Cour d'appel de Nancy, Chambre sociale-2ème sect, 20 janvier 2022, n° 20/02239

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Nancy, ch. soc.-2e sect, 20 janv. 2022, n° 20/02239
Juridiction : Cour d'appel de Nancy
Numéro(s) : 20/02239
Décision précédente : Conseil de prud'hommes d'Épinal, 30 août 2020, N° 18/00193
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

ARRÊT N° /2022

PH

DU 20 JANVIER 2022

N° RG 20/02239 – N° Portalis DBVR-V-B7E-EVCG


Conseil de Prud’hommes – Formation de départage d’EPINAL

[…]

31 août 2020

COUR D’APPEL DE NANCY

CHAMBRE SOCIALE – SECTION 2

APPELANTE :

Madame X Y

[…]

[…]


Représentée par Me Frédérique MOREL, avocate au barreau de NANCY substituée par Me Elisabeth LASSERONT, avocate au barreau d’EPINAL

INTIMÉES :

S.E.L.A.R.L. VOINOT ET ASSOCIES MANDATAIRES JUDICIAIRES es qualités de liquidateur judiciaire de l’Association 'Centre Social l’Entre Rives’ située […]

[…]

88100 SAINTE-MARGUERITE


Représentée par Me Franck Z de la SELARL AVOCAT JURISTE CONSEIL, avocat au barreau d’EPINAL substitué par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocat au barreau de NANCY

Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE NANCY prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège social

96 rue Saint-Georges – CS 50510

[…]


Représentée par Me Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :
Lors des débats et du délibéré,


Président : WEISSMANN Raphaël,


Conseillers : STANEK Stéphane,


Z A,


Greffier lors des débats : RIVORY Laurène

DÉBATS :


En audience publique du 18 Novembre 2021 ;


L’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu le 13 Janvier 2022 puis à cette date le délibéré a été prorogé au 20 janvier 2022; par mise à disposition au greffe conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;


Le 20 Janvier 2022, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l’arrêt dont la teneur suit :

EXPOSÉ DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES

Mme X Y a été engagée par l’association Centre Social L’ENTRE RIVES suivant contrat à durée déterminée, à compter du 15 décembre 2011, en qualité d’animatrice périscolaire.


La relation contractuelle s’est poursuivie suivant contrat à durée indéterminée à compter du 13 avril 2012.


Par jugement du tribunal de commerce d’Epinal du 21 décembre 2017, l’association Centre Social L’ENTRE RIVES a été placée en liquidation judiciaire, Maître Fabien Voinot ayant été désigné en qualité de liquidateur judiciaire.


Par courrier du 4 janvier 2018, Mme X Y a été licenciée pour motif économique.


Par requête du 12 septembre 2018, Mme X Y a saisi le conseil de prud’hommes d’Epinal aux fins de voir reconnaître le manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur et obtenir, en conséquence, 20 000 euros de dommages et intérêts.


L’Unédic délégation AGS CGEA de Nancy a soulevé, à titre liminaire, l’incompétence du conseil de prud’hommes au profit des juridictions répressives.


Vu le jugement du conseil de prud’hommes d’Epinal rendu, en sa formation de départage, le 31 août 2020, lequel a :


- rejeté l’exception d’incompétence du conseil de prud’hommes d’Epinal soulevée par l’association CGEA,


- débouté Mme X Y de sa demande principale de fixation d’une créance de dommages et intérêts à la procédure de liquidation judiciaire de l’association Centre Social L’ENTRE RIVES,


- dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamné Mme X Y au paiement des dépens.
Vu l’appel formé par Mme X Y le 6 novembre 2020,


Vu l’article 455 du code de procédure civile,


Vu les conclusions de Mme X Y déposées sur le RPVA le 21 mai 2021, celles de Me Fabien Voinot, ès qualités de liquidateur judiciaire de l’association Centre Social L’ENTRE RIVES déposées sur le RPVA le 28 juin 2021, et celles de l’UNEDIC délégation AGS CGEA de Nancy déposées sur le RPVA le 22 avril 2021,


Vu l’ordonnance de clôture rendue le 15 septembre 2021,

Mme X Y demande :


- de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par le CGEA,


- d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes et l’a condamnée au paiement des dépens,


Et statuant à nouveau,


- de dire que l’association Centre Social L’ENTRE RIVES a manqué à l’obligation de sécurité lui incombant,


- de dire que ce manquement lui a causé un préjudice durable que l’association Centre Social L’ENTRE RIVES sera tenue de réparer,


En conséquence,


- de fixer sa créance de dommages et intérêts au passif de l’association Centre Social L’ENTRE RIVES à la somme de 20 000 euros,


- de déclarer la décision à intervenir opposable au CGEA,


- de statuer ce que de droit sur les dépens.

