Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 7 août 2020, n° 20/09207

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 2, 7 août 2020, n° 20/09207
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/09207
Décision précédente : Tribunal de commerce d'Évry, 7 juillet 2020, N° 2020R00094
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRÊT DU 07 AOÛT 2020

(n° 220 , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/09207 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCA32

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Juillet 2020 -Tribunal de Commerce d'EVRY - RG n° 2020R00094

APPELANTE ET INTIMÉE A TITRE INCIDENT

ITM ALIMENTAIRE INTERNATIONAL, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée par Me Romain BOURGADE de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : T0700

INTIMÉE ET APPELANTE A TITRE INCIDENT

S.A.S. QUIETUDE.IO, représentée par son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Assistée par Me Sabine GUÉROULT, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Juillet 2020, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Agnès MAITREPIERRE, Présidente de chambre conformément aux articles 804, 805 et du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Agnès MAITREPIERRE, Présidente de chambre

M. Gilles REVELLES, Conseiller

Mme Christine SOUDRY, Conseillère

Qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Dominique CARMENT

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Gilles REVELLES, Conseiller, pour la Présidente empêchée et par Anais SCHOEPFER, Greffière présent lors du prononcé.

Ayant appris fin avril 2020 que la société QUIÉTUDE IO (ci-après la 'société Quiétude'), dont l'activité habituelle consistait à concevoir, fabriquer et commercialiser des valises connectées, s'était mise à importer de Chine des masques faciaux de protection et en fournissait des enseignes de la grande distribution, la société ITM Alimentaire International (ci-après la société 'ITM', plus connue sous l'enseigne 'Intermarché') a passé plusieurs commandes auprès de cette société.

Deux ont commandes ont eu lieu le 4 mai 2020, pour les établissements situés à Argentré-du-Plessis, portant chacune sur cinq millions de masques, moyennant un prix pour chaque commande de 2.373.750 euros TTC, soit 0,45 centimes d'euros le masque.

Le même jour, soit le 4 mai 2020, la société ITM a versé un acompte de 50% sur ces deux commandes, soit 2.373.750 euros.

Une troisième commande est intervenue le 8 mai 2020, pour les mêmes établissements d'Argentré-du-Plessis, portant sur dix millions de masques, au prix de 4.747.750 euros, soit le même prix à l'unité.

Estimant que les masques livrés n'étaient pas conformes à ce qui avait été commandé, en ce qu'ils étaient conditionnés dans des sachets de 50 et non de 10 pièces, la société ITM a refusé de payer le solde des deux premières commandes, soit 2.373.750 euros.

Après l'avoir mise en demeure de payer cette somme, par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 juin 2020, la société Quiétude l'a fait assigner, le 17 juin, en référé-provision, sur le fondement de l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, devant le tribunal de commerce d'Évry, aux fins de voir :

' constater que sa créance à l'égard de la société ITM est certaine, liquide et exigible et ne se heurte à aucune contestation sérieuse ;

' condamner celle-ci à lui payer par provision ladite somme de 2 373 750 euros, outre des intérêts, ainsi qu'une somme de 40 euros à titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement et de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance du 8 juillet, le tribunal de commerce d'Evry :

' sur la première commande, correspondant au 'Pro forma' 20191025 et à la facture 20201200, après avoir constaté que la livraison avait bien eu lieu et n'était pas conforme à la 'Proforma' susvisée, au vu du conditionnement en boîtes de 50 pièces, a dit n'y a voir lieu à référé, aucun élément fourni ne permettant d'apprécier la situation, et renvoyé en conséquence les parties à se pourvoir au fond par la biais de la 'passerelle' pour une audience du 3 septembre 2020;

' sur la deuxième commande, correspondant au 'Pro forma' 20191026 et à la facture 20201396, après avoir constaté que la livraison avait bien eu lieu et était conforme à la commande, au vu du conditionnement en sachets de 10 pièces, et retenu que la société ITM ne justifiait pas du non-paiement de cette facture, l'a condamnée à payer à titre provisionnel à la société Quiétude la somme de 1.186.875 euros, au titre du solde la facture, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 juin 2020, ainsi qu'à 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement, et réservé les dépens et les frais irrépétibles non compris dans les dépens.

