Cour d'appel de Nancy, 1re chambre civile, 4 novembre 2004

  • Protection au titre du droit d'auteur·
  • Atteinte au droit de reproduction·
  • Qualité pour agir en contrefaçon·
  • Usurpation du nom de l'auteur·
  • Droit au respect de l'œuvre·
  • Forclusion par tolérance·
  • Atteinte au droit moral·
  • Droit d'auteur original·
  • Œuvre de collaboration·
  • Validité de la marque

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nancy, 1re ch. civ., 4 nov. 2004
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Décision(s) liée(s) :
  • Tribunal de grande instance de Nancy, 23 juin 2003
  • 2002/02060
Domaine propriété intellectuelle : MARQUE
Marques : MULLER FRES LUNEVILLE ; MULLER FRÈRES MULLER FRES LUNEVILLE ; EGALLE
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 99821399 ; 99823952 ; 99797318 ; 3099604
Classification internationale des marques : CL06; CL11; CL20; CL21
Référence INPI : M20040738
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Texte intégral

Le 10 juin 1999 et le 11 mai 2001, la S.A.R.L. ALBERT IMPORT a déposé la marque complexe « MULLER FRERES LUNEVILLE ». Ces dépôts ont été enregistrés sous les numéros 99797318 et 013099604. Le 28 octobre 1999 et le 15 novembre 1999, la même société a déposé à l’I.N.P.I. la marque complexe « GALLE ». Ces dépôts ont été enregistrés sous les numéros 99821399 et 99823952. Arguant de la nullité de ces dépôts de marque et se présentant comme étant respectivement descendants en ligne directe d’Emile G, de Louis M et des frères M, Madame Jacqueline A, Monsieur Patrick D, Madame Dominique M et Madame Elise P épouse M, par acte du 29 mars 2002, ont fait assigner la S.A.R.L. ALBERT IMPORT en lui faisant grief de commercialiser, notamment dans le ressort du Tribunal de Grande Instance de NANCY, des reproductions de créations artistiques de leurs aïeux, certaines des copies portant en outre la signature des créateurs des originaux. Les demandeurs soutenaient que l’atteinte portée à l’identité artistique de leurs auteurs est d’autant plus grave que la mauvaise facture des reproductions n’empêche pas le risque de confusion dans l’esprit du public avec les originaux. Sur le fondement de l’article L 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, les demandeurs sollicitaient qu’il soit fait interdiction à la S.A.R.L. ALBERT IMPORT de fabriquer et de commercialiser des articles contrefaisant les oeuvres d’Emile G, de Louis M et des frères M. Ils concluaient en outre à l’indemnisation du préjudice subi et à la publication de la décision. Par jugement du 23 juin 2003, le tribunal a :

- rejeté l’exception d’incompétence territoriale soulevée par la S.A.R.L. ALBERT IMPORT,
- déclaré Monsieur D irrecevable en ses demandes,
- prononcé l’annulation des dépôts par la S.A.R.L. ALBERT IMPORT des marques « MULLER FRERES LUNEVILLE » et « GALLE »,
- fait interdiction à la S.A.R.L. ALBERT IMPORT d’utiliser les noms d’Emile G et des frères M à titre de marque, à des fins commerciales ou publicitaires, et notamment à apposer les sigles « GALLE », « E. GALLE », « MULLER FRERES LUNEVILLE » sur les produits qu’elle importe, fabrique ou offre à la vente,
- condamné la S.A.R.L. ALBERT IMPORT à payer tant à Madame A qu’aux consorts M une somme de 7.500 Euros à titre de dommages et intérêts,
- débouté Madame A et les consorts M de leurs demandes fondées sur l’article L 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle. Pour écarter l’exception d’incompétence, le tribunal a relevé que des reproductions incriminées ont été offertes à la vente au mois de mars 2001 au Parc des expositions de NANCY. Il a ensuite constaté que Monsieur Patrick D ne justifie pas être un héritier de Louis M. Sur le fond, le tribunal, après avoir relevé que l’exploitation des oeuvres originales en cause, y compris la signature des artistes, est libre depuis qu’elles sont tombées dans le domaine public, a considéré que même si elles sont revêtues des signatures des créateurs, les reproductions ne peuvent être confondues, dans l’esprit du public, avec les originaux, notamment parce que ces reproductions comportent la mention « TIP » et parce que leur prix est sans rapport avec les prix constatés sur le marché des oeuvres originales. Le tribunal a encore relevé que les reproductions incriminées ne sont pas d’une facture médiocre et qu’Emile G ne s’est jamais opposé à la production en série de ses créations, pour déduire de tous ces éléments que la S.A.R.L. ALBERT IMPORT n’a pas porté atteinte au droit moral des auteurs des oeuvres reproduites. Mais, se fondant