*


Me Fabien Voinot, ès qualités de liquidateur judiciaire de l’association Centre Social L’ENTRE RIVES demande :


- de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :


- débouté Mme X Y de sa demande principale de fixation d’une créance de dommages et intérêts à la procédure de liquidation judiciaire de l’Association Centre Social L’ENTRE RIVES ;


- condamné Mme X Y aux dépens de l’instance,


- d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


Statuant à nouveau,


- de condamner Mme X Y à lui la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

*


L’UNEDIC délégation AGS CGEA de Nancy demande :


- de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,


- de débouter Mme X Y de l’intégralité de ses demandes,


En tout état de cause,


- de dire que les sommes dues en application de l’article 700 du code de procédure civile ne sont pas garanties par l’AGS,


- de dire que la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D.3253-5 du code du travail,


- de dire que l’AGS ne pourra être tenue que dans les limites de sa garantie fixée aux articles L.3253-6 et suivants du code du travail,


- de dire que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L. 3253-6 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 et suivants du code du travail,


- de dire que l’obligation du CGEA de faire l’avance des créances garanties ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé établi par le mandataire judicaire et justification par ce dernier de l’absence de fonds disponibles entre ses mains.,


- de dire qu’en application de l’article L. 622-28 du code de commerce, les intérêts cessent de courir à compter du jour de l’ouverture de la procédure collective,


- de dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.

SUR CE, LA COUR


Pour plus ample exposé sur les moyens et prétentions des parties, il sera expressément renvoyé aux dernières écritures qu’elles ont déposées sur le RPVA, s’agissant de celles de Madame X Y, le 21 mai 2021, s’agissant de celles de l’association Centre Social L’ENTRE RIVES, le 28 juin 2021 et de celles de l’UNEDIC délégation AGS CGEA de Nancy, le 22 avril 2021.

Sur le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité :

Madame X Y fait valoir qu’en matière de protection de la santé et de la sécurité des salariés, l’employeur est tenu à une obligation de résultat dont il doit assurer l’effectivité.


Elle indique que le 24 mars 2017, un enfant accueilli par le Centre Social L’entre Rives, âgé de 3 ans et demi a échappé à la vigilance des personnes présentes sur le site de l’association situé en bordure du canal et s’est noyé.


Animatrice périscolaire au Centre, elle avait au moment des faits la responsabilité du secteur 6-8 ans, était coordinatrice des NAP et directrice d’accueils de mineurs pendant les vacances scolaires.

Madame X Y indique que tous les salariés de l’association, à son instar, ont été traumatisé par cet évènement et qu’elle-même a été en arrêt maladie dès le lendemain.
Elle indique également que le décès de l’enfant était dû aux graves et nombreux dysfonctionnements du Centre Social L’entre Rives dont l’organisation ne permettait pas la surveillance et la protection effectives des mineurs qui lui étaient confiés et que le conseil d’administration informé de ces problèmes n’y a pas remédié malgré les injonctions de l’autorité de tutelle.

Madame X Y explique avoir dû endosser la responsabilité de la direction de l’accueil périscolaire en raison de la carence de la directrice en titre et a de ce fait supporté une charge de travail et des responsabilités supplémentaires par rapport aux fonctions qui étaient les siennes en vertu de son contrat de travail.


Elle produit des comptes rendus d’auditions de salariés de la structure réalisés au cours de l’enquête administrative faisant suite à l’accident, desquels ressortent les nombreux dysfonctionnements au sein du centre d’accueil (pièces n° 17, 18, 23 à 31).


M a d a m e M a r i o n D H O N D T f a i t v a l o i r q u ' e l l e a « é t é u n e v i c t i m e c o l l a t é r a l e d e c e s dysfonctionnements » en ce qu’elle a été gravement éprouvée par les faits, a été arrêtée pendant de nombreux mois et bénéficie toujours à ce jour d’un traitement anxiolytique et d’une prise en charge au niveau psychologique (pièces n° 21 et 22).


Elle indique que son préjudice est consécutif au manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et que « l’association n’a pas mis en place une organisation permettant d’assurer la sécurité, n o t a m m e n t p s y c h i q u e d e s e s s a l a r i é s , c e d r a m e é t a n t s u r v e n u e n r a i s o n d e s g r a v e s dysfonctionnements au niveau de l’organisation du Centre ».


Elle relève que « Le Conseil de Prud’hommes a justement estimé que la défaillance du Centre Social occasionnait des risques importants d’atteinte à la santé mentale des salariés, et qu’ainsi aucune prévention des risques sociaux et psycho-sociaux n’était réalisée ».


La SELARL VOINOT ET ASSOCIES MANDATAIRES JUDICIAIRES fait valoir que les causes de l’accident ne sont pas encore connues, une instruction pénale étant en cours ; que le comportement de Madame X Y n’a pas été lui-même exempt de tous reproches.