Par déclaration du 15 juillet 2020, la société ITM a relevé appel de cette décision, mais seulement en ce qu'elle a estimé qu'il y a urgence et l'a condamné à payer à titre provisionnel à compter de la signification de celle-ci la somme de 1 186 875 euros au titre du solde de la facture 20201396, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 juin 2020, ainsi qu'à 40 euros au titre au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement.

La société ITM a ensuite déposé, auprès du premier président de cette cour, une requête afin d'être autorisé à assigner à jour fixe la société Quiétude aux fins:

' de voir confirmer l'ordonnance entrepris sur la première commande, en ce qu'il a renvoyé les parties à se pourvoir au fond à l'audience du 3 septembre 2020 ;

' de voir infirmer l'ordonnance entreprise sur la deuxième commande, en ce qu'il a condamné la société ITM à payer à titre provisionnel la somme de 1. 186.875 euros au titre du solde de la facture 20201396, avec intérêts au taux légal à compter da la mise en demeure du 16 juin 2020, ainsi qu'à 40 euros au titre d'indemnité forfaitaire de recouvrement ;

' statuant à nouveau, de voir juger :

• que les marchandises livrées ne sont pas conformes aux deux premières commandes du 4 mai 2020, qu'elles ont été livrées tardivement et ne sont pas conformes aux règles d'étiquetage en vigueur ;

• que la demande de provision au titre de la deuxième commande est sérieusement contestable et qu'il n'y a pas lieu à référé ;

' de voir condamner la société Quiétude à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

' à titre reconventionnel, de voir ordonner la reprise par la société Quiétude des marchandises non conformes à sa charge, soit 12.778 masques par boîte de 50 maques, au sein de son entrepôt, au titre des trois premières commandes.

Par ordonnance du 21 juillet 2020, le délégué du premier président a autorisé la société ITM à assigner à jour fixe la société Quiétude, pour l'audience du 29 juillet, ce qui a été fait par acte du 22 juillet 2020.

Aux termes de son assignation à jour fixe et de ses conclusions récapitulatives du 29 juillet 2020, régulièrement communiquées, visées par le greffier d'audience et développées oralement, la société ITM fait valoir, pour l'essentiel, à l'appui de sa demande principale:

' sur le conditionnement en sachets, que les devis établis par la société Quiétude le 3 mai 2020 ('Profrorma 201910025" et 'Proforma 201910026"), signés par la société ITM le 4 mai, ainsi que les factures émises le 5 mai 2020 (20201200 et 20201396), le tout portant sur deux premières commandes, font expressément référence à un conditionnement par sachets de dix masques; qu'il n'a jamais été convenu que les marchandises couvertes par la première commande soient conditionnées en boîtes de cinquante masques; qu'ayant rencontré des difficultés pour identifier les lots qui lui avaient été livrés par la société Quiétude, entre aux fournisseurs, elle ne s'est rendue compte de la non-conformité des livraisons que le 8 juin ;

' sur les délais de livraison, que ces deux devis mentionnent expressément que les marchandises seront respectivement livrées le 12 et le 17 mai 2020, alors que la première livraison n'a eu lieu que le 28 mai et n'a été faite qu'en partie, les livraisons des deux premières commandes s'étant étalé jusqu'à mi ou fin juin ;

' sur les informations requises sur l'étiquetage ou la notice des masques, que deux notes établies par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression (ci-après 'DGCCRF'), les 3 et le 17 mai 2020 (la seconde annulant er remplaçant la première) à l'attention des professionnels commercialisant les masques 'grand public' et de type chirurgical dans le contexte de la crise sanitaire, posent une série d'exigences, reprises à l'annexe IV de l'instruction interministérielle du 9 juin 2020 ; que les masques livrés par la société Quiétude ne sont pas conformes à plusieurs de ces exigences, en vigueur et renforcées depuis le 1er juillet.

A l'appui de sa demande reconventionnelle, la société ITM fait valoir que le stockage des marchandises livrées non conformes, vu leur volume, représente un coût important.