sur l’article L 711-4 g du Code de la Propriété Intellectuelle, le tribunal a retenu que les signes retenus dans les marques contestées sont la reproduction à l’identique aussi bien des noms patronymiques des créateurs concernés que de leurs signatures d’artistes. Le tribunal en a déduit que non seulement la S.A.R.L. ALBERT IMPORT a créée un risque de confusion, mais a recherché délibérément une telle confusion afin de tirer profit de la notoriété des noms d’Emile G et de M. La S.A.R.L. ALBERT IMPORT a interjeté appel par déclaration du 18 août 2003 sans intimer Monsieur D. Par ses écritures dernières, notifiées et déposées le 22 mars 2004, la S.A.R.L. ALBERT IMPORT demande à la Cour, par voie de réformation du jugement déféré, de déclarer Madame Jacqueline A et Madame Elise P épouse M irrecevables en leurs demandes. Elle oppose en tout état de cause l’irrecevabilité de l’action tant en revendication de marque qu’en annulation des enregistrements des marques contestées. Elle soulève l’irrecevabilité de la demande nouvelle tendant à l’annulation de l’enregistrement de la marque « MULLER FRERES LUNEVILLE » sous le numéro 01099604 et conclut subsidiairement au rejet de toutes les prétentions des autres parties dont elle entend obtenir la condamnation au paiement d’une somme de 3.000 Euros pour procédure abusive et d’une somme de 2.000 Euros en remboursement de ses frais non compris dans les dépens. La S.A.R.L. ALBERT IMPORT fait d’abord valoir que Madame A ne justifie pas de sa qualité d’ayant droit d’Emile G en précisant que selon un acte notarié du 28 septembre 1999, seule Madame P, attributaire de tous les biens meubles de Monsieur Jean B, héritier présumé d’Emile G, a qualité pour prétendre à la protection du droit moral de ce dernier. Elle ajoute que Madame P, qui n’est que « parente par alliance d’Emile G », n’a pas non plus qualité pour agir. L’appelante réitère qu’en l’absence de tout risque de confusion entre les oeuvres originales, et les reproductions qu’elle commercialise, il n’est nullement porté atteinte au droit moral des créateurs, ajoutant que la réalisation de copies serviles n’est nullement prohibée. S’agissant de la contestation des marques, elle oppose la prescription de l’action en revendication. Elle relève en outre que s’agissant de la marque « GALLE », l’action en annulation de l’enregistrement est prescrite, l’usage de la marque ayant été toléré depuis plus de 5 ans à la suite du dépôt de cette marque par Monsieur S en 1989, puis par BERTHOLD I en 1990. L’appelante fait encore valoir qu’à défaut d’héritiers connus, elle pouvait de bonne foi choisir comme marque un nom patronymique illustre tombé dans le domaine public, d’autant plus qu’aucune confusion n’est possible avec des personnes portant le même nom. Elle affirme que l’oeuvre des frères M est tombée dans le domaine public, le créateur de la marque étant Henri M. Elle reproche aux premiers juges d’avoir annulé l’enregistrement 013099604 alors qu’ils n’étaient pas saisis d’une telle demande et considère qu’une telle prétention, formée pour la première fois en appel, est irrecevable. Elle estime que sous couvert d’une action en annulation d’enregistrement de marques, les intimés entendent obtenir illégitimement l’interdiction de la commercialisation de toutes reproductions d’oeuvres d’Emile G et des frères M, que ces reproductions comportent ou non la signature des auteurs des oeuvres originales en guise de marque figurative. Par leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 21 avril 2004, Madame Jacqueline A, Madame Dominique M et Madame Elise P veuve M forment appel incident et des demandes complémentaires, par lesquelles Madame A entend obtenir de la Cour

