M. A Y P à 524 920 euros), et non de 9 501 000 francs comme l’affirme la société Sofipe.

Par ailleurs, comme le font encore valoir les intimés, la fusion-absorption de la société Y SA par la société Artimon, aux droits de laquelle se trouve la société Sofipe, n’est pas sans incidence sur son préjudice, dès lors que les patrimoines des deux sociétés sont confondus.

Il s’en déduit que la perte subie par la société Y SA doit tenir compte du prix qu’aurait dû payer la société Artimon pour en acquérir les actions, si l’actif social avait été valorisé à sa juste valeur.

Il sera relevé qu’après la cession des titres de la société Y frères, le seul actif de la société Y SA était sa trésorerie.

Le protocole d’accord de cession des actions de la société Y SA du 5 juillet 1999 stipulait en son article 2 que « la cession des actions sera consentie moyennant un prix global égal à la valeur des capitaux propres, telle qu’elle figurera au passif du bilan des sociétés, arrêté à la date du 30 juin 1999, diminué d’un abattement forfaitaire de 9,5 % ».

Ainsi, l’augmentation des capitaux propres de la société Y SA à hauteur de 524 918,86 euros aurait entraîné une augmentation du prix de 470 051,57 euros, après l’abattement de 9,5 %.

La société Artimon a en conséquence subi une perte de 49 867,30 euros.

Contrairement à ce qu’affirment M. B Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y ce préjudice est certain dès lors qu’il représente la perte subie par la société Y SA, du fait de la minoration fautive de ses capitaux propres, après déduction du supplément du prix qu’aurait dû payer la société Artimon et qu’il tient compte de la confusion des patrimoines de ces deux sociétés à la suite de la fusion absorption de 2000.

Le fait que la société Artimon ait, le cas échéant, enregistré des profits après l’acquisition de la société Y SA est sans influence sur l’existence du préjudice subi et il en est de même des buts poursuivis lors du rachat.

Il convient en conséquence d’infirmer le jugement et de condamner solidairement les intimés au paiement de cette somme, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

* sur le redressement fiscal :

La société Sofipe fait valoir que la société Y SA a été dans l’obligation de régler, au titre du redressement fiscal, la somme principale de 288 705 euros de rappel d’impôt sur les sociétés et de contribution additionnelle, ainsi que celle de 38 975 euros de pénalités de retard, et que ce préjudice a été causé par les fautes des administrateurs de la société Y SA.

M. A Y fait valoir que le fait que la société Artimon ait eu à payer un supplément d’impôt ne constitue pas un préjudice réparable.

Il est exact que si la vente des titres de la société Y Frères avait été conclue au juste prix, tel que retenu par l’administration fiscale, la société Y SA aurait dû s’acquitter de l’impôt sur les sociétés sur ledit prix et que la somme payée à la suite du redressement fiscal correspond à ce supplément d’impôt.

Cependant, la société Artimon, aux droits de la société Y SA, a dû s’acquitter de cet impôt sans avoir perçu la partie du prix de vente sur laquelle il a été calculé.

Il s’en déduit, d’une part, que la faute des administrateurs ayant consisté en une vente des titres à un prix minoré est en lien causal avec le préjudice, d’autre part, que ce préjudice consistant à avoir payé un impôt sur une somme non perçue est réparable.

Il ne peut être retenu l’analyse de M. A Y selon laquelle l’intervention de l’administration fiscale aurait rompu le lien de causalité entre le préjudice et les fautes commises par les administrateurs de la société Y SA.

Le contrôle a été opéré par l’administration fiscale dans le cadre de ses prérogatives et le redressement fiscal qui s’en est suivi a été uniquement causé par la faute commise par les administrateurs, qui ont vendu les titres de la société Y frères à bas prix.

Le préjudice ne s’analyse pas en une perte de chance d’échapper à un contrôle fiscal, comme le soutient M. A Y, mais en l’obligation d’assurer le paiement d’un impôt sur une somme qui n’est pas entrée dans l’actif de la société Y SA.

La société Sofipe conteste l’argumentation des intimés, qui soutiennent qu’il convient de prendre en considération l’absence de garantie de passif au profit de la société Artimon.