Par conclusions du 29 juillet 2020, régulièrement communiquées, visées par le greffier d'audience et développées oralement, la société Quiétude demande :

' de recevoir son appel incident ;

' de déclarer la société ITM irrecevable en sa demande 'reconventionnelle' comme étant nouvelle ;

' de confirmer l'ordonnance entreprise concernant la deuxième commande ;

' de l'infirmer concernant la première commande et, en conséquence, de condamner la société ITM à lui payer la somme de 1.186.875 euros, d'assortir cette condamnation des intérêts au taux de 20% l'an, subsidiairement aux intérêts prévus à l'article L.441-6 du code de commerce, calculés au taux de base de refinancement de la banque centrale européenne augmenté de 10 points, à compter de la date d'exigibilité de la facture, ainsi qu'à la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement, d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

' de condamner la société ITM à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

' d'ordonner qu'en cas d'exécution forcée de la décision, les sommes retenues par l'huissier de justice instrumentaire au titre de l'article A. 444-32 du code de commerce, issu de l'article 2 de l'arrêté du 26 février 2016, seront mises à la charge de la société ITM.

Sur la demande principale de la société ITM et son appel incident, la société Quiétude fait valoir, pour l'essentiel :

' que le nombre de masques livrés n'est pas celui allégué par la société ITM ; cette dernière prétend avoir été livrée de 12 778 000 masques en boîtes de 50 et de 4 510 870 masques conditionnés en sachets de 10, alors qu'à la date du 15 juin 2020, elle a été livrée, selon la société Quiétude, de 9 790

000 masques conditionnés en boites de 50 et de 6 479 6000 masques conditionnés en sachets de 10 ;

' que toutes ces livraisons ont été réceptionnées sans réserves par la société ITM, jusque fin juin, que ce soit sur le conditionnement, l'étiquetage ou la date de livraison, ce qui lui interdit de se prévoir d'un défaut de conformité apparent des marchandises ;

' sur le conditionnement des marchandises, que la société ITM a donné verbalement une suite favorable à la proposition de la société Quiétude de lui livrer des boites de 50 masques, vu l'engouement du grand public pour ces formats au moment du déconfinement, mais que la société ITM ayant finalement rencontré des difficultés pour écouler ces boites en raison de la chûte de leur consommation quatre semaines après le déconfinement, elle se trouve en situation de sur-stock massif et au surplus confrontée à une baisse des prix, ce qui explique sa contestation sur le conditionnement en boîtes de 50 des masques déjà réceptionnés et son défaut d'acceptation de la proposition de la société Quiétude de procéder à leur reconditionnement en sachets de 10 masques, ainsi que son refus d'accepter les livraisons de masques réalisées depuis le 29 juin, pourtant conditionnés en sachets de 10, dont le volume s'élève à 1 934 000 masques ;

' sur les délais de livraison figurant dans les devis des deux premières commandes, qu'ils doivent s'entendre comme les dates de départ des marchandises des usines de fabrication chinoises, de même que les dates d'expédition comme celles de départ de l'aéroport chinois, et non comme des dates de livraison effective dans les locaux de la société ITM ; dans le contexte de la crise sanitaire, il était d'ailleurs impossible d'imposer des délais de livraison ou même de les envisager compte tenu des aléas du trafic aérien et des délais de dédouanement imprévisibles ;

' sur les informations requises sur l'étiquetage ou la notice, que des modalités d'information simplifiées ont été tolérées jusqu'au 2 juin (par la note de la DGCCRF du 3 mai) puis jusqu'au 31 août (par la note de la DGCCRF du 17 juin), afin de prévoir une mise sur le marché rapide des masques, au cas où les notices d'information complètes ne seraient pas disponibles; que selon ce dispositif simplifié, les informations requises peuvent portées sur divers supports (sur des dépliants remis aux acheteurs, soit en 'corner', soit en caisse; sur des affiches situées en 'corner' ou à l'entrée du magasin ou du rayon de vente; sur le site internet du magasin); qu'en outre, en vertu de l'instruction interministérielle du 9 juin, les masques non stériles et à usage unique répondant à la définition des masques chirurgicaux et qui sont importés sans apposition du marquage CE peuvent être mis à disposition sur le marché national jusqu'au 30 octobre 2020 et les distributeurs sont autorisés à écouler leurs stocks de produits jusqu'au 1er mars 2021; qu'il s'ensuit que, contrairement à ce qu'elle allègue, la société ITM peut parfaitement vendre les masques livrés par la société Quiétude, d'autant plus que les notices et emballages de ces masques ne présentent pas les défauts d'informations prétendus.