qu’elle fasse interdiction à la S.A.R.L. ALBERT IMPORT de fabriquer, de faire fabriquer, d’importer ou d’exporter, d’offrir à la vente tous articles contrefaisant des oeuvres d’Emile G, notamment les copies de ses oeuvres, avec ou sans reproduction de la signature ou du logotype de l’auteur, avec ou sans l’apposition du sigle « TIP » dès lors que ne se trouvent pas apposées de manière apparente les mentions « copie » ou « reproduction ». Madame A sollicite en outre la confiscation des reproductions ne présentant pas les caractéristiques sus énoncées. Les consorts M demandent à la Cour de faire interdiction à la S.A.R.L. ALBERT IMPORT de fabriquer, de faire fabriquer, d’importer ou d’exporter, d’offrir à la vente ou de commercialiser tous articles contrefaisant des oeuvres des frères M, sous quelque forme que ce soit. Ils sollicitent également la confiscation des produits contrefaisants. Par ailleurs, les consorts M sollicitent la désignation d’un expert ayant pour mission de déterminer la part du chiffre d’affaires que la S.A.R.L. ALBERT IMPORT réalise par la commercialisation de copies des oeuvres des frères M. Les intimées sollicitent en outre la publication de l’arrêt dans la revue publicitaire « Antique International » publiée par la S.A.R.L. ALBERT IMPORT et dans 2 journaux de leur choix. Elles réclament enfin une somme de 6.000 Euros au titre des frais non compris dans les dépens. En ce qui concerne la recevabilité de son action, Madame A réplique qu’il ressort du livret de famille de ses grands-parents BOURGOGNE-GALLE que Fanny G est bien la fille d’Emile G. Elle invoque l’article L 121-9 du Code de la Propriété Intellectuelle pour soutenir qu’en dépit de l’adoption par ses parents du régime de la communauté universelle avec attribution de la pleine propriété des biens mobiliers à l’époux survivant, Madame P n’a pas pu devenir titulaire des droits moraux recueillis exclusivement par son père, petit- fils d’Emile G. Quant à Madame P épouse M, elle se fonde sur l’alinéa 2 de l’article L 121-9 susvisé pour soutenir qu’elle a qualité pour invoquer les droits d’exploitation des oeuvres des frères M pour toutes les reproductions réalisées depuis son mariage avec Monsieur Henri Georges M. Les intimées répliquent qu’elles exercent une action en annulation des enregistrements des marques contestées et non pas une action en revendication de ces marques. Madame A conteste par ailleurs avoir toléré pendant plus de 5 ans l’usage par des tiers de la marque GALLE en précisant que l’enregistrement de cette marque déposée par Monsieur S a été judiciairement annulé le 10 juillet 1991. Les intimées font également valoir que le choix fait par la S.A.R.L. ALBERT IMPORT des noms patronymiques de GALLE et M en guise de dénomination est précisément dicté par la volonté de créer la confusion dans l’esprit du public sur les conditions de commercialisation des copies. Elles soutiennent que le risque de confusion est d’autant plus marqué que les signes figuratifs des marques contestées sont la reproduction des signatures des artistes en cause. Elles en déduisent que les enregistrements se heurtent également à la prohibition de l’adoption d’une marque notoire antérieure. Elles ajoutent que ces marques portent encore atteinte au droit d’auteur des créateurs dès lors que leurs signatures constituent par elles-mêmes une oeuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur. Elles admettent que le tribunal a prononcé une annulation non demandée mais estiment être recevables à solliciter à titre complémentaire cette demande pour la première fois en appel. Pour justifier les indemnités allouées, les intimées réitèrent d’une part que l’apposition des marques contestées sur des reproductions de médiocre qualité est susceptible de nuire au prestige et à la réputation de

qualité qui s’attachaient jusqu’alors aux oeuvres d’Emile G et des frères M et d’autre part de faire croire que les ayants droit de ces derniers ont accepté de brader leur héritage moral. A l’appui de leur appel incident, les intimées maintiennent que la S.A.R.L. ALBERT IMPORT a porté atteinte au droit moral d’Emile G et des frères M en commercialisant des reproductions sans prendre les précautions suffisantes de nature à les distinguer des oeuvres originales. Elles considèrent en particulier que l’apposition de la mention « TIP » n’est explicite que pour les seuls initiés et font observer que les documents publicitaires et commerciaux, mentionnant les caractéristiques des produits incriminés, ne sont destinés qu’aux intermédiaires. Les consorts M contestent que l’oeuvre des frères M soit tombée dans le domaine public. Ils font valoir que s’agissant d’une oeuvre de collaboration, la protection de 70 ans commence le premier jour de l’année civile suivant le décès du dernier survivant des coauteurs. Les consorts M en déduisent que l’exploitation par la S.A.R.L. ALBERT IMPORT de l’oeuvre des frères M constitue un acte de contrefaçon et demandent que leur manque à gagner soit établi par voie d’expertise. L’instruction a été déclarée close le 3 mai 2004.