Ainsi, qu’il a été rappelé ci-avant, du fait de la fusion absorption intervenue en 2000, les patrimoines des sociétés Artimon et Y SA sont confondus, de sorte que le préjudice dont il est réclamé l’indemnisation doit prendre en considération les éventuels avantages dont a bénéficié la société Artimon.

Cette dernière ne conteste pas qu’à l’occasion des négociations entre les parties, deux options ont été envisagées : soit le paiement d’un prix égal à 94,5 % du montant des capitaux propres, en cas de fourniture d’une garantie de passif, soit le paiement d’un prix égal à 90,5 % du montant des capitaux propres, en l’absence de garantie de passif.

Les parties se sont accordées sur la seconde solution, ce dont il se déduit que la société Artimon a accepté de prendre en charge le risque de l’absence de garantie de passif, moyennant une réduction du prix de 4 %.

Elle a ainsi payé 17 619 053 francs, au lieu de 18 424 536 francs, soit une économie de 805 483,48 francs (122 795,16 euros).

Ce choix de la société Artimon ne saurait être qualifié de fautif, contrairement à ce qu’affirme M. A Y, dès lors qu’elle n’était pas en possession de toutes les informations sur la cession de la société Y frères et des conséquences qui pouvaient en découler.

Toutefois, il convient de tenir compte de l’économie réalisée de 122 795,16 euros dans l’évaluation du préjudice et de fixer celui-ci, au titre du redressement fiscal, à la somme de 204 884,84 euros.

Le jugement sera infirmé et les intimés seront condamnés in solidum à payer cette somme, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Il convient d’ordonner la capitalisation des intérêts prévus par années entières conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Sur les autres demandes

Dans le dispositif de leurs conclusions, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y demandent qu’il leur soit donné acte « de ce que les demandes formées par ces derniers à l’encontre de la société Artimon seront réparties entre eux, conformément aux règles découlant de l’option dont bénéficie son épouse, Mme H I en vertu de l’acte de notoriété, dressé le 28 juillet 2017, ».

Ce chef de dispositif des conclusions ne s’analyse pas en une demande en justice au sens de l’article 4

du code de procédure civile et il n’y a pas lieu d’y répondre.

L’équité commande de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société Sofipe.

Cette dernière sollicite la condamnation des intimés aux dépens, comprenant ceux de la procédure devant la Cour de cassation.

Cette dernière demande se heurte à l’autorité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la Cour de cassation qui a condamné la société Artimon aux dépens de l’instance suivie devant elle, et est ainsi irrecevable.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 12 mai 2015,

Donne acte à Mme H I, Mme C Y et Mme J Y de leur intervention volontaire en qualité d’ayants droit de Z Y, décédé ;

Déclare recevable l’action de la société Sofipe, venant aux droits de la société Artimon ;

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Saint Etienne du 25 avril 2012, sauf en ce qu’il a débouté les consorts Y de leur demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau,

Déclare M. B Y, M. A Y, Mme E Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y responsables des préjudices subis par la société Sofipe à raison des fautes de gestion commises par B, X et Z Y ;

Condamne in solidum M. B Y, M. A Y, Mme E Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y à payer à la société Sofipe les sommes de :

* 49 867,30 euros (quarante neuf mille huit cent soixante sept euros et trente centimes), outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, qui seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil, en réparation du préjudice au titre du prix de cession anormalement bas ;

* 204 884,84 euros (deux cent quatre mille huit cent quatre vingt quatre euros et quatre vingt quatre centimes), outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, qui seront capitalisés dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil, en réparation au préjudice subi au titre du redressement fiscal ;

* 15 000 (quinze mille) euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déclare irrecevable la demande de la société Sofipe au titre des dépens de l’instance devant la Cour de cassation ;

Condamne in solidum M. B Y, M. A Y, Mme E Y, Mme H I, Mme C Y et Mme J Y aux dépens de première instance et d’appel, avec, pour ces derniers, droit de recouvrement direct au profit de la SCP Beaufumé Sourbé, avocat, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile a, 17 octobre 2019, n° 15/04729