Sur la demande 'reconventionnelle' de la société ITM, la société Quiétude soutient qu'elle est irrecevable, sur le fondement de l'article 564 du code de procédure civile, comme étant nouvelle et, au demeurant, qu'elle est dénuée de tout fondement, compte tenu de la réception sans réserve des marchandises livrées, dont le nombre n'est pas celui allégué par la société ITM, le règlement de cette contestation, qui nécessite l'analyse de l'intégralité des livraisons, relevant d'ailleurs du juge du fond et non du juge des référés.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens respectifs.

SUR QUOI

Aux termes de l'article 873 du code de procédure civile, le juge des référés du tribunal de commerce peut, dans la limite de la compétence de ce dernier, accorder une provision au créancier en l'absence de contestation sérieuse.

Il s'ensuit que le juge des référés, juge de l'apparence et de l'évidence, ne peut, sans excéder ses pouvoirs, trancher une contestation sérieuse, laquelle est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision qui pourrait être prise sur le fond.

S'agissant plus précisément de l'octroi d'une provision, elle suppose le constat préalable part le juge des référés de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable au titre de laquelle cette provision est demandée.

1) Sur les contestations émises par la société ITM

A hauteur d'appel, la société ITM conteste l'octroi d'une provision au titre du solde du prix des deux premières commandes en invoquant un manquement de la société Quiétude à son obligation de délivrance, qui résulterait :

' premièrement, d'un défaut de conformité des masques livrés en raison de leur conditionnement ;

' deuxièmement, de retards de livraison ;

' troisièmement, d'un défaut de conformité des masques livrés aux règles d'étiquetage.

a) Sur la contestation relative au conditionnement des marchandises

Si l'obligation de délivrance, à laquelle est tenue le vendeur en vertu de l'article 1603 du code civil, consiste à livrer une chose présentant les caractéristiques spécifiées par la convention des parties, l'acquéreur ne pouvant lui-même être tenu d'accepter une chose différente de celle qu'il a commandée, l'acceptation sans réserve de la marchandise vendue par l'acheteur lui interdit de se prévaloir du défaut de conformité.

En l'espèce, il est constant que, s'agissant des deux premières commandes, les deux devis établis par la société Quiétude le 3 mai 2020, validés et signés le lendemain par la société ITM, respectivement désignés 'Pro Forma 201910025' et 'Pro Forma 20190026', mentionnent expressément un conditionnement 'en sachet pegborable de 10 unités'.

Il résulte également du dossier que, s'agissant de la troisième commande, le devis établi par la société Quiétude le 9 mai 2020, signé par la société ITM, désigné 'Pro Forma 20190027',portant sur dix millions de masques, précise un conditionnement 'en sachet pegborable de 10 unités'.

La société ITM conteste avoir verbalement consenti, comme le prétend la société Quiétude, s'agissant de la première commande, à un conditionnement sous forme de boîtes de 50 masques, et ce postérieurement à la signature du devis mentionnant un conditionnement en sachets de 10 unités.

Toutefois, la société Quiétude produit une série de pièces (lettres de transport aérien, documents douaniers, lettres de voitures) dont il résulte, avec l'évidence requise en référé, sans préjudice d'un débat devant le juge du fond, que la société ITM n'a pas émis la moindre réserve sur le conditionnement des masques livrés en boîtes de 50, et ce entre le 29 mai et le 10 juin 2020.

La société ITM fait état de difficultés d'identification des lots livrés par la société Quiétude, notamment en raison de l'absence de référence à cette société sur les colis.