Aucune saisie-contrefaçon n’ayant été effectuée, les éléments de fait du litige ne peuvent être déterminés qu’au travers de l’examen des 9 exemplaires du journal publicitaire et d’information mensuel publié par la société ALBERT IMPORT à destination des professionnels antiquaires et brocanteurs. Les exemplaires régulièrement versés au dossier concernent la période allant du mois de février 2001 au mois de novembre 2003. Chacun de ces exemplaires comporte plusieurs pages reproduisant des photographies en noir et blanc de pièces de verrerie portant un numéro comportant et l’indication du prix hors taxe avec la mention « vase ou lampe GALLE » ou encore « vase ou lampe M ». Jusqu’au mois d’août 2003, les pages ainsi consacrées à des objets auxquels ont été associés les noms d’éminents représentants du mouvement artistique généralement appelé « école de NANCY » comportent les indictions suivantes :

- « tous signés Emile GALLE, Louis M, MULLER Frères LUNEVILLE etc… »,
- « marques déposées et propriété de la S.A.R.L. ALBERT IMPORT qui est seule habilitée à commercialiser des produits sous ces marques »,
- « nos pâtes de verre sont fabriquées artisanalement selon les méthodes utilisées par les célèbres verriers du XIXème siècle ». Le numéro du mois de juillet 2002, sur la page 26 consacrée aux « verreries Art Déco de grande qualité » et qui représente notamment la célèbre lampe COPRINS réalisée par Emile G à quelques exemplaires, comporte un bandeau avec les mentions suivantes : " Du nouveau ! Arrivage de nouvelles pâtes de verre signées ; les grands noms s’achètent aujourd’hui chez ALBERT I en toute sécurité ; nous sommes propriétaires des plus grandes marques ; vente réservée aux professionnels ". A partir du mois de septembre 2003, la publicité comporte en outre les indications suivantes :

— « tous nos produits sont des reproductions de grande qualité »,
- « tous nos produits sont neufs ». En l’absence de réelle contestation sur ce point dans les écritures de l’appelante, les éléments de preuve susvisés s’avèrent suffisants pour retenir que les objets ainsi proposés à la vente par la société ALBERT IMPORT sont bien des reproductions de verreries portant la signature d’Emile G ou des frères M. I – Sur les demandes de Madame A : Madame A exerce d’une part une action tendant à faire assurer le respect de l’oeuvre d’Emile G et d’autre part, une action tendant à l’annulation de l’enregistrement à titre de marque de sa signature d’artiste. Il résulte des éléments biographiques versés aux débats qu’Emile G, né à NANCY le 4 mai 1846, après avoir reçu une solide formation de céramiste et de verrier, a rapidement acquis une grande renommée pour la qualité de sa production verrière. Le perfectionnement de techniques connues ou redécouvertes, ou encore l’invention de nouveaux procédés lui ont permis d’atteindre une expression artistique d’une grande nouveauté qui l’a placé à la tête du mouvement symbolisé par l’Ecole de NANCY. Ensuite, grâce à la maîtrise des procédés de production acquise dans ses ateliers, et dans un but déclaré de démocratisation de la diffusion de ses créations artistiques, il a opté pour une fabrication industrielle, contrôlée par lui jusqu’à son décès, survenu en 1904. La fabrication d’oeuvres exceptionnelles et de pièces de série portant sa signature s’est poursuivie après sa mort grâce aux nombreux projets et études réalisés par lui. Procédant d’un travail de création qui reflète la personnalité de son auteur et d’une recherche esthétique originale, les pièces de verrerie réalisées par ou sous le contrôle d’Emile G, sont des oeuvres des arts appliqués, conférant à leur auteur la protection instituée par les articles L 111-1 et L 112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle, ce point n’étant d’ailleurs nullement discuté. Selon les articles L 123-1 et L 123-4 du même code, le droit exclusif d’exploitation dont jouit l’auteur sur son oeuvre sa vie durant, subsiste à son décès, y compris pour les oeuvres posthumes divulguées pendant cette période, pour la durée de l’année civile en cours au jour du décès et pendant les 70 années qui suivent. Ainsi que l’ont justement énoncé les premiers juges, l’oeuvre d’Emile G, y compris les oeuvres posthumes divulguées avant cette date, est tombé dans le domaine public le 1er janvier 1975. 1) La demande tendant à la défense de l’intégralité de l’oeuvre d’Emile G : Aux termes de l’article L 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, le droit imprescriptible au respect du nom, de la qualité et de l’oeuvre de l’auteur se transmet à cause de mort à ses héritiers. Et selon l’article L 121-9 du même code, sous tous les régimes matrimoniaux et à peine de nullité de toutes clauses contraires portées dans un contrat de mariage, le droit de divulguer l’oeuvre, de fixer les conditions de son exploitation et d’en défendre l’intégralité reste propre à l’époux auteur ou à celui des époux à qui de tels droits ont été transmis. Par la production de son livret de famille, de celui de ses parents et de ses grands-parents, Madame A établit que par son père, Monsieur Jean B, et par sa grand-mère, Madame Fanny G, elle descend en ligne directe d’Emile G. Il importe donc peu que ses parents aient adopté en cours de mariage le régime de la communauté universelle avec attribution