Le liquidateur judiciaire fait également valoir que la salariée n’est pas une victime directe des faits survenus au sein du Centre Social L’entre Rives et que dès lors la responsabilité de cette dernière ne saurait être engagée sur le fondement de l’obligation de sécurité de résultat, laquelle permet à la victime directe des manquements de l’employeur en matière de sécurité, d’engager sa responsabilité sur ce fondement et non aux victimes par ricochet.


L’UNEDIC Délégation AGS, CGEA de NANCY (ci-après CGEA) fait valoir que si Madame X Y estimait que son arrêt de travail a été directement causé par ses conditions de travail, elle aurait pu faire une demande de prise en charge au titre d’un accident du travail et rechercher la responsabilité de son ancien employeur devant le pôle social du tribunal judiciaire du fait d’une éventuelle faute inexcusable.


L’AGS fait également valoir que le lien de causalité entre une éventuelle faute de l’association CENTRE SOCIAL ENTRE RIVES et l’état psychique de Madame X Y, est indirect ; que l’éventuelle faute commise par l’association concernerait non pas ses salariés mais ses usagés.


Motivation :


Aux termes de l’article L4121-1 du code du travail, 1'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels y compris ceux mentionnés à l’article L4161-1, des actions d’information et de formation et la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.


Aux termes de l’article L4121-2 du même code, l’employeur met en 'uvre les mesures prévues à l’article L4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : 1° Eviter les risques ; 2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; 3° Combattre les risques à la source ; 4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ; 5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ; 6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ; 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L1152-1 et L1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L1142-2-1 ; 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ; 9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.


L’obligation de sécurité pesant sur l’employeur est une obligation de résultat, le résultat à atteindre étant constitué par les mesures nécessaires des articles L4121-1 et L4121-2. Dès lors, ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail.


En l’espèce, Madame X Y reproche notamment à son employeur de n’avoir pris aucune mesure de prévention des risques psychiques encourus par ses salariés.


Il résulte des éléments figurant à la procédure qu’il n’est pas contesté que l’employeur n’a, antérieurement à l’accident, pas établi de plan de prise en charges des risques psychologiques encourus par ses salariés dans le cadre de l’exercice de leurs missions et n’a pu, en conséquence, organiser la prise en charge psychologique de la salariée après l’accident survenu le 24 mars 2017.


Dès lors, la cour constate que l’employeur a manqué à son obligation de protection de la santé physique et psychologique de Madame X Y.


Le jugement du conseil de prud’hommes sera infirmé sur ce point.

Sur les conséquences financières du manquement :

Madame X Y fait valoir un préjudice psychologique, constaté par les pièces médicales qu’elle produit et réclame une indemnisation de 20 000 euros.


L’AGS et le liquidateur judiciaire font valoir que la salariée ne démontre aucun préjudice résultant du manquement de l’employeur.


Motivation :


L’obligation de résultat imposée à l’employeur en matière de sécurité au travail est d’assurer l’effectivité du principe de prévention.


Dès lors, une simple exposition du salarié au risque suffit à engager la responsabilité de l’employeur. En outre, Madame X Y produit un certificat médical du 3 juin 2019, rédigé par son médecin psychiatre décrivant un « état anxio-dépressif réactionnel à des évènements survenus au sein de son travail » (pièce n° 21).
En conséquence il y a lieu de fixer la créance de Madame X Y au passif de l’association CENTRE SOCIAL L’ENTRE RIVES à la somme de 5000 euros.

Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens :


La SELARL VOINOT ET ASSOCIES MANDATAIRES JUDICIAIRES sera déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.


La SELARL VOINOT ET ASSOCIES MANDATAIRES JUDICIAIRES sera condamnée au entiers dépens de première et de seconde instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour, chambre sociale, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,

INFIRME le jugement déféré du conseil de prud’hommes d’Epinal en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a retenu sa compétence matérielle ;

STATUANT A NOUVEAU

Fixe la créance de dommages et intérêts due à Madame X Y au passif de l’association CENTRE SOCIAL L’ENTRE RIVES à la somme de 5000 euros (cinq mille euros) ;

Dit que la présente décision est opposable à l’UNEDIC délégation AGS CGEA de Nancy,

Dit que l’UNEDIC délégation AGS CGEA de Nancy ne pourra être tenue que dans les limites de sa garantie fixées aux articles L.3253-6 et suivants du code du travail,

Condamne la SELARL VOINOT ET ASSOCIES MANDATAIRES JUDICIAIRES aux dépens de la première instance ;

Y AJOUTANT

Condamne la SELARL VOINOT ET ASSOCIES MANDATAIRES JUDICIAIRES aux dépens de la présente instance.


Ainsi prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


Et signé par Monsieur Raphaël WEISSMANN, Président de Chambre, et par Madame Laurène RIVORY, Greffier.


LE GREFFIER LE PRESIDENT DE CHAMBRE


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