Toutefois, il résulte du constat d'huissier dressé le 6 juillet à la demande de la société Quiétude, lors des livraisons qu'elle a effectuées ce jour-là au moyen de deux semi-remorques, que les colis sondés au hasard dans l'un des semi-remorques comportent, notamment, les mentions selon lesquelles le produit est distribué par la société Quiétude et conditionné en sachets pegbordables de 10 masques,

ce qui est confirmé à l'ouverture des colis, tandis que les colis sondés au hasard dans l'autre semi-remorque ne comportent pas de mentions aussi précises, mais indique néanmoins, notamment, qu'il contient des masques de protection faciale non tissés, ce qui est confirmé à l'ouverture des colis. Bien que ce constat ait été dressé à la demande de la société Quiétude postérieurement à la période au cours de laquelle ses livraisons ont été acceptées, il relativise la difficulté invoquée par la société ITM pour identifier ses lots.

En outre, à supposer même que les colis effectivement livrés n'aient pas mentionné la société Quiétude comme distributeur, ainsi que le mode de conditionnement des masques, la société ITM s'étant dotée, en tant que professionnel de la grande distribution, d'une organisation logistique spécialement dédiée à l'achat des masques, à la vérification des normes et à la mise en place des transports et livraisons, et ayant nommé dans ce cadre un responsable des masques sur la base logistique d'Argentré-du-Plessis, elle était parfaitement en mesure d'ouvrir certains colis pour s'assurer du conditionnement des marchandises en sachets de 10, avant de signer sans aucune réserve sur ce point les lettres de voiture.

La société ITM est d'autant moins fondée à invoquer un défaut de conformité portant sur le conditionnement des masques qu'elle a signée sans aucune réserve sur ce point plusieurs lettres de voitures après le 8 juin, alors qu'il s'agit de la date à laquelle elle prétend s'être rendue compte que les colis livrés par la société Quiétude ne correspondaient pas aux deux premières commandes, ce qui aurait du l'inciter à être particulièrement vigilante lors de la réception des colis et de la signature des lettres de voiture y afférent.

Au demeurant, la société ITM ne conteste pas avoir reçu des masques conditionnés en sachets de 10, et pas exclusivement des masques en boîtes de 50, les parties divergeant seulement sur le recensement du nombre de masques livrés en sachets de 10 par rapport à ceux livrés en boîtes de 50.

Il s'ensuit que la contestation émise par la société ITM, sur le fondement d'un prétendu défaut de conformité des masques livrés en raison de leur conditionnement en boîtes de 50, est dépourvue de sérieux.

b) Sur la contestation relative aux délais de livraison

L'obligation de délivrance, à laquelle est tenue le vendeur en vertu de l'article 1603 du code civil, lui impose de livrer la chose dans le délai convenu par les parties.

Les articles 1610 et 1611 du code civil, invoquées par la société ITM, précisent les sanctions encourues par le vendeur en cas de manquement à cette obligation.

En effet, aux termes du premier de ces textes, 'si le vendeur manque à faire délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou la mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur'.

Le second de ces texte ajoute que 'dans tous les cas, le vendeur doit être condamné aux dommages-intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur, du défaut de délivrance au terme convenu'.

En l'espèce, contrairement à ce que soutient la société ITM, la société Quiétude ne s'est pas engagée à lui livrer les masques commandés au titre de la première commande, le 12 mai et, au titre de la deuxième commande, le 17 mai. Ces délais n'entraient pas dans le champ contractuel.

En effet, s'il est constant que ces dates de 'livraison' figurent bien sur les devis ayant donné lieu à ces deux premières commandes, ils ne doivent pas s'entendre comme fixant des délais pour la livraison affective des marchandises dans les locaux de la société ITM.

En effet, comme l'explique la société Quiétude, ces dates correspondent à la date de départ des marchandises des usines de fabrication chinoises, de même que les dates d'expédition figurant dans ces devis (12 et 19 mai) correspondent aux dates de départ de ces marchandises de l'aéroport chinois. Cette explication est parfaitement logique, comme le confirme la confrontation des dates de livraison et d'expédition figurant dans le premier devis: les marchandises faisant l'objet de la première commande ne peuvent pas être livrées en France à la société ITM (le 17 mai) avant même d'être expédiées par avion de Chine (le 19 mai).

Au surplus, il ressort des pièces produites par la société Quiétude qu'à la date à laquelle ces commandes ont été passées, soit le 4 mai 2020, en l'état de la crise sanitaire, il était impossible de s'engager ou d'imposer des délais de livraison en France de masques importés de Chine, compte tenu des aléas du trafic aérien et des délais importants de dédouanement.