de tous les biens meubles à l’époux survivant dès lors que cette clause doit être réputée non écrite s’agissant de la transmission du droit moral d’Emile G sur son oeuvre. C’est donc à juste titre que le tribunal a déclaré l’action recevable. Ainsi qu’il a été exposé plus haut, il est acquis que la société ALBERT IMPORT commercialise, sous l’appellation « pâtes de verre » des verreries reproduisant des pièces faisant partie de l’oeuvre d’Emile G et qui portent la signature d’artiste de celui-ci. Si cette exploitation de l’oeuvre n’est pas critiquable au regard des droits patrimoniaux, qui sont expirés, il ne saurait pour autant être admis qu’elle puisse porter atteinte à l’intégrité de cette oeuvre par la mise sur le marché de reproductions d’une qualité infiniment inférieure aux originaux mais qui, notamment par l’apposition de la signature imitée de l’auteur, sont cependant susceptibles d’être confondues par un public non averti avec les pièces originales. Or en l’espèce, ainsi que l’a révélé l’examen des documents publicitaires et commerciaux de la société ALBERT IMPORT, le risque de confusion, qui doit être apprécié en la personne de l’acquéreur final de l’objet, est délibérément recherché. En effet, et contrairement à ce qu’ont énoncé les premiers juges, les mentions du journal « antique international » et celles portées sur les factures, qui permettent certes de se convaincre que les pièces proposées à la vente sont des reproductions, ne sont nullement destinées à être portées à la connaissance du destinataire final de la pièce. Il s’avère, bien au contraire, qu’en vendant sa marchandise exclusivement à des antiquaires et à des brocanteurs, la société ALBERT IMPORT entend laisser à ces derniers le soin d’assurer ou non l’information de leurs clients, leur ouvrant la possibilité de présenter les reproductions dans un contexte qui peut amener des non spécialistes à penser légitimement qu’il s’agit d’originaux. En outre, les prix pratiqués par la société ALBERT IMPORT ne sont pas de nature, au prétexte qu’ils seraient très inférieurs au prix des pièces originales, à dissiper le risque de confusion puisque le tarif du grossiste est sans incidence sur les prix exigés par les revendeurs. Et l’apposition, sur certaines reproductions, de la mention « TIP » n’a aucun caractère explicite. Du reste, il s’évince du n° 3 du mois d’avril 2003 du Petit Journal de l’association des amis du Musée de l’Ecole de NANCY, pièce régulièrement versée aux débats, que lorsqu’elle a été apposée initialement par le fabricant, la mention « TIP » est souvent effacée pendant le processus de commercialisation. Cette même publication, sous la signature de Monsieur François L mentionne de plus que les reproductions du type de celles que commercialise la société ALBERT IMPORT sont de médiocre qualité. Enfin, l’argument selon lequel Emile G à lui-même eu recours à une production en série n’est pas de nature à écarter l’existence d’une atteinte au droit moral de ce créateur dès lors qu’Emile G a néanmoins exercé un strict contrôle sur la qualité des verreries produites dans ses ateliers de façon industrielle. Par voie d’infirmation du jugement de ce chef, et par application de l’article L 335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, il y a lieu de dire que la société ALBERT IMPORT a commis des actes de contrefaçon en mettant sur le marché des reproductions d’oeuvres d’Emile G en violation des droits d’auteur de ce dernier. A titre de réparation, Madame A, qui entend ainsi faire cesser tout risque de confusion dans l’esprit du public entre les oeuvres originales et les reproductions contrefaisantes, est fondée à obtenir l’interdiction sous astreinte de tout acte de commerce fait par la société ALBERT IMPORT et portant sur des reproductions d’oeuvres d’Emile G qui seraient dépourvues de la mention « copie » ou « reproduction » apparente et intégrée dans la

masse de l’objet. Par contre, les circonstances de la cause n’imposent pas de faire application de l’article L 335-6 du Code de la Propriété Intellectuelle pour prononcer la confiscation des objets contrefaisants et la publication de la présente décision. 2) La demande tendant à l’annulation des enregistrements de la marque GALLE : Madame A n’exerçant pas d’action en revendication, c’est en vain que la société ALBERT IMPORT lui oppose l’expiration du délai d’action de 3 ans institué par l’article L 712-6 du Code de la Propriété Intellectuelle. En appel, comme c’était le cas en première instance, la demande en annulation est fondée non pas sur le caractère trompeur du signe mais sur l’atteinte portée par celui-ci à des droits antérieurs en violation de l’article L 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle. Par conséquent, l’action est régie par l’article L 714-3 du même code qui dispose d’une part que seul le titulaire du droit antérieur peut agir en nullité et d’autre part que l’action n’est pas recevable si la marque a été déposée de bonne foi et qu’il en a toléré l’usage pendant cinq ans. La tolérance visée par ce texte ne peut se rapporter qu’au dépôt dont l’enregistrement est en litige. En l’espèce, les marques contestées ont été déposées respectivement le 28 octobre 1999 et le 15 novembre 1999. Il en résulte qu’à la date de l’assignation, le 29 mars 2002, le délai d’action n’était pas expiré. Et en tout état de cause ces dépôts n’ont pas été faits de bonne foi, les documents publicitaires examinés plus haut faisant ressortir qu’ils avaient pour but d’assurer à la société ALBERT EMPORT le monopole du commerce d’objets contrefaisants. Par ailleurs, madame A invoque expressément l’atteinte portée au nom patronymique de la famille dont elle est membre. Toutes les causes d’irrecevabilité doivent donc être écartées. Les deux actes de dépôt en cause font ressortir que la société ALBERT import a obtenu l’enregistrement de 2 marques complexes comportant un élément dénominatif constitué par le nom patronymique GALLE, et un élément graphique constitué par la représentation du signe sous forme de signature. Les deux dépôts se rapportent aux produits suivants : « lustrerie d’éclairage, vases, verreries, porcelaines et faïences ». L’article L 711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle interdit l’adoption comme marque d’un signe portant atteinte au droit de la personnalité d’un tiers, notamment à son nom patronymique. L’élément dénominatif des signes contestés est en l’espèce la reprise à l’identique du nom patronymique de la famille G, dont est membre Madame A. De plus, il s’agit à la fois d’un nom peu répandu et notoire par la réputation internationale acquise par Emile G grâce à son talent artistique qui lui est reconnu en particulier dans le domaine de la verrerie. Ainsi, en choisissant comme signe le nom patronymique GALLE, la société ALBERT IMPORT a incontestablement causé un préjudice à Madame A, en faisant croire que cette descendante d’Emile G a autorisé l’usage du nom de l’artiste à des fins purement commerciales. C’est donc ajuste titre que les premiers juges ont annulé les enregistrements des marques contestées et indemnisé le préjudice subi par Madame A. En revanche, dès lors qu’elle obtient au titre de la protection du droit moral de l’auteur les mesures destinées à mettre fin au risque de confusion entre les reproductions commercialisées par la société ALBERT IMPORT et les pièces originales, la réparation de son entier préjudice n’impose pas de maintenir l’interdiction, prononcée par le tribunal, de reproduire le nom du créateur sur les reproductions, alors que par ailleurs, selon l’article L 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, le droit moral de l’auteur comporte celui de revendiquer la paternité de sa création.