D'ailleurs, il ressort du dossier que la société ITM était parfaitement informée de la situation, M. X ayant indiqué à M. Y, par deux courriels du 2 mai, que 'l'inconnue reste le délai de transport' et que 'le principal délai est du au transport aérien qui est totalement saturé entre la Chine et l'Europe' et M. Y ayant lui-même indiqué à deux de ses collaborateurs, par courriel du 8 juin, que 'la récupération des colis à Roissy a été un enfer et la défaillance de la société WFS, qui a le monopole du handling à CDG, très pénalisante'.

L'échange de courriels intervenu le 6 mai 2020 entre MM. Y et Z, dont se prévaut la société ITM, ne remet pas en cause ce constat. En effet, contrairement à ce qui est soutenu, le le second n'a pas répondu au premier que la totalité des masques commandés (au titre des trois premières commandes) serait livrée en France le 21 mai 2020; il s'est borné à lui faire part de la validation de la 'possibilité d'un embarquement le 18 mai 2020", c'est-à-dire d'une expédition par voie aérienne du territoire chinois, sans compter les délais de dédouanement en France.

Il s'ensuit que la contestation émise par la société ITM, sur le fondement d'un prétendu défaut de conformité résultant de retards de livraison, n'est pas sérieuse.

c) Sur la contestation relative aux règles d'étiquetage des marchandises

Il convient de rappeler les termes et la chronologie des mesures prises début mai 2020 par les pouvoirs publics en matière de commercialisation des masques, ces mesures étant invoquées par la société ITM au soutien de sa troisième contestation sur défaut de conformité des masques vendus par la société Quiétude.

Dans un premier temps, la DGGCR a, le 3 mai 2020, diffusé une note à l'attention des professionnels commercialisant des masques 'grand public' et de type chirurgical dans le contexte de la crise sanitaire.

L'objectif poursuivi est exposé dans les termes suivants :

'Dans la mesure où de nombreux masques seront importés et ne respecterons pas nécessairement, dans un premier temps, l'ensemble des prescriptions des pouvoirs publics en matière d'information du consommateur, il apparaît nécessaire d'alléger provisoirement ces mesures, notamment en ce qui concerne les modalités d'informations sur les consignes d'utilisation des masques, afin que leur distribution ne soit pas entravée'.

S'agissant des masques jetables de type chirurgical vendus au grand public, il est indiqué que pour ceux qui sont 'importés et reconnus par équivalence de norme, souvent conditionnés par 50 unités, il est prévu un reconditionnement par 10 unités sous blister, pour lequel aucune notice ne serait disponible' étant précisé que 'seraient concernés uniquement des masques de type chirurgical non stériles à usage unique' et que, dès lors,' la question se pose de savoir comment communiquer aux consommateurs les conseils d'utilisation de ces masques'.

A cette question sont apportées deux réponses.

Une première réponse concerne une 'période transitoire dans l'attente de livraison de lots répondants aux critères de quantités et d'étiquetage par les fournisseurs'.

Il est indiqué (souligné par la cour) :

' Afin de prévoir une mise sur le marché rapide, il convient de tolérer, dans une période initiale d'un mois, jusqu'au 2 juin 2020, des modalités d'information simplifiées dans les cas où les notices d'information complètes (cf Point suivant) ne seraient pas disponibles :

• des dépliants ('flyers') informant des consignes génériques d'utilisation, devront être remis aux acheteurs, soit dans le 'corner', soit en caisse (...) ;

• une affiche reprenant ces consignes pourrait être apposée dans le 'corner', ou à défaut à l'entrée de l'établissement ou du rayon de vente des masques ;

• sans préjudice des mesures précédentes, le site internet du magasin, s'il en dispose, pourrait reprendre ces consignes'.

Une seconde réponse concerne les 'exigences à formuler aux fabricants pour les nouvelles commandes'.