II – Sur les demandes des consorts M : Parallèlement à l’action en annulation de l’enregistrement des marques MULLER Frères Lunéville, les consorts M poursuivaient en première instance la protection de l’intégrité de l’oeuvre des Frères M en invoquant le droit moral des auteurs. A présent, les consorts M contestant que cette oeuvre soit tombée dans le domaine public, fondent leurs prétentions sur l’exclusivité du droit d’exploitation de cette oeuvre. Il résulte des éléments biographiques versés au dossier que les verreries portant la signature MULLER Frères sont issues d’une manufacture créée par Henri et Désiré M à LUNEVILLE. Les pièces dont ils ont assuré la création, sur la base d’une communauté d’idées artistiques, ont été réalisées dans leurs ateliers sous leur direction commune. Leur oeuvre est par conséquent une oeuvre de collaboration au sens de l’article L 113-2 du Code de la Propriété Intellectuelle s’agissant du résultat d’un travail créatif concerté. Il résulte des articles L 123-1 et L 123-2 du même code qu’en matière d’oeuvres de collaboration, le point de départ du délai de 70 années pendant lequel la loi confère aux ayants-droit des auteurs un droit exclusif d’exploitation commence à courir le 1er janvier suivant le décès du dernier vivant des collaborateurs. En l’espèce, Désiré M, qui avait survécu à son frère Henri, est décédé le 28 septembre 1952. Il en résulte que contrairement à ce qu’ont retenu les premiers juges, l’oeuvre des Frères M ne tombera dans le domaine public que le 1er janvier 2023. 1) La revendication de l’exclusivité du droit d’exploitation : Il résulte des actes d’état civil régulièrement produits aux débats que Madame P est la veuve de Georges M, fils de Désiré M, et que Madame Dominique M est la fille de Georges M et la petite fille de Désiré M. En l’absence de dispositions testamentaires, les intimées, par l’effet des règles de dévolution successorale, sont bien les ayants-droit de Désiré M, au sens de l’article L 123-1 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle. Leur demande est par conséquent recevable. Ainsi qu’il a été exposé plus haut, il ressort des propres documents publicitaires de la société ALBERT IMPORT qu’elle commercialise des reproductions d’oeuvres des frères M. En agissant ainsi, la société appelante porte atteinte à l’exclusivité temporaire du droit de reproduction institué par les articles L 122-1 et L 122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle. Et par application de l’article L 335-3 du même code, ces reproductions non autorisées doivent être déclarées contrefaisantes. A titre de réparation, les consorts M sont fondés à obtenir qu’il soit fait interdiction à la S.A.R.L. ALBERT IMPORT de commercialiser toute reproduction d’une oeuvre des Frères M. Par application des articles L 335-6 et L 335-7 du Code de la Propriété Intellectuelle, il y a lieu de prononcer la confiscation de la totalité des recettes procurées par les ventes des objets contrefaisants. Afin d’assurer l’exécution de cette mesure, il s’impose d’ordonner une expertise destinée à déterminer le profit retiré par la contrefaçon. Par contre, il ne s’impose pas d’ordonner la publication de la présente décision, ni de prononcer la confiscation des objets contrefaisants. 2) La demande tendant à l’annulation des enregistrements de la marque MULLER Frères Lunéville : Comme madame A, les consorts M fondent leur demande en annulation des enregistrements de marques sur la violation de droits antérieurs. Le droit exclusif de

reproduction des oeuvres des Frères M étant tombé dans le patrimoine de Madame P veuve M et dans celui de Madame Dominique M, elles sont toutes deux recevables à invoquer, sur le fondement de l’article L 711-4 e) du Code de la Propriété Intellectuelle, la violation des droits d’auteur des Frères M. En outre, c’est en vain que la société ALBERT IMPORT leur oppose la tolérance de l’usage de la marque pendant 5 ans, alors que la tolérance visée par l’article 714-3 du même code ne se rapporte qu’au dépôt dont l’enregistrement est en litige. Et en tout état de cause, à supposer même qu’il puisse s’agir de la tolérance de l’usage par un tiers, il s’avère que dans le cas d’espèce les consorts M ont demandé et obtenu le 10 juillet 1991 l’annulation de la marque « MULLER Frères » déposée par Monsieur Joachim S et Madame Jeanne S le 20 mars 1989. Les dépôts par la société ALBERT IMPORT de la marque contestée remontant au 10 juin 1999, le délai d’action de 5 ans n’était pas expiré le jour de l’assignation du 29 mars 2002. Toutes les fins de non recevoir seront donc écartées. L’acte de dépôt n° 99797318 fait ressortir que la société ALBERT IMPORT a obtenu l’enregistrement de la marque complexe comportant un élément dénominatif, constitué par le nom patronymique M auquel sont adjoints les mots « frères », et le nom de lieu « Lunéville », et un élément graphique constitué par la représentation du signe sous forme d’une signature. Cet acte indique que la marque est destinée à désigner notamment de la lustrerie, de la verrerie, des lampes de table, des appliques murales, des lampes d’éclairage en pâte de verre, des vases en pâte de verre et des objets d’art en verre. Si le nom patronymique M est répandu, notamment dans la partie est du territoire national, l’adjonction à ce patronyme du mot frères et du nom de lieu Lunéville évoque inévitablement la famille notoirement connue des verriers et en particulier ses plus éminents représentants Henri et Désiré M, qui pendant une certaine période, signaient leurs oeuvres « MULLER Frères Lunéville ». Là encore, en choisissant comme marque la signature d’artiste des Frères M, la société ALBERT IMPORT a causé un préjudice aux membres de la famille de ces artistes en faisant croire que ces derniers en ont autorisé l’usage à des fins purement commerciales. En outre, le choix de ce signe constitue une atteinte au droit d’auteur antérieur des Frères M qui confère à leurs ayants-droit un droit exclusif de reproduction, y compris sur la signature des créateurs. L’annulation de l’enregistrement n° 99797318 est donc justifiée en raison de l’atteinte portée tant au nom patronymique qu’à des droits d’auteur antérieurs. L’annulation de l’enregistrement du dépôt 013099604 a certes été prononcée par le tribunal alors qu’il n’était pas saisi d’une telle demande. Mais il s’avère que cette demande est à présent faite devant la juridiction du second degré. Ce second enregistrement contesté concerne une marque dont l’élément dénominatif est strictement identique à la marque dont l’annulation a été demandée en première instance. En outre, il s’avère que le fondement des demandes en annulation est strictement identique. Il en résulte que la prétention concernant l’enregistrement du dépôt 013099604 n’est que le complément de la demande en annulation initiale. Par application de l’article 566 du Nouveau Code de Procédure Civile cette demande, qui ne peut être qualifiée de nouvelle, doit être déclarée recevable. L’acte de dépôt 013099604 concerne une marque complexe composée de l’élément dénominatif déjà connu, décliné sous la forme graphique de 5 signatures ayant chacune des caractéristiques propres tout en présentant des ressemblances de style. Les mentions de l’acte de dépôt font ressortir que cette marque est destinée à désigner des verreries et