Il est indiqué :

'Afin de décliner dans cette situation dérogatoire de mise à disposition du public des masques reconnus par équivalence de norme, les dispositions de l'arrêté du 15 mars 2020 fixant les conditions de mise en oeuvre des exigences essentielles applicables aux dispositifs médicaux, pris en application de l'article R. 5211-24 du code de la santé publique, qui prévoit les informations requises sur l'étiquetage ou la notice des dispositifs médicaux, devront être prises en compte, a minima, pour que la liste simplifiée des informations suivantes apparaisse sur la notice :

• le nom ou la raison sociale et l'adresse du fabricant ;

• les indications strictement nécessaires pour identifier le dispositif, précisant que le dispositif est à usage unique (ex: 10 masques de type chirurgical à usage unique);

• la mention de la norme étrangère à laquelle il est conforme (ex: conforme à la norme YY/T0969-2013) ;

• le numéro du lot, précédent par la mention: 'lot', ou le numéro de série;

• la date à laquelle le dispositif devrait être utilisé, en toute sécurité, exprimée par l'année et le mois ;

• les performances du dispositif ainsi que tout effet secondaire indésirable;

• les conditions particulières de stockage et de manutention ;

• la date de publication ou la dernière révision de la notice d'utilisation;

• les instructions particulières d'utilisation et les mises en garde et précautions à prendre'.

Dans un deuxième temps, le 9 juin 2020, a été adopté une instruction interministérielle relative à la mise en ouvre de la recommandation (UE) 2020/403 de la Commission européenne du 13 mars 2020 relative aux procédures d'évaluation de la conformité et de la surveillance du marché dans le contexte de la menace que représente le COVID-19.

Aux termes du titre III, intitulé 'Mise à disposition des dispositifs médicaux pour tous les professionnels et le pour le grand public', il est indiqué (souligné par la cour):

'Les masques répondant à la définition de dispositifs médicaux dits 'masques chirurgicaux' importés sans apposition du marquage CE peuvent être mis à disposition sur le marché national jusqu'au 30 octobre 2020, dès lors que le niveau adéquat de santé et de sécurité des produits est constaté par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ou par la direction générale des douanes et des droits indirects conformément aux normes européennes ou aux équivalences de nomes figurant à l'annexe II.

(...)

Les masques non stériles et à usage unique répondant à cette définition [la définition des dispositifs médicaux dits 'masques chirurgicaux'] peuvent être mis à dispositions des consommateurs jusqu'au 1er septembre 2020 dans les conditions définies [précédemment]. Les informations devant apparaître sur l'étiquetage ou la notice d'instruction dans le cadre de la mise à disposition des consommateurs ou des professionnels de ces masques sont détaillées en annexe IV.

L'annexe V précise les conditions énoncées [précédemment] ainsi que les conditions dans lesquelles des masques dont la conformité à aucune norme européenne ou considérée comme équivalente dans le domaine des équipements de protection individuelle ou des dispositifs médicaux n'a pu être établie (dans le cadre d'une importation ou d'une mise sur le marché sur le territoire de l'Union européenne ) peuvent être mis à disposition sur le marché national.

Les distributeurs seront autorisés à écouler leurs stocks de produits faisant l'objet de la présente instruction jusqu'au 1er mars 2021".

L'annexe IV susvisée reprend à l'identique les développements figurant dans la note de la DGGCRF du 3 mai, précitée, concernant les 'exigences à formuler aux fabricants pour les nouvelles commandes' et ajoute la réserve suivante: 'Afin de permettre une mise à disposition rapide de ces masques, des modalités d'informations simplifiées pourront toutefois être prévues par les autorités de surveillance du marché'.

L'annexe V susvisée apporte, en son paragraphe 4, souligné par la cour, des précisions sur les modalités de mise à disposition sur le marché national des masques de forme chirurgicale conformes à la norme GB/T 3260-2016, du type de ceux commandés par la société ITM à la société Quiétude: ces masques 'peuvent être mis à disposition du grand public s'ils répondent au critères définis pour la classe A de ladite norme, qui intègre les grades 1 et 2, dès lors qu'un étiquetage approprié est apposé mentionnant explicitement, les mentions prévues à l'annexe IV. A partir du 1er juillet 2020, pour les masques destinés à être commercialisés à des consommateurs, cet étiquetage devra également mentionner qu'il ne s'agit pas d'équipements de protection individuelle ou de dispositifs médicaux. L'équivalence à la norme européenne EN 14683:2019 ne peut être revendiquée pour les masques GB/T 32610 mis à disposition du grand public pour lequel le marquage CE ne peut être apposé'.