des pâtes de verre comme le dépôt 99797318. Pour les mêmes motifs que ceux déjà énoncés pour confirmer l’annulation de l’enregistrement de ce dépôt antérieur, il y a lieu de faire droit à la demande complémentaire. PAR CES MOTIFS ; LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare l’appel recevable ; Confirme le jugement déféré en ce qu’il a :

- écarté les fins de non-recevoir opposées par la société ALBERT IMPORT,
- prononcé l’annulation de l’enregistrement des marques « GALLE » déposées par la société ALBERT IMPORT sous les numéros 99821399 et 99823952,
- prononcé l’annulation de l’enregistrement de la marque « MULLER Frères Lunéville » déposée par la société ALBERT IMPORT sous le numéro 99797318,
- condamné la société ALBERT IMPORT à payer à Madame Jacqueline A une somme de SEPT MILLE CINQ CENTS EUROS (7.500 Euros) à titre de dommages et intérêts,
- condamné la société ALBERT IMPORT à payer à Madame Dominique M et à Madame Elise P veuve M une somme de SEPT MILLE CINQ CENTS EUROS (7.500 Euros) à titre de dommages et intérêts,
- condamné la société ALBERT IMPORT aux dépens de la procédure de première instance ; Infirme le jugement en ses autres dispositions et statuant à nouveau ; Fait défense à la société ALBERT IMPORT d’effectuer tous actes de commerce portant sur des reproductions d’oeuvres d’Emile G qui seraient dépourvues de la mention, apparente et intégrée dans la masse de l’objet, « copie » ou « reproduction » ; Dit que cette interdiction prendra effet à compter de la signification du présent arrêt et dit que la mesure est assortie d’une astreinte provisoire de DIX MILLE EUROS (10.000 Euros) par infraction constatée ; Déboute Madame A et les consorts M des mesures de publication sollicitées ; Ajoutant au jugement déféré : Fait interdiction à la société ALBERT IMPORT d’effectuer tout acte de commerce portant sur des reproductions d’oeuvres des Frères M ; Dit que cette interdiction prendra effet à compter de la signification du présent arrêt et dit que la mesure est assortie d’une astreinte provisoire de DIX MILLE EUROS (10.000 Euros) par infraction constatée ; Prononce la confiscation de la totalité des recettes procurées à la société ALBERT IMPORT par la vente de reproductions d’oeuvres des Frères M ; Prononce l’annulation de l’enregistrement de la marque MULLER Frères Lunéville déposée par la société ALBERT IMPORT sous le numéro 013099604 : Rejette toutes demandes de confiscation et de publication ; Et avant dire droit sur la liquidation du préjudice subi par les consorts M : Ordonne une expertise en donnant mission à Monsieur Xavier F, expert comptable, domicilié […] :

- de se faire communiquer tous documents utiles et notamment la comptabilité de la société ALBERT IMPORT,
- de rechercher et de chiffrer le profit qui a été retiré par la société ALBERT IMPORT de la vente de reproductions d’oeuvres des Frères M, Fixe à DEUX MILLE DEUX CENTS EUROS (2.200 Euros) le montant de la

consignation à valoir sur les honoraires de l’expert que devront verser les consorts M au greffe de la Cour d’Appel de NANCY avant le 15 janvier 2005 ; Dit que faute de versement de la consignation dans le délai imparti, il en sera tiré toute conséquence quant à la caducité de la mesure d’expertise ordonnée ; Dit que l’expert déposera son rapport avant le 1er septembre 2005 ; Désigne le Conseiller de mise en état pour connaître de toute difficulté se rapportant à l’exécution de la mesure d’expertise ordonnée ; Réserve les dépens.

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Cour d'appel de Nancy, 1re chambre civile, 4 novembre 2004