Dans un troisième temps, le 17 juin 2020, la DGCCRF a actualisé sa note du 3 mai, précitée, par une nouvelle note à l'attention des mêmes destinataires:

' premièrement, en élargissant le périmètre des situations rendant nécessaire la communication aux consommateurs des conseils d'utilisation des masques jetables de type chirurgical: sont concernés les masques vendus, non seulement, sans aucune notice disponible, mais aussi, ceux pour lesquels les notices ne soient pas encore disponibles en langue française ou ne comportent pas toutes les informations normalement requises ;

' deuxièmement, en prolongeant jusqu'au 31 août 2020 la tolérance initialement prévue jusqu'au 2 juin 2020 par la note du 3 mai, dans l'attente de la livraison de lots répondant aux critères de quantités et d'étiquetage par les fournisseurs ;

' troisièmement, en précisant que les exigences d'étiquetage à formuler aux fabricants, figurant dans la note du 3 mai et reprises à l'annexe IV de l'instruction interministérielle du 9 juin, précitée, s'appliquent aux commandes postérieures au 4 mai.

Contrairement à ce que soutien la société ITM, il résulte clairement de ces textes, avec l'évidence requise en référé, sans préjudice d'un débat devant le juge du fond, que les exigences d'étiquetage dont elle se prévaut au soutien de sa contestation sur la conformité des masques en cause en matière d'étiquetage ne sont applicables à la situation litigieuse. En effet, comme le précise la note de la DGCCRF du 17 juin 2020, précitée, les exigences d'étiquetage à formuler aux fabricants, figurant dans la note du 3 mai et reprises à l'annexe IV de l'instruction interministérielle du 9 juin, précitée, s'appliquent aux commandes postérieures au 4 mai, alors que les deux premières commandes qui font l'objet du présent litige ont été passées précisément le 4 mai.

Il s'ensuit que la contestation émise par la société ITM, sur le fondement d'un prétendu défaut de conformité résultant de l'étiquetage des masques, n'est pas sérieuse.

Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a condamné la société ITM à payer à titre provisionnel à compter de la signification de la présente ordonnance la somme de 1.186. 845 euros au titre du solde de la facture 20201396 avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 juin ainsi qu'à 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement.

2) Sur la demande de la société ITM de reprise par la société Quiétude des marchandises prétendument non conformes

Bien qu'elle soit nouvelle à hauteur d'appel, cette demande est recevable à titre de demande reconventionnelle, au sens de l'article 567 du code de procédure civile, en ce qu'elle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant tendant à contester la conformité des marchandises vendues.

Toutefois, pour les motifs précédemment exposés, cette demande ne peut qu'être rejetée.

3) Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Succombant en ses prétentions, la société ITM supportera les entiers dépens, en première instance comme en appel, et ne peut prétendre à une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il convient d'allouer à la société Quiétude une indemnité de 7.000 euros.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE recevable l'appel incident de la société Quiétude ;

INFIRME l'ordonnance tribunal de commerce d'Evry du 8 juillet (n° RG 2020R00094), sauf en ce qu'elle a condamné la société ITM Alimentaire International à payer à titre provisionnel à compter de la signification de la présente ordonnance la somme de 1 186 845 euros au titre du solde de la facture 20201396 avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 16 juin 2020 ainsi qu'à 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement ;

STATUANT À NOUVEAU des chefs infirmés, condamne la société ITM Alimentaire International à payer à titre provisionnel à la société Quiétude la somme de 1 186 875 euros au titre du solde de la facture 20201200 avec intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2020 ;

CONDAMNE la société ITM Alimentaire International aux entiers dépens, de première instance et

d'appel en référé ;

REJETTE sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamne à payer à ce titre à la société Quiétude 7000 euros ;

DIT n'y a voir lieu à statuer sur les éventuels frais d'exécution forcée ; rejette la demande de la société QUIETUDE IO à ce titre

.

La Greffière, Pour la Présidente empêchée,

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Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 7 août 2020, n° 20/09207